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09/05/2009

Benoît XVI à Amman, contre le "choc des civilisations" : une leçon à méditer

 La pensée du Vatican contredit les slogans occidentaux :


 

  

À Amman, dès son premier discours, Benoît XVI a mis les choses au point à l'intention non seulement des musulmans mais des chrétiens – spécialement ceux qui rêvent d'en découdre avec l'islam. Le pape a certes commencé par se réjouir de « la possibilité qu'a la communauté catholique jordanienne de construire des édifices publics du culte », ce qui est « un signe de respect de votre pays pour la religion » : avertissement destiné à d'autres Etats... Mais il a assuré la communauté musulmane de son « profond respect » – se démarquant ainsi de toute islamophobie. Et il a accentué cette note en disqualifiant la théorie du choc des civilisations : « Nous pouvons dire que ces précieuses initiatives [de dialogue] ont obtenu de bons résultats, favorisant la promotion d'une alliance des civilisations entre l'Occident et le monde musulman, mettant en échec les prédictions de ceux qui considèrent inévitables la violence et les conflits. »

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L'intention de Benoît XVI a été saisie par la presse occidentale. Ainsi le bon article de Stéphanie Le Bars dans Le Monde (10 mai) : « À Amman, Benoît XVI loue les efforts favorables à l'alliance des civilisations ».

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Creusons cette idée. Au tournant des années 1990, s'est répandu aux USA puis en Europe le mythe du « choc des civilisations ». Forgé pour Washington par un cercle d'idéologues dont l'outil fut le livre éponyme de Samuel Huntington (Harvard) paru en 1995, ce mythe avait pour fonction de légitimer un programme de main-mise « occidentale »  sur les ressources  vouées à la raréfaction, hydrocarbures en tête : programme qui allait être divulgué en janvier 2001 dans le célèbre rapport de Dick Cheney sur la géostratégie  américaine. Découpant la planète en « civilisations » définies à très gros traits et arbitrairement assignées à un conflit essentiel (le fameux « choc »), cette théorie donnait un vernis historico-culturel à un programme unilatéral de violation du droit des peuples. Sa première mise en oeuvre, partielle, fut la guerre du Golfe. Sa deuxième, la guerre d'Irak. On vit en même temps les USA s'acharner à ressusciter la guerre froide à l'encontre de la Russie, dans l'objectif de mettre la main sur les régions pétrolières d'Asie centrale.

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Après le 11 septembre 2001, le thème du « choc des civilisations » engendra, dans la rhétorique américaine, le sous-thème de la GWOT : la Global War on Terrorism. Cette notion indéfinie de « terrorisme » concrétisait (grossièrement mais efficacement) la théorie du « choc » en mélangeant tout :  y compris  – du point de vue américain – la question israélo-palestinienne... Or cet amalgame allait causer un dégât considérable à la politique occidentale au Proche-Orient. Assimiler les réactions palestiniennes à une version locale du « terrorisme international », c'était se condamner à ne plus rien comprendre et à ne plus intervenir en faveur de la paix. D'où l'ascension locale des pires (le Hamas chez les Palestiniens, l'extrême droite chez les Israéliens), et la situation actuelle. Ce fut l'un des crimes historiques de l'administration Bush. Quant à Obama, un profond scepticisme règne sur ses intentions en la matière.

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Aucune issue ne sera trouvée au drame de la Terre Sainte tant que les Occidentaux feindront de croire que les Palestiniens sont l'outil d'un « terrorisme international ».

 

C'est dans ce contexte qu'il faut situer la portée du discours de Benoît XVI débarquant à Amman.

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Les paroles du pape doivent être méditées par ceux qui s'étaient laissés gagner par le mythe de Huntington, véritable prêt-à-penser à l'usage de la droite atlantique. On ne peut à la fois se réclamer de Benoît XVI et rêver d'en découdre avec la civilisation musulmane : obsession conforme aux délires des fondamentalistes texans qui attendent Harmageddon, mais tout à fait opposée à la pensée de l'Eglise catholique.

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La pensée mondiale de Rome (Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI) contredit le boniment atlantiste. Discours des papes, discours de leurs ambassadeurs à l'ONU et l'Unesco, messages du Vatican et des conférences épiscopales aux sommets de chefs d'Etat et de gouvernement : l'Eglise catholique plaide pour les droits de l'humanité entière, spécialement les pays pauvres, face à l'arrogance des pays riches et à leur programme géostratégique semi-avoué pour les décennies qui viennent. Ceci ne peut s'accommoder du soi-disant leadership américain. La vision vaticane du monde est l'inverse de la vision washingtonienne. L'insistance de la doctrine sociale de l'Eglise sur la destination universelle des biens est l'inverse du thème de la « préférence occidentale ».

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Toute la scène publique française (de la gauche à la droite) voulant l'ignorer, cette incompatibilité entre Rome et l'idéologie atlantique n'était pas connue de l'opinion jusqu'ici. Si elle devient connue, les campagnes montées contre Benoît XVI auront sans doute moins d'écho.

 

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TRADUCTION

> En attendant une traduction française officielle, j'en propose une pour l'essentiel de ce discours, ainsi que pour celui prononcé aujourd'hui face aux représentants musulmans.
http://blogren.over-blog.com/

Écrit par : Ren' | 09/05/2009

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