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20/12/2006

Journalisme : "cash", un adjectif étrange...

...entendu ce matin au vol, à la radio : 


Ce matin France Inter recevait l'universitaire Jacques Sapir, slavisant et spécialiste de la Russie. Celui-ci exposait (avec précision et clarté) la complexité de ce qui se passe réellement à Moscou. Ses explications n'allaient pas dans le sens du prêt-à-penser habituel, mais le journaliste n'en tenait pas compte, et  répétait les idées fixes qui résument l'attitude parisienne envers la Russie *

Un auditeur a appelé et renchéri en insultant Sapir,  "agent de Poutine"... 

Cet auditeur n'y connaissait visiblement rien et cherchait ses mots  ;  mais ce qu'il tenait à dire, c'est qu'il appréciait énormément le journaliste. Pourquoi ce coup de coeur ?  Parce que, disait l'auditeur, ce journaliste était "cash".  Entendant cela, le journaliste émit un rire de plaisir.

Que voulait dire "cash" ?

D'après le contexte, cet américanisme ne pouvait avoir qu'un seul sens :  le journaliste était perçu comme "réactif". Il réagissait instantanément.  Il  exprimait ses émotions : il se mettait en colère quand on le contredisait, il riait de plaisir quand on allait dans son sens (le sens de la station), il s'étonnait qu'un invité n'ait pas le point de vue standard.  Ce comportement plaisait à l'auditeur, qui y trouvait un écho (cash) de ses propres programmations émotionnelles.

C'est une façon de voir.

Mais elle crée un problème. Quand tout le monde a le point de vue standard (comme semblait le souhaiter l'auditeur, eu égard à ses propres émotions), il n'y a plus de débat.

Si le prêt-à-penser (transmuté en "émotions sincères") devient le fond commun obligatoire, aucune discussion n'est plus possible.

Nous sommes assez près de cette situation. La France devient le pays où l'on peut de moins en moins confronter les points de vue. Je ne parle pas ici de points de vue provocateurs ou délirants, mais de simples constatations objectives, accessibles à n'importe quelle personne soucieuse de s'informer de la marche du monde. L'air du temps et ses "émotions" prennent le pas sur ce besoin d'objectivité.  La correctness  supplante l'information.

Dans les grands médias, en tout cas.

C'est pour cette raison que la France est aujourd'hui le numéro 2 mondial en nombre de blogs, derrière les Etats-Unis...

 

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(*) en gros : "Sous Poutine c'est la mafia, sous Eltsine c'était la démocratie". Jacques Sapir expliquait autre chose : sous Eltsine ce n'était pas la démocratie (et c'était la mafia) ; sous Poutine ce n'est toujours pas la démocratie (mais ce n'est plus la mafia).

 

13:00 Publié dans Médias | Lien permanent | Tags : journalisme, époque, air du temps, langage