27/10/2009
Catholiques-orthodoxes : la rencontre de Chypre
Malgré quelques crispations, le long labeur oecuménique continue à progresser :
La « Commission internationale mixte pour le dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe » s'est réunie à Chypre, du 16 au 23 octobre. Vingt catholiques romains et toutes les Églises orthodoxes, sauf le patriarcat de Bulgarie, participaient à la rencontre, présidée par le cardinal Walter Kasper et le métropolite Ioannis Zizioulas de Pergame. Le communiqué final « confirme la bonne avancée de la rédaction d'un document conjoint sur le rôle de l'Evêque de Rome dans la communion de l'Eglise au premier millénaire » : « la commission a considéré avec soin et amendé le texte provisoire préparé par le comité mixte de coordination. Elle a décidé de terminer l'année prochaine son travail sur ce texte, en réunissant de nouveau la Commission mixte. »
Zenit souligne que « le document répond à la demande de Jean-Paul II dans son encyclique Ut unum sint sur l'engagement œcuménique (25 mai 1995), proposant de "trouver une forme d'exercice de la primauté ouverte à une situation nouvelle, mais sans renoncement aucun à l'essentiel de sa mission" (n. 95). Cela, ajoutait-il, est possible car "pendant un millénaire, les chrétiens étaient unis par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle, le Siège romain intervenant d'un commun accord, si des différends apparaissaient au sujet de la foi ou de la discipline". Jean-Paul II invitait à chercher, "évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d'amour reconnu par les uns et par les autres". »
Les représentants orthodoxes « ont discuté, entre autres, des réactions négatives au dialogue de la part de certains milieux orthodoxes [*] et les ont considérées, à l'unanimité, comme sans fondement et inacceptables, puisque fournissant des informations fausses et trompeuses : tous les membres orthodoxes de la Commission ont réaffirmé la poursuite du dialogue avec l'assentiment de toutes les Églises orthodoxes et dans la fidélité à la Vérité et à la tradition de l'Eglise. »
Quant aux représentants catholiques, ajoute le communiqué, ils ont estimé que le texte préliminaire sur la primauté de l'Evêque de Rome » est une « bonne base de travail » et confirmé « l'intention d'aller de l'avant dans le dialogue, dans une confiance réciproque, en obéissant à la volonté du Seigneur ».
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[*] La réunion a été perturbée par les manifestations violentes d'orthodoxes radicaux opposés au dialogue avec l'Eglise catholique. La police chypriote a arrêté quatre citoyens et deux moines du de Stavrovuni.
Commentaire
- Le véritable dialogue oecuménique est complexe et difficile, étant mené par des gens qui prennent la théologie au sérieux. (Il n'est « simple » que dans l'esprit des relativistes, pour lesquels le théologique n'est qu'une superstructure des mentalités et doit céder aux pressions séculières de l'époque).
- Les virulences anti-oecuméniques d'orthodoxes grecs sont une coutume pénible, mais ne peuvent empêcher les vrais théologiens de travailler. Elles n'ont pas de rapport avec les crispations d'orthodoxes français, plus marginales et liées à d'autres situations.
- L'anti-oecuménisme existe aussi chez les catholiques intégristes.
- Chez des protestants subsiste un antipapisme sous diverses formes contradictoires. Certains évangéliques sont antipapistes par conviction pluriséculaire, taxant Rome d'hérésie. Certains réformés sont au contraire antipapistes par relativisme, reprochant à Benoît XVI de contredire le « religieusement correct » (vestige tardif des années 1970-1980). Il reste aussi quelques calvinistes papophobes à la façon des pasteurs guerriers du XVIIe siècle, mais ils sont rarement français. A la Fête du Livre de Saint-Etienne, j'ai ainsi eu la visite, hostile et pittoresque, d'un pasteur écossais octogénaire accompagné d'une petite dame en barbour : ils venaient m'accuser d'avoir écrit un pamphlet antiprotestant (Les Evangéliques à la conquête du monde, Perrin). J'ai tenté de leur expliquer que ce livre n'était pas ce qu'ils disaient et qu'il avait été accueilli avec intérêt par les évangéliques et par Réforme à la fois ; en vain. Le pasteur a proféré un extrait du Covenant d'Ecosse où il était dit que le pape était un homme de péché. Puis ils sont partis, glaciaux. J'ignorais qu'il restât des mousquets de ce calibre, même dans les Outer Hebrides ; c'est le genre de rencontres qui fascinent l'historien.
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20:16 Publié dans Oecuménisme | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : christianisme
Commentaires
ALLIANCE OBJECTIVE
> De plus en plus évidente, la future alliance objective des chrétiens ayant la foi (catholiques, évangéliques, orthodoxes ou autres) face aux pseudo-chrétiens mondains de gauche et de droite n'ayant plus de foi ! C'est là le clivage. Le dialogue oecuménique n'est d'ailleurs possible qu'entre vrais chrétiens (croyants) ; dialoguer avec les faux n'a aucun intérêt. Qu'ils aillent se faire voir dans les salons de pub et les cocktails gouvernementaux,
et qu'ils nous laissent à notre tâche : évangéliser.
Écrit par : Martin, | 27/10/2009
IOANNIS ZIZOULIAS
> Le métropolite Ioannis Zizioulas de Pergame (du Patriarcat oecuménique de Constantinople) est un théologien orthodoxe d'une grande envergure qui a particulièrement approfondi la réflexion sur la primauté de l'évêque de Rome.
Voir notamment :
http://www.30giorni.it/fr/articolo.asp?id=9555
Écrit par : Michel de Guibert, | 28/10/2009
A Martin :
> je crois qu'on devrait parler d'alliance subjective plutôt qu'objective en l'occurrence, cette dernière expression désignant à l'origine une alliance contre-nature et non souhaitée par les deux parties, qui pourtant se retrouvent à jouer le même jeu. Exemple : il y a eu une alliance objective entre Mitterrand et Le Pen au cours des années 80 et 90 contre la droite RPR-UDF.
Écrit par : JG, | 28/10/2009
HAREM
> Votre commentaire me rappelle ce que raconte A. Christie dans ses mémoires (intéressante vision de la vie quotidienne de la bourgeoisie de la Gde Bretagne de 1890/1900) lorsqu'elle parle d'une gentille petite mémé dont les yeux brillaient lorsque prenant le thé elle disait :
" Ah ! toutes ces jeunes filles catholiques qui entrent au couvent et qu'on retrouve dans les harems des évêques"
Et elle y croyait !...
...Pauvre vieille ... pendant 500 ans, on a raconté cela ds les pays anglo-saxons pr avoir un prétexte vertueux pr s'emparer des biens de l'Eglise. Il est évident que cela ne peut disparaître du jour au lendemain...
Écrit par : zorglub, | 28/10/2009
PROPOSITIONS
> Grâce à Dieu, il semble bien que les orthodoxes désireux de dialoguer en vérité avec Rome soient majoritaires aujourd’hui. Si donc la question de l’unité bute essentiellement sur celle de la primauté du Successeur de Pierre, mais aussi, me semble-t-il, sur des questions sémantiques reflétant des enjeux de pouvoir, pourquoi ne pas proposer la solution suivante – excusez mes gros sabots :
1/ La nouvelle ecclésiologie de communion accorde une primauté d’honneur et d’ordre au Patriarche d’occident et 1er Vicaire du Christ qu’est le Successeur de Pierre, à charge pour lui d’obtenir cette reconnaissance dans un concile oecuménique. Cette primauté vient, comme chacun sait, de cette promesse de Jésus-Christ (Mt 16,18-19) : « Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. ».
2/ La nouvelle ecclésiologie de communion appelle tous les évêques du monde à accueillir en frères la paternité qu’ils ont reçue de Dieu dans la foi commune que résume le symbole de Nicée-Constantinople, et à rassembler le peuple chrétien dans une digne célébration de l’Eucharistie, où Dieu se rend présent et se donne à ceux qu’Il aime, pour leur salut et celui de leurs frères et soeurs.
3/ La nouvelle ecclésiologie de communion invite l’évêque de Rome et, avec lui, les évêques du monde entier, à mettre au premier rang de leur dialogue l’humilité et la douceur, au service de « l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique ».
4/ Les évêques sont invités lors d’un prochain concile oecuménique à traduire en actes leur engagement à l’unité, en se disant frères de l’unité et de l’autel, à l’écoute les uns des autres et du conseil du Successeur de l’Apôtre Pierre, serviteur des serviteurs, dans une même fidélité à la Parole de Dieu. Dans cet esprit, l’évêque de Rome choisit de privilégier toujours dans l’exercice de sa primauté les termes disant sa vocation de service plutôt que de domination. Ainsi au jour de son élection : « Habemus servitor ! » sera préféré à « Habemus papam ! ».
Telle est ma proposition : naïve, iconoclaste… j’accepte tout (j’imagine les théologiens qui rigolent). Il n’y a que le premier pas qui coûte ! Voyez : pour l’unité des chrétiens je suis même prêt à renoncer à cette expression bénie : « Le Pape de Rome »... Le Christ l’a dit, et c’est ce qui peut nous garder en paix : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur » (Mt 23:11). Dieu seul pouvant dire, en vérité, s’il y a un « plus grand ».
Écrit par : Denis, | 29/10/2009
Cher Denis,
> je chausse volontiers vos gros sabots pour vous dire que j'adhère volontiers à vos propositions.
Je crois que le dialogue oecuménique entre orthodoxes et catholiques avance à grands pas dans le sens de cette ecclésiologie de communion.
Juste deux remarques :
- Le titre de Patriarche d'Occident que portait l'évêque de Rome avait été abandonné par Benoît XVI pour des raisons bien compréhensibles (risque de confusion à propos du terme "Occident" pour une Eglise devenue bien plus étendue), mais avait donné lieu à des incompréhensions chez les orthodoxes ; il eut mieux valu sans doute lui substituer le titre de Patriarche de Rome pour rappeler le ministère pétrinien.
On se rappelle l'expression des Pères conciliaires au Concile d'Éphèse (431) : "Pierre a parlé par la bouche de Léon" (St Léon le Grand).
- Le terme de "Pape" pour désigner l'évêque de Rome signifie "père" et n'est nullement antinomique de celui de "serviteur" ; il est du reste porté aussi par le Patriarche d'Alexandrie (Shenouda III).
Rappelons que St Grégoire le Grand s'était lui-même défini comme "serviteur des serviteurs de Dieu".
Écrit par : Michel de Guibert, | 29/10/2009
Cher Michel,
> Merci pour ces précisions bien nécessaires à propos du « serviteur des serviteurs de Dieu ». Je m’interroge sur cette dénomination de « Pape ». Je suppose qu’elle vient tout simplement de sa qualité de père, « Papa » en latin, vis-à-vis des chrétiens romains. Le pasteur était donc « Papa » pour ses ouailles. Pontife et accessoirement Pape, il est devenu peu à peu Pape avant d’être pontife. L’usage qui est fait du mot ne peut être jugée neutre dans une optique oecuménique. « Pape », de local est devenu universel, et cela s’explique en raison de la primauté du Successeur de Pierre. Mais le fait est là : cette primauté est contestée depuis plus de 900 ans par nos frères orthodoxes et depuis bientôt 500 ans par nos frères protestants. Le mot « Pape » n’est-il pas devenu, au fil des siècles, le symbole d’une autorité illégitime pour un grand nombre de baptisés ? Les chrétiens ont un seul Père qui est aux cieux. Et un grand nombre de « papas », nos évêques et aussi nos prêtres, pour le représenter. Alors, je le reconnais, cette question peut être jugée oiseuse et de pure forme. Mais quand la forme s’épure, les questions de fond trouvent parfois plus facilement à s’y loger.
Écrit par : Denis, | 30/10/2009
> Oui, Denis, il est bien possible que le mot "Pape" opère comme un répulsif pour certains, mais je ne suis pas certain que le changement de terme changerait fondamentalement les choses (le terme est affectueux pour les Italiens, comme l'est celui de Pape -d'Alexandrie- pour les Coptes).
Et certes, si nous n'avons qu'un seul Père (Abba), les protestants soulignent justement cet aspect, nous avons des "papas" (ou des "ambas" comme disent les orientaux) à l'image du Père, comme nous avons des prêtres à l'image du Grand Prêtre qu'est le Christ, comme nous avons des pasteurs à l'image du Bon Pasteur.
Autre chose : la primauté du successeur de Pierre n'est pas contestée en soi par les orthodoxes ; ils admettent une primauté d'honneur et de recours, mais refusent une primauté de juridiction.
Écrit par : Michel de Guibert, | 30/10/2009
ROME, Vendredi 30 octobre 2009 (ZENIT.org) - La 11e réunion de la Commission conjointe internationale pour le dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe, qui s'est déroulée à Paphos (Chypre) du 16 au 23 octobre sur le thème « Le rôle de l'évêque de Rome dans la communion de l'Eglise au premier millénaire », a permis d'accomplir « de petits pas en avant dans la bonne direction ».
C'est ce qu'a affirmé le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens et co-président de la Commission. Au micro de Radio Vatican, il a notamment souligné que les « pas sont petits et lents », parce que le thème de la discussion est « une question très, très complexe, un thème qui comporte une charge émotive depuis des siècles ».
« Mais ce qui est très important, c'est que malgré les manifestations opposées de certains intervenants, surtout de l'Eglise de Grèce, tous les représentants orthodoxes sont décidés et déterminés à poursuivre le dialogue », a-t-il observé.
« Les relations entre les membres catholiques et orthodoxes de la Commission ont été très bonnes, amicales, sereines », a-t-il ajouté, annonçant avec satisfaction que le groupe se rencontrera l'année prochaine à Vienne pour poursuivre le dialogue.
Pour sa part, le métropolite de Pergame, Ioannis Zizioulas, co-président de la Commission pour la partie orthodoxe, a déclaré que « la question du primat est un problème ecclésiologique », et vue que l'ecclésiologie fait partie de la dogmatique, c'est « une question de foi ».
« D'autres expériences de dialogue théologique, avec les préchalcédoniens et les vétéro-catholiques par exemple, nous montre qu'une entente sur d'autres questions dogmatiques ne sert à rien s'il n'y a pas de concordance sur les fondements de l'ecclésiologie », a-t-il expliqué dans une interview à l'agence de presse Apa-Apm rapportée par L'Osservatore Romano.
Dans les relations entre orthodoxes et catholiques, la question du primat « a joué un rôle des plus tragiques » et « a créé des problèmes plus importants (croisades, uniatisme) », a-t-il admis en soulignant que « le caractère conciliaire est une condition préliminaire du primat ».
Face aux accusations de certains milieux orthodoxes de « fléchissement » vis-à-vis de l'Eglise catholique pour le simple fait de mener un dialogue constructif, le métropolite a observé qu'il est « injuste et faux » de se dresser contre le patriarcat œcuménique parce que « le dialogue se déroule grâce à la décision unanime de toutes les Eglises orthodoxes ».
Le dialogue théologique entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholique, a-t-il rappelé, est le plus important entre tous ceux entrepris officiellement par l'Eglise orthodoxe avec les hétérodoxes « mais il est aussi plus tourmenté dans certaines situations ».
Ioannis Zizioulas a donc exhorté à « travailler sans relâche en direction de la foi qui nous a été transmise pour accomplir la prière quotidienne ‘en vue de l'union de tous' », observant que « si nous le faisons ou ne le faisons pas au détriment de la foi de nos Pères, nous sommes redevables devant Dieu ».
20 délégués catholiques - avec quelques absents à cause des engagements du synode des évêques pour l'Afrique ou pour des raisons de santé - ont participé à cette rencontre de Paphos, ainsi que 24 délégués représentants toutes les Eglises orthodoxes, hormis le patriarcat de Bulgarie.
Le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, accueillera la prochaine rencontre qui se déroulera dans la capitale autrichienne du 20 au 27 septembre 2010.
http://www.zenit.org/article-22510?l=french
Écrit par : Selon le cardinal Kasper, | 30/10/2009
Message de Benoît XVI à Bartholomaios Ier
A l’occasion de la fête de saint André (30 novembre 2009) :
> "Le thème de la session plénière [de Chypre] - le rôle de l'évêque de Rome en communion avec l'Eglise du Premier millénaire -, est certainement complexe, mais elle requerra une étude complète et un dialogue patient si nous aspirons à une intégration partagée des traditions de l'Orient et de l'Occident. L'Eglise catholique comprend le ministère pétrinien comme un don du Seigneur à son Eglise. Ce ministère ne doit pas être interprété dans la perspective du pouvoir, mais à l'intérieur d'une ecclésiologie de communion, comme un service de l'unité dans la vérité et la charité. L'évêque de l'Eglise de Rome, qui préside à la charité (saint Ignace d'Antioche), est compris comme le Serviteur des Serviteurs de Dieu (saint Grégoire le Grand)."
Écrit par : Du pape au patriarche / | 02/12/2009
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