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26/04/2010

"Vatican II : la Tradition et les instances modernes"

par le cardinal Georges Cottier, théologien émérite de la Maison pontificale :


30 Jours dans l’Eglise, avril 2010 (extrait)

 

<< Quarante-cinq ans après sa conclusion, le Concile œcuménique Vatican II fait encore discuter. On assiste périodiquement à une série de relectures et de contributions qui présentent des orientations variées sur la manière d’interpréter le dernier Concile et de le situer par rapport au parcours historique de l’Église, même après que Benoît XVI, dans son fameux discours à la Curie romaine de décembre 2005, a fourni avec autorité des critères précieux pour que ces assises conciliaires reçoivent un accueil partagé et non conflictuel. 


Aujourd’hui encore, une bonne part des controverses concernant l’interprétation du Concile se concentrent sur le rapport entre l’Église et l’ordre historique mondain, à savoir l’ensemble des institutions et des contingences politiques, sociales et culturelles dans lesquelles les chrétiens sont amenés à vivre.


L’histoire du monde ne coïncide pas, en soi, avec la vision hégélienne de l’auto-révélation de Dieu, mais elle n’est pas non plus un flot qui se déverse de manière insensée, indifférent aux événements propres de l’histoire du salut, cette histoire de grâce à travers laquelle Dieu se révèle et se communique aux hommes. Dans le contexte et dans les circonstances de l’histoire, les chrétiens peuvent saisir des chances, des occasions plus ou moins favorables à la mission qui leur a été confiée, qui est d’annoncer et de témoigner le salut accompli par le Seigneur. Il s’agit de «saisir les signes des temps»: c’est ainsi que le Concile Vatican II lui-même a décrit cette forme particulière de discernement qui est favorisée par le fait qu’elle tient compte de certaines distinctions importantes.


L’une de ces distinctions est celle qui passe entre l’Église et les différentes formes possibles de chrétienté. Il n’existe qu’une seule Église du Christ, tout au long de l’histoire et jusqu’à l’éternité: c’est celle qui est en même temps l’Église d’aujourd’hui et l’Église de toujours. Par ailleurs, il existe de multiples chrétientés. Le concept de chrétienté est un concept historique. Quand une société est composée d’une majorité de chrétiens, cette circonstance fait que la foi inspire l’ordre temporel lui-même, entendu comme sphère de la culture et des formes juridiques et politiques. Dans une situation de ce genre, on voit aussi s’avérer, y compris au niveau de la coexistence sociale, le fait que la grâce ne détruit pas la nature, mais la guérit, en tant qu’elle est une nature blessée, la réconforte et l’élève. Il s’agit de l’apport de l’Évangile au monde temporel reconnu dans son autonomie et dans sa consistance propre. Ceci peut également être un reflet social de l’existence de communautés chrétiennes nombreuses, comme elles l’ont été jusqu’ici en Europe. Mais ce n’est pas la seule forme de chrétienté possible. Il suffit de penser aux chrétientés qui naissent dans un contexte social, culturel et religieux différent de celui qui a été inspiré pendant des siècles par la chrétienté occidentale. Bien avant le Concile, les papes modernes ont définitivement reconnu que l’évangélisation ne doit pas être confondue avec la transposition des formes prises par la chrétienté occidentale dans d’autres contextes. Ceci implique que les cultures et les contextes sociaux et civils doivent être considérés dans leurs particularités et dans leurs diversités positives, de sorte que l’on peut imaginer une chrétienté africaine, indienne, ou chinoise.


L’on peut aussi imaginer une chrétienté qui reste une petite minorité. La Sainte Écriture répète que l’Évangile doit être annoncé à toutes les nations, mais le fleurissement de la vie chrétienne, lorsqu’il advient, le fait de manière mystérieuse et imprévisible, comme on le voit déjà dans les Actes des Apôtres. «Ce n’est pas nous qui devons produire le grand fruit; le christianisme n’est pas un moralisme, ce n’est pas nous qui devons faire ce que Dieu s’attend du monde», a dit Benoît XVI dans son discours aux séminaristes de Rome, le 12 février dernier. 


Parmi les raisons de nombreuses difficultés qui ont surgi dans les rapports entre l’Église et l’ordre mondain temporel à l’époque moderne et contemporaine, je relève notamment celle-ci: dans certains cas, devant les bouleversements de l’histoire et la consolidation de nouveaux équilibres culturels, sociaux et politiques, le seul critère d’évaluation envisagé par certains milieux chrétiens est devenu la plus ou moins grande conformité de ces équilibres avec les modèles qui avaient dominé pendant les siècles précédents, lorsque l’unanimité d’origine chrétienne de la société civile finissait par modeler ou au moins influencer les institutions politiques et sociales.


Cette attitude explique notamment, en partie du moins, les objections qui ont accueilli certains documents du Concile dès l’époque où se déroulaient les débats. Je pense à la Déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse et à la Déclaration Nostra aetate sur les relations avec l’hébraïsme et les autres religions. Les critiques soutenaient que ces documents constituaient une entorse par rapport à certaines positions du magistère social des siècles immédiatement précédents. En effet, depuis le Concile Vatican II, les papes utilisent dans une acception positive les formules relatives à la liberté religieuse et à la liberté de conscience, formules qui apparaissaient condamnées, à peine un siècle auparavant, dans certains documents du magistère.


Loin de manifester une contradiction, ce changement est l’effet d’une clarification qui est survenue devant la mutation des contextes politiques et sociaux. Depuis le dix-huitième siècle, ces formules étaient utilisées par la maçonnerie pour soutenir que la conscience humaine est parfaitement autonome, y compris devant Dieu. Or la Déclaration conciliaire Dignitatis humanae n’approuve pas ce subjectivisme relativiste, bien au contraire. Celle-ci répète que la vérité peut être connue par les hommes et que devant Dieu, tout homme est tenu, en conscience, de rechercher la vérité. Bien plutôt, ce document met en valeur la formule de la liberté religieuse comme critère selon lequel personne ne doit être obligé ou empêché de l’extérieur de rechercher et de reconnaître la vérité. L’État ne peut s’ériger en juge des consciences. Il ne peut imposer l’acte de foi ou le reniement de la foi, quelle qu’elle soit, par une contrainte extérieure.


Cette distinction, qui s’est révélée décisive pour clarifier l’ensemble du problème, n’a pas émergé tout de suite. Au cours du temps, devant les nouvelles circonstances historiques, on a vu se produire une sorte de purification qui a permis de distinguer l’aspect essentiel à défendre (en ce cas, le fait que la vérité puisse être connue, et que la conscience soit tenue de l’accueillir et de s’y conformer lorsqu’elle la connaît) face à certains facteurs relatifs et contingents. Je pense à ces conceptions qui ont fleuri à une époque de chrétienté, selon lesquelles les États et les institutions qui règlent la coexistence civile ne peuvent être neutres par rapport aux différentes identités religieuses, dans la mesure où ils sont eux-mêmes le garant du maintien du christianisme dans la société (pensons au cuius regio, eius religio du Traité de Westphalie, qui impliquait de fait une subordination de l’Église à l’État, et que la doctrine catholique n’a jamais acceptée). Au fil du temps, les conceptions se sont parfois raidies; elles ont pris la forme d’une condamnation sans appel de la modernité, lorsqu’à partir de la Révolution française, l’ordre constitué n’a plus été conçu, ni dans les mots, ni dans les faits, comme un ordre social chrétien. On peut retrouver une trace de ce genre de conceptions jusque dans certaines objections élevées contre les documents conciliaires que j’ai déjà cités, ceux-ci étant liquidés comme rupture de la “Tradition”, une rupture qui serait le fruit d’une sorte de démission devant les instances et la culture des nouveaux temps.


Les documents du Concile Vatican II expriment simplement son ouverture envers la multiforme réalité humaine et les institutions qui l’ordonnancent dans la phase historique actuelle: le contexte d’un monde global et pluriel, qui implique la coexistence entre communautés et personnes aux profils culturels et religieux des plus disparates... >>

 

 

01:28 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : christianisme

Commentaires

L'UN ET LE MULTIPLE

> « Il n’existe qu’une seule Église du Christ (…) il existe de multiples chrétientés ». Ces mots du cardinal Cottier peuvent nous encourager sur le chemin qui conduit à l’unité. Pour ma part, comme catholique romain, je pense que si l’on faisait deux colonnes, l’une collectant les véritables différences théologiques, l’autre les faux procès intentés entre Eglises pour des raisons la plupart du temps purement culturelles, la première serait à peu près vide, et la seconde certes un peu encombrée. Je pense que nous sommes nombreux à reconnaître aujourd’hui combien ce Chef d’orchestre qu’est l’Esprit Saint fait résonner les diverses chrétientés en symphonie, en jouant précisément de leurs différences et en les conjuguant pour produire une harmonie plus haute. A quand des Assises de l’unité des chrétiens pour en finir avec les faux procès entre Eglises ?
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Écrit par : Denis / | 26/04/2010

@ Denis :

> "A quand des Assises de l’unité des chrétiens pour en finir avec les faux procès entre Eglises ?"
A mon avis c'est une cacophonie qui en ressortirait.
A l'usage, il me semble que la méthode de rapprochement qui a fait le plus ses preuves c'est de viser l'exigence la plus haute : seul le dialogue doctrinal entre personnes très expertes et très cultivées peut mettre vraiment à plat les difficultés historiques (par exemple la déclaration commune sur la grâce avec les Protestants, les progrès sur le Filioque ou le rôle du pape avec les Orthodoxes...). Si on veut aller au plus vite ou au plus facile, on bâtit sur des quiproquos (je pense aux discussions catholiques-anglicanes qui ont souvent été en trompe l'oeil).
Dans ce domaine, le binôme Jean-Paul II + J. Ratzinger a eu une action de fond, très positive. Même s'ils ont été critiqués par ceux qui auraient voulu tout, tout de suite, même si c'est n'importe comment.
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Écrit par : Flam / | 26/04/2010

@ Flam

> Je pense que le dialogue des experts a ses limites. Il existe des incompréhensions forgées dans certains contextes culturels (au sens, large, incluant le politique) qui dépassent le dialogue théologique et sont de faux ou mauvais procès, notamment entre catholiques et orthodoxes. Et je suis convaincu que des chrétiens de bonne volonté – en s’appuyant peut-être sur des laïcs, non tenus par des enjeux de pouvoir ? – pourraient aider à dissiper ces mésententes qui continuent de déchirer l’unique Corps du Christ.
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Écrit par : Denis / | 27/04/2010

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