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19/07/2011

(2) 'L'ère du Consommateur' : quelques suggestions

l'ère du consommateur,laurent fourquet,joseph ratzinger2ème lecture du livre de Laurent Fourquet.  La marchandisation de la vie ne s'explique pas directement par la métaphysique.  Et mieux vaut s'en prendre aux structures qu'aux allégories :


Laurent Fourquet montre que les dérives de notre société sont les symptômes divers d'une même vision de l'existence. Mais il ne désigne pas la matrice de cette vision. Ou plutôt, il se contente de dénoncer une allégorie : le « Consommateur », antithèse postmoderne du « Travailleur » prophétisé par Ernst Jünger après la Première Guerre mondiale. Si la vie aujourd'hui se réduit à la marchandise, ce serait parce que « le Consommateur » aurait pris le pouvoir...

Mais d'où vient le Consommateur ?

D'une « rencontre », affirme Fourquet : la rencontre d'une « idéologie » et d'un « moment historique ». L'idéologie serait celle de la consommation, badigeonnée d'un mélange de Nietzsche et de Foucault-Deleuze ; le moment historique serait la décennie post-68, avec l'avènement d'une génération désireuse de liquider ses pères « et leurs idoles défraîchies ».

Admettons qu'il y ait du nietzschéen dans le rejet de la métaphysique, constitutif de l'idéologie marchande. Admettons (chose mieux assurée) que 68 ait été la révolte des fils contre les pères, idée dont Pierre Boutang avait eu l'intuition prémonitoire dès 1967 dans un de ses articles-fleuves de la Nation française. Les fils faisant « jouer contre les pères » l'idéologie du consommateur, soit.

Mais d'où provenait l'idéologie du consommateur ?

Ne soyons pas naïfs. Ne voilons pas de mystère un processus classique et concret : la fabrication d'une idéologie par des intérêts économiques. Joseph Ratzinger a rendu hommage à la lucidité de Marx sur ce phénomène précis (c'est ailleurs que Marx se trompe). L'idéologie du consommateur a une origine bien connue, c'est la décennie 1930 : la crise américaine de surproduction aggravée par la spéculation et le laissez-faire ; d'où l'asphyxie économique. Comment échapper à ce cycle ? Pour écouler la production, le capitalisme américain trouva la formule magique : susciter, organiser, contrôler, exploiter une consommation de masse. Pour que les gens achètent massivement, il fallait s'emparer massivement de l''esprit des gens. La société consumériste naquit. Après 1945 elle s'étendit à l'Europe, puis à la planète, créant un engrenage inédit comme le système consumériste lui-même : transformer les peuples en un magma de consommateurs. La plus-value de l'investissement se réalise sur des économies d'échelle exigeant des marchés de masse : donc le nouveau système doit manipuler les désirs des foules et la psychologie des individus. Pour créer sans cesse de nouveaux besoins, le capitalisme de consommation doit prendre le contrôle des désirs humains. Nous voilà au stade du « neuromarketing » et de l'IRM photographiant l'activité cérébrale au moment crucial du choix du produit ; cf Sharon McLoad, directrice de la marque Dove au Canada, dans Le Monde en 2007 : « Ce que l'on souhaite, c'est que la cliente dise : je vais choisir la marque qui est la plus en phase avec moi en tant qu'être humain... » Lorsque la cliente confond son identité d'être humain avec le fait de choisir la marque, l'objectif est atteint – au détriment de l'humain.

Là est le piège : le marketing de masse attire les individus en les détournant de leurs anciens objets de désir, la famille, la culture, la solidarité, le gratuit, le spirituel. Effacer tout ça (l'inestimable) pour nous fixer sur la marchandise (le jetable), c'est éteindre l'humanité dans l'homme. Ainsi la société de marché ruine le sens de la vie. L'économie étendue à la libido se retourne contre le milieu humain.

Le capitalisme tardif

De là notre désaccord avec Laurent Fourquet lorsqu'il nous présente le Consommateur comme une  « contrainte » extérieure infligée au capitalisme. Comment pourrait-il y avoir une « contrainte » économique née hors du système ? Le Consommateur ne descend pas de l'Olympe métaphysique armé de sa carte de crédit. Il est formaté par un système économique : ce qu'on nomme « capitalisme tardif », parce que c'est un paroxysme qui ne peut pas durer.

Toute consommation n'est pas mauvaise en soi. Ce qui est mauvais, c'est la consommation sortant de son rôle et submergeant l'existence humaine « pour refouler toute autre possibilité de rapport aux choses et devenir notre seul mode de compréhension de l'existence », selon les propres termes de Fourquet. Or ce rapport aux choses est imposé par le système actuel ! Si la consommation s'est comportée en tsunami, c'est qu'il y a eu une secousse sismique au départ, un glissement des plaques tectoniques de la civilisation : le surgissement du capitalisme tardif, bousculant les faibles gouvernements politiques à la fin du siècle dernier.

Voilà ce qui manque à l'analyse de Fourquet. Dira-t-on que le Das Kapital du christianisme social au XXIe siècle reste à écrire ? L'image serait inexacte : réduire le christianisme social à un déterminisme politico-économique serait une impasse, comme on l'a vu vers 1980 avec le christo-marxisme. Mais les chrétiens doivent regarder la réalité en face, et ne plus se cacher leur devoir, qui est de contester le système au lieu de s'en tenir à prêcher les bons sentiments aux managers (eux-mêmes prisonniers du système) [1] !

C'est aussi une question de respect du prochain. Si l'on ne cible pas les responsabilités du capitalisme tardif, si l'on se contente de mettre en cause le « Consommateur » en tant que figure métaphysique, grande sera la tentation de mépriser finalement les consommateurs en chair et en os, et de tomber dans la misanthropie [2] : ce qui rendrait les catholiques inaptes à la nouvelle évangélisation. Fourquet ne tombera pas là-dedans personnellement, lui qui dit : « Etre catholique c'est vivre ce qu'est le christianisme, et écouter ce que cette foi à à me dire, avant de lui répondre ». Vivre le christianisme empêche de se constituer en chapelles de réfractaires, et pousse à bien autre chose... Fourquet a raison – plus encore qu'il ne semble le penser – d'en appeler à redécouvrir « la figure du Christ, la noblesse du don de soi aux autres ».

Il a également raison de conclure que « la volonté collective de relever le défi » viendra « du sud de la planète » : c'est l'un de nos très nombreux points d'accord avec lui.

 

Laurent Fourquet, L'ère du Consommateur, Cerf, 352 pages. À écouter : l'auteur à l'émission de Louis Daufresne, http://www.radionotredame.net/emission/legrandtemoin/2011-07-06

 

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[1] Lire le document des évêques français Grandir dans la crise (Cerf, 2011).

[2] Tentation à laquelle Muray lui-même n'échappait pas tout à fait, pour une raison semblable : le refus d'identifier le système économique actuel comme cause efficiente (donc possible à combattre) des dérives psycho-culturelles. Il y a une charité dans le combat. Les « Casseurs de pub » ne sont pas misanthropes.

 

Commentaires

QUI SOMMES-NOUS

> J'adhère à votre analyse.
Surtout en ce qui concerne le rejet de toute misanthropie, et la compassion due à nos prochains victimes de l'aliénation marchande (cf les photos atterrantes prises par un Canadien dans les foules des hypermarchés).
Car qui sommes-nous nous-mêmes ?

"Et nous voici, Seigneur
le moins nombreux de tous les peuples,
humiliés aujourd'hui sur toute la terre,
à cause de nos fautes.
Il n'est plus en ce temps
ni princes ni chef ni prophète
plus d'oblation ni d'holocauste ni d'encens,
plus de lieu où t'offrir nos prémices
pour obtenir Ton amour.
Mais nos coeurs brisés,
nos esprits humiliés, reçois-les...
Que notre sacrifice en ce jour
trouve grâce devant Toi,
car il n'est pas de honte
pour qui espère en Toi.
Et maintenant, de tout coeur, nous Te suivons
nous Te craignons et nous cherchons Ta face."

(Daniel 3, 37-41)
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Écrit par : ObedEdom / | 19/07/2011

FAUX CONTESTATAIRES

> Comble de l'idéologie-salmigondis du capitalisme tardif : les soi-disant "rebelles" qui ne font que radicaliser les idées dominantes. Exemple, le mouvement gay américain des "Radical Faeries", résumé ainsi par leur sociologue Peter Hennen : "du marxisme, du féminisme, du paganisme, des spiritualités new Age et native-américaine, de l'anarchisme, de l'individualisme radical, des techniques du soi, le tout couplé avec une sensibilité 'camp', la libération des gays et le travestissement..." On reconnaît là l'hypermarket des "cultures" de la société marchande. Quand ce truc-là se présente comme une opposition à l'establishment, c'est de l'imposture. Ces courants ne sont pas le contraire de la société matérialiste mercantile, ils en sont l'avant-garde. Cette réalité doit être mise en pleine lumière pour détromper l'opinion.
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Écrit par : van helsing / | 19/07/2011

HEUREUSEMENT

> Heureusement qu'apparaissent des catholiques lucides comme M. Fourquet. Cela compense les petits cons qui se prétendent cathos tout en disant comme Murdoch : "le meilleur régulateur, c'est le régulateur mort". Il y a des volées de coups de pied au cul qui se perdent.
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Écrit par : ned / | 19/07/2011

POIL

> L'analyse me parait un poil "à l'ouest".
Le glissement de la consommation raisonnée à la consommation de masse n'est en aucun cas systémique, elle est totalement individuelle tant dans sa décision personnelle que dans le scandale de son écho envers les autres.
C'est le refus du renoncement de chacun à une consommation "de trop", et le refus de chaque responsable de pousser à celle-ci qui est la source, avant tout "système" collectif.
Le capitalisme ne pèche pas ; par contre, le PDG pèche en poussant, le professeur qui l'a formé à la morale pèche par omission etc... C'est l'absence de discernement et de renoncement personnel et individuel, groupé en masse, qui crée la dérive.
Porter se croix et renoncer à soi-même n'est pas de souffrir mais de se séparer de tout ce qui hors Dieu, y compris de la consommation "raisonnée"... Cf les pères...

RD


[ De PP à RD - La décision individuelle compte, et la personne est seule responsable d'elle-même. Mais il est absurde de soutenir que la personne peut s'abstraire du système global dont elle est captive ! Ce système a une puissance autonome : c'est une machine excédant les forces individuelles. C'est également une "structure de péché", comme dit la théologie moderne (il est donc faux de dire que "le capitalisme ne pèche pas"). Il peut et doit être combattu et abattu en tant que tel. Ne charger que les individus serait faire le jeu des puissances établies. ]

réponse au commentaire

Écrit par : RoyalDuma / | 19/07/2011

DIALOGUE DE SOURDS

> Sauf erreur la prison du système global -les fameuses structures de péché- ne sont pas de dogme, et ont été -sauf erreur encore- définies en extension et en limite ("en ce sens on peut parler de...").
Quant à l'incapacité individuelle de s'en extraire, s'il ne s'agit pas de venir à un monde parfait de façon immédiate -notre croix, notre renoncement, péché originel-, elle est bien parfaitement réelle et possible, et elle est oeuvre de chaque jour, de chaque minute. J'impacte directement, indirectement, par action ou omission, moi-même ou par le prochain que je touche ou que j'aurais du toucher.
Et les décisions initiales de structures, de leur maintien et de leur combat éventuel restent des décisions individuelles. Celles des prophètes (où sont nos évèques sur certains sujets ?) et des priants.
Et préciser que le système a une force insurmontable pour les individus me paraît à la fois très peu ambitieux pour les individus et un poil marxisant.
Vous dites : la personne est seule responsable d'elle même : oui... et non, car elle est aussi de son prochain ! Et là chaque geste, chaque parole comptent, de ce qui est dit et de ce qui ne l'est pas. Et ce que je ne dis pas (ou ce que je dis) peut induire un acte chez mon prochain.
Voir sur mon pauvre petit blog un résumé d'un opuscule du Cal Daniélou sur la structure fondamentalement trinitaire/communicant du réel.
En ce sens, l'abandon total de formation morale pour nos jeunes(Cat.Eg.Cat 1776 et seq), du haut en bas de l'échelle sociale et dirigeante est absolument dramatique... et un péché très clair des décideurs écclésiaux en charge !


RD


[ De PP à RD /
- Je crains que nous ne soyons dans un dialogue de sourds. Je ne vois pas ce que vous voulez dire... Est-ce parce que vous ne livrez pas la totalité de votre pensée ? (Bien que vous en laissiez paraître un coin en m'accusant de marxisme parce que je critique la machinerie du système actuel... Tenez-vous tant que ça à le défendre, ou à le trouver innocent ?)
- Pourquoi parlez-vous de "dogme" ? Ce n'est pas le problème. La doctrine sociale de l'Eglise ne relève pas du dogme mais fait partie du magistère, et s'impose de ce fait aux catholiques... ]

réponse au commentaire

Écrit par : RoyalDuma / | 21/07/2011

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