13/08/2008
Russie / Géorgie : panne mentale à Washington
Les « experts » américains se trompent d’époque :
Ce matin à 7h30, France Info se faisait l’écho des « experts américains » (?) selon qui l’impuissance de Bush face à Medevedev, dans l’affaire ossète, sonnerait le « glas » de l’ère « postsoviétique ». Cette formule est révélatrice. Elle ne décrit pas ce qui se passe dans le Caucase. Elle révèle un dysfonctionnement mental à Washington. Elle veut nous faire croire à un retour de l'URSS ; ce fantasme vise à recréer un climat de guerre froide, Ouest contre Est, dans lequel Washington serait le protecteur officiel de la moitié du monde.
C’est absurde en 2008. En effet, ce à quoi travaille Moscou n’est pas le retour de l’URSS – qui était inséparable d’une idéologie de guerre politique globale : le communisme léniniste « soviétique », aujourd’hui défunt… Moscou travaille simplement à faire reculer l’intrusion américaine dans l’espace géopolitique russe traditionnel : celui du XIXe siècle.
Cette intrusion est récente et agressive. C’est le véritable agent de déstabilisation. Elle correspond à la weltanschauung de l’ultra-droite washingtonienne. (Et pas du tout à l’expérience des Européens, ni aux relations internationales vues par le Saint-Siège). Elle est dangereuse et ne mène à rien, comme on vient de le constater. France Info admettait ce matin la complicité des USA dans l’agression géorgienne contre l’Ossétie du Sud ; cette agression illustre l’aspect « déstabilisant » de la politique américaine [*].
Ce qui n’empêche pas FR2 de continuer à faire comme si l’agression géorgienne n’avait pas eu lieu et comme si la Russie avait attaqué la Géorgie, sans raison, par méchanceté innée.
Il y a un tropisme anti-Moscou dans plusieurs salles de rédaction parisiennes. De quelle nature est-il ? Difficile à dire.
Ce n’est pas de l’antisoviétisme résiduel, puisque les mêmes salles de rédaction nous disent, cinq ou six fois par an, qu’octobre 1917 fut une épopée sublime et un grand rêve pour l’humanité.
Ce n’est pas de la russophobie, puisque ces salles de rédaction militent –à juste titre – contre toute discrimination ethnique, nationale ou culturelle.
Ce n’est pas du souci humanitaire : sinon les salles de rédaction ne défendraient pas la Géorgie qui a agressé la minuscule Sud-Ossétie. (Même si les journalistes zappent cette agression, sans doute par gêne morale).
Alors, qu’est-ce ? Un automatisme de vassalité envers Washington ? Une dépendance psychologique envers la « culture américaine » ?
Je ne saurais le dire. Je suis comme vous : perplexe.
_________
[*] Vieille habitude US. Souvenons-nous du 2 novembre 1963 : l’assassinat de Ngo Dinh Diem, demandé par le MACV (Military Adviser Command Vietnam) et exécuté par la CIA. Ce fut le prélude à une catastrophe inqualifiable : la seconde guerre d'Indochine.
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09:57 | Lien permanent | Commentaires (14)
Commentaires
CE QUI DEFORME
> Je crois que l'explication par la dépendance psycho-culturelle est la bonne. On ne mesure pas à quel point notre société est lobotomisée par la sous-culture médiatique made in USA. Ca déforme les réflexes.
Écrit par : Reep | 13/08/2008
MEDIAS RUSSES, GEORGIENS ET FRANCAIS
> Cela pourrait être, tout en étant lié à la dépendance psycho-culturelle au matérialisme-mercantile US, du à la résistance de certains pays à la mondialisation version US. La Russie, comme la Chine dont nous parlions récemment, tentent de conserver leurs identités, de défendre leurs intérêts nationaux et pas ceux des USA, et souhaitent jouer un rôle dans le monde face aux Américains. Cette résistance ne plaît pas (ou surprend trop) à une caste dont la principale vertu, en-dehors de l'aveuglement, est la lâcheté envers celui qu'il pensent être le futur vainqueur. Alors les médias diabolisent, désinforment et ressuscitent un méchant en utilisant les seuls schémas qu'ils connaissent: ceux du siècle dernier.
Vous qui êtes journaliste, que pensez-vous de l'agence RIA novosti dont j'ai trouvé le site internet? Fiable ou pas?
VF
[ De PP à VF - A priori, et compte tenu de ses origines soviétiques, on peut avoir des doutes sur la fiabilité de Ria Novosti. Comme Itar Tass, c’est une agence poussiéreuse qui a du mal à concurrencer la dynamique et très informée Interfax...
Cela dit, la presse russe est devenue aussi fiable que l’occidentale. La tendance au mimétisme y est même moins forte que dans la presse française, par exemple. Une agence de presse appartenant à l’Etat, telle Ria Novosti, va coller à la ligne officielle (qui n’est pas nécessairement fausse par ailleurs : partielle, sans doute, mais non dénuée de fondement).
Sur le conflit géorgien, la presse russe a été sobre et factuelle. En revanche, la presse géorgienne a été désinformatrice, voire délirante. Alors que des journalistes géorgiens s’exprimaient en direct de Tbilissi sur la principale chaîne de télévision russe (ORT), à Tbilissi les autorités coupaient l’accès à internet à l’ensemble du pays ! Chose dont n’a parlé aucun média français... ]
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Écrit par : vf | 13/08/2008
GEOMETRIE VARIABLE
> Poutine est perçu comme menant une politique "nationale" défendant les intérêts de son pays et non un "internationalisme" (en fait ploutocratique) supposé paradisiaque. D'où la haine de certains ! Car si cela lui réussit, pourquoi pas à la France, à l'Europe ?
Beaucoup de personnalités et de pays étrangers sont jugés au travers du prisme français. On veut voir justifiés par l'étranger nos propres renoncements subis ou voulus ...
De même le souvenir de notre politique algérienne est pour beaucoup dans la critique actuelle de la détermination israélienne.
Quelquefois la morale est à géométrie variable ...
Écrit par : julius | 13/08/2008
EXCELLENTE ANALYSE
> L'excellente analyse d'Arnaud Dubien (Foreign Policy version russe) dans Libération du 13 août va tout à fait dans le sens de votre note de blog d'aujourd'hui :
" Pourquoi la Russie a-t-elle choisi la manière forte vis-à-vis de Tbilissi ?
- Cela représente avant tout un message aux Occidentaux et en premier lieu aux Américains. La Russie veut leur signifier qu’elle n’accepte ni d’être marginalisée, ni leur politique d’expansion à l’est, menée depuis quinze ans, ni le remodelage, notamment au travers de l’élargissement de l’Otan, de ce qu’elle considère toujours être son étranger proche. Tout cela, Vladimir Poutine l’avait déjà évoqué en 2007, dans un discours à Munich. Cette fois, le pouvoir russe est passé à l’acte. La crise géorgienne est la première illustration concrète d’un retournement du rapport de force. La Russie n’est plus sur la défensive.
" Cette réaction montre-t-elle que la Russie reste menaçante pour ses voisins ?
- Je n’idéalise en rien le régime russe et on connaît les états de service de Vladimir Poutine. Il faut pourtant reconnaître que, dans ce cas concret, c’est bel et bien Mikhaïl Saakhachvili qui a tiré le premier. Croyant pouvoir prendre des gages territoriaux et mettre tout le monde devant le fait accompli, il a fait une double erreur d’appréciation colossale sur ce que serait la réaction de la Russie et sur le soutien que lui accorderaient les Occidentaux. Les Russes, eux, n’attendaient que cela et ils ont saisi l’occasion. Ils auraient pu aller encore plus loin pour faire payer à l’Occident, au travers de la Géorgie, plus de quinze ans de frustrations géostratégiques.
" Quelles sont ces frustrations ?
- Il y eut les deux vagues d’élargissement de l’Otan - 1999 et 2004 - aux anciennes démocraties populaires et aux pays Balte. Il y eut les bombardements de l’Otan sur la Serbie en 1999, puis l’indépendance du Kosovo, officialisée cette année. Il y a toujours le projet d’installation d’un bouclier antimissile en Pologne et République tchèque. Et il y a les candidatures de l’Ukraine et la Géorgie à l’Alliance atlantique. De son côté, Moscou avait fait des concessions, comme le démantèlement de ses bases à Cuba ou au Vietnam, et n’avait rien eu en retour. A ses yeux les Occidentaux n’ont jamais voulu prendre en compte ses intérêts spécifiques en matière de sécurité et ils ont au contraire tout fait pour promouvoir les leurs.
" Quelles seront les conséquences sur les rapports Est-Ouest ?
- La crise géorgienne est un moment charnière pour le Caucase, mais aussi pour les relations entre la Russie et les Occidentaux. Je ne crois pas à un retour de la guerre froide, qui était un affrontement idéologique entre deux systèmes, mais il y a, en revanche, une rivalité d’intérêts de puissances, comme au XIXe siècle. Après cette crise, il sera difficile aux Occidentaux, et en tout premier aux Américains, de continuer à ne pas prendre Moscou au sérieux. Je crois donc que nous allons plutôt vers un rééquilibrage des relations Est-Ouest que vers leur dégradation. "
Écrit par : reader | 13/08/2008
TITRE DEMENTIEL
> Voilà qui est typique du déraillement mental permanent des médias ici : l'excellente itw de Dubien est coiffée par ce titre démentiel : "Après l'offensive, Moscou reste-t-il un partenaire crédible pour l'Occident ?"
Ce titre fou est l'oeuvre de la rédaction de Libé. Quelle monumentale connerie ! D'abord qu'est-ce que c'est que "l'Occident" ? Ensuite, "l'Occident" ne peut-il tolérer comme "partenaires" que des Etats qui ne défendraient pas leurs propres intérêts ? Enfin, un Etat cesse-t-il d'être "crédible" parce qu'il défend ses intérêts ? En ce cas qu'est-ce que la "crédibilité", et qui la définit, et au service de quoi ?
Si vous mettez toutes ces âneries ensemble, vous avez l'idéologie moyenne du journaliste parisien. Ben mon vieux...
Écrit par : Tharo | 13/08/2008
DENEGATION DU REEL
> "L'idéologie moyenne du journaliste parisien", oui : celle de l'envoyé spécial de FR2 à Pékin trouvant le moyen de dire, en conclusion de la cérémonie d'ouverture : "Espérons que les prochains JO seront sans drapeaux et sans hymnes". Juste au moment où les nations font partout leur retour sur la scène mondiale !!!
La dénégation du réel a un nom en médecine psychiatrique.
Écrit par : kupka | 13/08/2008
MAIGRE ESPOIR
> Quel dommage que ceux qui nous montrent l'exemple d'un détachement vis à vis des USA soient si critiquables en matière des droits de l'Homme.
Il reste un (maigre) espoir pour que l'Europe se détache de l'influence atlantiste, mais franchement, avec la façon dont on a voulu forcer le traité constitutionnel et le traité de Lisbonne, j'ai plutôt tendance à ne pas me faire d'illusion...
Écrit par : Théa | 13/08/2008
LA RAISON PRINCIPALE
> Je crois que le dernier commentaire de Kupka met en avant la raison principale de ce tropisme anti Russie: son président croit en son pays, sa nation.
Contrairement aux salles de rédaction et aux politiques qui sauf exception ne rêvent que de mondialisation, abolition de frontière, multiculturalisme, gouvernement européen...
Écrit par : ludovic | 13/08/2008
PREMIÈRE
> C'est une grande première pour la presse parisienne. En ex-Yougoslavie elle était pour les agressés ; en Géorgie elle est pour l'agresseur.
Écrit par : Lindy | 13/08/2008
HYPOTHESES
> Vous vous interrogez à juste titre sur cette hostilité des médias français (est-elle étendue à tous les médias européens ?) envers la Russie. Je me suis posé les mêmes questions, ayant observé comme vous la persistance de cette attitude et je vous propose quelques hypothèses, qui peuvent d'ailleurs se combiner. Nos médias sont encore encombrés de leur "marxomanie", laquelle ne peut que provoquer leur dépit et leur rancune à l'égard de peuples qui se sont libérés du communisme en proclamant son échec dans tous les domaines. Si, par ailleurs, ces mêmes peuples se sont donnés des dirigeants qui, appliquant des principes non marxistes, obtiennent un début de redressement, cela devient un crime de lèse-utopie impardonnable. J'ai également remarqué que les peuples slaves sont perçus, avec raison, comme attachés à leur identité nationale et religieuse. Or, je ne vous apprendrai pas que, dans le monde médiatique français, le patriotisme et la foi chrétienne sont souvent considérés comme des options ridicules, dépassées, voire criminelles (tandis qu'une patrie et une foi exotiques sont si admirables...). Je vois donc cette véritable slavophobie comme une exécration gigogne emboîtée dans la francophobie et la cathophobie des hérauts du relativisme mercantile. C'est plus qu'un fossé idéologique, il s'agit d'un gouffre entre des représentations du monde, deux visions anthropologiques incompatibles. Enfin, il ne faut pas écarter un psittacisme mimétique, la bêtise, la lâcheté et la paresse étant souvent des explications suffisantes des attitudes.
Écrit par : Sellier | 13/08/2008
PETITS GARCONS
> Je crois que les médias et les élites en général aiment ce qu'ils perçoivent être le plus fort du moment et par projection, de l'avenir : leur admiration c'est tour à tour portée sur les anglais, puis sur les allemands, depuis 80 / 90 ans sur les américains, puis maintenant sur les chinois, en attendant les indiens, et pourquoi pas très bientôt leur admiration se reportera sur les russes surtout s'ils continuent dans cette voie. Il n' y a rien de sophistiqué la dedans. Il y a beaucoup de petits garçons dans ce beau monde, à l'image de de notre bien aimé Sarkozy.
Écrit par : Loïc | 13/08/2008
RADIO FRANCAISE
> A entendre Radio Classique ce matin, on a l'impression que la Géorgie n'est pas intervenue en Ossétie du Sud vendredi dernier, que la Russie continue à se battre et que nous sommes revenus en pleine guerre froide, sous prétexte que Mme Rice a fait références à certaines intimidation de l'URSS d'alors.
Écrit par : Boris | 14/08/2008
CHANSON DES ANNEES 1950
> sur l'air de "Boire un petit coup c'est agréable" :
"Ecoutez-vous la radio française ?
C'est Radio Truman qui ment
Dans tous ses mensonges elle se vautre à l'aise
Pour la joie des banques new-yorkaises
C'est Radio Truman qui ment...
La radio française vient d'Amérique
Tout ça doit cesser, Français... "
etc.
Avaient-ils tellement tort de chanter ça ?
Écrit par : Delanuit | 14/08/2008
" TA BUSH ! "
> Ta Bush ! Il n'a pas peur de passer pour un menteur en évoquant la protection des populations civiles comme prétexte à une intervention en Géorgie. Les Irakiens apprécieront cette déclaration de ce clown triste de la "Real politoc" (même "Reak politoc") au nombre de leurs victimes depuis l'intervention américaine.
Tout ce délire est la conséquence d'un système qui commande à toujours plus de business... Une fuite en avant. L'ethnocentrisme économique américain d'une démocratie fondée sur l'actionnariat.
Vos Bush, les pauvres...
Écrit par : Annie | 14/08/2008
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