27/11/2008
55 députés de la majorité prennent position pour le dimanche chômé
Dans une tribune libre du Monde (26 novembre). Extraits :
<< Le travail le dimanche, une mauvaise idée
<< … Le profit voulu pour lui-même, recherché par tous les moyens et déconnecté de l'économie réelle, montre toute la puissance de sa nocivité. Cela doit nous conduire sur le plan national à ne pas laisser au seul marché le soin de réguler l'activité. Ainsi, la proposition de loi en débat sur le travail dominical accroît quatre risques : la régulation des commerces par le seul marché, la compétition entre les territoires, la dichotomie entre le consommateur et le citoyen et l'inégalité entre les salariés.
Tout d'abord on veut limiter l'ouverture dominicale à certaines zones géographiques, des "groupements urbains d'un million d'habitants". Si la volonté de ne pas soumettre l'ensemble des territoires à cette autorisation est louable, il faut en craindre les effets. Que deviendront les commerces concurrents qui, situés du mauvais côté de la frontière, verront partir leurs clients du week-end vers "la zone" ? Et les commerces de proximité qui ont besoin d'un flux de passants pour vivre ? Ils seront à l'évidence appauvris et demanderont aux pouvoirs publics d'ouvrir à leur tour le dimanche. Alors, le marché aura eu raison des pseudo-frontières administratives ; d'ailleurs, c'est le cas partout. Et nous aurons abouti à un résultat dont visiblement personne ne souhaite l'avènement : la généralisation sans restriction du travail dominical.
Cette compétition entre les commerces affectera les territoires. Il est à craindre que le phénomène de "pompe aspirante" soit accentué, quand tout le monde en constate déjà la nuisance pour nos commerces de centre-ville. La logique pure de marché prévalant ainsi entre les territoires produira les effets habituels : une concentration accrue du commerce dans les mains d'un petit nombre d'opérateurs, et donc en un petit nombre de lieux.
Car c'est une des conséquences fréquentes de la liberté du marché livrée à elle-même : elle conduit presque toujours à des situations d'oligopole dont le bien-fondé social et économique n'est pas démontré. Remarquons, d'ailleurs, que les représentants des artisans, du commerce de proximité et des PME sont opposés à la perspective d'un élargissement du travail dominical car ils n'auraient pas les moyens de lutter contre cette concurrence déloyale.
[…] Toutes les études montrent qu'un emploi créé dans la grande distribution en détruit trois dans le commerce de détail.
Il est dit que les salariés concernés par ce projet seraient protégés par le volontariat ; ils ne pourraient donc encourir aucune sanction pour avoir refusé de travailler le dimanche. Il ne manquerait plus que ça ! Mais qui pourra reprocher à un chef d'entreprise, en bon gestionnaire, de privilégier la progression de carrière de ceux qui auront fait l'effort de se mobiliser les dimanches ? Personne. L'instauration du travail dominical sans limitation dans certains secteurs produira donc, à coup sûr, deux catégories de salariés, du fait d'une discrimination exagérément positive liée à la bonne marche de l'activité.
Et puis, chacun connaît les limites du volontariat : sans faire de procès d'intention aux chefs d'entreprise, il est peu probable que les salariés sollicités le dimanche puissent avoir d'autre choix que celui d'accepter. Parfois même, les parents isolés seront mis dans la situation de devoir travailler le dimanche pour préserver leur métier et son évolution, avec la conséquence que l'on imagine sur la garde de leurs enfants : devront-ils dépenser la majeure partie de leur rémunération bonifiée (lorsqu'ils l'auront obtenue) pour rémunérer leur assistante maternelle ? Il est difficile d'entrevoir, dans les situations de ce genre, un réel progrès social.
[…] La crise mondiale devrait nous inviter à prendre le temps de réfléchir à ses causes et à ses conséquences. Alors que l'absence de repères personnels et sociétaux est de plus en plus cruelle, il n'est pas acceptable de faire courir aux Français ce risque de généralisation du travail dominical, proche ou lointain. Et, dans cette proposition de loi, ce risque est plus proche qu'on veut bien l'admettre. >>
Signatures :
Jean-Frédéric POISSON, Député des Yvelines - Marc LE FUR, Vice-président de l’Assemblée nationale, Député des Côtes d’Armor – Philippe MEUNIER, Député du Rhône – Thierry BENOIT, Député d’Ille et Vilaine – Véronique BESSE, Députée de la Vendée - Jean-Claude BOUCHET, Député du Vaucluse - Françoise BRANGET, Députée du Doubs – Xavier BRETON, Député de l’Ain - Yves BUR, Député du Bas-Rhin – Jean-François CHOSSY, Député de la Loire – Dino CINERI, Député de la Loire- Jean-Yves COUSIN, Député du Calvados – Jean-Louis CHRIST, Député du Haut-Rhin - Marie-Christine DALLOZ, Députée du Jura – Laure DE LA RAUDIERE, Députée de l’Eure et Loir- Lucien DEGAUCHY, Député de l’Oise – Jean DIONIS DU SEJOUR, Député du Lot-et-Garonne - André FLAJOLET, Député du Pas de Calais - Daniel GARRIGUE, Député de la Dordogne – Hervé GAYMARD, Député de la Savoie - Philippe GOSSELIN, Député de la Manche – Jean-Pierre GRAND, Député de l’Hérault - Arlette GROSSKOST, Députée du Haut-Rhin – Guénhaël HUET, Député de la Manche - Michel HUNAULT, Député de Loire-Atlantique – Jacques LE NAY, Député du Morbihan – Denis JACQUAT, Député de la Moselle - Fabienne LABRETTE-MENAGER, Députée de la Sarthe – Marguerite LAMOUR, Député du Finistère – Jacques LE GUEN, Député du Finistère - Jean-Marc LEFRANC, Député du Calvados - Céleste LETT, Député de la Moselle– Lionnel LUCA, Député des Alpes Maritimes – Franck MARLIN, Député du Loiret, Jean-Philippe MAURER, Député du Bas-Rhin – Alain MARC, Député de l'Aveyron - Christian MENARD, Député du Finistère – Damien MESLOT, Député du Territoire-de-Belfort - Jean-Marie MORISSET, Député des Deux-Sèvres – Jean-Marc NESME, Député de Saône et Loire - Etienne PINTE, Député des Yvelines – Jean-Luc PREEL, député de la Vendée - Jean-Luc REITZER, Député du Haut-Rhin - Jacques REMILLER, Député de l’Isère – Bernard REYNES, Député des Bouches du Rhône - Michel SORDI, Député du Haut-Rhin - Alain SUGUENOT, Député de la Côte d’Or – Dominique SOUCHET, Député de la Vendée - Eric STRAUMANN, Député du Haut-Rhin – Michel TERROT, Député du Rhône – Jean UBERSCHLAG, Député du Hault Rhin – Christian VANNESTE, Député du Nord – Patrice VERCHERE, Député du Rhône – François Xavier VILLAIN, Député du Nord - Michel VOISIN, Député de l’Ain - Marie-Jo ZIMMERMANN, Députée de la Moselle – Michel ZUMKELLER, Député du Territoire de Belfort
> Site de référence : www.travail-dimanche.com.
14:15 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
PLUS POUR MOINS
@ tous ceux qui invoquent la liberté pour imposer le travail du dimanche comme nouvelle norme de notre société (le volontariat est un leurre), je rappellerai le mot de Lacordaire :
"Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit".
Merci à ces courageux députés qui prennent en compte le bien commun plutôt que les seuls intérêts matérialistes-mercantiles...
Le slogan "travailler plus pour gagner plus" aboutit in fine à "travailler plus pour vivre moins" !
Écrit par : Michel de Guibert | 27/11/2008
Un texte magistral du Cardinal archevêque de Lyon publié dans Le Monde du 03.12.08
" Ne sacrifions pas le dimanche simplement pour gagner plus.
Rappelons un fait historique. Quand le débat sur le dimanche faisait rage, au XIXe siècle, ce n'est pas seulement le chrétien Ozanam qui défendit le repos dominical, mais aussi le socialiste athée Proudhon. Les révolutionnaires, lorsqu'ils avaient voulu éradiquer la religion et réformer le calendrier, avaient tout de même inventé le "décadi", sachant bien que l'équilibre de l'homme et le lien social appellent un repos régulier et commun.
On suspecte aujourd'hui les évêques de ne rien comprendre au travail. Je laisse le soin de répondre à ce jeune ouvrier en charcuterie industrielle, baptisé en 2008. Dans l'autocar qui l'amenait à l'esplanade des Invalides pour la messe du 13 septembre, il disait combien il avait été touché par les propos de Benoît XVI au Collège des Bernardins sur la dignité du travail humain. Il avait retenu que, chez les Grecs, le travail était la marque des esclaves, alors que la Bible l'honore. Insister sur l'importance du repos hebdomadaire ne veut pas dire défendre un ordre social corseté et immuable. On sait s'adapter à des situations diverses ou nouvelles. Encore faut-il que ce soit pour le bien des hommes.
Lors du centenaire de la loi de 1905, beaucoup ont souhaité qu'on ne la retouche pas, pour ne pas mettre en péril l'équilibre social de notre pays. Et la loi de 1906, sur le repos dominical, pourrait-on la vider de son contenu sans dommage, alors que c'est l'homme tout entier qu'elle protège ? Un éclairage limpide est donné sur cette question par la célèbre formule de Jésus : "Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat."
On comprend aisément les dérogations accordées depuis longtemps aux boulangers, au personnel soignant, aux employés des transports en commun, des restaurants ou des cafés... Nous sommes conscients des renoncements qu'impliquent leurs obligations au service du bien commun, et il est juste de profiter du débat actuel pour leur dire notre reconnaissance.
Mais il faut que ce principe reste fort, car il est structurant, il est "fait pour l'homme". Le Décalogue n'est pas seulement une loi cultuelle, il a une portée morale. Il enseigne des "paroles de vie", qui gardent l'homme de l'idolâtrie et qui visent spécialement la protection du pauvre ("Tu ne feras aucun ouvrage (ce jour-là) ni toi, ni ton serviteur, ni l'émigré qui est dans ta ville").
On veut aujourd'hui de nouvelles dérogations pour développer l'activité économique. Des voix plus autorisées que la mienne réfutent l'argument : danger pour les petits commerces, simple déplacement d'activité sans création de richesses, disparition progressive des avantages salariaux si cette pratique se généralise, coût écologique...
L'ARGENT REND FOU
Je me contente de faire remarquer qu'il n'est pas cohérent de réclamer d'un côté une réforme vigoureuse pour "moraliser la finance", dénoncer "golden parachutes" et rémunérations excessives, et de vouloir par ailleurs relativiser le repos hebdomadaire, simplement pour gagner plus. Depuis vingt siècles, l'Evangile dénonce cette logique sournoise et implacable : l'argent rend fou.
Que gagnerait-on donc à multiplier les dérogations à la loi actuelle ? Il y a tellement de rassemblements familiaux, associatifs ou religieux qui ne sont possibles que parce que, chaque dimanche, l'activité économique générale s'interrompt. Ce n'est pas seulement de la messe dominicale qu'il est question. Les catholiques savent que le Christ les appelle à ce rendez-vous qui est le sommet de leur semaine. On en voit qui ne le manquent pas, même s'ils habitent un pays où le jour de repos est le vendredi ou le samedi.
"Le jour du Seigneur est le seigneur des jours", disait Jean Paul II. Il serait heureux qu'en France, les chrétiens donnent à ce sujet un témoignage clair. Ce jour-là, ils sont invités à vivre dans une logique autre que celle de la production ou du commerce. Ils prennent le chemin de l'Eglise pour retrouver la communauté, ils posent des actes concrets de partage : prendre du temps pour les proches, visiter une personne malade ou âgée, donner de leurs biens à qui en a besoin... Celui qui sait garder de la distance par rapport à l'argent et au travail offre un témoignage de liberté, toujours très parlant.
Benoît XVI a expliqué cela plusieurs fois : "Il est indispensable que l'homme ne se laisse pas asservir par le travail, qu'il n'en fasse pas une idole, prétendant trouver en lui le sens ultime de sa vie. C'est dans le jour consacré à Dieu que l'homme comprend le sens de son existence ainsi que de son travail."
Le précepte du repos hebdomadaire protège la vie des familles et sert la dignité et la liberté de chacun. Il donne un espace pour la prière, la détente et la gratuité, pour la joie toute simple de retrouver les siens. "
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/12/02/ne-sacrifions-pas-le-dimanche-simplement-pour-gagner-plus-par-philippe-barbarin_1125894_3232.html
Écrit par : Sur le cardinal Barbarin, et | 03/12/2008
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