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20/07/2009

Piercings, tattoos : pourquoi ?

BLD066598[1].jpgLe nombre des piercings et des tatouages est frappant cet été, plus que les années passées. Surtout celui des femmes tatouées. Que veut dire cette façon de mettre en scène son propre corps ?


 


Attesté partout dans les anciennes sociétés claniques, par exemple en Polynésie [1], le tatouage correspondait à des traditions : il symbolisait des rôles sociaux, des mérites personnels, des armes, des sacrifices humains, des animaux divinisés. Il était opéré par des prêtres, au cours de cérémonies. Imité en Occident par des matelots puis des truands  aux XIXe-XXe siècles, le tatouage eut aussi ses codes visuels de « milieu ».

Mais rien de tout cela dans le tatouage en France aujourd'hui. Son iconographie en 2009 se limite au morbide de bazar (esthétique vidéo-gothique), au zéro-sens (papillons, petites étoiles) ou à l'érotomanie. Le comble : les tatouages « tribaux », proposés par les catalogues à des petits-bourgeois français n'appartenant à aucune tribu.

En l'absence de tradition, et vue la laideur du tatouage sur une femme, comment expliquer  sa multiplication ? « Le tatouage chez la femme au XXIe siècle symbolise la liberté d'expression », dit un journal québécois [2] ; autant dire qu'il ne symbolise rien, une liberté n'étant pas un contenu. En fait, la ménagère imite les sempiternels people, les Eva Longoria, Britney Spears et autres  Angelina Jolie,  tatouées  mais  surtout  Américaines  (on ne dit  plus tatouage mais tattoo). « Manière de s'affirmer », disent les sites commerciaux. L'un d'eux [3] ajoute : « Aujourd'hui tout le monde se fait tatouer, c'est un signe de distinction. »

Se « distinguer » en ressemblant à « tout le monde », c'est-à-dire aux modèles obligatoires ? C'est un réflexe paradoxal. Mais c'est la clé de fonctionnement de la société de consommation.-

 

Piercing « industriel »

 

Plus significatif : le piercing. Le terme anglais est body piercing, « perçage du corps ». Première observation : comme dans le cas du tatouage, le piercing en Occident aujourd'hui n'a pas le sens qu'il avait dans les sociétés anciennes : le labret qui remontait au néolithique, les perforations du nez chez les pharaons, les oreilles percées des esclaves dans la Bible (Exode 21,5), les langues perforées des Mayas et des Aztèques, le bijou dans le nez des castes supérieures indiennes, etc. Voire l'anneau dans l'oreille des matelots de la marine en bois, ou de certains artisans d'autrefois... Rien à voir avec ce qui se passe maintenant en Occident : apparu en 1975 aux USA dans la « culture gay » version sadomasochiste, expliquent les sociologues, le piercing est aujourd'hui répandu partout.

Que veut le percé ? « Se distinguer », affirme la pub. Mais on peut lui faire la même objection qu'au tatouage : on ne se distingue pas en imitant.

Quant aux sociologues, ils pensent que le piercing pourrait être devenu chez les adolescents un « rite de passage à l'âge adulte » : il faudrait donc considérer comme « adulte » (inséré dans la société) ce que véhicule le piercing.

Alors, que véhicule-t-il ?

Un certain type de piercing se compose de deux perçages à l'oreille reliés par une tige de 30 millimètres. Dans le vocabulaire consacré, ce piercing est appelé « l'industriel ». D'ailleurs le matériau de tout piercing évoque l'industrie : acier inoxydable, titane, niobium, teflon, bioplast, plexiglas, acrylique.

Incorporer des matériaux industriels à l'épiderme, c'est forcer son propre corps à « ressembler » à un artefact. Pourquoi ?-

 

L'homme trahit sa propre cause

 

Dans son livre L'obsolescence de l'homme [4], Günther Anders, qui fut l'époux de Hannah Arendt, affirme que l'homme moderne fait un complexe d'infériorité devant la perfection des objets techniques. Il a « honte […] de devoir sa propre existence au hasard, à ce processus aveugle, non calculé et ancestral, de la procréation et de la naissance, plutôt qu'à la maîtrise. Ce déshonneur tiendrait déjà au fait qu'il s'agit d'une naissance et non d'une production planifiée et rationnelle... », d'où aujourd'hui les fantasmes de l'utérus machinique, des humains génétiquement modifiés, et la pratique « bien réelle et déjà programmée du tri des embryons », explique l'anticapitaliste radical Paul Ariès [5] : « Ce que l'homme moderne considère comme un déshonneur, ce n'est plus d'être "chosifié", mais de ne pas l'être.... L'homme moderne non seulement accepte sa propre réification (métro-boulot-MacDo-dodo), mais finit par passer dans le camp des instruments, bref, par trahir sa cause : il accepte la supériorité de la technoscience et des objets, il accepte d'être mis au pas... L'homme va déserter son camp en adoptant le point de vue et les critères des objets... Cette honte prométhéenne serait donc ce qui pousse tant d'humains à pratiquer des sports extrêmes, ou à se livrer à des conditions extrêmes de survie, ou à pratiquer des jeux dangereux, ou encore à ces nouvelles formes d'alcoolisation des jeunes qui seraient autant de formes d'ordalie. »

Voilà comment nous en sommes au fantasme des cyborgs, de l'homme pharmaceutique, et du corps mis en scène comme un artefact : piercings et tattoos  qu'il ne faut pas dramatiser pour eux-mêmes, mais qui sont le signe de quelque chose de grave. Il s'agit de « donner au corps la beauté des choses fabriquées ». Il ne s'agit plus d'esthétiser la vie humaine, comme dans les sociétés primitives, mais de la déshumaniser par complexe d'infériorité devant la Machine. C'est le stade léthal de la société technoïde. Pour changer de société, il faut une révolution. Toute autre voie serait une esquive.

 

 

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[1] « Tatouer » vient du polynésien tatau : «faire des marques ».  (« Prêtre tatoueur » : tahu'a tatau).

[2] La journaliste québécoise ajoute : « La femme tatouée n'a plus de visage ni de classe sociale. Elle est libre et affranchie. D'ailleurs il n'est pas rare de voir des femmes récemment divorcées se présenter à sa boutique et réclamer leur petit côté «wild». Elles perçoivent le tatouage comme une transition, un passage à une autre étape de leur vie. « ll ne faut jamais sous-estimer l'effet thérapeutique de la coquetterie», commente Jean Gauthier, représentant du service à la clientèle du salon Excentrik à Montréal. Il note que les dessins sont rarement engagés, variant entre la fleur et le papillon.»

[3] Dans un magazine féminin.

[4] L'obsolescence de l'homme : sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle, éd. Encyclopédie des nuisances – Ivrea, 2002.

[5] Les cahiers de l'IEESD, numéro 3, juillet 2009. Plus radicale est la critique (la vraie) de la société capitaliste, plus elle recoupe l'anthropologie catholique (la vraie).


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00:23 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : modes

Commentaires

SIGNES

> Ceci est l'un des multiples signes décadence de notre société. Si certains "notables " et "responsables "de notre société avaient tenu bon, nous n'en serions pas là. les générations de personnes ayant plus de soixante ans et l'expérience de certaines époques - et en plus l'aisance financière - ces personnes-là auraient pu s'y opposer. certaines se sont amusées de la nouveauté.

Écrit par : Bernard | 20/07/2009

POSTHUMAINS

> Le livre " demain ,les posthumains" de Jean-Michel Besnier rejoint parfaitement votre analyse.
Je viens d'achever la lecture de votre livre sur les évangéliques. Bravo, c'est décapant et loin des stéréotypes.
Cordialement.
Anne.

Écrit par : anne | 20/07/2009

PUB

> La pub a ceci de fascinant, c'est qu'elle arrive à faire croire aux gens qu'elle ne s'adresse qu'à eux, qu'ils sont les uniques destinataires du message et donc qu'ils se distingueront vraiment des autres, qu'ils existent dans ce monde sans aucun sens. En même temps, les individus de notre société sont tellement perdus, sans identité ni caractère propre qu'ils cherchent des groupes où trouver une identité, une fraternité qu'ils n'ont plus. Du coup, cela ne les choque pas que ce qu'il croyait faire pour se singulariser, être unique et donc quelqu'un, soit pratiqué par nombre d'autre. Le système matérialiste-mercantile est finalement autant générateur de schizophrénie que le totalitarisme marxiste. Mais finalement, avons-nous affaire à des être humains schizophrènes ou à des adulescents maintenus dans une immaturité perpétuelle?

Écrit par : vf | 20/07/2009

ÂGE DE REVOLTE ?

> N'êtes-vous pas là un peu sévère face à un phénomène de société assez marginal et qui la manifestation d'après moi, d'une volonté de transgression, d'émancipation à un âge de révolte (l'adolescence) ?
Ces codes comme vous l'expliquez bien ne sont-ils pas importants à un âge où l'on cherche à s'affirmer comme différent de ses parents, sa famille pour mieux intégrer des semblables (la fameuse tribu des ados, où tous se ressemblent) ?
Dans d'autres milieux, ce sera des transgressions d'ordre 'scoutes-militaires-extrèmes' ou 'défonce chic-trash en soirée paris 16ème'
cf. l'impressionnant article de Clara Chaal la jeune bourgeoise à la vie dorée qui a frisé dans le porno avant d'avoir une révélation mystique... que vous relatiez dans un précédent message.
Clémence


[ De PP à C. - Oui si l'on parle d'adolescents ! Mais le sujet de ces enquêtes sociologiques porte sur des adultes, âgés de trente à soixante ans ! C'est là qu'on mesure la profondeur du problème. A l'heure où je vous parle, je viens de voir passer une sexagénaire tatouée de papillons bleuâtres sur l'avant-bras... ]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Clémence | 20/07/2009

ADOLESCENTE

> Mais nous sommes dans une société adolescente, qui a fait de la transgression son conformisme tout en adulant le consumérisme sur lequel est fondé notre société !

Écrit par : Michel de Guibert | 20/07/2009

PRIEZ POUR MOI !

> J'en arrive à me demander si les hommes ne font pas leur le mépris des démons pour tout ce qui est "organique".
A vue d'ange, l'incarnation, c'est peut-être la pornographie absolue : le Logos, l'Ineffable, qui s'incarne dans un machin qui braille, qui mange, qui p... et ch....Ce qu'ils ont du éprouver, c'est certainement, puissance mille, ce que nous ressentirions en assistant à une scène a priori inimaginable, mettant à bas tous nos repères.
J'en arrive presque à comprendre (le Seigneur me pardonne ! Je suis violemment tenté là-dessus)la chute des anges rebelles. Et je me demande parfois comment la plupart des anges ont fait pour continuer à obéir dans de telles conditions...Certainement une profonde humilité.
Comme quoi, les satanistes ne se trouvent pas seulement chez les "métalleux". Il y en a même parmi les lecteurs de ce blog. Mes frères, priez pour moi !

Écrit par : Feld | 20/07/2009

"JE VIS EN POLYNESIE"

> Félicitations Patrice pour cet article,
je vis en Polynésie et effectivement le tatouage à un sens. Les gens réfléchissent avant de se faire tatouer. Des personnes sont tatouées sur tout le corps,c'est impressionnant mais c'est lié à toute une tradition qui renaît.
Cher Patrice (tout le monde se tutoie avec respect en Polynésie), je me permets de t'apporter un autre éclairage.Hélène Merlin-Kajman dans "La langue est-elle fasciste" expose une thèse intéressante. Elle montre à travers une partie de son ouvrage comment la modernité cherche à détruire le langage. La modernité considère qu'envisager le langage du point de vue de ses contenus rationnels est une aliénation idéologique. Elle cherche à détruire "la confiance dans cette rationalité inhérente au langage". En clair, la modernité incite à se méfier de la langue. Il ne faut pas faire confiance au langage humain. C'est une attaque en règle contre la rationalité.
En conséquence le régime traditionnel de la langue occidentale est progressivement remplacé par une communication greffée sur la force animale des corps (tatouages, piercings, stimuli variés issus du langage informatique...).
C'est une analyse qui me paraît intéressante. Qu'en penses-tu?
Dans un tout autre ordre d'idée, les polynésiens forment un peuple très attachant. Ils sont très spirituels et vivent concrètement leur foi. Lors de rassemblements amicaux ils peuvent chanter et danser leur foi toute la journée. Leur accueil est vrai, leur partage généreux...le paradis en somme mais pas comme on l'entend selon le monde.
Je rencontre vraiment le Christ en Polynésie et ma foi en est renouvelée... N'hésite pas à venir si tu le peux. Les communautés sont vivantes, les chants et les danses magnifiques.
Nana (au revoir)

Écrit par : grégoire | 20/07/2009

LIENS

> Bonjour Patrice
j'ai ajouté ton blog à ma liste de liens.
Bien cordialement
Grégoire

[De PP à G. - Et toutes mes amitiés ! ]

Écrit par : grégoire | 21/07/2009

CODE BARRES

> A quand le tatouage en forme de code à barres ?

Écrit par : Pascal | 21/07/2009

Humm... Tout celà me semble bien prétentieux de votre part et relève presque du jugement de valeurs. Ma femme - je suis catholique pratiquant et marié depuis 21 ans - s'est fait tatoué un personnage de bande dessiné sur le bas du dos, après discussion avec moi et par pur défi personnel. Pas pour s'affirmer socialement (son tatouage n'est pas visible) ni pour "faire comme les autres" (ce serait mal la connaître). Votre article est intéressant comme piste de réflexion donc, mais reste bien trop superficiel. Vous ne pouvez prétendre, en quelques lignes, faire un traité de sociologie du "Singe signé".
Jean-Paul Viaud

[De PP à JPV - Mille pardons si ma modeste note n'était pas exhaustive ! Elle ne prétendait pas l'être, ni a fortiori connaître d'avance tous les cas particuliers et toutes les exceptions. Tout juste voulait-elle soulever un problème... Je ne suis pas sociologue, simplement journaliste. Vous m'en voyez confus.]

Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : Jean-Paul Viaud | 21/07/2009

TECHNOÏDE

> C'est aussi une manière d'abîmer un peu plus, voire définitivement l'être humain créé à l'image de Dieu. Après la destruction de la création, la société libérale technoïde s'attaque à l'homme. Cette société a vraiment une démarche aussi satanique que certains groupes gothiques.

Écrit par : vf | 22/07/2009

TATOUAGE CATHO

> On pourrait lancer le tatouage catho pour voir si cette tranche d'âge y serait intéressée (exemple: des passages de la Parole de Dieu sur le bras). Pourquoi pas! Cela pourrait servir pour l'évangélisation de ceux qui les portent et de ceux qui les remarquent.

Écrit par : Arnaud Le Bour | 22/07/2009

ME FAIRE TATOUER

> Quitte à me faire tatouer, ce serait la médaille miraculeuse. Au moins, je ne la perdrais plus.

Écrit par : vf | 25/07/2009

@ vf

> Les coptes portent au poignet une croix "tatouée" dans leur chair.

Écrit par : Michel de Guibert | 30/07/2009

A Michel de Guibert:

> Lors d'un reportage dans famille chrétienne, je crois, j'ai vu la photo d'un algérien récemment converti et qui s'était fait tatouer la crois sur la poitrine car la police lui arrachait systématiquement celle qu'il portait au cou.

Écrit par : vf | 30/07/2009

@ vf

> Cet algérien courageux avait pris au pied de la lettre Galates 3, 27 en "revêtant ainsi le Christ" !

Écrit par : Michel de Guibert | 03/08/2009

TATOUAGE ET FLICAGE

> Je suis surprise par cette propension à se cataloguer tout en refusant paradoxalement la logique policière actuelle (fichage, empreinte ADN, caméras, Hadopi, etc.) dans laquelle le tatouage s'inscrit pourtant comme l'un des premiers moyens d'identification dans l'histoire.

Écrit par : Annie | 05/08/2009

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