14/07/2009
"Evêques basques contre Vatican" ? Un cas-type de désinformation par la presse parisienne
La mémoire des prêtres basques (fusillés par Franco) récupérée au profit des « lois sociétales de Zapatero » :
C'est dans Le Monde du 14 juillet. Titre : « Des évêques basques défient leur hiérarchie en honorant la mémoire de prêtres tués par des soldats de Franco ». Les évêques du Pays basque ont en effet célébré une messe le 11 juillet à Bilbao à la mémoire des quatorze prêtres basques exécutés en 1936-1937 par les troupes franquistes. Interprétation par Le Monde : cette messe est un défi au Vatican. Pourquoi ? Parce que le Vatican n'a béatifié que des prêtres et de religieux tués par les milices républicaines pendant la guerre civile.
Cette façon de présenter les choses est une désinformation pure et simple. En effet :
- l'Eglise catholique a béatifié des prêtres et religieux espagnols tués « en haine de la foi », selon la définition multi-séculaire du martyre. Ces victimes avaient été exécutées en tant que prêtres ou religieux, non en raison d'opinions politiques. Le Monde déforme la réalité en affirmant que « tous appartenaient au camp des ''nationaux'' » : il suffit de relire les ouvrages de Bartolomé Benassar, ou les travaux des jeunes historiens (de gauche) madrilènes, pour savoir que la guerre contre le clergé en tant que clergé était une méthode des milices socialistes espagnoles depuis 1931, bien avant la guerre civile, dans le cadre d'une « politique du pire » voulue délibérément.
- Les quatorze prêtres du Guipuzcoa, quant à eux, avaient pris les armes : pour le Pays basque, face aux troupes du pronunciamiento. (Se souvenir de l'admirable rôle de Laurent Terzieff en prêtre combattant dans le film Fiesta, photo ci-dessus). Fusillés comme guérilleros – dans l'atrocité d'une guerre civile où l'on ne faisait pas de prisonniers [*] – , ces prêtres furent des héros mais non des martyrs au sens théologique. D'où le fait qu'ils n'aient pas été béatifiés avec les autres.
- Le Vatican avait donné son aval à la cérémonie de Bilbao. Mieux : il a choisi l'évêque de Bilbao, Mgr Ricardo Blazquez, pour diriger l'enquête canonique sur les Légionnaires du Christ ; signe de confiance indiscutable. Faut-il en déduire que Mgr Blazquez pourrait succéder au président de l'épiscopat espagnol, Mgr Rouco Varela, qui aura 75 ans en 2011 ? L'hypothèse circule.
- De là à suggérer (comme Le Monde) qu'il s'agirait en fin de compte de préparer un virage épiscopal en faveur des « réformes sociétales de José Luis Rodriguez Zapatero », il y a un abîme qu'on ne saurait franchir sans ridicule, sachant les positions de l'Eglise universelle en la matière.
- Voilà finalement le pire pour la mémoire des quatorze prêtres : être utilisée par la presse parisienne au profit des lois Zapatero sur le mariage homosexuel. Il y a de quoi s'indigner aujourd'hui si l'on est basque. Goazen gudari danok !
___________
[*] Les pelotons d'exécution ont massacré à égalité dans les deux camps pendant la guerre civile (tous les historiens le constatent). Mais Franco a continué à fusiller longtemps après 1939. Cet acharnement à tuer reste sa marque ineffaçable, et explique rétrospectivement ce qui se passe aujourd'hui en Espagne à propos de la mémoire des victimes.
10:50 Publié dans Planète chrétienne | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : christianisme
Commentaires
LA GAUCHE PRIVATISEE
> Indigne en effet mais correspondant à ce qu'est devenue notre pauvre gauche en Europe : plus aucune idée, aucune conscience historique, mais en revanche tout pour la Gay Pride. Ne voyez pas d'homophobie dans ce que dis là (ces questions me laissent froid), seulement la consternation d'un homme de gauche qui voit son camp vidé de toute pensée politique et économique, au profit de questions de moeurs. La gauche a été privatisée !
Écrit par : Cénété | 14/07/2009
A QUAND
> La gauche a commencé son agonie en prenant François Miterrand comme chef. C'est lui qui a tué la réflexion politique à gauche et imposé un virage libéral maquillé de social-libertarisme dans les années 80-90. A quand un nouveau Jaurès, un nouveau Blum, un nouveau Mendes France?
Écrit par : vf | 14/07/2009
JAURÈS
> C'est Jaurès, je crois, qui admirait la doctrine sociale de l'Eglise. Je me demande d'ailleurs ce qu'en pensent les catholiques-libéraux affiliés à l'Institut Acton.
Écrit par : Blaise | 14/07/2009
JAURÈS ET LE CATHOLICISME
> J'avais lu que Jaurès était catholique. Quelqu'un pourrait-il confirmer, ou infirmer?
Mahaut
[ De PP à M. - Jaurès était né dans le pays de Castres, d'une famille rurale non seulement catholique mais "chambordiste" (royaliste légitimiste). Sa femme était catholique. Il assista à la première communion de sa fille... Ses sentiments personnels étaient agnostiques, ses discours anticléricaux, et il avait "soustrait ses enfants à l'enseignement congréganiste afin qu'ils ne risquent pas d'être déformés par une pression systématique et continue dans le sens du dogme", mais il disait : "Ma mère et ma femme sont des chrétiennes pratiquantes, je n'ai pas le droit de gêner leur liberté ou de contraindre leur sentiments." (Citations de Jaurès tirées de sa polémique avec Rochefort, article du 14 juin 1898). ]
Cette réponse s'adresse au commentaire
Écrit par : Mahaut | 14/07/2009
@ PP
> Merci de votre réponse.
Écrit par : Mahaut | 14/07/2009
MANIE
> D'autant plus qu'en Espagne, même la presse la plus anticléricale ("El Pais" notamment) n'a pas osé de tels raccourcis. Voilà une manie bien franco-française.
Écrit par : Regis | 14/07/2009
BENASSAR
> Vous faites bien de citer les ouvrages de Bartolomé Benassar, qui sont d'une remarquable probité, pour ce que j'en connais.
Écrit par : Michel de Guibert | 14/07/2009
> C'est très intéressant.
Écrit par : Le dressing | 15/07/2009
D'UN EVANGELIQUE
> Merci pour votre article, qui a une utilité publique. Mais l'article du Monde, relève-t-il vraiment de la désinformation (donc voulue) ? N'est-ce pas le reflet d'une certaine inculture et, en l'occurrence, d'un manque de rigueur effectivement inadmissible ? Un journaliste vérifie ces infos, ou alors il ne fait plus son métier. Je pense que nous devrions tous envoyer nos réactions - et nos propositions de corrections - au "grand quotidien du soir".
Henrik Lindell
Écrit par : Henrik | 15/07/2009
D'ACCORD
Complètement d'accord avec le fond de l'article - et si un journaliste ne connait pas son sujet, qu'il s'abstienne de le traiter. Cela me rappelle un discours de Pie XI qui décéda juste avant de le prononcer :
"Vous savez, très chers et vénérables frères, comment on traite souvent la parole du Pape. On s’occupe, et pas seulement en Italie, de nos allocutions, de nos audiences, le plus souvent pour en altérer fallacieusement le sens; et on va jusqu’à inventer des propos de toute pièce pour nous faire dire de véritables et incroyables sottises et absurdités. Il y a une presse qui peut tout dire contre nous et contre nos affaires; sans hésiter à rappeler et interpréter en un sens fallacieux et pervers l’histoire proche et lointaine de l’Église, en niant même avec ténacité toute persécution en Allemagne, négation accompagnée de fausses et de calomnieuses accusations politiques, comme la persécution de Néron s’accompagnait de l’accusation de l’incendie de Rome; elle en arrive à de véritables irrévérences; et on laisse dire, tandis que notre presse ne peut pas même contredire ou corriger. "
Discours de Pie XI aux évêques italiens pour le dixième anniversaire de la signature des Accords du Latran.
Plus ça change, plus c'est la même chose.
Écrit par : marius | 15/07/2009
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