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08/01/2008

Crash de la presse parisienne ? Le diagnostic de J.-F. Kahn, et l'expérience des années 1990

Les commerciaux de presse ont mis en fuite les lecteurs et les annonceurs :


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« Secouons les journaux… tant qu’il en reste », dit Jean-François Kahn dans son grand entretien au Monde (6-7 janvier). Le fondateur et ex-patron de Marianne prend sa retraite de journaliste. Il explique et commente la décadence, physique et mentale, des médias parisiens.

Son diagnostic est indiscutable : fonte accélérée du lectorat, rapacité des distributeurs, gonflage menteur des chiffres de diffusion de la presse pour draguer la pub. Et alignement de beaucoup de journaux sur la même pensée-zéro…

Les régies publicitaires (internes) des groupes de presse ont exigé des rédactions un alignement toujours plus grand des contenus, comme si cette uniformisation avait conditionné la venue des budgets. Ce calcul était inepte parce que les annonceurs et les centrales d’achat n’exigeaient rien de tel ; mais les commerciaux des groupes de presse  des années 1990 n’ont pas voulu le comprendre. Ce qui jette rétrospectivement une ombre sur leurs capacités professionnelles…

Un seuil critique, en effet, fut atteint vers 1995. Les journaux s’étaient tellement uniformisés que les lecteurs ont eu encore moins envie de les acheter. L’intérêt de lecture avait disparu. Quand cette chute du lectorat n’a plus pu se dissimuler derrière des chiffres de diffusion bidon, les annonceurs ont commencé à se retirer de la presse papier. Et les régies des groupes de presse, à brader le tarif des pages au quart de leur prix. C’était l’engrenage mortel.

J’ai vécu en direct ce processus lorsque je dirigeais la rédaction du Figaro Magazine (1990-1997). Les commerciaux maison ne cessaient de faire pression sur la direction générale, pour supprimer le caractère propre du magazine et lui imposer les codes mentaux de ses concurrents*. Cela en dépit des mises en garde, non seulement des journalistes (dont la voix était de moins en moins écoutée dans les entreprises de presse), mais des centrales d’achat publicitaires elles-mêmes, dont les dirigeants nous disaient : « Surtout gardez à votre magazine son identité, c’est ce qui fait son intérêt spécifique sur le marché… » Mais les commerciaux des journaux ne raisonnaient pas ainsi. Membres d’une profession où le turn-over était intense, ils n’avaient aucun patriotisme d’entreprise. Etant au journal X en espérant passer ensuite au journal Y ou au journal Z, leur réflexe était de faire perdre au journal X tout ce qui pouvait le différencier de ses concurrents ; surtout si cette différence l’éloignait du tonus idéologique moyen des dîners en ville.**

Ce qui se passait au FigMag se passait, à divers degrés selon les cas, dans la plupart des autres groupes. C’est ainsi que la presse papier parisienne est tombée dans une grisaille qui a mis ses lecteurs en fuite. Les « commerciaux » avaient asphyxié le commerce.

Ce suicide corporatif eut lieu (fatalité) au moment où naissait le Web, qui allait se substituer à la presse et à la télé dans les pratiques quotidiennes des Français de moins de 80 ans.

A en croire Jean-François Kahn, les médias classiques agonisent. Si ce constat est avéré, cette agonie est de la faute de la bêtise des commerciaux de la décennie 1990. Laissons les morts enterrer les morts. L’avenir est ouvert, à tout autre chose.

 

 

____

(*)  En 1995, une chef de pub de la Socpresse disait en réunion (verbatim) : « Faut arrêter les sujets religieux, le pape y m’fout les boules. » Explication : depuis 1990 et le début de la critique du matérialisme occidental par Jean-Paul II, celui-ci était la cible d’un feu roulant dans les dîners parisiens.

(**) A noter : les concurrents que le FigMag devait (selon ses propres commerciaux) imiter, vendaient beaucoup moins que lui en ce temps-là. D'où l'aspect surréaliste de la pression exercée sur ses rédacteurs par ses commerciaux.

 

 

 

Commentaires

EUX-MÊMES

> Ils sont les auteurs de leur propre malheur. Au tympan du portail central du jugement dernier à ND de Paris on voit les réprouvés qui partent en enfer sous la conduite des démons; ils ne sont pas enchaînés ensemble, mais ils tiennent eux-mêmes la chaîne qui les conduit (il leur suffirait d'ouvrir leur main pour lâcher cette chaîne et quitter le cortège des réprouvés).

Écrit par : B.H. | 08/01/2008

ET LE WEB ?

> A la lecture de votre message, je comprends que c'est le fait d'avoir deux clients (le lecteur et l'annonceur) au lieu du seul lecteur qui a fait dériver la presse.
Or, le web est LE modèle du tout-gratuit financé par la pub.
Je n'attends donc pas plus de liberté d'un liberation.fr farci jusqu'à l'intime de racolage publicitaire digne d'un msn.fr.
Les blogs sont "gratuits" mais jusqu'à quel point ?
A ma connaissance, le seul modèle de journal papier libre (financièrement viable sans publicité) reste le Canard Enchaîné, pas mal pour un début, mais un peu court pour la ré-information des chrétiens :-)

R.


( De PP à R. - Il est facile de s'assurer que les blogs ne font pas de pub ! ]

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Écrit par : Renaud | 08/01/2008

POURQUOI

> Très intéressant, vraiment.
Mais pourquoi une telle atttitude des commerciaux ?
Est-ce simplement de la bêtise ? Ou la peur de tenir un discours non politiquement correct qu'ils n'approuvent pas ? Ou un mélange des deux ?

L.


[ De PP à L. - Un cocktail de tout cela. Avec, en plus, la tendance de toute corporation à se doter de prétextes pour surclasser la corporation rivale... En l'espèce : les commerciaux des années 1990 faisaient porter aux rédactions la culpabilité des baisses de recettes publicitaires. Plutôt que d'avouer avoir mal négocié eux-mêmes les budgets, ils préféraient accuser le contenu des articles publiés par le journal d'avoir déplu aux annonceurs...
Depuis 2000, les commerciaux n'ont plus la ressource d'invoquer ce prétexte : imposant directement leur point de vue en amont des décisions rédactionnelles, ils portent une part de la responsabilité de ce qui est publié. (Cela n'améliore pas la qualité du produit). ]

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Écrit par : Ludovic | 08/01/2008

ENORME

> Moi, je dirais tout simplement, qu'il y a le décalage énorme entre ce qu'il vit le peuple et ce qu'ils pensent les journalistes. Meilleur exemple: en 2005, 85% pour le Oui au référendum des journalistes et 54% du Non des Français.

Écrit par : Léa | 08/01/2008

AVANT

> Permettez à un amoureux de l'écrit de regretter le temps où la presse était attendue par ses lecteurs...
Cela dit, à mon humble avis, la crise date de bien avant 1990...
Il m'arrive encore souvent d'imprimer ce que je trouve sur le net.. pour le lire avec un meilleur confort de lecture !

Écrit par : Michel de Guibert | 08/01/2008

NUISIBLES

> La dictature universelle apprête les derniers préparatifs pour ne pas être gênée : en dictature, non seulement les journaux ne sont pas nécessaires mais ils sont même nuisibles...
Les contemporains que nous sommes auront vu cette chose bien surprenante, qu'on n'aurait pas crue autrefois si un roman futuriste l'avait prédite : le summum de la conscience libre, celui de la "démocratie", auront vu s'ouvrir l'ère de la tyrannie la plus abjecte.

Écrit par : Michel Thomas de La Garde | 08/01/2008

DOMMAGE

> Je partage l'opinion de Michel de Guilbert et je fais comme lui. Dommage que JF Kahn s'en aille, il restait le dernier à bousculer un peu le microcosme.

Écrit par : Qwyzyx | 08/01/2008

DEUX REMARQUES

> Mouais. Ce qui implique au moins 2 remarques.

* Les entreprises dirigées par des commerciaux sont exposées au risque d'avoir un vision trop court-termiste. Chez les entreprises dirigées par leur service commercial (et pas uniquement de sgnes avec un profil commercial) ce n'est plus un risque, c'est une certitude.

* Comme le disait le Canard : La première richesse d'un journal, bien avant les annonceurs, c'est son lectorat. Les annonceurs vont vers les titres avec les lecteurs, pas l'inverse.

Écrit par : Emmanuel M | 08/01/2008

POLITIQUE

> Très éclairant. Il y a effectivement de la bêtise chez ces commerciaux car ce glissement d'un journal de convictions vers un magazine pour touristes de luxe du Figaro-magazine était évident. Quand on devient insipide inodore et sans saveur, on n'intéresse plus personne...
Je suis venu au Point parce qu'avec Revel, FOG, Marseille et d'autres, j'avais le sentiment qu'il était tourné vers son vrai client, le lecteur et non vers son PDG. Je ne vais pas tarder à me désabonner du Point car il roule maintenant pour Sarkozy de façon trop criante. Et je ne serai probablement pas le seul.

Écrit par : olivier le Pivain | 09/01/2008

LA FAUTE AUSSI DES JOURNALISTES

> La chute morale et intellectuelle de la presse française ne peut pas être analysée de façon aussi unilatérale. Les journalistes ont leur part de responsabilité, eux qui ont fait preuve de moins en moins de rigueur dans leur travail, quittant volontier l'exigeance de l'investigation et du travail d'enquête au profit des comptes-rendus et des articles de complaisance.
Les journalistes, trop proches du monde peut-être, ont été incapable de formuler un critique radicale du monde. C'est selon moi la raison première de leur chute : ils tombent avec le monde qu'ils n'ont pas voulu renier. Cela se vérifie jusque dans la formation des journalistes, très idéologique, et dans le carrièrisme qui caractérise les jeunes entrants dans la profession. Au final, on a l'impression que les journalistes peuvent travailler pour n'importe quel rédaction : le relativisme, l'indifférenciation, a contaminé cette profession qui pourtant professe la défense du pluralisme.

Écrit par : Quentin | 09/01/2008

LE RÔLE DES ECOLES

> Certes, l'infrastructure médiateuse est amplement responsable de sa propre Bérézina. L'infrastructure, veux-je dire, au sens économique du terme ; toutefois ne méconnaissons pas le rôle absolument cataclysmique des "écoles de journalisme" dans l'effondrement de la profession, la conception pour le moins amidonnée du métier qu'elles se complaisent à propager, l'esprit de vassalité clonique et l'impersonnalité érigée en culte de l'info... (A une échelle plus modeste que PdeP, croyez que je sais de quoi je parle : essayez de convaincre un journaleux que vous êtes un catholique marxiste, juste pour rire, comme ça, voir un peu ce qu'il a dans le crâne (et le coeur) ; vous verrez sa réaction de putain respectueuse ! L'info est un chien de chasse, or la presse est devenue un chien de garde. Les "écoles de journalisme" ont voulu persuader que la chasse ne s'apprenait QUE par correspondance...

Certes, les capitalistes... N'empêche, Hersant savait bien écouter Pauwels... Le capitalisme est vieux comme la presse ; comment se fait-il que la presse ne soit pas aussi moderne que lui. Pis que l'Argent des Menteurs, la Bassesse des Nigauds ! Je crois profondément que les gens d'argent n'auraient pas pu retourner la presse comme on retourne une pute à quinze euros, si les médiateux comateux étaient demeurés gens de plume - donc d'épée. Les journaleux évoluent désormais dans un périmètre intellectuel allant grosso modo de Lindenberg (l'apprenti-chasseur de nouveau réac, vous vous souvenez ?), à Bayrou, l'euro-centralisateur centriste qui plaît tant aux bobos de gauches et aux chrétiens de gauche de droite...

G.

[ De PP à G. - Hersant écoutait Pauwels... sauf quand il lui donnait l'ordre de cesser, pour raisons financières, telle ou telle série de papiers : par exemple lors du référendum de Maastricht ! ("arrêtez de donner des arguments pour le Non, mes banquiers votent Oui"). Et Pauwels obtempéra. J'ai raconté cette histoire dans un de mes livres, mais je pourrais citer une série d'autres anecdotes du même calibre. ]

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Écrit par : Guit'z | 09/01/2008

JOURNAUX

Ce ne sont pas les fournisseurs qui font le succès d'une entreprise, mais ses clients. Le client principal d'un journal est son lecteur, pas l'annonceur. Un journal plein de pub n'a plus d'esprit.
Nous avons encore des titres intéressants comme "Spectacle du Monde", "Valeurs actuelles" (mêmes si certains mercantilistes matérialistes y distillent leur idéologie). "Le Monde diplomatique" sort des articles très intéressant (même si certains athées laïcs extrémistes y distillent leur idéologie). Nous avons "Marianne" qui avec le départ de JF Kahn peut perdre de sa singularité et de son intérêt... L'avenir nous le dira.
Enfin, pour le lire depuis peu, je vous conseille de découvrir "L'Homme Nouveau". Il répondra à l'attente majoritaire des lecteurs de ce blog. Vous ferez une bonne action et favoriserez l'évangélisation en vous y abonnant.

Écrit par : Qwyzyx | 10/01/2008

HERSANT

> Très juste, Monsieur, mon exemple était contestable : je peux même vous dire que vous avez rapporté cette anecdote dans "Ca Donne envie de faire la Révolution" !

Écrit par : Guit'z | 10/01/2008

L'identité paie

> Paradoxalement, le fait que tous les titres de presse se ressemblent apporte une opportunité extraordinaire, y compris sur le plan commercial, aux journaux qui veulent garder une identité propre, une liberté de ton et qui n'hésitent pas à quitter la Pensée Unique pour offrir un réel pluralisme à leurs lecteurs. Les leaders du magisterium médiatique sentent d'ailleurs bien que la mode pourrait tourner puisqu'ils commencent à dire que le fait d'être politiquement incorrect est désormais le sommet du politiquement correct. Pauvre défense réthorique d'une nomenklatura qui sent le pouvoir lui échapper progressivement, à cause d'Internet notamment.

Écrit par : Vincent | 10/01/2008

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