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06/09/2011

Une enquête intellectuelle et morale : 'L'Action française', de François Huguenin / 2

Leçons pour aujourd'hui :


 

Il y a quatre ou cinq ans, je participais au jury d'un « concours de théologie » ouvert aux lycéens et étudiants de la banlieue ouest de la région parisienne. Les copies exprimaient beaucoup de tonus, mais l'une d'elles fit sursauter les jurés. Elle contenait ces mots : « le grand écrivain catholique Charles Maurras... »

Pendant plus des neuf dixièmes de son existence, Maurras a raisonné hors (souvent au rebours) du christianisme ; le Christ lui était peu sympathique et les évangiles tout à fait étrangers, c'est un fait public et établi, pas besoin de citer ici la visite du musée d'Athènes et « le venin du Magnificat ». D'où le lycéen de la banlieue ouest tirait-il l'idée que Maurras était « catholique » ? Sa copie donnait l'impression qu'il n'avait pas lu cet auteur – lecture difficile, le style de Maurras ayant vieilli plus que celui d'autres écrivains 1900. Le garçon se faisait plutôt l'écho de ce qu'il avait entendu en famille. Dans un certain milieu, Maurras fait partie des portraits d'ancêtres : un élément du patrimoine.


La peur au lieu de l'amour

 

Mais cette conception du patrimoine éloigne de la réalité. François Huguenin le fait bien comprendre dans la réédition (augmentée) de son étude-bilan sur l'Action française : « La peur de disparaître, d'être définitivement vaincu a en fait provoqué ce mouvement de repli sur un discours mécanique qui tient lieu d'identité ». Il parle là des royalistes au lendemain de 1945, mais le diagnostic s'applique à une certaine droite catho  en 2011 ; et c'est un problème sérieux, les discours mécaniques  étant le contraire de la perpétuelle innovation évangélique. L'obsession de « défendre » un patrimoine (souvent fantasmé) rend inapte à la nouvelle évangélisation, à laquelle on préférera un « engagement politique » illusoire et stérile – cf. la campagne qui se propage ces jours-ci chez les bien-pensants. Quelle « politique », d'ailleurs ? Souvent celle de groupuscules, de droite ou d'extrême droite... C'est la position que Maurras avait choisie en 1942 (« n'être que le guetteur sur la muraille d'un rempart éphémère enserrant un château en ruines », dit Huguenin) ; ce n'est pas la politique que souhaite l'Eglise. Huguenin écrit : « Toute l'évolution de la pensée de l'Eglise catholique sera de chercher le moyen de composer avec les aspirations modernes, y compris en acceptant les évolutions institutionnelles qu'elles ont supposées, tout en gardant le principe que la démocratie et la liberté ne peuvent être absolus, mais doivent être des valeurs articulées aux impératifs du bien et de la vérité. »

Huguenin propose la leçon du naufrage final de Maurras sous Vichy, quand « il devient fautif de ne pas considérer tous les faits : ignorer les vertus de la Résistance […], faire comme si la question juive ne se posait pas, pratiquement, de façon tragique... Mais tenir compte de tous ces faits eût sans doute déterminé, à partir de 1942, un autre positionnement politique, eût nécessité de choisir de tenter l'aventure pour la France, de risquer de perdre beaucoup pour pouvoir gagner autre chose, et peut-être l'essentiel. Cette aventure, certains maurrassiens l'ont tentée dans la Résistance. Maurras ne l'a pas fait. La crainte de tout perdre l'a emporté sur l'espérance de gagner peut-être. Faut-il y voir le fruit […], pour paraphraser Bernanos, d'une insuffisance d'amour, cet amour qui seul risque quand la peur paralyse ? »

L'Eglise est aux antipodes

 

L'Eglise catholique est aux antipodes de ce choix de la peur. Dans l'épilogue remarquable ajouté à son livre, Huguenin écrit : « Le refus de la pensée d'Action française à prendre en compte les manifestations de l'impératif moderne de liberté est saisissant. L'Eglise catholique, par le ralliement, qui n'est pas une démission face aux prétentions de l'absolutisme moderne de la liberté, mais une prise en compte d'une nouvelle phase de l'humanité qui n'en change pas les fondamentaux anthropologiques, a été plus réaliste. Toute la pensée de l'Eglise catholique depuis un siècle et demi aura été de concilier les impératifs de bien commun, de vérité et de liberté, en prenant en compte la montée en puissance de la revendication de liberté individuelle comme une bonne nouvelle, si tant est qu'elle soit articulée à la visée du bien commun et à celle d'une juste conception de l'homme. L'encyclique sociale de Benoît XVI L'Amour dans la vérité, place la visée politique dans une perspective humaine élargie et exhorte les chrétiens à contribuer à "l'édification de cette cité de Dieu universelle vers laquelle avance l'histoire de la famille humaine". Ce qui ne signifie pas le rejet des nations, puisque "oeuvrer en vue du bien commun" s'incarne dans "la forme de la polis, de la cité", tout en assumant « les dimensions de la famille humaine tout entière ».

Et au delà de la question « politique », il y a la ligne de fracture principale entre le souhait de l'Eglise et l'attitude des ultras : le « premier devoir des catholiques », souligne Huguenin, est d'annoncer la parole de Dieu ; ils ne doivent pas lui préférer des opinions de parti ou de milieu  et encore moins leur assujettir Dieu en mélangeant religion et opinions, jusqu'à en faire ce magma de pseudo-patrimoine qui mène un lycéen à parler du « grand écrivain catholique Charles Maurras ».


Félicitons François Huguenin de cette réédition : un travail vivant, profond, considérable, qui ouvre des pistes de réflexion pour hier et aujourd'hui.

Voici le sommaire abrégé du livre :



PREMIÈRE PARTIE : SOUS LE SIGNE DE MINERVE

  1. L'Action française avant Maurras

  2. Naissance d'un laboratoire d'idées : de l'idée de décentraisation à la contestation du jacobinisme

  3. Le navire de la contre-révolution

  4. La croix et les lys

  5. Une renaissance classique

  6. L'homme contre l'argent

  7. Vingt ans en 1914

 

DEUXIÈME PARTIE : LA QUÊTE DE L'ORDRE

  1. La fin du monde

  2. Les maîtres d'école

  3. Des phares dans la génération sans maîtres

  4. Souffrances et dissidences

  5. Nouvelles vagues

 

TROISIÈME PARTIE : LE ROYALISME IMPOSSIBLE

  1. Retour au réel

  2. Les héritiers

  3. Après Maurras

 

Epilogue.



       François Huguenin, L'Action française, Perrin (Tempus), 686 pages.    

 http://www.laprocure.com/livres/francois-huguenin/l-action-francaise_9782262035716.html

 

maurras_charles.jpg

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Commentaires

OUEST PARISIEN

> Décidément plus je vous lis plus j'"adhère". Habitant une ville de l'ouest parisien qui organisa aussi un concours de théologie..., je suis très souvent confronté à ce tropisme identitaire chez le catho qui pourrait se résumer ainsi : "Mon fils tu es né catho tu voteras évidemment à droite..."
La faillite en cours du système néo libéral n'y fait rien, ils s'obstinent prétextant le vote utile : "non mais tu te rends compte on va pas voter socialo..."
Je vous avouerai que c'est parfois désespérant ;)
Cordialement
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Écrit par : Tangui / | 06/09/2011

MOTCHANE

> Je voudrais simplement répondre à Tangui. Si vous avez l'ouvrage "Clefs pour le Socialisme" de Didier Motchane publié ches Seghers, il y a une douzaine d'années, le début de ce livre est ainsi - je cite de mémoire :"Le socialisme est un matérialisme et combat les religions..." Alors §§§

B.


[ De PP à B. - Dès le XIXe siècle il y a diverses définitions du socialisme, allant de la phobie antireligieuse (Blanqui) au socialisme chrétien (Buchez) ! Quant à Motchane, comparse de Chevènement, ce n'était qu'un exemple d'une mouvance plus représentative du GODF que du socialisme. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Bernard / | 07/09/2011

@ Bernard

> sur le "socialisme" j’entends ce discours suranné à chaque sortie de messe ! mais dans le même temps ces mêmes "chrétiens" se désolent de l'effondrement du CAC40 et mettent au pilori ces fainéants de Grecs...
Je ne dois pas avoir tout compris..;)
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Écrit par : Tangui / | 07/09/2011

ENNEMI

> Tout ramener aux socialistes ne dénoterait-il pas l'obsession de ceux qui préfèrent vivre pour lutter contre un ennemi souvent fantasmé plutôt que de rassembler ce qu'il y a de bon chez tous les hommes de bonne volonté pour construire ensemble le Royaume de Dieu ?
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Écrit par : Mahaut / | 07/09/2011

COLOSSIENS

> Finalement la condamnation du maurrassisme, de l'extrême droite catho actuelle, et plus généralement de tous les blocages politico-religieux quel que soit leur bord, est en Colossiens 2, 6-15 : "Prenez garde à ceux qui veulent faire de vous leur proie par leur philosophie trompeuse et vide fondée sur la tradition des hommes, sur les forces qui régissent l'univers, et non pas sur le Christ... Il a supprimé le billet de la dette qui nous accablait depuis que les commandements pesaient sur nous : il l'a annulé en le clouant à la croix du Christ. Ainsi Dieu a dépouillé les puissances de l'univers ; il les a publiquement données en spectacle et les a traînées dans le cortège triomphal de la croix."

S.


[ De PP à S. :
- Et Corinthiens 3, 1-11 : "débarrassez-vous des agissements de l'homme ancien qui est en vous, et revêtez l'homme nouveau, celui que le Créateur refait toujours neuf à son image pour le conduire à la vraie connaissance. Alors, il n'y a plus de Grec et de Juif, d'Israélite et de païen, il n'y a pas de barbare, de sauvage, d'esclave, d'homme libre, il n'y a que le Christ : en tous, il est tout." ]

réponse au commentaire

Écrit par : sèlah / | 07/09/2011

A Tangui,

> Moi je n'appartiens pas à ces catégories de chrétiens que vous citez-il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac - je suis radicalement opposé aux positions du Cac 40. Et je partage sur ce point votre avis. Mais rallier les socialistes me parait dangereux : mariage et adoption pour les homosexuels, euthanasie etc.
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Écrit par : Bernard / | 08/09/2011

BLANC

> Il n'est pas question de clivage gauche droite mais de s'interroger sur cette pratique du vote utile et aussi de l'image qu'on encore beaucoup de cathos du socialiste, le couteau entre les dents... ou en train de lancer des pavés sur les CRS...
Comme l'a souvent dit l'auteur de ce blog, il y a un réel tropisme à voter à droite chez les chrétiens, mais
le parti actuellement au pouvoir n'a pas vraiment une politique sociétale foncièrement différente, et s'il n'ont pas franchi le pas ds les domaines que vous citez c'est surtout par calcul électoraliste !
Voila je fais hélas parti des votants blancs, en âme et conscience !
Cordialement.
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Écrit par : Tangui / | 08/09/2011

LE DEBAT

> Ayant bien connu à une certaine époque des anciens de l'AF qui avaient vécu ou avaient été élevé dans le souvenir des années 20-30, le sujet m'intéresse et je lirai ce livre.
Mais depuis longtemps un sujet me préoccupe: sans discuter du fond de la condamnation de Maurras lui-même, j'ai toujours été surpris par la dureté des sanctions prises par le pape Pie XI contre les lecteurs et ligueurs d'AF.
Etre excommunié pour lire un journal dont le patron à écrit vingt ans avant des poèmes blasphématoires, bigre!
D'autant que la question, non pas politique mais anthropologique que posait le maurrassisme n'avait pas reçu de l'Eglise la réponse qu'elle a eu depuis Vatican II. De Grégoire XVI à Pie X, elle donnait même l'impression d'avoir donné une réponse opposée. et cette question était quand même de taille:
Maurras soutenait que l'être humain, et surtout le civilisé, et surtout, pour lui, le Français, avait tellement reçu de la société, du lait maternel à la civilisation, que les devoirs qu'il avait envers sa famille sa nation et sa civilisation, religion comprise, l'emportaient sur ses droits et que finalement, il n'y avait pas de droits imprescriptibles de l'individu (je ne crois pas qu'il ait parlé de personne...) opposable à la sauvegarde de la Cité, de ses caractéristiques, de ses libertés, bref, de son identité.
Deux conséquences de cette condamnation perdurent :
A- Elle alimente encore de nos jours, et bien au delà de la droite, l'accusation d'asservissement du Vatican à l'Allemagne.
cf le brûlot de l'historienne stalinienne Annie Lacroix-Riz "Le Vatican, L'Europe et le Reich" Armand Colin- 2010.
Cette charmante personne s'en sert pour affirmer que le seul fascisme à avoir été condamné est le fascisme anti-allemand. (si tant est qu’un mouvement royaliste soit proprement fasciste).
B- Déconsidérée par sa levée dès le changement de pape,sans changement de fond des intéressés, l’excommunication a donné au milieu maurassien de se poser en victime, avec toutes les conséquences psychologiques que cela comporte : repli, endurcissement. C’est ce milieu, avec ceux qui s’y sont agrégés, qui a constitué la base de la contestation des traditionalistes. Ceux-ci, en particulier l’Abbé de Nantes, n’ont eu de cesse de tenter de donner un fondement anthropologique chrétien aux choix politiques et sociaux traditionalistes : royauté, famille patriarcale, anti-capitalisme, opposition à la laïcité. Le temps passant, ils se sont enfermés dans la contradiction consistant à défendre la primauté des institutions légitimes sur le sentiment individuel tout en se rebellant ouvertement contre l’institution ecclésiale.

PH

[ De PP à PH - Vous verrez dans le livre de Huguenin que le drame a commencé avec la violence antivaticane des réactions de l'AF. Sans cela, l'affaire serait restée en demi-teinte. Mais cette violence verbale traduisait une conception très ambiguë du rôle assigné à l'Eglise dans la perspective maurrassienne... En gros, l'AF a fourni après coup les raisons de sa propre mise à l'Index ! ]

réponse au commentaire ]

Écrit par : Pierre Huet / | 09/09/2011

@ Bernard

> C'est dommage de s'arrêter aux positions qu'on croit souvent être celles des socialistes sur ce sujet-là, car en interne les militants, membres du PS et sympathisants socialistes sont très divisés. Sur les sujets économiques, la gauche du PS, celle qui refuse de faire allégeance au libéralisme de gauche vendu dans les médias sous le nom de social-démocratie, a des choses intéressantes à dire aux chrétiens anti-libéraux. Encore faut-il accepter de s'écouter, et à force de prendre prétexte de l'anticléricalisme (bien réel) d'une partie de la gauche, on finit par entretenir cet anticléricalisme. Je repense au jour où un ami syndicaliste est tombé des nues quand j'ai évoqué devant lui l'option préférentielle de l'Église pour les pauvres. Ce jour-là, j'ai constaté que l'anticléricalisme de gauche se nourrissait de beaucoup d'ignorance. Le dialogue entre la gauche de la gauche n'est pas souhaitable, il est nécessaire, c'est le seul moyen de faire tomber les préjugés et l'ignorance mutuels.
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Écrit par : Mahaut / | 10/09/2011

@ PP

> Merci de nous avoir informé de la sortie de ce livre passionnant.
On ne peut qu’admirer la vaste culture de l’auteur et la hauteur de vue avec laquelle il aborde cette histoire dont il nous fait discrètement comprendre qu’elle l’a touché personnellement. Se gardant à distance des erreurs d’une école de pensée à la fois admirée et décevante, il ne tombe pas dans le dénigrement systématique et haineux.
Un point est surprenant toutefois, c’est la négation d’une filiation entre l’AF et les courants catholiques traditionalistes ou intégristes, négation bien plus catégorique dans l’interview accordée à Famille Chrétienne que dans le livre lui-même qui mentionne assez largement Madiran, mais lui seulement. Pourtant, à l’époque de l’essor de ces courants, ce lien fut explicite et clairement assumé dans bien des publications, en particulier chez l’abbé de Nantes et sa Contre-Réforme, dont l’audience fut importante dans les années 1970-1980, avec un tirage qui atteignit les 40000 ex.

PH


[ De PP à PH :
- Jean Madiran fut, dans les années 1950, sur les rangs pour la succession intellectuelle et morale de Maurras (qui l'écarta sans ménagement, mais Pierre Boutang non plus n'obtint pas l'investiture : étrange refus de léguer, commun à beaucoup de personnalités autoritaires). Madiran - à cette époque - était moins "traditionaliste ou intégriste" que par la suite).
- L'abbé de Nantes n'était pas dans la catégorie des "successeurs possibles". Et il se présenta, à partir des années Vatican II, comme une organisation parallèle à l'AF et en rupture avec elle : après mai 1963, il n'a plus fait de conférence à l'Institut de politique nationale (IPN) de la rue Las-Cases.]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 06/11/2011

@ PP

> Oui, ce refus d'avoir des successeurs, de transmettre, est troublant.
Sur la filiation que j'évoquais, il s'agissait plus de celle revendiquée, au moins sur certains points, par les deux personnalités évoquées que d'une désignation par leur maître.
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Écrit par : Pierre Huet / | 07/11/2011

L'AVENTURE "NANTISTE"

> J'ajoute que le succès du bulletin mensuel de l'abbé Georges de Nantes (la "CRC") fut éphémère et purement religieux, déconnecté de ce qu'avait été l'AF. Ce succès était l'une des réponses au malaise de masse d'une partie des catholiques français devant les saccages théologiques et moraux perpétrés en France au nom de Vatican II : saccages que l'abbé de Nantes prétendait expliquer par le concile en lui-même. Cette dialectique "nantiste", trop cérébrale et par ailleurs inexacte, n'a pas convaincu. D'où, très vite, l'apparition du mouvement des Silencieux (Pierre Debray), la montée du lefebvrisme (courant dénué d'exigence intellectuelle), et le repli de la CRC sur des fantasmes dérivant vers le sectaire.
______

Écrit par : PP / | 08/11/2011

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