21/03/2011
Economie, écologie, rapports musulmans-chrétiens : après le Forum "Grand Témoins" de Boulogne Billancourt
Organisé par le Centre Saint-Jean avec la municipalité de Boulogne-Billancourt, le Forum Grands Témoins sur les enjeux de l'actualité a abordé – devant une assistance nombreuse, composée en majorité d'étudiants et de jeunes professionnels – les questions d'économie, d'écologie (journée du samedi) et de rapports chrétiens-musulmans (dimanche matin) :
Le forum « écologie »
...était animé par le Pr Pierre-Marie Lledo (CNRS, neurologue, spécialiste de la régénération cérébrale), le P. Thomas-Joachim [1] (philosophe, spécialiste de Heidegger), Cyril Dion (directeur du mouvement Colibris pour la terre et l'humanisme), Dominique Lang (Cahiers de Saint-Lambert) et moi. Ces éclairages convergents ont mis en relief l'urgence de la défense du bien commun écologique. Parmi les nombreux points forts des interventions, citons :
- le neurologue Pierre-Marie Lledo expliquant la singularité du cerveau humain et ses modes de fonctionnement : le mode pondéré réfléchi, et le mode automatique irréfléchi qui est celui du consommateur objet du marketing ;
- le P. Thomas-Joachim appelant à « maintenir la pensée en éveil »... (La pensée « méditante », qui est le propre de l'homme, tend à être éliminée de notre société par la.pensée « calculante ». Face à cet endormissement progressif de l'esprit, donc du sens de la responsabilité, il faut maintenir l'intelligence en activité et discerner ce qui se joue derrière les problèmes contemporains – au premier rang desquels la crise écologique) ;
- Cyril Dion expliquant comment toutes les crises (climatique, écologique, alimentaire, énergétique, sociale, spirituelle) sont liées, et quelles alternatives ont peut mettre en pratique...
Le forum sur les rapports chrétiens-musulmans :
Mgr Jean-Benjamin Sleiman, archevêque de Bagdad, a ouvert la matinée en expliquant le drame irakien dans toute sa complexité : un pays morcelé en tribalismes et en ethnicismes, une société dénuée de dénominateur commun, dans laquelle l'identité se replie sur la religion et les clans ; un clientélisme d'allégeances et de solidarités aveugles, qui inhibe l'Etat apparent ; un islam religion d'Etat, mais instrument des clans politiques qui l'utilisent avec ruse. Tout cela aggravé par les revendications communautaristes sur les ressources naturelles... Traités en intrus dans leur propre pays [2], « Beaucoup de chrétiens ne se pensent plus Irakiens et veulent devenir autre chose, pour échapper à l'humiliation », a souligné Mgr Sleiman, classant les chrétiens d'Irak en trois groupes : ceux qui se sont réfugiés parmi les Kurdes, où ils ne se sentent pas chez eux ; ceux qui vivent encore dans les zones de persécution active ; ceux qui vivent dans les zones où ils ne sont pas persécutés mais astreints aux coutumes islamiques. Evoquant les débats sur la place de l'islam en France et la laïcité, Mgr Sleiman a suggéré qu'ils gagneraient à être éloignés des campagnes électorales...
Kamel Meziti, secrétaire général du groupe de recherches islamo-chrétiennes, ex-aumônier musulman de la Marine nationale, a promis de « n'éluder aucune question » – mais s'est montré évasif sur certains points, chose fréquente chez les débatteurs musulmans. « Construire un avenir commun », « ne pas alimenter les replis identitaires », sont de nobles objectifs qui ne devraient pas dissuader de parler de questions délicates, comme la liberté de conscience et la réciprocité avec les Etats islamiques.
Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, a axé son témoignage sur les contradictions de la situation présente : « un vivre-ensemble de moins en moins serein », mais « le devoir d'être le levain dans la pâte, de rester immergés dans des réalités humaines en rapide évolution ». Il a pointé les changements auxquels une saine laïcité mènerait un islam français : nouveau rapport au Coran et à la Sunna, nouvelle vision de la nature humaine, de la liberté de conscience, de la place de la femme ; il a souligné aussi le problème de l'influence des pays d'origine et celui de la formation des imams. Et le rôle néfaste du laïcisme à la française, cette « religion de l'exclusion de la religion » qui choque le musulman et le rabat sur ses origines.
Isabelle de Gaulmyn (La Croix) a souligné que le pape Benoît XVI maintient le cap du dialogue islamo-chrétien malgré les difficultés de la conjoncture actuelle. Rappelant que Benoît XVI est « le pape qui est entré le plus souvent dans une mosquée » (Istanbul, Jordanie, Jérusalem), elle a rappelé aussi comment le discours de Ratisbonne sur la foi et la raison avait suscité un groupe des 138 intellectuels musulmans qui ont ouvert le dialogue. Actant « les différences fondamentales entre le christianisme et l'islam qui « nie le contenu principal de la foi chrétienne », la journaliste vaticaniste a indiqué néanmoins « les choses sur lesquelles on peut réfléchir ensemble » : le caritatif, la place du prochain, la notion d'accueil, le rapport des musulmans à la prière (salué par Joseph Ratzinger dans son livre d'entretiens Le sel de la terre), le regard des trois religions monothéistes sur la paix (indiqué par Benoît XVI lors de sa visite en Israël). Et la règle du « ne fais pas à l'autre ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse », commune aux trois religions... Elle a également signalé trois problèmes : le danger de l'expression « terre d'Islam » (la notion fausse de « territoire » religieux) ; la conversion interdite en régime islamique ; et la réciprocité des cultes, question qui n'est pas théologique (étant absente de l'Evangile) mais qui a sa place dans d'autres discussions. Isabelle de Gaulmyn a conclu son intervention en citant le cardinal Tauran (« l'islam en Occident est une chance, dans la mesure où il nous amène à rendre compte de notre foi de façon aussi explicite que les musulmans ») et Abraham Lincoln : « Ne soyons pas pressés de dire que Dieu est de notre côté. Prions pour être du côté de Dieu. »
Pendant ce temps défilait sur l'écran, en fond de tribune, une phrase d'Hubert Védrine : « Il n'y a pas de choc des civilisations, mais un choc des ignorances. » L'objectif de cette rencontre (avait annoncé le P. Jean-Marie, prieur des frères de Saint Jean à Boulogne), était précisément d'approfondir la connaissance (hors de toute naïveté) – et non « de nous renforcer dans des convictions souvent inspirées par nos peurs ».
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[1] prieur général des frères de Saint Jean.
[2] Ainsi le Premier ministre pro-américain al-Maliki osant parler de « la colonie chrétienne d'Irak », alors que les chrétiens sont sur cette terre depuis deux mille ans.
12:00 Publié dans Ecologie, Idées, Religions | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : christianisme, écologie, islam, frères de saint jean, centre saint-jean, boulogne billancourt
Commentaires
LA DISCUSSION
> Belle discussion. Dommage qu'il n'y ait eu qu'un musulman assez timide si j'en juge par le compte-rendu que vous en faites. Mais bravo aux chrétiens qui osent maintenant dire les choses telles qu'elles sont, sans occulter les difficultés réelles, et dans un vrai esprit de charité.
Concernant la discussion sur l'écologie, je serais curieuse de savoir quelles alternatives ont été présentées par Cyril Dion. Vous nous mettez l'eau à la bouche...
P.
[ De PP à P. - Le musulman n'a pas été timide : au contraire, il s'exprimait avec beaucoup d'assurance. mais pour contourner les problèmes concrets. J'ai souvent participé à des débats de ce type, et constaté chaque fois la même chose. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Pema / | 21/03/2011
Je poste cela ici, sans lien direct apparent (et pourtant...) avec le sujet.
"Rapport ONU :
L’agroécologie peut doubler la production alimentaire en 10 ans.
GENÈVE – En à peine 10 ans, les petits agriculteurs peuvent doubler la production alimentaire des régions vulnérables en recourant à des méthodes de production écologiques, affirme un nouveau rapport de l’ONU. Fondé sur un examen approfondi des plus récentes recherches scientifiques, le rapport appelle à un virage fondamental en faveur de l'agroécologie comme moyen d’accroître la production alimentaire et de réduire la pauvreté rurale.
« Si nous voulons nourrir 9 milliards de personnes en 2050, il est urgent d'adopter les techniques agricoles les plus efficaces », explique Olivier De Schutter, Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit
à l'alimentation et auteur du rapport. « Et les preuves scientifiques actuelles démontrent que les méthodes agroécologiques sont plus efficaces que le recours aux engrais chimiques pour stimuler la production alimentaire dans les régions difficiles où se concentre la faim. »
L’agroécologie applique la science écologique à la conception de systèmes agricoles qui répondent aux défis climatiques, alimentaires et de pauvreté rurale. Cette approche améliore la productivité des sols et protège les cultures en s'appuyant sur l'environnement naturel comme certains arbres, plantes, animaux et insectes.
Etc."
A lire sur www.srfood.org, le site de Olivier de Schutter, Rapporteur Spécial des Nations Unies pour le Droit à l'Alimentation :
http://www.srfood.org/index.php/fr/component/content/article/1-latest-news/1174-report-agroecology-and-the-right-to-food
Envoyé à ma liste de mails, quelle ne fut pas ma surprise de lire la réponse du père d'un ami, avocat international dans la finance (ou quelque chose comme cela) :
"Absolument passionnant et totalement méconnu. Merci infiniment de votre envoi. Il faut diffuser. Très exactement notre avenir immédiat et prochain : nous entrons en révolution au sens culturel du terme : effondrement du système monétaire mis sur pied aux accords de la Jamaïque, fuite devant la monnaie non métallique, hausse vertigineuse des matières premières alimentaires et de première nécessité, faillites en dominos des Etats qui ont crû sur l'endettement public ou des consommateurs, réajustements multilatéraux du prix du
travail, fortes hausses du prix des énergies et de l'eau obligeant, pour faire face aux premières nécessités, à décourager la gabegie. Les évènements sont en accélération : indépendamment de l'enchaînement catastrophique au Japon, les émeutes d'Afrique du nord
sont surtout des émeutes de la faim, celles du Proche-Orient des émeutes de la frustration confrontée à des besoins premiers. Le prix des métaux précieux monte parce que ceux-ci se re-monétisent parce que la monnaie fiduciaire n'a plus rien de fiduciaire.
Dissimulation de l'inflation réelle, la dette publique ne pouvant plus servir des intérêts normaux oblige les Etats à maintenir des taux artificiellement bas. Difficultés de plus en plus grandes pour placer la dette publique : impression de fausse monnaie au moyen de laquelle certains Etats rachètent aux banques les dettes pourries, les banques réutilisant cette même monnaie scripturale fausse pour acheter de la dette publique avec le concours des grandes compagnies d'assurances qui bourrent les contrats d'assurance-vie en euros de ces "belles signatures". La ponction inflationniste va s'accroître avec les formes les plus ingénieuses de ponctions fiscales.
L'avenir très prochain c'est l'autarcie, le troc, l'économie de la récupération et la valorisation des ressources naturelles."
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Écrit par : PMalo / | 21/03/2011
pour PP :
> C'est la conclusion que j'avais tirée en Syrie de mes discussions avec des musulmans.
Je vous rapporte les paroles d'un prêtre que je connaissais qui vivait en pays musulman : "le dialogue inter religieux avec les musulmans c'est du vent. Ils n'écoutent pas, répondent à côté, à coup de citations du Coran
pour P Malo
> Une des choses les plus répugnantes c'est la spéculation sur les produits alimentaires, le dernier dada celui sur les matières premières.
Résultat : ceux qui s'y adonnent s'enrichissent et d'autres crèvent de faim.
Il y a en Russie par exemple d'immenses territoires aussi riches que ceux du Canada et qui pourraient produire du blé à foison... et couperaient l'herbe sous le pied aux promoteurs de plants génétiquement modifiés !
Tiens ! Puisque vs parlez (entre autres) de malthusianisme
Vous vs souvenez peut-être qu'il y a qq tps je vous avais parlé de ce que l'un des mes neveux entendait dire ds une école dite "catholique",
Eh bien, il est revenu l'autre jour en disant : "il faut qu'il y ait le moins d'enfants possibles car sinon, la planète ne pourra pas nourrir tout le monde"
- qui t'a dit ça ?
- la maîtresse.
chouette, hein ? un beau message d'Espérance, hein ? de confiance en l'amour de Dieu pr ses enfants ?
Mon neveu a demandé à ses parents s'il aura toujours à manger.
Sa maîtresse l'a rendu incollable sur le massacre des dodos, des phoques ; en soi c'est très bien, sauf que ça doit être relié à la cause première, et là :
- ta maîtresse parle de Jésus en classe ?
- non
Notez bien que je suis d'accord avec l'article de Bertrand Lethu, il y a plusieurs mois, qui parlait de la nécessité d'avoir le nombre d'enfants qu'on pouvait élever. Cela n'a rien à voir avec le malthusianisme bébête de cette maitresse.
Je ne pense pas qu'elle soit mauvaise, elle se borne à répéter sans discernement.
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Écrit par : zorglub / | 22/03/2011
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