05/11/2009
''Résister au libéralisme'' : le livre de F. Huguenin [5]
Quelle sorte de '''communauté'' chrétienne ?
Le chapitre 9 du livre* s'intitule : « penser la communauté chrétienne ». Vaste programme ! et noeud de querelles entre catholiques français... Beaucoup prônent la dilution de la catholicité dans le conformisme boboïde ; d'autres, son enfermement au sein d'un bunker national-identitaire. Ce sont deux dérives symétriques. Elles aboutissent à une dégénérescence du christianisme par vassalisation (à des idéologies opposées, mais le résultat est le même).
Le vrai débat est autre.
Il ne s'agit pas de savoir comment « positionner » la communauté chrétienne parmi toutes les tribus urbaines, selon la logique de tribalisation/émiettement d'une société livrée à toutes les subjectivités (individuelles ou claniques).
Il s'agit de montrer comment la communauté chrétienne a un rôle universel et unique. L'Eglise sert le monde « en lui donnant les moyens de se voir en vérité », dit Huguenin à travers Hauerwas ; « elle doit d'abord comprendre le monde pour affronter sa ''folie'' et son ''irrationalité''. L'Eglise n'est donc pas en position de retrait ou de fuite des problèmes du monde : elle est le témoin du Royaume de paix, révélant ''l'insuffisance de toute politique fondée sur la contrainte et le mensonge et qui trouve la vraie source du pouvoir dans le service plutôt que dans la domination''. Et Hauerwas de conclure : ''l'Evangile est un Evangile politique''. » Huguenin signale qu'Hauerwas, méthodiste, est marqué par la figure de la catholique Dorothy Day (1897-1980), fondatrice du Mouvement des travailleurs catholiques et du journal The Catholic Worker, organe d'une conception « sociale tout à fait radicale » de l'Evangile. « Hauerwas voit en elle la preuve que ce qu'il dit de l'Eglise comme communauté politique n'est pas une chimère. Le fait que Jean-Paul II ait ouvert en 2000 la cause de sa béatification n'est pas un hasard. »
Le théologien catholique Cavanaugh a été marqué quant à lui par son expérience au Chili sous Pinochet [1] : il y a vu, face à un régime tortionnaire, la résistance que l'Eglise peut incarner (quand elle se ressaisit) ; et, par delà, son rôle spécifique dans le monde :
« La voie d'une Eglise jouant le jeu de la sécularisation en mettant sous le boisseau son discours propre est un échec. Celle d'une Eglise voulant peser sur le pouvoir politique en ayant un droit de regard en vertu d'une supériorité mal comprise du spirituel sur le temporel, outre le fait qu'elle appartient à la tentation d'une époque révolue, est exclue. Le rôle de l'Eglise est de promouvoir la paix entre les hommes, tout en sachant que cette paix est fragile si elle ne repose pas sur le culte rassembleur du Dieu unique. Elle n'est que le prélude à la paix perpétuelle de l'éternité. Le rôle de l'Eglise est de contribuer à la faire vivre dans les affaires terrestres, tout en témoignant de l'espérance dans la foi qu'elle sera pleinement réalisée dans la Cité céleste où la charité régnera sans ombre. »
L'eucharistie est le coeur de la communauté chrétienne, souligne Cavanaugh : « Nous ne sommes pas divinisés par l'eucharistie comme individus ; nous sommes rassemblés ensemble dans un corps plus large ». Rodica Stoicoiu [2] écrit : « Le rassemblement eucharistique est une communauté où nous expérimentons cette nouvelle réalité ontologique qui continue à nous stimuler par la parole et le geste, nous transformant en une authentique expression de la manière d'être humain que nous a montrée le Christ. »
Dans l'eucharistie, insiste Cavanaugh, le chrétien est « absorbé dans le Christ », « consommé » par Lui : la pratique eucharistique, résume Huguenin...
« ...est l'antithèse de la consommation moderne où chaque désir chasse le précédent et alimente un cycle sans fin d'envie et d'insatisfaction. De même, la pratique eucharistique met-elle en lumière une alternative à la mondialisation, en engendrant « un espace authentiquement universel non pas en oblitérant la dimension locale, mais en l'intégrant à la catholica universelle lors de chaque célébration locale''. L'Eglise comme communauté n'est pas un contre-Etat ni un super-Etat, mais une manière de faire vivre autrement la nature sociale de l'homme, dans sa vraie dimension : la cité de Dieu au milieu de la cité terrestre. »
[à suivre]
(*) Résister au libéralisme (les penseurs de la communauté), CNRS éd.
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[1] Dictature au service des Chicago boys ultralibéraux.
[2] Théologienne catholique, professeur à l'université de Mount St Mary, directrice de la liturgie à l'église Ste-Agnès de Shepherdstown WV. Spécialisée dans la théologie de la Trinité et le dialogue avec la tradition orthodoxe.
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12:41 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
CONVERGENCE
> Je suis frappé par la convergence de vue entre ces auteurs et Mgr Claude Dagens dans son rapport à la Conférence des Evêques de France : "Indifférence religieuse, visibilité de l’Église et évangélisation".
Écrit par : Michel de Guibert, | 05/11/2009
CAVANAUGH
> A propos de Cavanaugh: le livre qui relate son expérience chilienne, et qui est aussi sa thèse de doctorat, est censé être en vente en traduction française depuis mars 2009 aux éditions Ad Solem. Problème:il ne figure pas à leur catalogue (leur site est d'ailleurs depuis peu inaccessible) et semble introuvable ailleurs. Quelqu'un peut-il me renseigner à ce sujet?
Écrit par : grzyb, | 05/11/2009
DES PORTES, PAS DE MURS
Comment penser la communauté chrétienne au pays de la laïcité ? On voit bien l’intérêt pour un pouvoir politique, en France ou ailleurs (chez nous, la tentation peut renaître), d’imposer une conception positiviste et agressive de la laïcité, afin de ne pas être dérangé par « la cité de Dieu au milieu de la cité terrestre » et tout ce qui s’ensuit : doctrine sociale de l’Eglise, donc mise en cause radicale de certaines valeurs et de certains modes de gouvernance etc. Reste à faire bien comprendre à ce même pouvoir que la « cité de Dieu » des chrétiens, au contraire d’une laïcité-prison ne pensant qu’à bordurer le religieux, ne s’environne pas de murs mais de portes. Ainsi, le Christ nous dit (Mt 7 :7-8) : « Demandez et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe on ouvrira ». La communauté chrétienne idéale ? Une cité dans ses portes.
Écrit par : Denis, | 05/11/2009
@ Denis
> Belle expression : "ne s'environne pas de murs, mais de portes". Seulement pour que ce soit compris des foules, il faut interdire l'utilisation du mot "doctrine sociale de l'Eglise" à ceux qui voudraient l'entourer de murs sans portes (avec meurtrières et machicoulis à huile bouillante).
Écrit par : rembar, | 05/11/2009
@ grzyb
Il ne faut pas se fier au catalogue en ligne des éditions Ad Solem : il n’est tout simplement pas à jour. Mais le livre "Torture et Eucharistie" est tout-à-fait disponible. Par exemple, il figure sur le site internet de la librairie La Procure :
http://www.laprocure.com/recherches/resultats.html
Quand vous l'aurez entre les mains, vous ne serez pas déçu !
Écrit par : Blaise, | 06/11/2009
@ Blaise:
> Avec un week-end de retard, merci de l'info. J'aurai peut-être l'occasion de vous communiquer ma non-déception après lecture.
Écrit par : grzyb, | 09/11/2009
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