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16/08/2007

Notre hommage (tardif) à Jacques Baratier

e02ae51ee98f74a7dab3d615f0927e4a.jpgLe fondateur d'AgriSud et de la banque solidaire NEF est mort en juillet, à l'âge de 85 ans :


Jacques Baratier, ex-dirigeant de grande entreprise, avait fondé AgriSud International : une ONG de lutte contre la pauvreté par la création de micro-entreprises dans les pays en difficulté, http://www.agrisud.org. Il avait également fondé la banque solidaire NEF.  Dans un livre politique* paru avant l’élection présidentielle, il déclarait notamment :

 

<< - Nous sommes accrochés en politique à des schémas anciens : l'affrontement droite-gauche, l'harmonisation du progrès social, le bénéfice des entreprises. Ces problèmes sont dépassés par trois autres : la pauvreté, l'avenir de la planète, la raréfaction des ressources naturelles, notamment l'énergie. Toute l'économie, à partir de 1945, a été consacrée à l'utilisation du plus grand nombre de ressources possibles pour le plus grand nombre d'habitants possibles. Aujourd'hui, il faut prélever avec précaution pour partager avec un nombre de plus en plus grand d'humains sur une planète qui, elle, ne peut pas grandir. C'est un phénomène qui change tout, qui nous oblige à réinventer l'économie. Il faut lui redonner un moteur. Il faut se servir du « mieux-être », ou l'espèce humaine disparaitra. On nous bassine avec des problèmes du passé. […]  Le prochain président devra intégrer ces trois nouveaux défis, sinon il nous fera perdre du temps. […] Les prochains dirigeants doivent réinventer l'économie.

 


- L'un des défis est la lutte contre la pauvreté, contre l'inégalité et la précarité : si on ne les réduit pas, le terrorisme s'emparera de toute la planète. Mais aussi, pour un chef d'entreprise comme moi, si on ne chasse pas la pauvreté de la Terre il n'y aura pas de nouveaux marchés solvables pour nous développer. On scie la branche sur laquelle on est assis. Réguler l'immigration n'a de sens que si l'on est capable d'aider ces pays à développer leur tissu économique de base.

 


[ Question de J.F. Achilli : "Nicolas Sarkozy veut justement promouvoir le co-développement avec les pays d'origine ?"]

 

- Il ne faut pas développer leur structure macro-économique. Il faut plutôt promouvoir, développer, multiplier des activités rémunératrices : agriculture, maraîchages autour des villes, les entreprises de construction de matériaux locaux, la micro industrie, comme nous l'avons fait il y a deux siècles chez nous. Il faut en première nécessité nourrir les populations. Avec mes tout petits moyens, ceux d'AgriSud, j'ai créé seize mille petites entreprises et plus de soixante mille emplois en 18 ans, dans neuf pays d'Afrique subsaharienne et d'Asie du sud-est. Les grandes institutions doivent s'intéresser à ce type d'initiatives. Les grandes entreprises ne doivent pas déverser des sommes astronomiques à des gouvernements corrompus, mais trouver des systèmes de répartition qui financent des projets concrets.

 


[Question, février 2007 : "Nicolas Sarkozy peut-il l'emporter ?"]
- Moi je pense tellement que les problèmes ne sont pas résolus par les présidentiables d'aujourd'hui, qu'ils soient de droite ou de gauche, que cette question me parait sans intérêt. Les défis sont si élevés et complexes, que ce n'est pas dans l'affrontement que se situe les réponses, mais dans la concertation. Les combats politiques sont absurdes.  >>

 

(*) Jusqu'ici, tout va bien (Jean-François Achilli, Ramsay, février 2007).

L'ENTREPRISE CONTRE LA PAUVRETE
Jacques Baratier
Préface de Jean-Claude Guillebaud

Autrement, 2005.

<<  Un dirigeant d'entreprise engagé contre la pauvreté. Jacques Baratier nous rappelle que la vocation de l'entreprise est de libérer l'homme de la pauvreté et d'assurer son développement en créant des richesses.

Quatre années de lutte contre l'oppression nazie, quarante de management d'entreprises, vingt consacrées à lutter contre la pauvreté grâce à l'association Agrisud qu'il a fondée et dotée d'une partie de son patrimoine...

L'expérience de Jacques Baratier le conduit à remettre les choses à leur place : l'objectif de l'économie est d'ordonner au service de l'homme les richesses et les relations humaines créées par l'entreprise. Les 53.000 emplois et les 12.000 micro-entreprises créés par Agrisud en Afrique et en Asie sont la preuve expérimentale que cet objectif peut être atteint.

Mais la crise du libéralisme a renversé l'ordre des choses. Le livre dénonce les fourvoiements destructeurs de l'idéologie néolibérale : l'entreprise travaillant contre les emplois, créant la richesse des uns, engendrant la pauvreté des autres, au nom de la prétendue loi supérieure du marché et de la concurrence.

Conclusion : non seulement on peut créer de la richesse autrement, mais la lutte contre la pauvreté est la clé de la croissance.

Un cri de colère contre le monde économique et politique néolibéral tel qu'il va, et un message d'encouragement.>>

Commentaires

CE QUE J.C. GUILLEBAUD A DIT DE J. BARATIER

> Bravo de parler de feu Baratier. C'était un grand homme discret, et un homme bon. Et courageux. Voilà ce que JC Guillebaud dit dans sa préface au livre de Baratier "L'entreprise contre la pauvreté" (Autrement, 2005) :

" Ce qui frappe immédiatement chez Jacques Baratier, c’est une qualité particulière - on pourrait dire une vertu - qui n’est pas donnée à tout le monde : l’esprit de résistance. On ne fait pas seulement allusion au passé et à l’histoire, qui auront vu l’auteur de ce livre continûment dressé contre la tyrannie. On pense plutôt à tout ce qui transparaît dès la première rencontre ou dès la première page écrite : une certaine disposition à la liberté d’esprit, à l’indépendance de pensée. Il existe une catégorie d’hommes qui savent briser les catégories et les routines ; échapper aux prétendues fatalités de classe, d’âge ou d’origine ; brouiller les classifications convenues. Quelques exemples viennent immédiatement à l’esprit.

D’abord l’incroyable jeunesse. Comment ne pas être frappé par cette impétuosité intacte, cette énergie curieuse, cette volonté d’apprendre et d’agir. À un âge qui correspond le plus souvent avec celui du retrait et du repos, Jacques Baratier semble habité par autant de projet que ne l’est ordinairement un moins de trente ans. Homme d‘action, il fut ; homme d’action il reste. Et cette condition induit chez lui une inclination pour le concret, les réalités tangibles, les vies de chair et de sang. On repère derrière les mots qu’il emploie une certaine façon d’être de plain pied avec le réel, sans jamais céder à cette insidieuse résignation qu’on appelle parfois — hélas ! — le « réalisme ». Autrement dit, la première classification qui se trouve ici brisée, c’est celle qui voudrait opposer les rêveurs aux hommes d’action, les utopistes au gens « sérieux ». Rien n’est plus subversif qu’un homme qui, tout en connaissant parfaitement la réalité quotidienne n’a pas renoncer, pour autant à la changer. Cet homme-là, en effet, échappe aux dualismes paresseux. Bien qu’il n’ait plus l’âge des anciens soixante-huitards, Jacques Baratier réhabilite l’un des plus beaux slogans articulés au printemps 68 : ‘Soyez réaliste, demandez l’impossible’.

Mais le monde a-t-il jamais progressé autrement que sous l’impulsion de ceux qui demandaient sérieusement l’impossible ?

On notera qu’en l’occurrence, c’est d’un chef d’entreprise qu’il s’agit. C’est-à-dire de quelqu’un à qui n’échappe pas le prix des choses ni la résistance des habitudes. Entrepreneur ayant fait ses preuves, dirigeant de société ayant, en tant que tel, affronté — et apprivoisé — toute sa vie les dures lois de l’économie, Jacques Baratier n’est pas le plus mal placé pour savoir ce qui n’est plus acceptable dans le « système ». Il sait, pour le vivre quotidiennement, ce que peuvent avoir de dévastateur une économie de marché livrée à ses propres logiques ; ce que peut avoir d’inhumain un néolibéralisme que ne tempère plus aucune résistance. La dénonciation des inégalités nouvelles, du mépris des plus pauvres, de l’accoutumance à l’injustice sociale : toutes ces protestations prennent sous sa plume une résonance particulière. En effet cette voix-là nous parle de l’intérieur même de la citadelle économique.

Les critiques qu’elle adresse au néolibéralisme et à la « pensée unique » contemporaine ne se fondent pas sur l’idéologie mais sur l’expérience de tous les jours. Elle est parfaitement « renseignée », pourrait-on dire... On comprend que Jacques Baratier ait été séduit par les analyses sans complaisance de Joseph Stiglitz, ancien numéro deux de la Banque Mondiale, homme du sérail dénonçant les aveuglements du sérail. Ce dernier, comme on le sait, avait fini par être révolté par ce qu’il vivait concrètement dans les arcanes de la grande institution internationale. Ainsi le haut fonctionnaire devint-il un grand protestataire. Pour ce qui concerne Jacques Baratier, c’est pareillement la conduite d’une entreprise et la pratique des hommes qui lui ont fait comprendre que le système était en train, littéralement, de devenir fou. Qu’est-ce à dire ? Qu’il ne s’agit pas de remettre en question l’économie de marché en tant que telle mais de refuser sa dogmatisation.

Car c’est bien à cet étrange phénomène qu’il nous est donné d’assister depuis une quinzaine d’année. Privé d’adversaire, à l’abri des critiques sérieuses et des résistances organisée, le libéralisme donne l’impression de se rigidifier, de se dogmatiser. La vulgate tend à remplace l’analyse, l’indifférence au réel se substitue au pragmatisme, la dureté sociale est servilement accepté comme une fatalité tandis que prévaut peu à peu le plus démobilisateur de tous les discours : celui qui voudrait nous faire accroire que « nous n’avons pas le choix ». [...]

Comme tous ceux qu’anime l’esprit de résistance, au sens le plus noble du terme, Jacques Baratier pense au contraire qu’il existe toujours une alternative. Cela signifie que quiconque croit en la démocratie n’accepte jamais de se soumettre au principe d’inéluctabilité, qui n’est jamais qu’une parodie sinistre du « réalisme ». Non, la dureté envers les pauvres n’est pas une « fatalité » ; non la précarité réservé aux perdants n’est pas un « destin » ; non l’injustice généralisée n’est pas un résultat «inévitable ». En un mot, en ce début de siècle et de millénaire, le vrai réaliste n’est pas celui qui se soumet, c’est, bien au contraire, celui qu’habite encore le projet de changer le monde. Jacques Baratier en est un bel exemple. "

Écrit par : Manuel Vela | 16/08/2007

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