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06/04/2009

L’eugénisme dans notre société : 3ème partie

Suite des notes des 28-31 mars - L'analyse de Mgr Jacques Suaudeau (Académie pontificale pour la Vie) :


 

 

INTERACTIVE INFORMATION SERVICES (IIS)

REPORT 284 – April 6, 2009

© 2009 Marguerite A. Peeters – All rights reserved

 

 

 

L’EPIGENETIQUE :

ENTRETIEN AVEC Mgr JACQUES SUAUDEAU,

DE L’ACADEMIE PONTIFICALE POUR LA VIE

 

TROISIEME PARTIE

 

Introduction :

Dans cette dernière partie de notre entretien sur la génétique et l’eugénisme, J. Suaudeau nous parle de l’épigénétique ou principe directeur faisant fonctionner le matériel génétique. Ce développement récent de la génétique moléculaire permettra sans doute de nouvelles et fantastiques découvertes concernant le mystère de la vie.

 

--Nous parlions, dans l’entretien précédent, de la découverte de la complexité de la réalité du vivant. Les perceptions anciennes apparaissent aujourd’hui simplistes et complètement dépassées. La science est-elle arrivée à la frontière du mystère ?

Ce qui interroge peut-être le plus les généticiens, aujourd’hui, mis à part la question des variantes individuelles du génome et celle de l'individualisation de ces facteurs génétiques qui ont permis l'évolution des espèces, est ce qu’on appelle « l’épigénétique ».

 

--Qu’est-ce que l’épigénétique ?

L’épigénétique concerne les modifications transmissibles et réversibles de l'expression des gènes qui ne sont pas liées à des changements dans la séquence de l'ADN. Le terme qualifie en fait ces modifications dans l'expression des gènes liées à la méthylation-déméthylation de l'ADN et aux modifications des protéines liées à l'ADN, en particulier les histones. Ces changements non génétiques dans l'expression des gènes peuvent se produire spontanément, ou bien en réponse aux modifications enregistrées dans l'environnement. Seule une partie de nos gènes est en activité, en rapport avec nos besoins du moment. En fonction des nécessités de l'heure, des changements dans les conditions de vie, de nos états émotionnels, de notre exposition à la pollution ou autres facteurs de l'environnement, notre organisme répond par telle ou telle modification épigénétique qui met au sommeil tel gène ou active tel autre, maintenant ainsi efficace et adaptée aux nécessités de l'heure la symphonie de l'élaboration des différentes protéines, dans l'organisme. L'épigénétique intervient avec une  importance toute particulière dans le développement de l'embryon. On s’est en effet aperçu que ce qui était déterminant dans le développement embryonnaire n’était pas le matériel génétique lui-même, mais le principe qui le faisait fonctionner pour répondre de façon adéquate à la demande actuelle de l'embryon en développement.

 

Dans la première mouture de la génétique moléculaire, telle qu'elle avait été établie et enseignée à ses débuts, dans les années 60, celle du « hasard et la nécessité » de Jacques Monod, on ignorait complètement ce principe directeur. On s’aperçoit maintenant que l’évolution, les modifications d’espèces (par exemple au niveau des civilisations insulaires) les modifications de l'individu lui-même au long de son histoire sont liées au mécanisme épigénétique qui contrôle sélectivement l'expression des différents gènes pour adapter cette expression aux besoins du moment.

 

Outre la reconnaissance de l'importance de l'épigénétique dans la mise en œuvre de l'information génétique qui marque la génétique moléculaire récente, celle-ci est aussi sous le coup des constatations paradoxales faites lors du décryptage des la séquence du génome humain. La séquence, c'est la façon dont les gènes s'échelonnent le long de l'immense molécule de l'ADN, à la façon de perles sur un fil. Le décryptage de cette séquence révèle la position des gènes sur la chaîne de l'ADN et le nombre réel de ces gènes, sans toutefois identifier leur fonction. L'achèvement du séquençage du génome humain, c'est-à-dire de la lecture de cette séquence, a montré deux choses : la première est que nous avons dans notre génome beaucoup moins de gènes qu'on ne le croyait : 25,000, alors que l'on en envisageait au moins 100.000, ce qui montre que les capacités propres à l'homme ne dépendent pas du nombre des gènes mais de la façon dont ils fonctionnent. La seconde est que la vieille conception qui faisait correspondre à chaque gène l'information nécessaire à l'élaboration d'une protéine donnée (« un gène-une protéine ») est inexacte. Il y a des séquences d'ADN qui s'expriment dans la transcription, mais avec des redondances, des recouvrements, des tuilages, qui font que la notion même de « gène » est devenue floue.

 

 -- Vous dites que la notion de gène est devenue floue. Pouvez-vous expliquer?

Ce qui demeure sûr, dans la génétique moléculaire actuelle, est que l'information est portée par les différentes séquences de l'ADN, du moins celles qui s'expriment dans la transcription, car il y a une grande partie de l'ADN qui ne s'exprime pas. Pour le reste, il semble que la nature joue de façon relativement complexe avec ces différentes séquences, pour parvenir à ses fins. Contrairement à la bible du « hasard et nécessité » de Jacques Monod, il n'y a rien de rigide dans l'expression des gènes. Tout est au contraire harmonie et adaptation constante. La nature n’est jamais rigide ; elle sait s’adapter ; la souplesse est son principe de base. Jacques Monod ne voulait pas parler de finalisme et niait énergiquement toute finalité dans le fonctionnement du génome. Mais dans le développement embryonnaire, tout se passe comme s’il y avait une intelligence, un principe directionnel supérieur qui dirigeait le développement embryonnaire depuis A jusqu’à Z. On est obligé d’admettre aussi, dans l'organisme développé, l’existence d’une sorte de  principe directeur qui commande l'expression ou la mise au silence coordonnée des gènes. Ce principe paraît être mis en oeuvre dans l'épigénétique, mais il est probable que la nature nous réserve encore bien des surprises à ce sujet.

 

--Vous parlez de développement - pas d’évolution ?

Pour l’embryon, on parle de développement. L’étape qui va s’ouvrir maintenant est d’essayer de comprendre l’évolution elle-même à la lumière de ce que l'on apprend de l’épigénétique. S’il existe un principe directionnel qui permet aux espèces de s’adapter, une cohérence apparaît. La génétique ne serait plus cette matrice immuable dont le mécanisme invariable ne pourrait être mise en défaut que par accident, mais elle serait comme le « disque dur » au service de l'épigénétique qui serait le logiciel, par analogie informatique. Ou encore la génétique serait le livre, et l'épigénétique le lecteur. Au fond, le génome serait comme un organe permettant la production fiable et qualifiée des protéines, mais lui-même serait au service de l'organisme et non son principe directionnel. La découverte du rôle que tient l'épigénétique par rapport au génome fait revenir finalement à la notion d’organisme, cet unité biologique de structure, fonction et reproduction qui constitue et caractérise un être tout au long de sa vie.

 

--La compréhension de la complexité holistique de la réalité, finalement, ne nous rapproche-t-elle pas du mystère de la vie ?

Tout à fait. La capacité de l’émerveillement devrait faire partie des qualités requises à tout candidat à la recherche scientifique. Les grands hommes de la science, ceux qui ont introduit des visions nouvelles et ont permis de sauter les stagnations et les impasses de la pensée routinière, étaient des hommes qui s'émerveillaient, des enthousiastes devant ce que révélait la nature. Aujourd’hui, à cause de la spécialisation technique à outrance, on tombe dans le microscopique, dans l’analyse des petits points. En perdant la vue d’ensemble, on n’a plus la capacité de s’émerveiller. Quand on voit le développement embryonnaire, on ne peut que s’émerveiller de ce qui se passe là, sans tâtonnement, sans erreur, dans une harmonie et une précision redoutables. Les développements scientifiques devraient nous porter à toujours plus d’émerveillement devant la complexité et l'efficacité de ce que nous découvrons dans la nature, et en même temps devant le dynamisme et la  souplesse du vivant.

                                                                                                               

--Pour résumer…

Comme toute science, la génétique est neutre. Elle est une connaissance, sans moralité particulière. C'est dans ses applications à l'homme qu'elle peut se révéler profitable (et alors elle doit l'être pour tous) ou au contraire dangereuse - si elle devenait par exemple l'instrument d'une « démesure » (ubris) discriminatoire. Comme en tout ce qui touche à l'homme, la possibilité d'une mauvaise utilisation ou d'une utilisation dévoyée des connaissances génétiques existe. Il appartient aux comités éthiques de veiller, comme ils l’ont fait jusqu’à présent, à ce que ces déviations soient arrêtées à la racine. La science est bonne, mais la science doit être canalisée vers les zones où elle est vraiment utile, pour le service de l’homme et non contre l’homme.

 

--Alors doit-on ostraciser le terme, ou le concept, d’eugénisme ?

Ce terme d'eugénisme pose un problème à cause du passé mais, après tout, les efforts séculaires de l'homme pour améliorer ses conditions d'existence, sa santé, prévenir les maladies, et les éradiquer quand cela était possible (qui regrettera la disparition de la variole?) entrent dans le cadre de l'eugénisme, de l'amélioration de l'espèce humaine au plan physique et intellectuel. Poursuivre cette quête eugénique positive, qui n'élimine personne mais doit profiter à tous, en mettant à profit les connaissances acquises dans le domaine génétique, ne paraît ni criminel, ni monstrueux, ni disproportionné. Mais quand on sera en mesure de pratiquer un tel eugénisme positif génétique, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui, cela ne pourra être fait que très prudemment, au travers d'interventions génétiques simples, sans danger, applicables à l'humanité toute entière, et à condition que ces interventions  n’accroissent pas les inégalités.

 

--Un tel « eugénisme » fait partie d’un projet d’amélioration physique. Les frontières entre physique, mental, voire spirituel sont-elles scientifiquement évidentes ?

Dans les sciences comme la génétique moléculaire, on ne peut prendre en compte que ce qui se prête à l’expérimentation, ce qui peut être mesuré. Ce qui est spirituel échappe à l'observation et ne peut qu'être ignoré. Ce qui a été dit plus haut sur l'absence d'impact de la thérapie génique sur la personnalité doit être ici répété. On ne peut interpréter qu'avec beaucoup de prudence certaines conclusions de la génétique du comportement. Les études sur les jumeaux séparés démontrent en tous cas la prédominance de la culture et du « je » de la liberté individuelle sur l'invariable des conditions génétiques. Il ne semble pas y avoir de « fatalisme génétique » poussant à tel ou tel type de comportement. Le « fatalisme » viendrait plutôt du conditionnement culturel, qui peut expliquer la répétition de certaines déviances  dans une même lignée familiale.

 

--Le mythe du surhomme est-il d’après vous marginal ou très présent dans la culture actuelle ?

Le mythe du surhomme fait beaucoup fantasier. Mais sur le plan pratique, c’est le mythe de l’enfant parfait qui paraît dangereux et qui justement tend à se répandre avec les promesses du diagnostic préimplantatoire. Si la majorité des parents désirent une certaine perfection physique pour leur enfant, le même mythe de « l'enfant à la carte » peut aboutir à des résultats paradoxaux qui montrent les dangers de ces fantasmes. Il existe par exemple des couples sourds qui demandent à avoir un enfant sourd, des parents qui ont un certain handicap qui demandent que leurs enfants aient ce même handicap. Ce sont là les conséquences perverses d’une vision promouvant « l’enfant comme je le veux, quand je le veux et où je le veux ». Or l’enfant est un être qui a une liberté qui nous échappe. On ne peut que l’accueillir, avec révérence, avec joie, comme un don. A partir du moment où on commence à vouloir le manipuler, le modeler selon nos désirs, on ne respecte plus la future liberté de l’enfant.

 

--C’était aussi la problématique du clonage reproductif.

Le problème éthique majeur que posait la proposition du clonage reproductif n’était pas tant le risque d'une « production en série » d'individus identiques, telle que certains films l'ont popularisé à outrance, mais le fait que, dans le clonage, on prenait sur soi de déterminer, à partir des caractéristiques d'un seul génome, celui du donneur du noyau de la cellule somatique soumise au clonage, ce que serait le futur être de la personne ainsi produite, étant éliminé l'aléatoire du « shuffling », de ce mélange incontrôlable des gènes paternels et maternels qui détermine l'originalité et la particularité de chaque être humain.

 

--Et nous revenons à la question de ce qu’est la normalité…

Et oui, qu’est-ce que la perfection ? Que serait un être parfait ? Un être qui pourrait voler comme l’aigle ? Qui pourrait courir comme le jaguar ? Des chimères… Nous serons tous toujours imparfaits. Notre valeur tient à cette imperfection. Contentons-nous de ce que nous avons, de ce que nous sommes. Traitons nos maladies, améliorons notre qualité de santé, ne cherchons pas à avoir cinq yeux, à poursuivre des désirs fous et irréalistes. Vouloir produire des individus « parfaits » serait vouloir produire des individus qui théoriquement seraient tous les mêmes. Et que serait un monde où toutes les couleurs seraient les mêmes ? La vie n’est pas toute grise ; elle a des couleurs. Il faut respecter la diversité. Nous devons respecter l’enfant dans sa diversité.

 

--La déconstruction des différences est une des grandes tendances de la postmodernité. Cette déconstruction des différences, par exemple homme-femme, crée de nouvelles diversités, comme les orientations sexuelles. La diversité est un thème dominant de la nouvelle culture, mais il s’agit d’une diversité se fondant sur la déconstruction de la réalité.

Mais les faits sont têtus ; la réalité résiste aux fantasmes des l'imaginaire. On peut jouer avec des hypothèses farfelues, imaginer par exemple que le sexe n’existe pas, qu'il n'est qu'une simple question de choix personnel, variable au long de la vie, mais le réel se charge de démentir ces fantasmagories. Il y a des sexes, et ces sexes font le bonheur de l’humanité. Ceci s'applique à tout autre délire de l'imaginaire humain. Le mythe de l'enfant parfait en fait partie. De tels mythes occupent le subconscient humain depuis l'aube de l'humanité : Prométhée, Icare, l'invincible Achille, Hercule travesti en femme, les dieux qui interviennent, toujours l’idée d’un être humain supérieurement doué, qui pourrait avoir tous les talents. Il suffit que la science donne une pâture à notre imagination pour que tout de suite nous partions en roue libre. Le roi nu n'avait pas d'habit, même s'il se berçait d'illusions à leur sujet. Ne jouons pas aux rêveurs. Tenons compte de notre réalité organique et cherchons à travailler là-dessus.

 

FIN

 

 

 

 

14:46 Publié dans Sciences | Lien permanent