03/10/2009
Sur la crise écologique : le dialogue entre écologistes chrétiens et laïques
Non seulement ce dialogue est possible, mais il est naturel. Cf le dernier numéro de La Décroissance :
Intenable serait l'attitude consistant à dire : « la majorité des écologistes sont étrangers ou hostiles à la religion chrétienne, donc les catholiques doivent les tenir pour adversaires » [1]. Les écologistes en 2009 ont simplement l'attitude de l'époque en ce domaine. Et la nouvelle évangélisation consiste à témoigner dans cette époque, globalement étrangère (voire hostile) au christianisme.
En plus, les chrétiens ont à suivre vingt-cinq ans d'enseignements pontificaux [2] ainsi que la directive de Josef Ratzinger : a) « approfondissement du dialogue entre la théologie catholique et les diverses pensées écologiques », b) « au sein de l'Eglise, décisive prise de conscience de la responsabilité envers la Terre, devant le Créateur. » [3]
Ce dialogue avec les écologistes laïques est-il possible ? Oui, et plus facilement qu'avec les libéraux aveuglés par leurs dogmes : toute-puissance de l'homme (riche) et croissance illimitée.
Témoin le numéro d'octobre de La Décroissance... Antiproductiviste et écologiste radical, donc politique (mais pas au sens politicien du bidon Cohn-Bendit), ce mensuel laïque prend des positions qui peuvent recouper celles des catholiques. Rien de surprenant à cela aux yeux des croyants : « défense de la condition humaine » est synonyme de « respect de la Création ».
Dans ce numéro de La Décroissance, par exemple :
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1. une charge à fond (au nom du féminisme) contre le système des mères porteuses et ses avocates, Elisabeth Badinter, Marcela Iacub, Nadine Morano etc. :
« Nos députés envisagent sans sourciller un monde dans lequel il y aurait deux catégories de femmes : celles qui seront suffisamment pauvres pour en être réduites à louer leur corps et à subir neuf mois de grossesse et les affres d'un accouchement, sans avoir la compensation de l'amour pour la vie qui grandit en elles. Et celles qui seront riches et stériles, qui n'acceptent pas cette limite de leur corps et payent, comme elles payaient auparavant des nourrices pour allaiter leur progéniture sans se salir les seins. Dans un appel en faveur de la GPA, il est étrange de retrouver certaines figures comme Noël Mamère des Verts et Yasmine Boudjenah du PCF qui se disent anti-libéraux. A quoi bon porter des t-shirts « Le monde n'est pas une marchandise, moi non plus », si l'on accepte de marchandiser l'utérus des femmes ? […] La cause des riches gagne du terrain ; Nadine Morano a déclaré à la télévision : ''Comment pourrais-je refuser à des femmes la joie de la maternité, moi qui ai eu la chance d'avoir quatre enfants ?'' Bien entendu, la question de l'enfant n'est pas posée. Si votre gosse vous dit un jour : ''maman, combien tu m'as acheté ?'', que lui répondrez-vous ? ''J'ai juste payé un dédommagement, mon chéri... ''- '' Oui mais maman, combien tu m'as acheté ?'' Délicieuse maternité... »
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2. Une autre charge : contre le malthusianisme, devenu aujourd'hui un dogme au Medef. (J'espère que notre blog n'est pas le seul site chrétien à constater cela). L'envoyée spéciale de La Décroissance, elle, l'a constaté, à l'université d'été de l'organisation patronale, lors de la table ronde sur... la décroissance : une décroissance à la sauce Medef qui ne signifie pas changer le modèle économique global (comme le demande le pape), mais réduire la population du monde. Ce qu'avoue froidement le jeune banquier Hugues Rialan, l'un des artisans du greeenwashing des patrons : « L'idée de décroissance, pour moi, passe d'abord par le fait de maîtriser la hausse de la population... Tout en sachant, c'est vrai, qu'une telle politique soulèvera des problèmes culturels, notamment en Afrique... » L'envoyée spéciale raconte :
« Au milieu de quelques journalistes, Hugues Rialan développe les pensées malthusiennes qu'il avait modérées en public. Je sens une nausée m'envahir. ''Si je comprends bien, votre décroissance prospère, c'est juste de la croissance à moins nombreux ?'' - ''Ben oui'', finit-il par lâcher, fatigué. Je m'éloigne, atterrée. Cette question démographique phagocyte le débat et permet surtout de ne pas évoquer ce qui fâche : la politique. Ici, tout reste individuel, ou énergétique, ou mondial. Faire passer des lois aujourd'hui, mettre en accusation des entreprises, tout cela ne fait pas partie du programme de la matinée... »
Commentaire indigné de La Décroissance :
« Pour Hugues, le problème est bien davantage le trop d'humains que le trop d'automobilistes. Il importe finalement peu que ce soit le mode de vie des habitants des pays riches qui soit la cause de la crise écologique actuelle. Comme par ''réalisme'' on ne peut pas remettre en cause l'american way of life, il va falloir s'attaquer à autre chose, et en premier lieu à ceux qui sont un peu trop bronzés. »
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3. Dans le même numéro de La Décroissance, Jacques Testart se paie Claude Allègre, le mammouth abusif (idole « de gauche » des petits messieurs de droite). Après quoi il écrit :
« Hans Jonas pose la question : ''A quoi l'homme doit-il s'habituer ? A quoi a-t-on, le droit de le forcer ou de l'autoriser à s'habituer ?'' Pour s'en inquiéter, il faut bien sûr avoir une certaine idée de l'homme, en refusant de n'y voir qu'une machine qu'on pourrait améliorer sans en nier l'essence même. Dire cela n'est pas céder à l'anthropocentrisme pourvu qu'on ne sépare pas l'homme de sa planète (dès 1979 Jonas parlait de planète patrie), laquelle peut être aussi soignée, aménagée, entretenue, mais pas bouleversée sans prendre des risques inestimables... »
Je re-pose ici la question : avec qui un chrétien croyant peut-il le mieux dialoguer ? Avec les hommes et les femmes qui écrivent dans La Décroissance ? Ou avec M. Rialan et ses clones ?
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[1] Certains les voient même comme des ennemis absolus.
[2] A ce sujet, lire L'Eglise et la question écologique - La crise écologique, une urgence pour la foi, soixante ans de réflexions chrétiennes (publié par Croire aujourd'hui, éd. Arsis, 2009): livre de Dominique Lang, assomptionniste, biologiste et journaliste à La Croix. Ainsi que mon enquête de 2008 : L'Ecologie de la Bible à nos jours (L'Oeuvre).
[3] Lettre à la revue L'Ecologiste, printemps 2005. Cette double directive inspirera ensuite toute la série des déclarations de Benoît XVI sur la question des responsabilités chrétiennes envers l'environnement. Personne ne pourrait (sans imposture) se dire "catholique engagé" en feignant d'ignorer ces déclarations, qui sont des appels à l'engagement.
23:00 Publié dans Ecologie | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : christianisme
Commentaires
TERRAIN DE RAPPROCHEMENT
> J'ai découvert ce mensuel "La Décroissance" grâce à votre blog, et je suis très intéressé. C'est un courant insolite. A la fois rationaliste et éthique, ce qui est très rare voire inexistant ailleurs, sauf dans l'Eglise de Ratzinger ! Terrain de rapprochement ?
Écrit par : Fébus, | 04/10/2009
LE DEBAT DE SAINT-GERVAIS
> Je vous ai entendu sur RCF dans vos interventions au débat de Saint-Gervais. Je suis en union de pensée avec vous et Dominique Lang. Que l'Eglise de France sorte enfin de sa frilosité envers l'écologie chrétienne !! Qu'on cesse d'entendre toujours le même discours nul "contre le catastrophisme", comme si Benoît XVI n'avait pas lui-même annoncé des "dégradations irréversibles" si l'occident ne change pas de modèle économique ! (discours de Lorette). Que notre Eglise ne soit pas l'aumônerie du patronat !!
Écrit par : Ned, | 04/10/2009
OLIGARCHIE
> Bien d'accord avec Ned ici et aussi avec Hervé Kempf qui écrit (Le Monde du 4 octobre) : "C'est le problème de Nicolas Hulot, et donc notre problème : il croit que l'action politique est aujourd'hui inspirée par la recherche du bien commun. Mais il oublie la force des intérêts : l'intérêt individuel et l'intérêt de classe. Ce que Hulot appelle les élites, c'est aujourd'hui une oligarchie. Elle ne veut pas entendre l'évidence de la crise écologique et de la désagrégation sociale, parce que le but principal de l'oligarchie est de maintenir ses intérêts et ses privilèges. Elle ne s'intéresse au bien commun ue pour autant que cela ne remet pas en cause sa position."
Écrit par : goedendag, | 04/10/2009
INTERÊTS DE CLASSE
> Il n'est pire sourd que celui qui ne veut point entendre. La surdité des bourgeois catholiques français aux objurgations écologiques de Jean-Paul II et Benoît XVI ne s'explique que par la mentalité de classe : la classe qui a intérêt à ce que le casino prédateur continue. On dira : "il y a des catholiques au Medef". Peut-être, mais alors, comme dit Kempf, ils "ne s'intéressent au bien commun que pour autant que cela ne remet pas en cause leur position". D'où le succès auprès d'eux des boniments habituels de l'Eglise de France : "protéger l'environnement oui mais pas de catastrophisme", blablabla. A moins que ce discours soit lui-même l'expression des intérêts de classe de la bourgeoisie d'affaires ?
Écrit par : Aianos, | 04/10/2009
> Aianos, vous n'y allez pas un peu fort ? Le communiqué de la CEF sur les suicides ne traduit pas particulièrement une solidarité avec les patrons de France télécom, ni avec le nouveau management en général.
Écrit par : Ergo, | 04/10/2009
> PP a écrit : "Personne ne pourrait sans imposture se dire 'catholique engagé' en feignant d'ignorer ces déclarations, qui sont des appels à l'engagement." Si PP fait l'âne pour avoir du son (bio), j'apporte mon seau : des imposteurs il y en a, de gauche comme de droite, www.vivehanskung.com et www.ladroitededieu.fr, et ils disent la même chose sur ce sujet : ils font semblant de croire (en disant ""quelle horreur" ou "bravo") que Benoît XVI ne s'intéresse qu'à la morale des bonnes familles et à la messe en latin, et que l'écologie et le social lui sont inconnus. Les extrêmes des deux bords travaillent à la même désinformation. Curieux.
Écrit par : Amicie T., | 04/10/2009
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