06/07/2010
Bienfait de la crise : on demande un "Etat intelligent"
cf l'article de l'économiste Philippe Aghion (professeur à Harvard) : http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/05/le-retour-...
Ce grand papier (une page du Monde) pose le problème dans les termes nés de la crise :
- il constate que le dogme de "l'Etat minimum" était idéologique,
- que cette idéologie fait faillite sous nos yeux,
- et que nous avons besoin, non de "plus d'Etat", mais d'un Etat "intelligent" : capable d'orienter l'activité économique "vers des objectifs à long terme socialement souhaitables". Rôle que niait le libéralisme...
Renouant avec sa fonction, cet Etat "intelligent" sera aux antipodes de ce qui nous tient lieu actuellement d'Etat (et que nous voyons se décomposer en incohérences sarkozyennes et care de Mme Aubry).
L'Etat intelligent est celui que prône - par exemple dans Caritas in Veritate - la pensée sociale chrétienne. Il faut donc mettre celle-ci en lumière. Et la libérer de l'embargo dont elle souffrait en France depuis les années 1980 : embargo mis par les catho-libéraux, qui déformaient le message pour l'ajuster au dogme (anti-naturel) de "l'Etat minimum".
La pensée sociale chrétienne rejette l'étatisme, c'est évident. Mais elle approuve l'intervention de l'Etat (du politique au vrai sens du terme) là où c'est nécessaire. Faire dire autre chose à cette pensée est une bêtise, et un mensonge. Ce mensonge a fait perdre au catholicisme social toute influence en France depuis trente ans.
Il est urgent de dissiper le mensonge, de libérer le catholicisme social de son embourgeoisement, et de partir à l'offensive.
Les objecteurs de croissance jugeront qu'Aghion ne voit pas le problème conceptuel que pose, justement, la notion de croissance propre au capitalisme tardif. Le débat ne fait que commencer. Pour le moment, l'analyse d'Aghion est intéressante (et utile) parce qu'elle balaie le vieux dogme statophobe des libéraux.
17:43 Publié dans La crise | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : christianisme
Commentaires
BENOIT XVI ET L'ETAT
> En effet un des points de l'encyclique "C. in V." que j'ai le plus appréciés est celui où Benoît XVI réhabilite au passage l'action motrice de l'Etat partout où c'est nécessaire. Sans véritables Etats , d'ailleurs, comment fonctionnerait une subsidiarité politique avec le "gouvernement mondial de l'économie" que le pape souhaite ?
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Écrit par : fanch / | 06/07/2010
CURE ?
> Pour que l'Etat soit intelligent sans être idéologiquement libéral ou au contraire interventionniste, il faudra une sérieuse cure de réflexion au personnel politique...
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/07/2010
...OU CHANGEMENT TOTAL ?
> Une cure pour des gens pareils, ça paraît utopique. C'est un renouvellement total du personnel qu'il faut.
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Écrit par : Ned / | 06/07/2010
A MOINS QUE
> Une petite révolution pour renouveler le personnel politique? A moins qu'une conversion massive ne les transforme par la grâce de Dieu.
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Écrit par : vf / | 06/07/2010
TROP LIBERAL
> J'avoue que, pour une fois, je ne suis pas d'accord avec vous : ce texte d'Aghion sent vraiment trop son post-néo-libéralisme, si je peux dire, c'est-à-dire ce moment où l'on s'aperçoit que l'on avait quand même un peu trop diminué les moyens de fonctionnement de l'Etat-gendarme-de-la-bourse pour que le marché libéral continue à fonctionner. Et où l'on propose d'en remettre un petit peu, de cet Etat, qui ne soit pourtant pas trop gênant, pas trop envahi par les désirs du peuple, par trop inspiré par de grandes idées, qui soit seulement un genre de gentil manager pour que les riches puissent continuer de devenir eux aussi, un jour, très riches.
C'est un peu le syndrome équipe de France : on a fabriqué des monstres avec de jeunes adolescents fous gavés d'argent, et l'on s'aperçoit tout d'un coup que le sélectionneur prolétarisé à côté d'eux ne dispose plus d'aucune autorité sur eux. On se dit alors qu'il faut lui redonner un peu de pouvoir, mais sans remettre jamais en cause le statut de ces footballeurs shootés au fric.
Et ça ne marchera pas.
JG
De PP à JG - Aghion ne s'en tient pas à un Etat gendarme. Il plaide pour un rôle moteur de l'Etat, seul apte à orienter "politiquement" l'économie et à imposer le long terme : ce qui est une idée incompatible avec le libéralisme. Allez voir sur les sites libéraux : ils restent scotchés à leur dogme de l'Etat minimum ; Aghion vaut donc mieux qu'eux. Le reproche qu'on peut lui faire est d'un autre ordre (le mythe de la "croissance"...).
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Écrit par : JG / | 07/07/2010
MODELES NORDIQUES ?
> Je note PP que aviez déploré la suédo-néerlandisation de l'Europe naguère. J'imagine que c'était sur le plan sociétal (permissivité, mœurs dissolues qui ont cours dans ces pays, etc). Car force est de constater et l'article d'Aghion le fait plus ou moins explicitement que sur le plan de l'organisation économique et sociale les pays scandinaves dont la Suède ont une longueur d'avance sur pas mal de monde.
ND
( PP à ND :
- Sous cet angle, oui : le redressement démographique norvégien, par exemple, a été dû à une action très incitatrice de l'Etat - ce qui devrait faire réfléchir les "libéraux conservateurs" statophobes.
- Mais sous l'angle du politique en soi, les pays du nord ne sont pas un modèle pour la France. En tout cas, pour la France telle que la concevait de Gaulle...
- Le tout est de savoir si les Français auront jamais envie, un jour, de renouer avec la conception gaullienne du politique ; il est permis d'en douter. L'apparition d'un "politique" nouveau sera plutôt due à l'urgence économique et écologique, face aux désastres du capitalisme tardif. D'où le regard lucide que l'on devrait porter sur cette double urgence, plutôt que de la nier pour rester scotchés aux slogans de droite des années 1990. Je ne dis évidemment pas cela pour vous ni pour la plupart des lecteurs de ce blog, qui participent d'un courant d'idées inédit. )
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Écrit par : ND / | 07/07/2010
CROQUIGNOLET
> Un ouvrage qui me semble assez croquignolet, écrit par un catho-libéral (et disponible maintenant en ligne, youpi !):
http://www.librairal.org/wiki/Charles_Gave:Un_libéral_nommé_Jésus
Quelqu'un l'a-t-il déjà lu ? Je crois que je vais rapidement me plonger dedans.
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Écrit par : Feld / | 11/07/2010
OUTRAGE À CHESTERTON
> Dans la même veine, on trouve « Capitalisme et Christianisme » de Didier long :
http://dlong.perso.neuf.fr/
La « Civilisation du capitalisme », comme il dit, serait née du rêve d’égalité des citoyens d’Athènes avec l’utopie fraternelle juive. Il ose citer Chesterton, en exergue de son livre ; Chesterton qui était pourtant fondamentalement hostile au capitalisme…
Il fait même naître cette civilisation au moyen âge ! L’anachronisme historique est patent. Jacques Le Goff par exemple, dans son livre « Le Moyen-Age et l’argent », écarte une telle idée puisqu’il manque à l’économie médiévale certaines caractéristiques essentielles du capitalisme. Le développement du commerce et l’élévation de la classe bourgeoise ne lui sont pas spécifiques.
Michéa n’a pas tort d’écrire dans son « Empire du moindre mal » (p. 65) : « De fait, si l’existence d’activités marchandes extrêmement complexes et développées est attestée bien avant l’apparition de la modernité occidentale, il est également certain que ces activités n’ont jamais pu donner naissance, par leur seul dynamisme interne, au moindre système capitaliste. Cela, parce que dans les sociétés prémodernes, ces activités marchandes se trouvent toujours enchâssées (selon l’expression de Polanyi) dans tout un ensemble de conditions indissolublement politiques, religieuses et culturelles, qui en organisent à la fois les limites et le sens. »
Blaise
[ De PP à B. - Des catho-libéraux citant Chesterton, on en connaît quelques exemples. Il y en a qui plaident pour le casino financier en invoquant l'archange saint Michel... Toutes les incohérences sont possibles, dans un milieu qui ne pense pas. ]
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Écrit par : Blaise / | 11/07/2010
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