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11/07/2009

Echo à l'encyclique : le prophète Amos (un des textes de ce dimanche)

Un culte religieux sans justice sociale est une insulte à Dieu :


 

Amos 1, 12-15 : « Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : ''Va-t-en d'ici avec tes visions… Ici, à Béthel, arrête de prophétiser ; car c'est un sanctuaire royal, un temple du royaume.'' » Qu'est-ce que le « prêtre de Béthel » reproche au prophète ? La violence radicale de ses attaques. Qu'attaque Amos ? La mentalité des gens du royaume d'Israël, qui déforment la religion pour l'adapter à l'intérêt de leur jouissance matérielle. La violence d'Amos (4, 1-3), par exemple, pour annoncer aux femmes des riches les conséquences de leur rapacité : « Ecoutez cette parole, vaches du Bashân qui êtes sur la montagne de Samarie, qui exploitez les faibles, qui maltraitez les pauvres, qui dites à vos maris : ''Apporte et buvons !''. Le Seigneur l'a juré par sa sainteté : voici que des jours viennent sur vous, où l'on vous enlèvera avec des crocs, et jusqu'aux dernières, avec des harpons de pêche ; vous sortirez par des brèches, chacune droit devant soi, et vous serez repoussées vers l'Hermon, oracle de Yahvé. »

Exploiter les pauvres enlève le droit de se prétendre religieux et invalide les cérémonies ritualistes, dit le Seigneur par la bouche d'Amos (5, 21-23) : «Je déteste, je méprise  vos pèlerinages, je ne puis sentir vos rassemblements quand vous faites monter vers moi des holocaustes ; et dans vos offrandes, rien qui me plaise ; votre sacrifice de bêtes grasses, j'en détourne les yeux ; éloigne de moi le bruit de tes cantiques, le jeu de tes harpes, je ne veux pas l'entendre. » Ces mots ne condamnent pas le principe des liturgies, mais l'hypocrisie de ceux qui les célèbrent alors qu'ils oppriment les pauvres. Dieu est le maître universel, et cette souveraineté exige des fidèles la pratique de la justice, notamment sociale. S'y dérober est trahir Dieu. Au profit de quoi ? De soi-même, ce qui est la définition des paganismes.

Béthel est en effet un « sanctuaire royal » (sous Jéroboam II, 783-743 av. JC : il y a encore des autels locaux, c'est bien avant le temple unique de Jérusalem – qui d'ailleurs sera paganisé lui aussi à certains moments). Le sédentaire est un piège pour le peuple de Dieu, explique Louis Bouyer [1] qui fut l'un des maîtres de Jean-Marie Lustiger : « L'installation, l'établissement, l'enracinement, l'embourgeoisement sera toujours pour les prophètes un synonyme menaçant de l'infidélité, du reniement des origines sacrées, de l'abandon de Dieu… Isaïe, avant Jérémie, voyait dans le désir jamais repu d'entasser des richesses, et plus particulièrement d'accroître ses propriétés terriennes, d'agrandir ses édifices bâtis comme pour l'éternité, à la fois la racine de l'injustice et la racine de l'idolâtrie [2]. Par là les grands écrasent les petits, les pauvres, les sans-foyer, lesquels demeurent les favoris de Yahvé. Par là aussi se renouent insidieusement les pactes avec les baalim [3] locaux, seigneurs de la terre de Canaan, au détriment de la seule alliance avec Yahvé. Bien avant eux, Samuel avait considéré d'abord l'institution de la royauté désirée par Israël, c'est-à-dire la clef de voûte de l'édifice qui le fixerait, comme un pur et simple reniement [4] de Yahvé... »

Louis Bouyer explique l'incompatibilité entre la religion du Seigneur universel et les cultes des « racines » :

«  Dieu n'habite pas une maison faite de main d'homme (Actes 7, 48). Autrement dit, les cieux ne peuvent le contenir, la terre n'est que son marchepied. Il consent toutefois à descendre sur la terre, à se faire le compagnon de son peuple, errant ici-bas à la recherche de la cité à venir. Que l'homme n'ait pas pour autant la prétention exorbitante de se saisir de lui à cette occasion, de le capter pour l'enfermer dans son système politique, pour en faire un rouage obéissant dans la machine de domination du monde dont l'homme lui-même resterait le seul maître. C'est bien cela, en effet, qu'implique, pour les religions cananéennes, la demeure du baal dans son temple. Gardé à vue comme un otage de marque, et d'ailleurs régulièrement engraissé par les sacrifices, on l'y tient à sa disposition, comme un tout-puissant mais docile appareil à féconder la terre et à épouvanter les concurrents. Yahvé, par contre... pourra séjourner sous la tente (remarquons le mot : il sera repris par saint Jean pour exprimer l'Incarnation [5]), comme le divin étranger qui veut bien se faire l'hôte de l'homme, mais sans que l'homme puisse jamais l'attacher à la terre, l'enclore dans la prison d'un temple de pierre... C'est dans ce maximum de révélation que Dieu apparaîtra mieux que jamais comme ''le Dieu caché''. Il semble qu'Il vienne si près de l'homme seulement pour lui faire comprendre, ainsi qu'on le dira un jour, que ''Dieu demeure dans une lumière inaccessible''. »

Ainsi Israël sera conduit par Dieu du nationalisme religieux au dépassement dans l'universel, à travers le Christ. Ainsi aussi (inséparablement) le culte en vérité inclura la justice sociale, due par l'homme à l'homme. Et cela dès les premiers prophètes, dit Bouyer : « L'importance décisive du message d'Amos demeure dans la conjonction, désormais permanente, qu'il a établie entre le culte de Dieu et la pratique de la justice entre les hommes... C'est aux premiers pressentiments religieux et moraux d'Israël que l'idée remonte de chercher en Yahvé le vengeur de la justice méconnue ou méprisée. Mais Amos fait le pas décisif d'identifier le culte de Yahvé à la pratique de la justice... Le Christ, dans la parabole du jugement dernier, ne fera que reprendre son enseignement sans y rien ajouter, sauf une inoubliable image : Dieu jugera de nos relations avec Lui selon ce qu'auront été nos relations avec nos frères. Aucun espoir d'être agréé par lui autrement qu'en étant juste dans la société des hommes ».

Juste universellement, sans réticences, sans chicane et sans faux-fuyants (qui seraient un blasphème) : c'est l'esprit de l'encyclique de Benoît XVI.


 

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[1]  Louis Bouyer, La Bible et l'Evangile, rééd. Cerf 2009.

[2]   Isaïe 5, 8-21 ; 22, 15-19, etc.

[3]   Les baalim : divinités cananéennes de la fécondité. Le culte païen est un contrat d'échanges : la prospérité contre le culte. (Sacrifices d'animaux ou d'humains).

[4]   Samuel 8.

[5]   "Le Verbe s'est fait chair, et il a dressé sa tente parmi nous" (eskènôsen en hèmin)...

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Commentaires

LOUIS BOUYER

> Merci de signaler ce livre de Louis Bouyer : extraordinaire penseur catholique converti du protestantisme, qui revisita la Tradition dans un esprit dynamique et non conformiste !

Écrit par : Cumlibro | 11/07/2009

GRAND TOURNANT

> Les passages de Bouyer cités ici nous vaccinent contre le ritualisme. Souvent dans l'histoire de France on a vu des politiciens athées venir faire des gesticulations dans les cathédrales lors des grands dangers nationaux (exemple juin 1940), et on a vu ce qui est arrivé après, n'est-ce pas Pierre Laval ? Le grand tournant de la fin du XXe siècle de la part de l'Eglise catholique a été de commencer à se voir comme une minorité de témoignage et non plus comme une institution nationale. La nouvelle évangélisation devient alors possible.

Écrit par : Armelle | 11/07/2009

TYBURN

> Petit clin d'œil en passant : on fête aujourd'hui le prêtre d'un royaume voisin qui n'était pas en reste, en matière de querelles terrestres. Question : serait-il apparenté à... à ?... mais voyez plutôt :
http://www.levangileauquotidien.org/main.php?language=FR&module=saintfeast&localdate=20090712&id=13543&fd=0

Écrit par : Michel de Tiarelov | 12/07/2009

TYBURN (bis)

> Ouais, sympathiques et tolérants les Anglais. C'est vrai qu'ils ont promulgué l'habeas corpus juste après. Je crois qu'il était apparenté à notre cher hôte qui en avait parlé il y a un certain temps. Quand je pense que certains chrétiens souhaitent voir revenir la peine de mort...

Écrit par : vf | 12/07/2009

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