21/07/2011
Religion : le conformisme de Vincent Cassel
...dans son interview à TGV Magazine :
Des milliers de passagers des TGV peuvent lire, dans le numéro 136 du magazine diffusé par la SNCF, un entretien avec l'acteur Vincent Cassel. Point de départ : le film de Dominik Moll Le moine, tiré du roman tape-à-l'oeil de M. G. Lewis (1796). Ce film, où Cassel tient le rôle principal, a déçu les journalistes de cinéma qui l'auraient préféré un peu plus cathophobe ; d'où la première question de l'intervieweur : «Le film prend-il position pour ou contre la religion ? ».
Réponse de Cassel : « Les chrétiens peuvent s'y retrouver, tout comme les anticléricaux... » D'ailleurs « c'est un film d'horreur catholique, avec le diable, des monstres, des endroits sombres. »
Sans le diable, les monstres et les endroits sombres, il n'y a pas de catholicisme.
D'où Cassel tire-t-il cette idée ? Il explique :
« J'ai eu malgré moi, et pour des raisons pratiques, une éducation religieuse. Mes parents n'étaient pas particulièrement catholiques, mais j'étais quand même chez les curés, à la Maîtrise de Montmartre, le pensionnat le plus proche de la maison. »
Sur le plan religieux, le lycée de la Maîtrise de Montmartre était à cette époque (les années 1970) dans la mouvance du très intelligent Mgr Maxime Charles, recteur du Sacré-Coeur, ancien aumônier de la Sorbonne et père spirituel de Jean-Marie Lustiger. Mgr Charles avait joué, constatent ses biographes, « un rôle déterminant dans le renouveau pastoral précédant Vatican II ».
Sur le plan scolaire, la Maîtrise de Montmartre était un établissement avec jazz band et vacances de neige, et dont la discipline était celle d'autres grands lycées privés parisiens : Stanislas, Franklin. Elle était fréquentée par des élèves d'origines religieuses diverses, et semble leur avoir laissé un bon souvenir malgré le côté blazer-cravate (cf. le site Copainsdavant). Mais Vincent Cassel ne fait pas partie des satisfaits : « Je dois vous avouer que ça m'a vacciné pour l'éternité ! Cela ne me correspondait pas du tout. Je ne supportais pas les interdits, la rigueur, le fait que l'on soit censé accepter certaines choses sans se poser de questions. »
Qu'un établissement d'enseignement (religieux ou laïque) ait des « interdits », de la « rigueur », et que les enseignants fassent « accepter » des choses, ça paraît pourtant logique ; on ne voit pas comment les écoles fonctionneraient sans ces conditions de base, qui ne « correspondent » jamais aux instincts des gamins.
Mais ces conditions de base contredisent les normes de la société de consommation, bien décrites par le livre de Fourquet dont parlent deux précédentes notes de notre blog...
Dans l'hypermarché occidental, tout doit être permis pour être commercialisable, et les pulsions du consommateur doivent pouvoir se déployer sans frein : contexte qui rend problématique la poursuite du métier d'enseignant – comme le déplore Alain Finkielkraut à longueur d'émissions. Soupçonnons donc Cassel de parler en commercial de 2011 plus qu'en pensionnaire de 1978.
Et la religion ?
«D'après moi, c'est le contraire de ce que devrait être l'humanité. Il faut continuer à s'interroger. On ne peut se refuser le droit d'imaginer sous prétexte que la religion apporte une réponse ; une réponse complètement abracadabrante, soit dit en passant. Du coup, si tu commences à avaler tout ça, c'est que tu préfères être manipulé comme un enfant plutôt que t'estimer adulte. »
On a du mal à croire que la Maîtrise de Montmartre, à l'époque de Mgr Charles, imposait à ses élèves (d'origines religieuses diverses) une religion interdisant de s'interroger – alors que la démarche de foi repose, précisément, sur l'auto-interrogation.
Ni que « la religion » de Montmartre « refusait le droit d'imaginer » (?) « sous prétexte que la religion apporte une réponse ». La foi en Dieu et l'imagination se déploient à des niveaux divers et complémentaires ; sinon Michel Ange n'aurait pas peint la Sixtine, par exemple. Il faudrait que quelqu'un aille expliquer ça à l'acteur.
D'autre part, Vincent Cassel trouve « abracadabrante » la « réponse » (laquelle ?) de « la religion » ; ça mériterait un développement dont il ne nous fait pas profiter.
Mais sa déclaration commence et finit sur une note inquiétante pour l'avenir. Dire que la religion est « le contraire de ce que devrait être l'humanité » [1], c'est assez péremptoire ; dire qu'il ne faut pas « commencer à avaler tout ça », et prononcer le mot tabou de « manipulation », c'est virtuellement déclarer la religion hors-la-loi. Ce genre de choses furent dites comme théories de salon par les milieux du commerce culturel durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, puis elles sont devenues violence contre les croyants. On me dira que Cassel n'est pas un intellectuel ? Le neveu de Rameau ne l'était pas non plus.
Alarmé par ces révélations sur la religion, l'intervieweur demande : « Rien de positif, alors ? »
Cassel répond : « Avoir eu une éducation religieuse permet de relativiser le reste de l'existence.... Mais si tu suis le "petit livre" tu es foutu ! Certaines personnes, crédules, interprètent tout à partir des textes religieux [2], d'autres s'en servent comme un almanach des métaphores humaines... [Aux enfants], je leur dis qu'il faut apprendre, connaître, comparer [les religions], tout en mettant de côté l'aspect divin... »
C'est le rayon spiritualités des librairies d'hypermarché. Le consommateur compose son panier d'achat par grappillage, ce qui interdit de prendre quoi que ce soit au sérieux : il faut « mettre de côté l'aspect divin », autrement dit vider la religion de son contenu religieux (ce que Cassel appelle le petit livre, amalgame violemment polémique avec celui de Mao). La religion aujourd'hui n'est utilisable que pour enjoliver la vie quotidienne et bénir les pulsions consommatrices - de films, par exemple.
D'où la banalité que Cassel croit devoir énoncer au sujet du Talmud : « Ce que j'adore dans la religion juive, c'est les premières questions posées par le Talmud : est-ce l'homme qui a inventé Dieu ou est-ce Dieu qui a inventé l'homme ? Je trouve cela assez sain. »
Le Talmud dit infiniment autre chose, et personne n'a révélé à Cassel que le catholicisme aussi (quand il est pris au sérieux) pousse chacun à se désencombrer des pseudo-Dieu fabriqués par l'homme. Mais comment prendre les religions au sérieux s'il faut commencer par « écarter l'aspect divin » ?
Je ne cherche aucune querelle à Vincent Cassel, que j'apprécie comme acteur. Si je le cite, c'est qu'il exprime avec netteté le conformisme contemporain en matière religieuse. Et qu'il le fait en tant qu'homme du showbiz, cette machine économique qui joue un rôle dans la christophobie d'aujourd'hui.
Pourquoi ce rôle ? La réponse est dans nos deux notes précédentes sur L'ère du Consommateur.
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[1] On se demande de quel droit l'industrie culturelle de masse, dont Cassel fait partie, décide ainsi de ce que « devrait être » l'humanité. Quand des idéologies ont fixé « ce que devrait être l'humanité »,au cours du XXe siècle, on a vu le résultat. Et « la religion »n'y était pour rien.
[2] Toujours l'idée absurde selon laquelle le christianisme serait une "religion du livre".
12:47 Publié dans Idées, Religions | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : vincent cassel, le moine, catholicisme, christianisme, mgr charles, montmartre
Commentaires
ESPOIR
> Vincent Cassel / TGV Mag : vous espériez quelque chose d'autre ? :)
F.
[ De PP à F. - Il faut vivre d'espoir. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Fikmonskov / | 21/07/2011
EVIDENT
> Vincent Cassel...n'est-ce pas lui qui affirme dans une pub pour bagnole qu'il ne faut pas réprimer ses envies ses envies et que le luxe est un droit? Que le système matérialiste-mercantile, qui est devenu totalitaire, persécute un jour ceux qui s'opposent à lui, notamment les chrétiens, me parait évident. La question est plutôt de savoir s'il sera encore capable de le faire quand il aura atteint le stade de la persécution réelle étant donné les fissures qui apparaissent (pic pétrolier, crise financière, question de l'eau et de la famine, etc.)?
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Écrit par : VF / | 21/07/2011
MIEUX VAUT BABAR
> Merci pour ce petit billet. J'ai lu cette désarmante interview lors d'un récent trajet en TGV et j'en suis resté consterné pendant au moins deux minutes. Puis j'ai ouvert avec mon fils un vrai bon livre (une histoire de Babar) et j'ai aussitôt senti remonter le niveau.
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Écrit par : Jérôme / | 21/07/2011
NO LIMIT
> Il ne supporte pas "les interdits" ni "la rigueur"... Qu'il aille voir, dans les cités, dans les collèges, ce qu'est un jeune "no limit", sans interdit ni rigueur: ce n'est pas un "adulte" comme il dit, mais un être caractériel et violent, intolérant à toute frustration, inapte à la vie sociale sauf celle qui s'organise autour des bandes et des mafias.
L'aveuglement obstiné du "star-system" médiatique bobo-libéral sur le désastre anthropologique de toutes ses théories est vraiment démoniaque !
J'espère que les conséquences concrètes de cet aveuglement lui retomberont sur la figure, il ne l'aura pas volé !
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Écrit par : B.H. / | 21/07/2011
VATICAN II
> Déclaration 'Dignitatis humanae' sur la liberté religieuse :
"10. C'est l'un des points capitaux de la doctrine catholique, contenu dans la parole de Dieu et proclamé constamment par les Pères, que, par la foi, l'homme doit donner une réponse libre à
Dieu ; qu'en conséquence, personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré lui.
En effet, de par sa nature même, l'acte de foi est volontaire, puisque l'homme, racheté par le Christ sauveur et appelé à l'adoption filiale par jésus Christ, ne peut adhérer à Dieu que si, attiré par le Père, il apporte à Dieu l'obéissance libre et raisonnable de sa foi. Il est donc pleinement conforme au caractère de la foi qu'en matière religieuse toute forme de coercition de la part des hommes soit exclue. Par conséquent un régime de liberté religieuse ne contribue pas peu à favoriser un état de choses dans lequel les hommes peuvent être invités sans entraves à la foi chrétienne, embrasser celle-ci de leur plein gré, et la confesser activement pendant toute leur vie...
12. L'Eglise, fidèle à la vérité de l'Evangile, suit donc la voie du Christ et des apôtres quand elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l'homme et à la Révélation divine, et qu'elle favorise cette liberté.... Même si, dans la vie du Peuple de Dieu, au cours de son cheminement à travers les vicissitudes de l'histoire humaine, il y a eu quelquefois des manières d'agir moins conformes, voire contraires à l'esprit de l'Evangile, l'Eglise a cependant toujours maintenu la doctrine que personne ne peut être contraint à la foi. Ainsi le ferment de l'Evangile a agi longtemps dans l'esprit des hommes et il a beaucoup contribué à faire reconnaître plus largement aux hommes, au cours des siècles, la dignité de la personne, et à faire mûrir la conviction qu'en matière religieuse la personne doit, dans la cité, être exempte de quelque contrainte humaine que ce soit."
On a du mal à imaginer qu'un lycée catholique des années 1970, parrainé par Mgr Charles, précurseur et fidèle interprète de Vatican II, ait tenté d'imposer à Cassel "quelque contrainte humaine que ce soit" en matière de foi religieuse. Force est d'en conclure que Cassel considère comme une violation de sa personne le simple fait qu'on lui ait proposé de reconnaître l'existence d'une vérité en soi. Ce en quoi Cassel est bien de son époque. Donc ne lui jetons pas la pierre ! L'homme ressemble plus à son temps qu'à son père, dit le proverbe arabe.
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Écrit par : PP / | 21/07/2011
MALADES
> Chaque fois qu'il m'arrive de lire cette revue (offerte par le Sévice Public aux frais du contribuable), je tombe sur des perles. Il y a un mois, le chanteur Vincent Biolley expliquait qu'il parlait souvent du retour de la religion avec son ami Bashung et "que cela les rendait malades".
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Écrit par : Pierre Huet / | 21/07/2011
NOIR
> J'ai beaucoup de mal à envisager que Cassel puisse tenir un autre discours quand on voit certains de ces films. Pour ne citer que "Dobermann" et "Irreversible", Cassel affectionne les long métrages où la dépravation, la perversité, la décadence de l'homme est filmée avec un réalisme vomitif. Pour jouer autant et aussi bien des rôles noirs, je ne peux croire qu'il laisse beaucoup son âme accéder à la Lumière.
Et les français le suivent, l'ovationnent et l'encensent. Je vous rejoins quand vous dîtes qu'il est bien un homme de son époque..., malheureusement aussi la nôtre.
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Écrit par : HdB / | 21/07/2011
PROTOTYPE
> Entretien qui est l'archétype ou plutôt le prototype de ce que pensent notre époque.
Nous sommes vraiment à contresens et le plus triste c'est que c'est par ignorance qu'ils s'expriment ainsi. Ils ne se rendent pas compte du conformisme de leur discours qu'ils croient libre et libéré...
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Écrit par : Vincent / | 22/07/2011
UN RÔLE
> Vincent Cassel devrait être reconnaissant. Le christianisme lui offre un rôle de moine au cinéma. Au fait a-t-il vu " Des hommes et des dieux" ?
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Écrit par : Yves Arnaud | 23/07/2011
> Quand on se souviens du désastreux Pacte des Loups, avec le même Cassel, où on exposait que la bête du Gévaudan était un complot catholique pour faire pression sur le roi de France pour qu'il interdise les philosophes (!!), sa position n'est hélas pas surprenante.
Heureusement, la nullité du Pacte des Loups suffisait à discréditer la thèse du réalisateur.
CC
[ De PP à CC - Oui, ce film a marqué par sa crétinerie : kung-fu sous Louis XV, et Jean Yanne portant une grosse barbe sous la perruque. Bien, bien. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Clément Cassiens / | 26/07/2011
LA MAITRISE
> On peut se demander ce que Vincent Cassel faisait à la Maitrise sauf qu'il habitait dans le coin. Nous croisions JP Cassel vers Montmartre quand nous étions à la Maitrise. Il avait de plus que Vincent, l'humour et la fantaisie.Pour moi, c'était entre 63 et 67.
Faire de Mgr Charles, que nous appelions MGRRR...! un humaniste qui nous laissait imaginer est comique.J'ai quant à moi été sommé de prendre un confesseur dans les 5 jours sous peine d'exclusion.. Nous étions plus près de Montherlant que de Camus...Il faut ajouter qu'entre 64 et 68 ( j'avais entre 13 et 17 ans)
le jeune directeur de la Maitrise était... Christian de Chergé et que bien qu'ayant quitté la Maitrise en état de disgrâce, j'ai entretenu jusqu'en 86-87 une correspondance avec cet homme qui est un viatique pour l'éternité. Je n'ai donc jamais perdu la Foi... en lui, en tout cas.
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Écrit par : alain franche / | 15/02/2012
TOUS LES DEUX
> L'erreur que commet Vincent Cassel est la même que celle que, selon moi, vous commettez. Suite à ses paroles, vous comprenez qu'il assimile la religion à un refus de se poser des questions, et vous rétorquez, à juste titre, que c'est le contraire. Votre erreur provient de la confusion entre les interprétations du mot "religion". Lorsque vous utilisez le mot religion, vous parlez de "la foi", et effectivement la foi est une constante remise en question à l'interieur de soi. Lorsque lui évoque "la religion", il parle du "dogme", ainsi que des "rites". Et effectivement, pour les gens qui n'ont pas la certitude de "la foi", alors les dogmes et les rites sont perçus par eux comme étant une "interdiction" de réfléchir car il faut les accepter "d'office". Ainsi, vous avez tous deux raison. Vincent Cassel est peut être opposé aux croyances catholiques, mais il est peut être tout à fait même d'être ouvert à l'existence de Dieu. Tourner votre cœur vers ce qui unit et pas vers ce qui divise. Tentez de garder en tête qu'athées ou croyants, nous sommes tous le peuple de Dieu, et qu'il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons. Pardonnez l'orgueil de mes propos et priez pour le salut de mon ame. Allez en paix et que le Seigneur accompagne chacun de vos pas, chacun de vos mots et chacun de vos actes.
P.
[ De PP à P. - Merci de votre bénédiction, mais je suis parfaitement d'accord avec vous sur le principe ! Dans le cas particulier des gens du shwbiz je suis plus réservé, dans la mesure où ils utilisent, souvent avec abus, leur position d'influence envers les foules. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Paul / | 12/06/2012
CASSEL
> Vincent Cassel est le seul élève de toute ma carrière à qui j'ai balancé une tarte tant il était imbuvable !
C'était au cours d'une répétition du choeur de chant que je dirigeais alors.
J'espère qu'il n'a pas trop gardé de rancune ;)
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Écrit par : Axel Casadesus / | 06/01/2015
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