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02/11/2007

Le livre de Cavanaugh – Pourquoi "une vraie théologie de la libération" ?

(3)  A l'heure du baril à 100 dollars, lisons d'urgence cet ouvage de micro-économie théologique qui s'intitule "Être consommé" :


 

Si vous n’avez pas encore ce livre, trouvez-le d'urgence (1) !  Cavanaugh est une lecture stratégique pour les esprits « rebelles », comme disait Tarcisio Bertone il y a trois semaines (2). En effet le cardinal Bertone et Benoît XVI appellent à ne plus réduire la foi à la morale des familles, et à cesser de prendre le monde actuel pour un chantier de joyeux nains de Blanche-Neige où il suffirait de siffler (des cantiques) en travaillant (dans les salles de marchés). Certes c’est supersympa de vivre dans un monde mondial : mais on pourrait y regarder de plus près, et constater que le mondial  – comme hier le national – n’est pas une valeur mais un champ d’affrontements. Différentes lignes de forces y coexistent, s’y entremêlent,  s’y opposent. Soyons lucides.

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LUCIDES POUR ÊTRE LIBRES

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Cette lucidité est celle de Cavanaugh. Il voit l’époque telle qu’elle est : contradictoire. La planète est en proie à ce que le pape Ratzinger appelle le « système global », à ce que Serge Latouche (3) appelle la « méga-machine »  (financière + technologique),  à ce que Cava-naugh appelle « l’entrepreneurialisme de papier, la réalisation des profits par d’autres moyens que la production de biens et de services réels ». Avec pour conséquences, dit-il:

- le monde régenté par « de colossales entreprises transnationales coupées des communautés dans lesquelles elles vivent » ; 

- le financier retourné contre l’économique, et l’économique retourné contre la société ;

- des salariés réduits à n’être plus vus que comme des coûts ;

- des consommateurs « sous surveillance, assiégés par le marketing » ;

-  la fracture schizoïde de chaque individu : son moi consommateur et son moi travailleur ayant des intérêts contraires ;  

- et, massivement, ce que le philosophe postmarxiste américain Fredric Jameson (Libération, 25 octobre) appelle « la logique culturelle du capitalisme tardif » et que Cavanaugh décrit comme une vision totale de la vie, parfaitement aliénante et prenant la place de tout, y compris le religieux. Page 74 : « C’est cette impatience – ce mouvement qui pousse à faire des courses à la recherche de quelque chose d’autre, sans égard pour ce qu’on vient d’acheter – qui donne la tonalité spirituelle du consumérisme… »  Pages 149-150 : « Le plaisir ne réside pas dans la possession des objets mais dans leur recherche… C’est pourquoi le seul fait de faire ses courses a été élevé dans la société occidentale  au statut envié d’addiction. Ce n’est pas le désir de quelque chose en particulier, mais le plaisir d’entretenir le désir lui-même qui fait de nos galeries commerciales les nouvelles cathédrales de la culture occidentale. »

 

La lucidité de Cavanaugh n’est pas une résignation. Au contraire : elle seule permet d’imaginer autre chose que ce qui nous régente ! À condition de ne pas nier les problèmes et de s’appuyer sur la critique du système, on peut faire fleurir des millions d’initiatives humaines, créatrices d’espaces libérés.  Cavanaugh cite ainsi l’exemple du groupe basque Mondragon (4) qui fédère 200 coopératives dans plusieurs secteurs industriels, la grande distribution alimentaire et les assurances : aujourd'hui 79 000 salariés-propriétaires  !  Et le groupe a été fondé par un prêtre…

 

Cavanaugh  présente  sa  réflexion  comme  de la « micro-économie théologique ». Micro-économie, parce que le micro-économique  reste à la portée des forces humaines (on peut y créer des espaces autogérés, y expérimenter « des types particuliers de transactions »). Et théologique, parce qu’il n’y a de liberté – même économique – que là où les fins humaines sont prises en considération. [Ce que refuse la société de marché, « agnostique » quant aux fins humaines et réduisant la liberté au fait de n’être pas manipulé ; ce qui est une idée : a) radicalement insuffisante ; b) très douteuse à l’ère du marketing obsessionnel ].

Adam Smith ou saint Augustin ?  Si vous choisissez Adam Smith et sa main invisible, vous ne pensez pas en catholique. C‘est l’avis du théologien Cavanaugh et je me permets de le partager.

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THEOLOGIE DE LA LIBERATION

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Ces nouveaux coups de sonde dans le livre de Cavanaugh  permettent de répondre à plusieurs commentaires (sous les notes précédentes) qui tendaient à dire : « Cavanaugh tourne la page des théologies de la libération ». Non, à mon sens. Et même c’est le contraire : Cavanaugh ouvre la page de la véritable théologie de la libération, celle que Josef Ratzinger appelait de ses vœux dans la section 5 de son célèbre document de 1986 (5), intitulée La doctrine sociale de l’Eglise : pour une praxis chrétienne de la libération. Le futur pape y écrivait :

 

« La priorité reconnue à la liberté et à la conversion du cœur n’élimine nullement la nécessité d’un changement des structures injustes. Il est donc pleinement légitime que ceux qui souffrent de l’oppression de la part des détenteurs de la richesse ou du pouvoir politique agissent […] pour obtenir des structures et des institutions dans lesquelles leurs droits soient vraiment respectés… 

Un défi sans précédent est aujourd’hui lancé  aux chrétiens qui oeuvrent à réaliser cette civilisation de l’amour qui condense tout l’héritage éthico-culturel de l’Evangile. Cette tâche requiert une nouvelle réflexion sur ce qui constitue le rapport du commandement suprême de l’amour à l’ordre social envisagé dans toute sa complexité. La fin directe de cette réflexion en profondeur est l’élaboration et la mise en route de programmes d’action audacieux en vue de la libération socio-économique de millions d’hommes et de femmes dont la situation d’oppression économique, sociale et politiquer est intolérable…

[Sur] la radicale transformation culturelle indispensable pour résoudre les graves problèmes que notre époque doit affronter [ :]   la culture que notre époque attend sera caractérisée par la pleine reconnaissance de la dignité du travail humain, qui apparaît dans toute sa noblesse et sa fécondité à la lumière des mystères de la Création et de la Rédemption… 

Une telle culture du travail reconnaîtra que la personne du travailleur est principe, sujet et fin de l’activité laborieuse. Elle affirmera la priorité du travail sur le capital et la destination universelle des biens matériels (6).»

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« Reconnu comme expression de la personne, le travail devient source de sens et d’effort créateur », indiquait Ratzinger dans ce document qui a marqué un tournant dans l’histoire politique de l’Eglise à la fin du XXe siècle.  Cette phrase, « lisse » en apparence, est radicalement subversive si l’on se rappelle que la logique du capitalisme tardif est de compresser le facteur travail pour le réduire à rien, et de traiter le salaire « comme une simple marchandise » (7).  Entre cette logique et la pensée catholique, il y a là un conflit profond…  

Des ultralibéraux tala vont m’assurer que la main invisible fait quelque part un invisible signe de croix, mais je n’aimerais pas être à leur place.

 

Ce qui est en train de naître est une théologie de la libération économique et sociale : une libération profitable à tous, mais dont la source  est objectivement religieuse, puisque cette libération est création d’un type différent d’espace économique  dont les chrétiens croyants ont la clé ultime de lecture. Ils « liront différemment », par exemple, « le commerce équitable, comme la recherche d’une des fins principales de la vie humaine qui est la communion avec les autres. Ce n’est pas l’expression d’une préférence, mais la recherche d’une fin objectivement valable donnée par Dieu et non simplement choisie. » (8).

 

D’où l’appel à l’action de Cavanaugh : « Si nous avons affaire à un Etat libéral qui professe l’agnosticisme quand aux fins dernières de la vie humaine, et si nous ne sommes pas disposés à accepter la contrainte violente du socialisme d’Etat, alors les chrétiens appelés à témoigner d’un autre type d’économie n’ont pas d’autre choix que de décréter que cette économie commence maintenant, dans l’histoire, dans l’expérience concrète et locale de l’Eglise. On ne doit pas se résigner aux choses telles qu’elles sont. […] Le but est vraiment une révolution, puisqu’il s’agit de transformer la totalité de la vie économique en quelque chose qui soit digne des enfants de Dieu. Mais c’est une révolution qui ne peut pas être imposée d’en haut par la force, car elle ne prendra sa place que dans la transformation concrète des transactions qui asservissent en transactions libres. »

Ce que Libération  de ce matin résume sans le vouloir par cette formule : « Le baril à 100 dollars – Qu’est-ce qu’on fait ? »   On s’organise. Autrement !

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>  Etre consommé – Une critique chrétienne du consumérisme, éditions de L’Homme nouveau, 163 pages, 19 €. Code ISBN : 978-2-915988-14-7, diffusion Serdif.

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(1)  éditions de L’Homme nouveau, 10 rue Rosenwald, 75015  Paris.

(2)  Ce blog, note du 14.10.

(3) Serge Latouche, La mégamachine – Raison technoscientifique, raison économique et mythe du progrès (La Découverte, 1995).

(4)  Précision du blog : il s’agit du groupe MCC (Mondragon Corporacion Cooperativa) fondé par l’abbé José-Maria Arrizmendiarrieta en 1956. Le groupe est actuellement n° 1 au Pays basque et n° 7 en Espagne.  www.mcc.es/fra/cooperativismo/experiencia.html

(5)  Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, Téqui, avril 1986.

(6) Sur la fameuse notion thomiste de « destination universelle des biens »  (qui courrouce le pieux oncle Gontran et tout son conseil d’administration), Cavanaugh indique plusieurs pistes. Nous en parlerons en réponse aux invectives que cette idée va s’attirer immanquablement.

(7)  J. Ratzinger, op. cit.

(8)  W. Cavanaugh, op. cit.

 

 

 

 

Commentaires

DYNAMIQUE

> Ce livre fait en quelque sorte une première synthèse de l'évolution de la pensée chrétienne de ces dernières années. Il est porteur de dynamique et d'espérance. Il ne reste plus qu'à le faire connaître pour que le débat existe. Un débat qui permettra d'ouvrir les yeux sur la modernité du message de l'Eglise. Ce qui en surprendra beaucoup. La place Saint Pierre est déjà trop petite...

nb : il est difficile de trouver le livre en librairie, même sur le net, sinon sur le site de l'éditeur chez qui je l'ai commandé.

Écrit par : Qwyzyx | 02/11/2007

DIFFUSION DU LIVRE

> Pour ceux qui seraient intéressés par la lecture de ce livre, après cette formidable présentation, je me permets d'indiquer :
a) que pour l'instant, effectivement, le livre n'est disponible que sur le site de l'éditeur (www.hommenouveau.fr) le temps pour notre diffuseur de faire son travail. Ce site est sécurisé;
b) vous devez à la rapidité de Patrice de Plunkett de trouver une présentation avant la commercialisation à plus grande échelle du livre;
c) c'est une occasion de mettre en action la relation directe producteur-acheteur (les réseaux directs producteurs-consommateurs dont parle Patrice de Plunkett dans son deuxième post sur le sujet).

Merci encore à Patrice de Plunkett.
Pardon de cette intrusion.
Amicalement.
Philippe Maxence

Écrit par : Philippe Maxence | 03/11/2007

@Qwyzyx

> J'ai commandé le livre sur le net en recherchant sur google "les éditions de l'homme nouveau" : commandé dimanche, je l'ai eu mardi par la poste.
J'en ai lu la moitié : c'est effectivement très intéressant.

Écrit par : olivier le Pivain | 03/11/2007

LA PAROLE FAITE CHAIR

> Merci, cher Patrice, de nous faire connaître ce livre.
Comme est vraie votre phrase : "cesser de prendre le monde actuel pour un chantier de joyeux nains de Blanche-Neige où il suffirait de siffler (des cantiques) en travaillant (dans les salles de marchés)."
Entre horizontalisme plat et fausse verticalité désincarnée, il y a tout simplement la Parole faite chair, dont nous devons nous nourrir toujours plus chaque jour.

Écrit par : père bernard | 03/11/2007

ROMPRE AVEC LE SUIVISME

> Je partage totalement votre intuition, nous sommes en train de construire une société mondiale d' un nouveau type, gravement aliénante et injuste, une sorte de totalitarisme au service de la jouissance (sexuelle surtout), qui passe par le saccage de toutes les vrais valeurs au sens le plus large du terme et qui produit une aliénation insupportable, une violente négation des tendances humaines profondes.

L'humanité dans sa dimension collective est de plus en plus près des vrais enjeux, ceux qui correspondent à l'option fondamentale dont parle Saint Thomas... je m'abandonne au sexe, à la poursuite égoïste de la jouissance ou je suis la ligne de la dignité de ma nature humaine, conscience morale, découverte de la vérité, dépassement du tragique, etc., etc.

S' y opposer lucidement, fermement est l'avenir de l' Eglise aujourd'hui, elle seule conservera la solution quand tous deviendront proches de la folie dans la cacophonie des discours creux ou intéressés...elle seule n'aura pas de masque et proposera encore la vraie libération, celle qui accepte la réalité et sa dimension de souffrance mais qui donne la vraie joie et les promesses de vie éternelle....c'est déjà vieux: le " n'ayons pas peur" de JP II...en 1978...ha oui...quelle vision...les choses s'accélèrent...ce combat, c'est notre avenir, j'en suis intimement persuadé. Merci de nous informer de son actualité.

Les attitudes d' un christianisme "progressiste" lato sensu = accroché au suivisme de la société et de la modernité (en philosophie, en théologie, en pastorale, en morale, en politique...mille noms viennent à l'esprit), sont totalement périmées et l' Eglise devrait mieux s'en porter progressivement, elle sera plus unie à court terme, j'en suis également convaincu.

Écrit par : vicenzo | 06/11/2007

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