27/06/2009
Comment Wall Street roule l'administration Obama
...après avoir exploité l'administration Bush :
Une note de Paul Jorion :
<< Jacques Sapir a eu l’amabilité de me demander de parler de la situation aux États–Unis lors du Séminaire Franco-Russe sur les problèmes monétaires et financiers du Développement Économique de la Russie qui débute [le 23 juin] et se poursuivra trois jours à la Maison des Sciences de l’Homme à Paris.
En vue de ma présentation, je relis mes notes des derniers mois et l’impression qui se dégage, ce n’est pas tant cette « privatisation des profits, collectivisation des pertes » auquel le processus peut effectivement se résumer, que la facilité avec laquelle le milieu des affaires américain roule dans la farine les instances gouvernementales du pays. Je ne pense pas tant à l’achat pur et simple des voix des parlementaires par des dons (d’ailleurs parfaitement légaux) en vue de leur faire voter des mesures favorables au business (l’épisode très éclairant de la révision de la « cote-au-marché », mark-to-market) que les montages financiers associés aux plans de sauvetage TARP (Troubled Asset Relief Program), TALF (Term Asset-Backed-Securities Loan Facility) ou PIPP (Public Private Investment Program).
Il ne s’agit pas ici en réalité de malveillance mais d’incompétence. On retrouve un problème déjà rencontré à propos des notateurs : les banques, hedge funds, private equity disposent des moyens de recruter des ingénieurs financiers d’un tout autre calibre que ceux dont les notateurs parviennent à s’assurer les services, en raison de salaires d’un autre ordre de grandeur. Problème qui handicape encore bien davantage l’administration. Résultat, ces montages que l’on observe, qui permettent aux banques de racheter leur propre dette à des prix subventionnés, de racheter les warrants qu’elles avaient dû concéder au gouvernement au quart de leur prix marchand, et ainsi de suite. Quand on dit que le concept de « nationalisation » est tabou aux États–Unis, on se dit malheureusement parfois, au vu de cas comme ceux-ci, que cela vaut peut-être mieux ainsi.
Bien sûr toutes ces entourloupes ne seraient pas connues sans les blogueurs et leurs commentateurs qui dissèquent ces montages mais aussi sans la presse américaine elle-même qui affiche sur ces questions une grande liberté de ton. Je rappelle que c’est le Wall Street Journal qui a donné la liste mentionnant quel lobby avait acheté la voix de quel parlementaire lors du processus de révision de la norme comptable FASB 157, c’est aussi lui qui révélait il y a quelques jours avec moult détails croustillants (chambres d’hôtel à 4.515 dollars la nuit) comment, alors que les dirigeants des banques américains acceptaient, la queue entre les jambes, les dizaines de milliards de dollars dégagés par les autorités pour les tirer d’affaire, les jets privés de leur compagnie sillonnaient le ciel pour déposer les membres de leur famille dans quelque station balnéaire ou de ski très sélect.
On trouve donc malheureusement plus rarement aux États-Unis qu’en Europe les fonctionnaires capables de gérer avec talent une compagnie privée mais les « Américains étant – c’est bien connu – de grands enfants », ils prennent plus au sérieux que leurs collègues européens, l’injonction de ne pas mentir, pas même – comme la presse européenne nous y a si bien habitués – par omission. >>
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
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Commentaires
BUSH-OBAMA
> De Bush à Obama, l'essentiel reste invariant : la dépendance du "politique" US (mais a-t-il jamais existé) par rapport à Wall Street. Ceux qui regrettent Bush en France (ils seraient une dizaine de milliers paraît-il) ne comprennent pas le rôle dominant de l'économique-financier dans notre monde. A vrai dire, ils ne comprennent pas grand-chose.
Écrit par : Francis Mesnard, | 27/06/2009
LAISSER FAIRE, VRAIMENT ?
> La morale bien comprise consiste à mettre en faillite ces mammouths, les SocDem qui veulent la chèvre et le choux, sauver ces manchots sans leur couper les jambes en intervenant sur leur gestion interne seront toujours les dindons de la farce, ou plutôt, feront toujours du contribuable le dindon de la farce.
Les mêmes autorités publiques escroquent les électeurs en renflouant les établissements financiers au dépend des des épargnants qui se voient prélever un impôt d'inflation sur leur compte, ou en proposant des emprunts obligataires dont ils savent qu'ils seront remboursés en monnaie de singe.
Si les politiques voulaient moins dépendre des banques, qu'ils cessent de faire une gestion à caisse tendue comme en Californie ou en France.
ALSF
[ De PP à ALSF - Ce que vous dites est exact, mais il manque la moitié principale du phénomène : la cause intrinsèque de la crise financière ne vient pas du tout de l'attitude de l'Etat, elle vient de la folie financière (la finance casino), elle-même étant le résultat du "laissez-faire". Ce que disent nettement des professeurs d'économie - ceux qui ne sont pas des libéraux dogmatiques. P. ex. Gérard Lafay, qui prône un "dépassement du capitalisme" pour renouer avec l'économie réelle. Ou Paul Dembinsky, qui explique comment le système actuel a atteint de lui-même son "point de rupture". C'est à lire dans le numéro d'été de 'Liberté politique', ainsi que le point de vue (un peu moins netf) de Jérôme Bédier. ]
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Écrit par : l'Ami du Laissez-Faire, | 28/06/2009
SOLUTIONS ?
> N'étant pas une experte je m'exprime avec prudence. Peut on reprocher à un chef d'entreprise de tout faire pour sauver sa boite (y compris en "roulant" le gouvernement) ? un banquier n'est pas un moraliste.
De mon point de vue, il n'y a que deux solutions claires
- laisser tomber les banques (c'est la voie libérale cohérente) au risque d'élargir la crise mais en évitant de bruler l'argent du contribuable pour payer les vacances au ski des banquiers
- nationaliser les banques (sans indemniser les actionnaires et en licenciant sans indemnité les principaux dirigeants) : c'est la voie étatiste cohérente.
Toute solution intermédiaire ouvre la porte au reproche de "couvrir" avec l'argent du contribuable les incompétences voire les turpitudes des banquiers ...
Cathy
[ De PP à C. :
- L'attitude "moraliste" est insuffisante, voire hors sujet. N'importe quel chef d'entreprise, voire n'importe quel banquier, dit pour sa défense que le système tout entier le pousse à tel ou tel comportement, sous peine de couler sa boîte. C'est donc le système tout entier qui doit changer, afin de ne plus fonctionner comme une "structure de péché".
Bien entendu, le christianisme s'adresse aux comportements de l'individu : et en ce sens la morale intervient dans le problème. Mais si la liberté d'action de l'individu subit la pression irrésistible du "global", à quoi veut-on appliquer la morale ?
D'où le grand avenir de la notion théologique de "structures de péché", née à la fin du XXe siècle mais peu développée pour l'instant. On la trouve par exemple dans le document Ratzinger sur la liberté chrétienne et la libération (1986). Les notables catholiques libéraux refusent cette notion (on comprend pourquoi), mais elle s'imposera parce qu'elle correspond profondément à l'esprit de la doctrine sociale de l'Eglise - et elle l'immunise contre l'individualisme bourgeois. ]
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Écrit par : Cathy, | 30/06/2009
STRUCTURES DE PECHE
> Monsieur, si vous le permettez, je profite de votre réponse au dernier commentaire pour lancer un appel. Je suis professeur de philosophie, j'ai un tout petit peu publié en histoire des idées politiques et je m'intéresse (intérêt critique dans le sens le plus riche (j'espère) du terme...) aux auteurs libéraux et à leur critique de la justice sociale. Leur idée est qu'un état de chose non intentionnel, le résultat du jeu du marché, ne peut être injuste et que par conséquent les notions de justice sociale et distributive sont dénuées de sens. Je suis convaincu que la notion de structure de péché est une réponse adéquate à ce problème. Mais je ne suis pas théologien et en dehors du livre de J. Bichot, Les Autoroutes du mal, je ne connais pas, je n'arrive pas à trouver d'étude consacrée à cette question des structures de péché. Peut-être vous-même ou l'un de vos lecteurs pourriez me donner des pistes. Merci.
Hubert
[ De PP à H. - On attend encore que des théologiens et des politologues développent et appliquent la notion de "structures de péché". Ce chantier fait-il peur ? Y a-t-il crispation devant une perspective qui ne s'en tient pas à la morale des familles, et débouche sur des perspectives révolutionnaires ?
Néanmoins des débuts d'analyse existent, par exemple : Jacques Bichot, "La personne humaine aux prises avec les structures de péché", dans "Car c'est de l'homme dont il s'agit", Parole et Silence, DDB 2007., p. 129-142 (avec Paul H. Dembinski, Nicolas Buttet, Ernesto Rossi di Montelera). Et un certain nombre d'articles, que vous trouverez sur Google à "structures de péché". ]
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Écrit par : Hubert | 30/06/2009
MYTHE
> Merci, je partage à 100 pour 100 votre analyse; je crois qu'on a peur de creuser cette notion car elle remet radicalement en question le mythe de la neutralité de l'Etat cher aussi bien aux neo-libéraux, aux rawlsien qu'aux républicains à la française et j'en passe. En d'autres termes, la notion de structure de péché sape radicalement les justifications du désordre établi. J'espère pouvoir développer cette idée.
Écrit par : Hubert | 01/07/2009
LE Pr ZAMAGNI
> La présence du professeur zamagni lors de la présentation de l'encyclique est un signe d'une orientation très critique des orientations actuelles de l'économie mondiale. Voici ce qu'il écrivait sur la globalisation (quelques citations):
“Une bonne partie des difficultés associées à la globalisation sont dues au fait que la politique ne parvient plus à avoir prise sur la réalité comme dans le passé, et surtout qu’elle ne parvient plus, en se servant des instruments traditionnels, à atteindre l’objectif du bien commun, entendu comme le bien de tout l’homme et de tous les hommes, qui est typique de l’action politique. Ce qui ne veut pas dire, comme certains ajouteront peut-être avec trop de précipitation, que l’époque où la politique jouait un rôle est révolue. Cela veut dire simplement que les instruments traditionnels ne sont plus utilisables. Et donc, si nous pensons que la politique a encore son mot à dire – et je me reconnais certainement dans cette catégorie – il convient d’envisager des modalités d’intervention totalement novatrices par rapport à celles du passé.”
“Ma thèse est que la globalisation, dans la mesure où elle augmente les inégalités, ou la pauvreté relative, tend à menacer le maintien de la paix (en déterminant une augmentation des guerres civiles) et à diminuer l’importance attribuée à la valeur de la démocratie (en entraînant un déficit de démocratie).”
Zamagni montre ensuite que la globalisation qui augmente le niveau global des richesses augmente également la pauvreté relative, il ajoute:
“Voilà pourquoi on ne peut pas se contenter de prendre acte du fait que la globalisation tend à faire baisser la pauvreté absolue : il est nécessaire aussi d’entreprendre une réflexion sur les moyens pour corriger l’augmentation des inégalités que ce processus tend à déterminer.”
“La globalisation tend à créer une figure nouvelle au niveau social : l’insignifiance économique. Un sujet, individuel ou collectif, est économiquement négligeable quand son comportement ne concourt pas au processus de production de richesses et de bien-être de la société dont il fait partie. L’insignifiance est aujourd’hui le nouveau visage que prend le phénomène de la dégradation économique et sociale, et on la retrouve aussi bien sur les lieux de production qu’au niveau de la consommation.”
“Nous avons dit aussi que lorsque les inégalités de type socioéconomique dépassent un seuil critique, les risques qu’il faut affronter sont considérables, allant de la non-participation au jeu démocratique à la possibilité d’une guerre civile. C’est pourquoi il me semble qu’il n’est plus possible de différer la mise en œuvre de politiques de redistribution au plan international. Il faut envisager de créer un organisme ad hoc (que certains, par analogie avec l’Organisation mondiale du commerce, proposent d’appeler Organisation mondiale de la taxation) qui se consacre de façon spécifique au problème financier. Il n’est pas concevable qu’un pays ou un groupe de pays puisse se charger de réaliser des politiques de redistribution, c’est-à-dire des politiques qui prélèvent des ressources dans les pays les mieux lotis pour les distribuer aux pays les plus démunis. En effet, un pays qui introduirait une taxe sur les transactions de capitaux de nature spéculative et ne serait pas suivi dans cette décision par les autres serait immédiatement abandonné par les opérateurs financiers. C’est pourquoi il est indispensable qu’une règle de ce genre soit adoptée simultanément par tous, et qu’elle ait une portée réellement globale.”
Cette dernière phrase est suivie d'une défense de la taxe Tobin. En d'autres termes, Benoît XVI avait annoncé qu'il ne voulait pas parler pour ne rien dire. Ce sera le cas. Il est probable que si cette encyclique reçoit le traitement qu'elle mérite, elle aura une portée aussi révolutionnaire que Rerum Novarum.
Écrit par : Hubert | 01/07/2009
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