18/10/2008
Pie XII et Guido Mendes
Jour après jour et malgré la désinformation, les véritables relations entre Pie XII et la communauté juive reviennent à la lumière :
Dans son livre Pie XII, un homme sur le trône de Pierre (Mondadori), Andrea Tornielli raconte l'histoire de Guido Mendes, ami juif du pape Pacelli. Vaticanologue au quotidien italien Il Giornale, Andrea Tornielli rappelle que « durant ses années de lycée, Eugenio avait noué une solide amitié avec quelques uns de ses camarades, en particulier avec l'un d'entre eux, Guido Mendes. Et le fait intéressant est que ce jeune garçon appartenait à la communauté juive de Rome ».
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Mendes descendait d'une grande famille de médecins et de chercheurs en médecine depuis l'époque du roi Charles II d'Angleterre, où l’ un de ses ancêtres était médecin. A lendemain de la mort de Pie XII, le Dr Mendes, qui vivait à Ramat Gan en Israël, parla au Jérusalem Post (10 octobre 1958) de cette amitié qui le liait au pape depuis l'époque où ils fréquentaient le lycée romain E.Q. Visconti. « Eugenio Pacelli, écrit Guido Mendes, fut le premier pape à avoir partagé, dans sa jeunesse, un repas du sabbat dans une maison juive, et le premier à avoir discuté de façon informelle de théologie juive avec des membres importants de la communauté de Rome ».
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Guido Mendes raconte aussi qu'Eugenio venait souvent chez lui, et vice-versa, et qu' « ils échangeaient sur leurs intérêts et idéaux ». Le futur Pie XII manifestait beaucoup d'intérêt pour la religion juive et avait un jour demandé à son ami de lui prêter un livre du rabbin Ben Herzog qu'il tenait dans sa bibliothèque.
Dans son livre, Andrea Tornielli raconte qu' « après le lycée, l'un s'est lancé dans les études ecclésiastiques, l'autre dans les études de médecine. Ils parviendront malgré tout à se rencontrer de nouveau et la profondeur de leurs liens se manifestera particulièrement en 1938, lorsque Eugenio Pacelli, désormais secrétaire d'Etat, aura l'occasion de venir au secours de la famille Mendes, frappée par les lois antisémites promulguées par le gouvernement fasciste italien ». « Le cardinal obtiendra pour eux la possibilité de trouver refuge en Suisse d'où, l'année suivante, ils s'expatrieront en Palestine », écrit-il.
Après la guerre, Guido Mendes et Pie XII auront encore deux rencontres qualifiées par le médecin juif d'« extrêmement cordiales », durant lesquelles ils parleront, entre autres, du statut de la ville de Jérusalem. Guido Mendes évoquera le jour où le pape Pie XII, lors d'une rencontre avec un groupe de juifs ayant survécu aux camps de concentration, avait dit : « Bientôt, vous aurez un Etat d'Israël ».
Source : Zenit
Ces informations, qui s’accumulent et sont commentées par la presse internationale, ont-elles une chance d’être un jour mentionnées dans la presse française ? C'est peu probable, si l'on en juge par la persistance du réflexe médiatique anti-Pie XII chez les confrères parisiens. D'où leur vient ce réflexe, alors qu'ils ignorent l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, l'histoire de l'Eglise, l'histoire du judaïsme, et - to make a long story short - l'ensemble des questions historiques ?
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00:11 Publié dans Cathophilie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : christianisme
Commentaires
DOMMAGE
> Mon cher Patrice les journaux français traitent l'actualité, l'économie et la politique comme ils traitent la religion. La crise nous montre un étalage de platitudes assez terribles, agrémmentées d'une affaire de divorce où la justice en fait un peu trop à mon goût et des faits divers pour colmater les fuites sur la crise.
Dommage pour les Français qui tiennent à leur journal et sont croyants. Nul n'est prophète en son pays. Il existe cependant suffisamment de journaux catholiques pour s'y abonner aussi.
Écrit par : Annie | 18/10/2008
LUMIERE
> Très intéressante information apportant une lumière sur des faits peu connus de la jeunesse de Pie XII.
Ajoutons que Pie XII avait lui-même songé un temps à faire des études de médecine ; il lui en est resté un très grand intérêt pour les questions médicales et bio-éthiques dont son enseignement considérable sur ces questions, toujours pertinent aujourd'hui en dépit des nouveaux développements techniques survenus depuis, témoigne de façon éloquente.
Écrit par : Michel de Guibert | 18/10/2008
PETITION
> Veuillez m'excuser pour cet envoi hors sujet. Je ne sais comment vous faire suivre ce mail :
Chers amis,
> voici une collecte de signatures pour empêcher que le droit à
> l'avortement soit inscrit dans les Droits de l'Homme. Merci de faire
> circuler cette pétition.
> Appel international pour les droits et la dignité de la personne humaine
> et de la famille.
> http://www.c-fam.org/publications/id.98/default.asp
>
> TRÈS IMPORTANT : SIGNER ET RENVOYER CE MESSAGE AU MAX DE PERSONNES.
>
> La C-FAM (l'unique groupe pour-la-vie qui travaille exclusivement en
> politique
> sociale de l'ONU) récolte des signatures pour les présenter devant l'ONU,
> et empêcher que, par la pression de groupes pro-avortement, se déclare le
> jour du 60ème anniversaire de la Déclaration des Droits de l'Homme, le 10
> décembre, le "droit à l'avortement" comme un droit de plus.
> Votre signature peut être décisive.
>
> MERCI !!!
>
> Don Dom
> Abbé Dominique Rimaz
> S. Luigi dei Francesi
> Via S. Giovanna d'Arco, 5
> 00186 Roma (Italia)
>
Écrit par : isabelle | 19/10/2008
L’histoire rendra justice à Pie XII
> Une interview de Paolo Mieli (élève du grand historien du fascisme Renzo De Felice et directeur du plus grand quotidien italien, le "Corriere della Sera". Mieli est d’origine juive et des membres de sa famille sont morts dans les camps de concentration nazis.)
Q. – On parle souvent de la pièce de Rolf Hochhuth "Le Vicaire", mise en scène pour la première fois le 20 février 1963 au Freie Volksbüne de Berlin. Mais les critiques envers le comportement du pape Pacelli ont commencé plusieurs années plus tôt. Quand le "problème Pie XII" est-il réellement né?
R. – L’élément déclencheur est sans aucun doute la mise en scène du "Vicaire", mais certaines accusations, même si elles n’ont pas ressemblé à celles de Hochhuth, datent d’avant la seconde guerre mondiale. C’est Emmanuel Mounier qui, le premier, a évoqué les hésitations Pie XII. En mai 1939, il a poliment critiqué un silence qui mettait des milliers de cœurs dans l’embarras: celui de Pie XII à propos de l'agression italienne en Albanie.
Un autre catholique français a pointé du doigt le comportement de Pie XII: François Mauriac. En 1951, dans la préface d’un livre de Léon Poliakov, il a regretté que les juifs persécutés n’aient pas eu le réconfort d’entendre le pape condamner de manière claire et nette la "crucifixion d’innombrables frères dans le Seigneur". Toutefois, il faut rappeler que le même livre – l’un des premiers textes importants sur l’antisémitisme – apportait des justifications à ces silences. En substance, écrivait Poliakov qui était juif, le pape était resté silencieux pour ne pas compromettre la sécurité plus qu’elle ne l’était déjà.
Q. – La première intervention d’un chercheur juif sur ce sujet a donc été très prudente?
R. – J’irai plus loin. Mis à part Poliakov, les premières évaluations des représentants des communautés juives du monde entier ont été non seulement prudentes mais même chaleureuses envers Pie XII.
Q. – Cette prudence peut-elle s’expliquer par le fait que les véritables accusations contre le pape sont venues, déjà pendant la guerre, des soviétiques?
R. – Pie XII a sûrement aussi été – je dis bien "aussi" – un pape anticommuniste. Pendant ces décennies de polémiques, on lui a souvent reproché d’être perturbé par cette vision. Rappelons, par exemple, deux discours célèbres qu’il a prononcés avant de devenir pape, lors de voyages en France (1937) et en Hongrie (1938). Il y soulignait plus les persécutions du régime communiste que celles du régime nazi.
A cet égard, il faut néanmoins rappeler que le concept de Shoah telle que nous la percevons aujourd’hui remonte à plusieurs décennies après la fin de la seconde guerre mondiale. Je rappelle que dans les années 50 et 60, on parlait encore approximativement de déportés dans les camps de concentration. On savait que les juifs avaient souffert le plus, mais on n’a pris pleinement conscience de la Shoah que plus tard. Dans les années 30, très peu de personnes avaient idée de ce qui pouvait arriver aux juifs. Bien sûr, il y avait eu la "nuit de cristal" en Allemagne. Mais il est évidemment beaucoup plus facile de lire et comprendre les faits aujourd’hui, avec le recul du temps. Dans aucune partie du monde, pas même les Etats-Unis, les juifs qui fuyaient l’Allemagne n’ont été accueillis les bras ouverts. Bref, c’était un problème complexe. A de rares exceptions près, le monde occidental, le monde civilisé, n’a pas compris, ne s’est pas rendu compte de ce qui était en train de se produire. C’est pourquoi, lorsque nous parlons d’un pape à la fin des années 30, nous pouvons comprendre qu’il ait été plus sensible aux persécutions antichrétiennes en Union Soviétique qu’à ce qui était en train d’apparaître dans le monde nazi. Cela ne fait pas de lui un crypto-nazi.
Q. – Les années 30: la polémique concerne aussi Pie XI…
R. – On reproche entre autres au cardinal Pacelli, en tant que secrétaire d’état de Pie XI, d’avoir atténué ses condamnations envers le national-socialisme. Parmi de nombreuses accusations – selon moi pas totalement justifiées – on a notamment reproché à Pacelli d’avoir adouci, d’avoir atténué le ton de l'encyclique "Mit Brennender Sorge". En réalité, en examinant l’action de Pacelli sous l’angle historique, je rappellerai certains détails. Au début de la guerre, il a critiqué l’apathie de l’Eglise française face à la domination des nazis sur la France de Vichy. Ensuite, il a critiqué l’antisémitisme – évident celui-là – du Slovaque Mgr Josef Tiso. Il s’est montré disponible et a même apporté son aide avec un courage téméraire – comme le raconte bien Renato Moro dans son livre "L’Eglise et l’extermination des juifs", édité par Il Mulino – à des complots contre Hitler entre 1939 et 1940. Je continue: lorsqu’en juin 1941, l’Union Soviétique a été envahie par l’Allemagne, il y avait dans le monde occidental une certaine réticence à nouer des accords avec ceux qui avaient jusqu’alors combattu aux côtés de l’Allemagne nazie. Pie XII a en revanche beaucoup fait pour faciliter une alliance entre Grande-Bretagne, Etats-Unis et Union Soviétique.
Puis vient l’épisode le plus important: pendant l’occupation des Nazis à Rome – comme le racontent le célèbre livre d’Enzo Forcella "La résistance au couvent", édité par Einaudi, et celui d’Andrea Riccardi, "L’hiver le plus long", publié il y a peu chez Laterza – l’Eglise s’est mise toute entière à disposition. La quasi totalité des basiliques, églises, séminaires et couvents a hébergé et aidé les juifs. Si bien qu’à Rome, 2 000 juifs ont été déportés mais 10 000 ont pu être sauvés. Maintenant, je ne dis pas que c’est l’Eglise de Pie XII qui a sauvé ces 10 000. Néanmoins, l’Eglise a certainement contribué à sauver la majorité d’entre eux. Il est impossible que le pape n’ait pas su ce que faisaient ses prêtres et ses religieuses. Il en résulte que pendant des années – on dispose de dizaines de citations – des personnalités de premier ordre du monde hébraïque ont reconnu ce mérite en l’attribuant explicitement à Pie XII.
Il ne reste aujourd’hui presqu’aucune trace de ces témoignages. Par exemple, le beau livre d’Andrea Tornielli, "Pie XII, le pape des juifs", aux éditions Piemme, en a parlé. Il s’agit d’une très vaste littérature et je voudrais en fournir quelques fragments. En 1944, le grand rabbin de Jérusalem, Isaac Herzog, a déclaré: "Le peuple d’Israël n’oubliera jamais ce que Pie XII et ses éminents délégués, inspirés des principes éternels de la religion qui forment la base d’une civilisation authentique, sont en train de faire pour nos malheureux frères et sœurs, au moment le plus tragique de notre histoire. Une preuve vivante de la divine providence dans ce monde".
La même année, le sergent-major Joseph Vancover a écrit: "Je voudrais vous parler de la Rome juive, d’un grand miracle: celui d’avoir trouvé des milliers juifs à Rome. Les églises, les couvents, les religieux et les religieuses et surtout le pape sont venus en aide aux juifs et les ont sauvés en les arrachant des griffes des nazis et des fascistes italiens qui collaboraient avec ces derniers. Cacher et nourrir les juifs pendant les mois de l’occupation allemande a nécessité de grands efforts non dénués de risques. Certains religieux ont payé de leur vie cette œuvre de sauvetage. Toute l’Eglise a été mobilisée à cet effet et elle a agi avec beaucoup de fidélité. Le Vatican a été le centre de toutes les opérations d’assistance et de sauvetage dans les conditions de la présence et de la domination nazies".
Voici maintenant une lettre envoyée depuis le front italien par le soldat Eliyahu Lubisky, membre du kibboutz socialiste Bet Alfa. Elle a été publiée dans l’hebdomadaire "Hashavua" le 4 août 1944: "Tous les réfugiés évoquent l’aide louable du Vatican. Des prêtres ont mis leur propre vie en danger pour cacher et sauver des juifs. Le pape lui-même a participé à l’opération de sauvetage des juifs".
Un autre document, du 15 octobre 1944, le rapport du commissaire extraordinaire des communautés juives de Rome, Silvio Ottolenghi: "Des milliers de nos frères ont été sauvés dans les couvents, les églises, les zones extraterritoriales. Le 23 juillet, on m’a donné l’ordre d’être reçu par Sa Sainteté, que j’ai remerciée au nom de la communauté de Rome pour l’assistance héroïque et bienveillante que nous avons reçue du clergé dans les couvents et les collèges… J’ai fait part à Sa Sainteté du désir de nos coreligionnaires de la capitale de venir le remercier en masse. Mais cette manifestation ne pourra avoir lieu que lorsque la guerre sera finie, pour ne pas nuire à tous ceux qui ont encore besoin de protection dans le nord".
Q. – Cela s’est passé pendant la guerre. Venons-en à aujourd’hui…
R. – Aujourd’hui, malheureusement, l’attention portée à Pie XII est telle que même un débat historique normal met le feu aux poudres.
Q. – La question est si brûlante que la photo de Pie XII à Yad Vashem et sa légende posent encore problème. Malgré la masse de témoignages dont nous venons de parler. Que s’est-il passé?
R. – Il s’est passé qu’au fil des ans, la légende noire de Pie XII s’est répandue. Rappelons les livres de John Cornwell ("Hitler’s Pope" [Le pape de Hitler] et de Daniel Goldhagen ("Hitlers willige Vollstrecker" [Les bourreaux volontaires de Hitler], où ces accusations se font plus explicites. Une pensée commune s’est développée qui fait de Pie XII un complice du Führer. Quelque chose de démentiel! Pendant le procès Eichmann de 1961, pourtant, le pape a fait l’objet d’un jugement qu’il vaut la peine de relire. C’est Gideon Hausner, procureur général d’Etat à Jérusalem, qui parle: "A Rome, le 16 octobre 1943, une grande rafle a été organisée dans le vieux quartier juif. Le clergé italien a participé à l’opération de sauvetage, les monastères ont ouvert leurs portes aux juifs, le pape est intervenu personnellement en faveur des juifs arrêtés à Rome".
Q. – Cela a été dit deux ans seulement avant la représentation du "Vicaire"...
R. – Oui, et c’est justement à partir de 1963 que commence une révision du rôle de Pie XII, de deux manières. L’une – interne à l’Eglise elle-même – était malveillante et opposait à Pie XII la figure de Jean XXIII. L’opération a été dévastatrice: on a fait de Jean XXIII un pape qui aurait eu, pendant la seconde guerre mondiale, la sensibilité que, pour sa part, Pie XII n’avait pas eue. Une thèse très bizarre. Quand on lit entre les lignes les invectives contre Pacelli, on a la sensation que l’on a voulu faire payer au souverain pontife son anticommunisme. En réalité Pie XII a été un pape en ligne avec l’histoire de l’Eglise catholique du XXe siècle. Si l’on lit ses écrits ou si l’on écoute les enregistrements de ses discours, on se rend compte qu’il a aussi exprimé, par exemple, des critiques contre le libéralisme. Je veux dire que ce n’était pas du tout un héraut de l'atlantisme anticommuniste.
Q. – Il n’était donc pas l’aumônier militaire de l'Occident...
R. – Absolument pas. L'image de Pie XII en aumônier de la grande offensive anticommuniste pendant la guerre froide est trompeuse. Même si, bien sûr, il était anticommuniste. Et on a voulu lui faire payer cher cet anticommunisme, ce qui a déformé son image, par des pièces de théâtre, des publications et des films. Mais quiconque aborde la question sans préjugés et essaie de connaître Pacelli à travers les documents ne peut qu’être stupéfait de cette légende noire qui n’a aucun sens. Pie XII a été un grand pape, à la hauteur de la situation. C’est comme si aujourd’hui on reprochait à Roosevelt de ne pas avoir parlé plus clairement des juifs. Mais comment peut-on critiquer pendant une guerre et surtout s’agissant d’une personnalité désarmée comme le pape? Le caractère spécieux de cette offensive contre Pie XII apparaît vraiment suspect à toute personne de bonne foi et il faut absolument y résister. Tôt ou tard, il y aura bien quelqu’un qui réexaminera les faits en prenant aussi en compte les témoignages que j’évoquais tout à l’heure.
Q. – Les historiens européens, notamment italiens, parlent-ils de Pie XII différemment des historiens américains?
R. – D’après moi, oui. N’oublions pas que cette aversion envers Pie XII est née dans le monde anglo-saxon et protestant, pas dans le monde juif qui, au contraire, s’est adapté dans le temps pour ne pas être pris à contrepied par une campagne internationale. Autrement dit: si un pape est accusé de ne pas s’être opposé à l'antisémitisme, le monde juif se sent évidemment incité à y voir clair. On en arrive ainsi à l'affaire de la septième salle du Yad Vashem, à Jérusalem, où a été placée une photo du pape avec une légende qui juge "ambiguë" son attitude. Ou bien à la demande, formulée en 1998 par Aaron Lopez, alors ambassadeur d'Israël près le Saint-Siège, d’un moratoire dans la béatification de Pie XII. Je ne m’occupe pas de cette affaire de moratoire parce que ce n’est pas un problème d’histoire, mais on s’acharne trop sur ce pape, cela sent le roussi à un kilomètre.
C’est à partir de 1963 que l’on a tourné les projecteurs vers Pie XII pour chercher des preuves de sa culpabilité: cela n’a rien donné. Au contraire les études menées ont fait apparaître une très abondante documentation attestant que son Eglise a apporté aux juifs une aide fondamentale. Je me rappelle à ce sujet d’un très beau geste: en juin 1955, l'Orchestre Philarmonique d'Israël a demandé à donner au Vatican un concert en l’honneur de Pie XII, en signe de gratitude, et il a joué en sa présence un mouvement de la septième symphonie de Beethoven. Voilà quel était le climat. A la mort du pape, Golda Meir – ministre des Affaires Etrangères et futur premier ministre d'Israël – déclara: "Pendant les dix années de la terreur nazie, quand notre peuple a souffert un effroyable martyre, la voix du pape s’est élevée en faveur des victimes. Nous pleurons un grand serviteur de la paix". Selon certains, la voix du pape ne s’était pas élevée, mais eux l’avaient entendue. Vous comprenez? Golda Meir avait entendu sa voix. Et William Zuckermann, directeur de la revue "Jewish Newsletter", a écrit: "Tous les juifs d'Amérique lui rendent hommage et expriment leur tristesse parce qu’il n’y a probablement pas d’homme d’état de cette génération qui ait plus aidé les juifs à l’heure du drame. Plus que quiconque nous avons pu bénéficier, pendant les années de persécution et de terreur, de la grande et charitable bonté, de la magnanimité de ce pape que nous regrettons ". Voilà comment Pie XII a été perçu pendant des années, des décennies. Etaient-ils tous fous? Non, au contraire, c’est eux qui avaient subi les persécutions dont on reproche à Pie XII de s’être rendu complice. D’un point de vue historique, cette légende noire est une folie. Mais je pense que, sauf quelques polémistes, tout historien digne de ce nom– y compris des gens qui, comme moi, ne sont pas catholiques – se battra pour rétablir la vérité.
Q. – Qu’ont apporté jusqu’à présent les historiens israéliens? Leur jugement a-t-il évolué? Le débat sur Pie XII est-il encore actif aujourd’hui?
R. – Je crois que les historiens israéliens sont très réservés. En réalité la question est encore ouverte à cause de l’insistance d’un monde autre que le monde juif. A mon avis, il y a trois aspects à considérer. Tout d’abord Pie XII paie pour son anticommunisme. Ensuite, ce pape connaissait bien l’Allemagne et il avait eu une attitude germanophile: attention, ça ne veut pas dire pro-nazie. Enfin il faut noter que les critiques contre Pie XII viennent toujours de milieux que l’on pourrait critiquer dix fois plus. Des milieux qui, pendant la Shoah, n’ont pas su manifester une présence s’approchant si peu que ce soit de celle qu’ils reprochent à Pie XII de ne pas avoir eue.
Q. – Vous pouvez nous donner quelques exemples?
R. – Je pense à ce qui est arrivé en France, en Pologne, et même aux Etats-Unis. Réfléchissons: la thèse de ceux qui accusent Pie XII est que tout le monde savait et que, en tout cas, on pouvait savoir. Alors je vous le demande: peut-on citer des personnalités de ces milieux, qui, au cours de la seconde guerre mondiale, aient élevé la voix comme on reproche au pape de ne pas l’avoir fait? Moi, je n’en connais pas.
Q. – Vous pensez aussi aux antifascistes italiens?
R. – Tout à fait. Mais, en somme, de qui peut-on dire qu’il a fait pour les juifs quelque chose que le pape n’ait pas fait? Je ne sais pas. Il y aura eu des cas particuliers, comme il y aura eu des cas particuliers de prélats de haut rang dans l’Eglise. Au moins, le pape a fait tout ce qu’il était en son pouvoir de faire. Il a permis à 10 000 juifs qui étaient à Rome – mais c’est aussi arrivé ailleurs en Italie – de rester en vie, contre 2 000 qui ont été tués. Je ne vois pas quelle comparaison l’on pourrait faire. Voilà pourquoi je crois que l’on peut penser que ces critiques et ces invectives viennent de milieux qui n’ont pas la conscience tranquille à ce sujet.
Q. – La légende noire est donc une affaire de mauvaise conscience?
R. – Je crois que oui. Il n’y a pas d’autre explication. La vérité, c’est que la haine envers Pie XII est née dans un contexte précis: le début de la guerre froide. Rappelons que c’est le pape qui, en 1948, a rendu possible la victoire de la Démocratie Chrétienne en Italie. Je suis sûr que les accusations portées contre lui expriment une haine née dans la seconde moitié des années 40 et pendant les années 50. La littérature hostile à Pie XII fait suite à la fin de la guerre. En Italie, elle naît après l’éclatement du gouvernement d’union nationale de 1947 et mûrit tout au long des années 50 de manière plus vive. Tout ce dépôt de haine ou de forte aversion est apparu les années suivantes. Du reste, si c’était sorti tout de suite, les juifs qui avaient eu la vie sauve grâce à cette Eglise, n’auraient pas permis que soit dit ou écrit ce qui l’a été. Comme c’est sorti vingt ou trente ans plus tard, tous les témoins, tous ceux qui avaient été sauvés – des milliers de personnes – n’étaient plus là et la nouvelle génération, leurs enfants, a absorbé ces accusations. Et qui a résisté, qui résiste encore à ces accusations? Les historiens.
Q. – A cela se sont ajoutées les voix des catholiques qui ont opposé à Pie XII son successeur, Jean XXIII.
R. – A mon avis, ce n’est sûrement pas un hasard si le lancement des béatifications des deux papes a été annoncé en même temps. D’ailleurs, quand Paul VI, en 1964, s’est rendu en Terre Sainte et a parlé très chaleureusement de Pie XII, il n’y a pas eu de grandes protestations. Personne n’a protesté. Or l'opération "Vicaire" était déjà lancée. Les accusations paraissaient incroyables. Ensuite l’avalanche a grossi au fur et à mesure de la disparition de la génération des témoins directs. En tout cas, je crois que justice sera rendue à Pie XII par les historiens.
Q. – Nous avons évoqué les catholiques. "La Civiltà Cattolica" a écrit que Pie XII n’a pas eu une voix de prophète. Ce jugement n’est-il pas un peu anachronique? Le pape aurait-il dû se rendre, le 16 octobre 1944, dans le ghetto comme il était allé dans le quartier bombardé de San Lorenzo quelques semaines plus tôt?
R. – Sincèrement, la part de sang juif qui coule dans mes veines me fait préférer un pape qui aide mes coreligionnaires à survivre à celui qui accomplit un geste spectaculaire. Un pape qui se rend dans un quartier bombardé est un pape qui pleure sur les victimes, accomplit un geste de chaleureuse affection pour la ville, alors que sa présence dans le ghetto pouvait prêter à controverse. Certes, avec le recul du temps, on peut tout dire, y compris – cela a été écrit – qu’il aurait dû se jeter sur les rails pour empêcher les trains de partir. Mais je crois qu’il s’agit d’opinions exprimées à la légère. Et puis, sincèrement, en ce domaine, reprocher à un autre de ne pas avoir fait ce qu’aucun des vôtres n’a fait, est un peu risqué. A ma connaissance, les dirigeants de la Résistance antinazie de Rome ne se sont pas rendus au ghetto et ne se sont pas jetés sur les rails. Ce sont des propos qui manquent vraiment de sérieux.
Q. – En ce qui concerne la polémique à l'intérieur du catholicisme, le rabbin David Dalin en est arrivé à écrire que Pie XII est le plus gros bâton dont puissent disposer les catholiques progressistes pour taper sur les traditionnalistes...
R. – L'aspect le plus gênant, mais évident pour moi (même si je juge de l’extérieur), est que cette bataille qui oppose, au sein du monde catholique, les figures de Jean XXIII et de Pie XII n’est guère courageuse, parce que personne ne la livre à visage découvert. Il n’y a pas un livre, pas un article d’un représentant du monde catholique faisant autorité qui dise clairement: Jean XXIII oui, Pie XII non. C’est une bataille entre les lignes, toute en subtilités. Pour moi, le problème est simple: ou bien l’on est vraiment sûr que Pie XII fut un pape complice du nazisme, ou bien, si les faits correspondent à ce qui a été dit dans cette interview, certaines personnes devraient comprendre que ces arguments ne contribuent qu’à prolonger la légende noire de ce pape. Notez bien que je crois que les jours de cette légende noire sont comptés. Pie XII ne sera pas un pape frappé d’une "damnatio memoriae".
Q. – Pourquoi?
R. – Précisément du point de vue historique, les éléments en faveur de cette thèse sont si forts et si nombreux, et le manque d’éléments en sens contraire est si marqué que cette offensive contre Pie XII est destinée à s’éteindre.
Q. – Une dernière question sur l'attitude de Pie XII. Comment peut-on reconstruire les caractéristiques de son silence agissant face à la Shoah?
R. – J’ai très souvent pensé à Pie XII en essayant d’imaginer sa personnalité. On l’a comparé à Benoît XV, le pape de la première guerre mondiale. Mais la seconde guerre mondiale a été très différente. Pacelli a sûrement été un tourmenté, quelqu’un qui a eu des doutes. Lui-même a évoqué en 1941 son "silence". Il s’est trouvé à un carrefour terrible qui a mis en question certaines de ses convictions. Puis il y a eu après la guerre une période très longue, jusqu’en 1958, où il a continué à être un pape fort, présent, important, décisif pour la reconstruction de l'Italie après la guerre. Il a peut-être été le pape le plus important du XXe siècle. Il a sûrement été tourmenté par des doutes. Comme je l’ai dit il s’est interrogé sur la question du silence. Mais c’est justement ce qui me donne l'idée de sa grandeur.
Un fait, entre autres, m’a beaucoup frappé. Une fois la guerre finie, si Pie XII avait eu mauvaise conscience, il se serait vanté de ce qu’il avait fait pour sauver les juifs. Il ne l’a jamais fait. Il n’a jamais dit un mot. Il pouvait le faire. Il pouvait le faire écrire ou dire. Il ne l’a pas fait. C’est pour moi la preuve de sa personnalité exceptionnelle. Ce n’était pas un pape qui éprouvait le besoin de se défendre. En ce qui concerne le jugement sur Pie XII, je dois dire je n’ai jamais oublié ce qu’a écrit en 1964 Robert Kempner, un magistrat juif d’origine allemande, procureur adjoint au procès de Nuremberg: "Toute prise de position à caractère propagandiste de l’Eglise contre le gouvernement de Hitler aurait non seulement été un suicide prémédité, mais elle aurait accéléré l'assassinat d’un nombre bien plus grand de juifs et de prêtres".
Je conclus: pendant vingt ans les jugements sur Pie XII ont fait l’unanimité. A mon avis, dans l'offensive contre lui, il y a alors eu erreur. Et quiconque s’astreint à l’étudier avec honnêteté intellectuelle doit justement partir de là. De l’erreur.
L'Osservatore Romano du 9 octobre : http://www.vatican.va/news_services/or/or_quo/index.html
Publié en français dans :
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/207151?fr=y
Écrit par : Michel de Guibert | 08/11/2008
"L"ITINERANT"
> A lire le dernier numéro de "L'Itinérant" (n° 761 du 22 au 28 juin 2009). Il contient tout un long article bien documenté de Rodolphe Clauteaux sous le titre : "L'Histoire injuste : Pie XII... St Pie XII ?"
C'est courageux, mais pas surprenant sous la plume du fondateur de ce journal de rue qui a une sainte horreur du conformisme.
Écrit par : Michel de Guibert | 03/07/2009
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