22/10/2007
Ces profs qui refusent de lire la lettre de Guy Môquet
À quel réflexe obéissent-ils ?
On dira ce qu’on voudra de l’usage que Sarkozy a voulu faire de la lettre d’adieu de Guy Môquet. (Et j’avoue mal comprendre ceux qui chipotent sur le point de savoir si ce garçon a été fusillé en tant que communiste ou simplement comme otage ; on sait que la sélection fut faite par un sous-préfet vichyssois, et qu’il y eut quelque chose d’obscène à voir l’Etat français faire fusiller des Français par l’ennemi… Bref : relire Bernanos).
Le problème n’est pas là. Ce qu’il y a de troublant, c’est l’attitude de ceux des enseignants qui refusent de lire la lettre de Môquet. Ils n’arrivent pas à dire clairement pourquoi ils le refusent.
Est-ce un refus politique, pour ne pas suivre une impulsion de l’Elysée ?*
Ou culturel, par mépris envers le passé ?
Ou consumériste, par rejet d’une émotion non marchande ?
Ou hyper-individualiste, par rejet d'une mobilisation collective ?
Ou démagogique, par refus d'inculquer quelque chose ?
Ou caricaturalement gauchiste, « parce qu’il aurait fallu commémorer Manouchian plutôt que Môquet » (sic : ça a réellement été dit) ?
Ou corporatiste, pour « respecter les programmes » ?**
Dans aucune de ces hypothèses, l’attitude desdits enseignants n’est rationnellement soutenable. Et l’on devine pourquoi ils n’osent pas l’argumenter avec précision : refuser d’éduquer et rejeter le national, quand on appartient nominalement à l’Education nationale, est une démarche en porte-à-faux.
On a vu l’esprit soixante-huitard, précurseur du matérialisme mercantile, larguer une à une toutes les amarres de la pietas que l’école doit au pays. On en est aujourd’hui au refus de commémorer des Français fusillés par l'occupant... De cette attitude à la cathophobie constatée par ailleurs, il y a une continuité mentale : les cadres de notre société ont opté pour l'amnésie. On va voir où ça mène.
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(*) Selon l’Humanité, Sarkozy voudrait - à travers la lettre de Môquet – « survaloriser la famille, la patrie et sa conception du travail ». Affubler le sarkozysme du slogan de Vichy est absurde. D’autant que l’ultragauche en avait déjà affublé Ségolène Royal… Avions-nous donc deux candidats vichyssois au second tour de la présidentielle ? Voilà un fantasme digne de BHL !
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(**) A force de disloquer l’enseignement de l’histoire, les profs se trouvent dans la situation qu’ils allèguent aujourd’hui contre la lecture de la lettre : « On ne peut pas lire cette lettre parce qu’on ne peut pas expliquer son contexte historique aux élèves ». Si les cours d’histoire ne sont pas en mesure d’expliquer un contexte historique, c’est que les programmes sont mauvais. Mais ça, on le savait déjà.
00:00 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : Guy Môquet, école, Education nationale
Commentaires
" POURQUOI JE REFUSE CETTE LETTRE"
> J'ai essayé de répondre sur mon blog aux propos de Guaino. L'ethique d'un professeur n'est pas d'agir en fonction de la bourse qui le paie, mais en foNction de se ce qu'il croit détenir de la vérité, sauf a considérer que cette ethique ne vaut rien.
L'Etat confond ici l'histoire et la mémoire, et cette injoction s'inscrit dans la longue série de la tentation du politique à légiférer en matière d'histoire, à distinguer ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, ce qui est positif et ce qui ne l'est pas et surtout à pénaliser toute démarche contraire au préjugé mémoriel. Le rôle D'un professeur n'est pas de dire ce qui est bien ou mal mais d'enseigner la démarche par laquelle l'individu peut accéder à la vérité. La lettre de Moquet à pour fonction de créer du lien social, c'est un acte mémoriel, et non une démarche d'historien. Voici pourquoi je refuse cette lettre.
Papageno
[De PP à P. - Pardon, mais je ne suis pas sûr de saisir votre raisonnement. Qu'est-ce que le "préjugé mémoriel" ?]
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Écrit par : Papageno | 22/10/2007
UN RAPPEL UTILE
> Parfaitement d'accord.
Quel plaisir de lire votre blog!
Je travaille dans un lycée catholique et je suis moi-aussi surpris des réactions de professeurs que j'entends.
Je ne connaissais pas cette lettre et je l'ai trouvé très belle et très émouvante comme tout le monde.
Il était communiste et alors. Le problème n'est pas là.
Je pense que cette directive du président fait appel à notre civisme, notre sens du bien commun. N'est-ce pas actuellement un rappel utile?
Écrit par : olivier le Pivain | 22/10/2007
LE CHOIX
> Dans cette courte missive quelques phrases expriment les tristes et dernières pensées adressées à ses parents par un jeune homme que la mort va emporter, rien d’autre. Il est presque indécent de vouloir faire de ce propos très simple et marqué d’une certaine naïveté un outil pour organiser un « moment d’émotion collective » (M. Guaino) !
Pourquoi MM. Sarkozy et son conseiller spécial n’ont-ils pas choisi une des trois dernières lettres du commandant d’Estienne d’Orves * fusillé lui aussi en 1941 par les Allemands ? Ces lettres (adressées respectivement à ses parents, à sa femme et à ses enfants) sont d’une élévation humaine et spirituelle bouleversante, elles sont une magnifique méditation sur la souffrance, la patience, le courage et l’espérance...
Contrairement à la lettre de Guy Môquet aucun adolescent d’aujourd’hui ne serait capable d’écrire ce que d’Estienne d’Orves a écrit ; les écoliers, collégiens et lycéens auraient donc beaucoup à apprendre d’une telle lecture !
Aussi rappelons les dernières paroles de cet officier de marine avant d’être fusillé : d’Estienne d’Orves s’adresse au président de son peloton d’exécution, « Monsieur, vous êtes officier allemand. Je suis officier français. Nous avons fait tous les deux notre devoir. Permettez-moi de vous embrasser »... Beau sujet de réflexion et non d’« émotion collective », certes... d’où le choix de ceux qui nous gouvernent ! People et populisme ne s’accordent pas avec noblesse et grandeur d’âme (chrétienne...) !
Et puis si on réfléchit bien, l’émotion, ça ne s’« organise » pas, aucune lecture publique de lettre ne devrait être nécessaire à cela, il suffit d’enseigner l’histoire correctement, c’est tout...
(* cf. Vie exemplaire du commandant d’Estienne d’Orves, Plon, 1950)
Carnton Williamson
[De PP à CW - Aller au devant de l'état d'esprit des élèves d'aujourd'hui est un moyen de les ouvrir à la méditation d'un exemple historique, chose dont ils sont incapables à l'état brut... Le métier de pédagogue est ardu. C'est peut-être pour ça que certains pédagogues ne font pas leur métier.]
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Écrit par : Carnton Williamson | 22/10/2007
OREILLE
> à C. Williamson : dire que d'Estienne d'Orves aurait mieux valu que Môquet, ou dire que Manouchian aurait mieux valu que Môquet, c'est laisser passer le bout de l'oreille.
Écrit par : Daniel Vérot | 22/10/2007
@Carnton Williamson
> "Pourquoi MM. Sarkozy et son conseiller spécial n’ont-ils pas choisi une des trois dernières lettres du commandant d’Estienne d’Orves "
Pourquoi effectivement? Mais la question n'est pas là. La seule question qui vaille actuellement est : sachant que le Président de la République a émis une directive demandant à tous les professeurs de lire cette lettre de Guy Moquet à leurs élèves, est-ce actuellement (ici et maintenant comme l'aurait dit Mitterand) une bonne ou une mauvaise chose? Pour moi, c'est une bonne chose.
Écrit par : olivier le Pivain | 22/10/2007
UBUESQUE
> N'était-il pas ubuesque, hier soir, d'entendre les présentateurs du JT annoncer aux élèves que leur prof d'histoire ou de français leur lira la lettre que le président leur demande de lire ? En terme de propagande, c'est du jamais vu auparavant, je crois. Nicolas ou "je suis partout"
Écrit par : solko | 22/10/2007
REFUS
> "ceux des enseignants qui refusent de lire la lettre de Môquet (...) n’arrivent pas à dire clairement pourquoi ils le refusent" Les motifs de refus sont certes divers et variés, ce qui donne peu de lisibilité vu de l'extérieur...
Mais en voici au moins un : le ras-le-bol de collègues d'histoire face aux tentatives -perçues comme de plus en plus fréquentes- d'ingérences du politique dans leur matière : journée de commémoration de la fin d'un esclavage qui pendant ce temps continue de sévir de part le monde ; rôle positif de la colonisation ; aujourd'hui, cette "journée"...
Grand battage médiatique, ça évite de parler de la construction de l'Europe (pourtant, ça aussi, c'est au programme !)
Écrit par : Ren' | 22/10/2007
SUPRANATIONAL
> On ne peut passer sous silence que Guy Mocquet était communiste.
Cela n'enlève absolument rien à la bravoure et à la générosité de ce jeune homme.
En revanche, dans le cadre d'un enseignement de l'histoire, cela doit clairement être dit: l'engagement de ces militants était au service d'une cause supranationale plus que de la France.
Ludovic
[De PP à L; - C'est ce que disaient une partie des enseignants qui ont refusé de lire la lettre : ils ne voulaient pas la "détourner" au profit du patriotique.]
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Écrit par : Ludovic | 22/10/2007
LE PCF
> Ce qui est arrivé à Guy Moquet est tragique, et il a droit à notre souvenir attendri.
Ce que je trouve malheureux dans cette commémoration c'est qu'elle risque de renforcer une vision en noir et blanc de cette époque tragique.
Beaucoup de gens croient naivement que tous les communistes d'emblée ont été résistants, et que toute la droite a collaboré.
On ne leur dit pas que le parti communiste a eu une atittude éminemment ambigue et blâmable jusqu'à l'attaque allemande contre la Russie.
On ne leur dit pas qu'une grande partie des milieux collaborationnistes parisiens qui reprochaient à Vichy son manque d'enthousiasme pro-allemand étaient composés de gens de gauche comme Doriot et Déat. Laval lui-même était avant la guerre un socialiste indépendant.
Les millieux conservateurs ont eux aussi compté beaucoup de résistants : mais comme beaucoup d'entre eux faisaient du renseignement ils étaient moins visibles (même s'ils ont payé un lourd tribut) que les francs-tireurs communistes dont les actions courageuses mais d'une efficacité limitée entraînaient immanquablement des prises et exécutions d'otages.
Somme toute, cette commémoration tend à renforcer une vision caricaturale d'une époque infiniment complexe.
Plus de soixante ans après les faits, on aurait pu espérer mieux.
Écrit par : furgole | 22/10/2007
OUKAZE
> Professeur d'histoire ayant deux troisièmes cette année, je n'étais pas tenu de lire cette lettre (cela l'était en lycée). Je ne l'aurais pas fais pour une raison simple: le rejet du culte mémoriel basé uniquement sur l'émotion. C'est du consumérisme historique et pas de l'Histoire. On nous balance Guy Moquet par oukaze le 22 octobre. On se fout complêtement de savoir ou on en est dans la progression. Vous voulez une journée de commémoration patriotique? Il y a le 11 novembre. Pourquoi une de plus? Oui les programmes sont mal faits. Mais pourquoi le sont-ils? Parce que depuis plusieurs années, le politique s'en mêle (il y aurait beaucoup à dire sur les pertes de repère nationaux dans les programmes cf les cours sur l'europe par exemple).On n'enseigne plus la seconde guerre mondiale mais le devoir de mémoire par exemple. On nous saoûle de commémorations, de journées de ceci, de cela etc. On nous colle des lois liberticides sur l'esclavage ou tel ou tel génocide. Stop, interdit d'en parler ou alors il faut dire ceci et pas cela! Allez donc voir ce qu'en dit le comité liberté pour l'histoire. Construire une culture et un raisonnement historique demande une progression, une construction du savoir historique et pas des "coups" médiatique. Une journée Guy Moquet comme on ferait une journée du blanc ou une journée sans tabac!
PS: d'accord pour dire, en plus, que cette lettre est émouvante mais il y a mieux pour parler de l'engagement des jeunes en résistance.
Écrit par : vf | 22/10/2007
CHATEAUBRIANT
> Où avez-vous lu, cher Patrice de Plunkett, que la sélection des otages a été faite par un sous-préfet vichyssois ?
Je vous recommande le livre : « Lecornu Bernard (1984). Un préfet sous l’occupation allemande. Chateaubriant, Saint-Nazaire, Tulle. Editions france-empire. Paris. 327 p. ». Vous verrez, en lisant cet intéressant ouvrage, un ouvrage qu’a préfacé Maurice Schumann, que les évènements se sont déroulés d’une façon bien différente de celle que vous imaginez.
Vous y lirez aussi la relation que fit le curé de Bléré après avoir assisté les otages lors de leurs derniers moments :
« Je revois encore », dit le curé de Bléré, « M. Timbaud donnant le bras au jeune Moquet. J’ai devant les yeux le beau visage de ce jeune homme de dix-sept ans. J’entends la déclaration de ce grand garçon me disant : « Je laisserai mon souvenir à l’Histoire, car je suis le plus jeune des condamnés » » […]
« A leur tour ces hommes voulurent me faire une déclaration générale que j’écoutais avec soin. », poursuit un peu plus loin le curé de Bléré. « Monsieur le curé, nous n’avons pas vos convictions religieuses, mais nous vous rejoignons dans l’amour de la Patrie. Nous allons mourir pour la France ; c’est à elle que nous faisons le sacrifice de notre vie. Nous voulons mourir pour que le peuple français soit plus heureux. Notre sacrifice ne sera pas inutile, nous le savons ; un jour, il produira ses fruits. Au commencement de l’Eglise, vous avez eu vos martyrs, nous ferons du bien comme les martyrs chrétiens ».
Sophrone
[De PP à S. - Cher Sophrone, la sélection a été commandée par Pucheu et activée par l'un de ses subordonnés qui avait rang de préfet et dont le nom commençait par un D. Je ne le donne pas parce qu'il a des descendants.]
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Écrit par : Sophrone | 22/10/2007
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