28/11/2009
Les jeunes généticiens se posent des questions
"Qui doit décider
du bien-fondé
de nos travaux ?" :
Dans Le Monde du 28 novembre, une page entière sur l'équipe française du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) qui vient de remporter le Prix spécial du Jury au concours de biologie synthétique (IGEM) du MIT aux Etats-Unis. Motif de ce prix : l'approche « éthique et sociétale » des travaux du CRI... Explication :
« Fait rarissime dans une équipe de recherche, une étudiante en sciences humaines, Sara Aguiton, en master 2 de sociologie et d'histoire des sciences et des techniques à l'EHESS, a intégré l'équipe de biologistes, physiciens, informaticiens et mathématiciens dès le début du projet. […] L'éthique est devenue un critère de qualité supplémentaire dans l'évaluation des équipes de chercheurs en biologie synthétique du concours IGEM. […] Car les organisateurs du concours savent que la biologie synthétique peut faire peur. Cette discipline consiste en effet à synthétiser des gènes, à fabriquer de nouvelles formes de vie. En utilisant des composants biologiques, séquences d'ADN, les experts en biologie synthétique créent de nouvelles cellules vivantes ou modifient celles qui existent […] .Ces techniques peuvent servir à synthétiser des virus, ou créer des formes de vie inconnues. La biologie synthétique pose donc des problèmes de sûreté, car elle peut concevoir des espèces nocives incontrôlables... »
Sara Aguiton était « seule face à 12 étudiants soucieux de faire avancer leurs expériences, pressés par le temps ». Mais, en quatre mois, elle a réussi à leur faire admettre que leurs travaux posaient des problèmes éthiques et sociaux :
« La plupart des étudiants ont assisté, volontairement, aux réunions qu'elle a régulièrement organisées. "C'était la meilleure valeur ajoutée du projet", assure Christophe Chabert, élève ingénieur à l'Ecole des mines de Paris. "Cela m'a permis de réfléchir à la portée de ce que l'on fait, et cela a donné une autre dimension à nos travaux. Sara avait rassemblé une importante bibliographie. Elle lançait des pistes de réflexion, sur qui doit décider du bien-fondé des travaux que l'on mène, vu leur dangerosité potentielle, par exemple. Ou sur qui doit décider de ce que l'on publie ou pas, pour les mêmes raisons." Guillaume Cambray, post-doctorant en biologie et chargé d'encadrer les jeunes, confirme. "J'ai toujours été étonné que nous n'abordions pas ces questions dans nos études, si ce n'est en classe de philo, en terminale. Or il est essentiel quand on fait de la science de se positionner par rapport à la société. Nous avons eu des discussions très intéressantes sur la définition de la vie. Ces réflexions auront marqué une inflexion dans mon travail. Le problème était que nous avions chacun notre vocabulaire de spécialiste."
Dommage qu'on ne nous en dise pas plus sur le contenu des débats entre Sara Aguiton et les chercheurs. En particulier sur « la définition de la vie »... Là, en effet, est tout le problème : si on l'esquive en réduisant « la vie » à un ensemble de processus manipulables, on ouvre la porte à sa marchandisation et la seule norme devient le profit à court terme : perspective terrifiante en pareil domaine. Mais si l'on admet que « la vie » a un aspect irréductible et finalement mystérieux, sa marchandisation devient une obscénité et l'on doit y renoncer.
Même dans le camp des altermondialistes (ennemis de la marchandisation), ce débat existe. Les anticapitalistes de tradition marxienne [1] sont-ils philosophiquement en rupture avec ces « marchands de vivant » et breveteurs de gènes que sont les libéraux ? Ce n'est pas sûr. Mais ce qui est sûr, c'est que la doctrine sociale de l'Eglise est en rupture avec le matérialisme mercantile [2]. Il y a là une piste, si l'on veut nouer une grande alliance entre tous ceux qui pensent que « le monde n'est pas une marchandise ». Sara Aguiton devrait rencontrer Mgr d'Ornellas.
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[1] Tel Christophe Aguiton, d'ATTAC, qui pourrait être le père de Sara si l'on se fiait à une certaine ressemblance. (Quelqu'un peut-il m'éclairer sur ce point ?).
[2] N'en déplaise aux jeunes bourgeois persuadés que la commercialisation de tout est admissible d'un point de vue catholique... Je n'invente rien, cette altercation m'est arrivée il y a moins de huit jours.
12:44 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : bioéthique
Commentaires
REPÈRES
> On aimerait savoir les références éthiques de Sara Aguiton : une jeune fille de 23 ans visiblement hyperdouée, et (si votre intuition est juste) fille d'un altermondialiste gauche-de-gauche, où sont ses repères ?
Écrit par : Nati, | 28/11/2009
UNDENKBAR
> Non, la vision anthropologique de l'extrême gauche n'est pas le contraire de celle des libéraux : ils mettent juste l'accent sur des domaines différents. Pourquoi "le monde n'est pas une marchandise", si seule importe la transformation du monde par l'action de l'homme ? valeur vénale, valeur travail : même combat finalement. Je souris quand je lis que les néo-trotskistes du NPA seraient devenus écolos. Marx écologique ? undenkbar !
Écrit par : Phil. des Elends, | 28/11/2009
> article travaillé et très pertinent, merci pour ce commentaire !
Écrit par : argent facile, | 29/11/2009
MARXISTES = LIBERAUX
> Les communistes, à la belle époque du "socialisme réel", n'étaient certainement pas très soucieux d'écologie. Dignes fils de Descartes et des Lumières, ils croyaient naïvement que l'homme devrait accroître sa puissance et s'affirmer comme "le maître et le possesseur de la nature." Tout cela au nom de l'émancipation du genre humain. Le résultat n'est pas très probant. Et la différence avec les libéraux inexistante.
L'opposition marxisme-libéralisme est mortifère. Pour répondre aux défis de notre temps, il faut en sortir.
Écrit par : Blaise, | 29/11/2009
Aux commentaires:
> La question pertinente,pour juger des idées et de la valeur des engagements d'une personne, n'est pas :d'où vient-elle? (marxisme,libéralisme, athéisme, protestantisme,..) mais: où va-t-elle?. Non parce que le passé n'est pas significatif, mais parce que, à chaque instant de notre vie, nous pouvons lui donner un nouveau sens,et en tirer le meilleur comme le pire( voir ce que dit Max Scheler, maître en philosophie de Karol Wojtyla, sur ce sujet, dans "Repentir et renaissance").Il se trouve qu'aujourd'hui beaucoup d'ex- communistes,de soixante huitards puisent dans leur passé pour renouer avec leur désir de cohérence de vie, de partage fraternel, et d'exigence intellectuelle:alléluia! Et nous "catholiques bien-pensants", que tirons-nous de notre histoire si riche? Un prétexte pour ne pas nous remettre en question?
Écrit par : Josnin, | 29/11/2009
Alleluia
> ...si les chercheurs commencent a comprendre qu'ils doivent rendre des comptes a la societe de leur activite, et que ce n'est pas a eux de poser les limites de leur action.
Maintenant, qui va leur repondre ? La voix des catholiques sera-t-elle suffisamment audible et claire ? Ou bien sera-t-elle etouffee par les sirenes de ce temps ?
Il faut esperer et prier... et parler haut et clair !
Merci a un blog comme celui-ci d'y contribuer !
Écrit par : Pema, | 30/11/2009
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