Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/11/2006

Une nouvelle ''théologie de la libération'' ? Dialogue avec Michel…

Michel nous envoie une série de réflexions sur l’Eglise, la situation (de plus en plus invivable) faite au salarié, et la mondialisation  :


 

  <<  Bonjour, Je suis extrêmement intéressé à la fois par ce petit extrait et par les échanges que vous avez pu avoir à sa suite. Seulement, je ne peux m'empêcher de trouver le discours de l'Eglise comme dans bien d'autres occasions, totalement irénique ou disons en décalage assez net avec les réalités sociales qui façonnent notre existence. Il y a deux phénomènes, deux processus fondamentaux aujourd'hui très paradoxaux et pourtant étroitement liés.

1.  QUE PEUT L’INDIVIDU AUJOURD’HUI ?

D'une part l'individuation qui consiste à produire de plus en plus d'individus isolés, ou en tout cas qui doivent assumer seul leur avenir professionnel, leur situation professionnelle etc. et qui incitent à penser, c'est le processus même ouvert par le libéralisme, qu'ils sont responsables de toute leur situation.

Vous perdez un emploi et n'en retrouvez plus au-delà de 40 ans ? C'est vous, le responsable, parce que vous n'avez pas été suffisamment flexible, par exemple pour mettre en oeuvre votre "employabilité".

Ce qui se repère dans le domaine de l'emploi a en fait irradié tous les champs sociaux, et produit notamment ces nouvelles formes de précarités aux périphéries des villes (périurbain) : vous avez voulu une maison individuelle ? Et votre conjoint décède ? Tant pis pour vous.

Alors, dans ce cas on se tourne de manière désespérée vers les responsables. Et là, c'est la grande tragédie et sur ce plan là que je trouve que l'Eglise est irénique. Les patrons, c'est une figure creuse, les patrons n'ont aucun pouvoir dans la plupart des cas, ils sont massivement conditionné par une logique qui est liée à la mondialisation de l'économie et à sa très grande fragmentation. Dire que "si un 'patron' licencie, il sait très bien que s'il ne le fait pas, c'est l'entreprise qui saute", est totalement obsolète. Aujourd'hui, ce n'est pas ça, c'est un contrat de travail d'une durée déterminé et qui n'est pas renouvelé, tout simplement. Et cette ultra-flexibilisation est beaucoup plus d'actualité que l'histoire du salarié bien stable. Savez-vous tout de même qu'on change de 6 à 9 fois d'emploi dans sa vie en France, vous imaginez !

Et pourquoi ces aspects contractuels, sur de courtes durées ? Parce que personne plus que jamais ne sait de quoi demain sera fait et personne n'est en mesure de produire de la continuité, de la pérennisation d'emploi parce que le système le rend impossible.

Oui, on se retrouve alors face à un vaste ensemble fragmenté de procédure, de logiques, de dispositifs, dans lequel on cherche à tout prix des responsables, mais il n'y en a pas.

Et la "réforme" d'un tel système est illusoire, totalement illusoire : certains irénistes parient sur le "redépart à zéro" mais ils rêvent totalement, aucun Etat n'est en mesure aujourd'hui de reconstituer une souveraineté économique, par exemple. Il est impensable techniquement et pas uniquement en soi, de sortir de l'organisation mondialisée de l'économie, c'est une absurdité.

Donc voilà écrit à toute vitesse quelques éléments qui font que l'Eglise fait toujours sourire par son discours très beau sur les principes mais totalement inapplicable dans la réalité (mais quel sens ça a du syndicat aujourd'hui !!). Ses principes sont jolis, mais c'est pas avec eux qu'on va déplacer les montagnes, ça c'est sûr.

Le travail est à la fois social, politique et économique, il vise en premier lieu à créer des conditions de pérennisation des emplois, à adapter les dispositifs de solidarité pour les "inemployables", à développer des dispositifs de formation ou en tout cas à réviser nombre d'entre eux dans le cas français par exemple. Il n'est donc pas de juger ou d'évaluer mais de transformer, d'infléchir, et surtout d'ouvrir : les situations de "choix", hormis le cas d'école du licenciement qui est un millionième de la réalité sociale du monde du travail, sont inexistantes, il s'agit bien davantage de penser les conditions d'une offre et la capacité des individus à s'ajuster par rapport à cette structure de l'offre, autrement on n’en termine pas, on en revient à une sorte de débat totalement stérile entre des poujadistes d'un côté et des ultralibéraux de l'autre, qui sont deux positions les plus faciles à tenir parce qu'elles économisent toute réflexion sérieuse.

2.   L’EGLISE DEVANT LA MONDIALISATION

Le second processus/phénomène que je souhaite évoquer est celui de la mondialisation. Celle-ci n'est pas un monstre mais d'abord une réalité nouvelle, multiforme et effroyablement complexe sur laquelle personne n'a de prise puisqu'il n'existe pas à l'heure actuelle de mécanisme réellement pertinents de régulation. Je trouve que ce processus-là analysé vraiment finement fait tout de même défaut à l'Eglise qui reproduit quelque part les théories du "complot" mondialiste qui évite de penser ce phénomène. Merci en tout cas de nous donner tous ces éléments à réfléchir ! >>

 

------------

 

5 suggestions à Michel

 

>   Votre diagnostic sur l’état de la société n’est que trop réel. C’est sur le document Ratzinger que je ne partage pas votre avis.

Pour plusieurs raisons :

 

1. Il date de 1986, donc il ne décrit pas la situation postérieure : le bulldozer qui allait rouler sur le monde après 1990, arasant toutes les haies des sociétés humaines au nom de la seule "rentabilité" (ou "valeur pour l'actionnaire").

 

2.  Cependant ce document a innové, en encourageant les chrétiens à changer les structures économiques néfastes là où elles existent. (C’est là que les catho ultralibéraux, rare et aberrante espèce, méprisent ce pauvre théologien Ratzinger qui ne sait pas combien suave – quam bonum et quam jucundum -  est le joug de la spéculation financière).

 

3.  Critiquer le système est inutile ?  Mais Stiglitz et d’autres économistes (depuis déjà des années*) constatent que vouloir créer des « conditions de pérennisation des emplois »  sous le règne du tout-pour-l’actionnaire, revient à faire de l’architecture sous un bombardement…

 

4. J’en reviens au document Ratzinger : son efficacité immédiate est d’ouvrir les yeux des catholiques (s’ils sont de bonne volonté) sur des situations humainement intolérables (**). L’Eglise n’est pas un parti politique ni un gouvernement. Son rôle est d’éveiller les consciences.

 

5. Par ailleurs l'Eglise encourage chaque chrétien à s'engager dans la solidarité active : c'est exactement ce que vous proposez au dernier paragraphe de votre point 1 ! Cf  Benoît XVI dans son encyclique, 2ème partie, § 32:

 "Nous ne contribuons à un monde meilleur qu'en faisant le bien, maintenant et personnellement, passionnément, partout où cela est possible, indépendamment de stratégies et de programmes de partis. Le programme du chrétien - le programme du bon Samaritain, le programme de Jésus - est 'un coeur qui voit'."

 

 

Sur la mondialisation, je ne suis pas d’accord avec votre reproche à l’Eglise. Elle ne tombe jamais dans la théorie du complot. Même si certains catholiques y tombent pour leur propre compte... 

Le concile Vatican II a prophétisé le passage à la dimension mondiale et en a décrit d'avance les aspects positifs, dans un texte (Gaudium et spes) qui fut vitupéré à l’époque pour son « optimisme ». Ensuite il y eut les années 1990 et le choc de la globalisation ultralibérale, avec ses effets destructeurs ; Jean-Paul II a alors lancé des mises en garde, parfois sévères.  Mais pas de « théorie du complot » dans ses analyses !

Ne confondons pas non plus Eglise catholique et Forum social de Porto Alegre (***) : l’Eglise est là pour éveiller nos consciences aux enjeux de l’époque, pas pour faire le travail politico-économique à la place des gens (****).  Je redis ce que je disais plus haut : la nouveauté importante, c’est qu’on ne peut plus dire comme autrefois : « l’Eglise réduit tout à des questions de comportement individuel » ; depuis le document sur la libération, et la nouvelle théorie théologique des « structures de péché », elle dit que la lutte pour changer les structures  – là où c’est nécessaire – peut faire partie du devoir des chrétiens. Si les structures sont mauvaises, ce n’est pas à cause d’un « complot », mais par suite de l’institutionnalisation du péché des hommes : voilà ce que dit l’Eglise.

Qu'en pensez-vous ?

 

----------

(*) Par exemple Lester Thurow : Les fractures du capitalisme,  1997,  éd. Village mondial.

(**)  Certains catholiques trouvent ces situations (faites à autrui) tout à fait tolérables ? Qu’ils se débrouillent avec leur conscience.

(***) Même si le fondateur dudit forum, Chico Whittaker (laïc), a des responsabilités dans son diocèse brésilien.

(****) Encyclique Deus caritas est : "La formation de structures justes n'est pas immédiatement du ressort de l'Eglise, mais elle appartient à la sphère du politique, c'est à dire au domaine de la raison responsable d'elle-même. En cela, la tâche de l'Eglise est médiate, en tant qu'il lui revient de contribuer à la purification de la raison et au réveil des forces morales, sans lesquelles des structures justes ne peuvent ni être construites, ni être opérationnelles à long terme."

 

Commentaires

LIRE GORI ET LE COZ

> Un livre à lire : "L'empire des coachs - Une nouvelle forme de contrôle social", de Gori et Le Coz (Albin Michel).
Citation : "Tout se passe comme si l'Etat, face à la difficulté de gérer les trop vastes populations issues d'un long processus d'urbanisation, devait recourir à un mythe social, celui de l'individu 'libre et éclairé' chargé toujours davantage de la responsabilité de ses conduites et comportements. Il s'agit ainsi de mettre en place une sorte d'éducation nationale permanente ou de 'rééducation permanente', dont nous serions nous-mêmes les instigateurs."
(Non, Henri : Gori et Le Coz ne sont pas des pilleurs de banques. ils ne complotent pas non plus d'assassiner Paul Doumer. Ce sont deux universitaires aixois).

Écrit par : torpenn | 11/11/2006

NIMIER MARXISTE ?

> Dans quel roman du bolchevik Roger Nimier y avait-il un personnage de bourgeois tenaillé par "l'angoisse métaphysique devant les nationalisations" ? C'était en 1950.
En 2006, le Medef défile à la Gay Pride. Réveillez-vous, les bien-pensants !

Écrit par : Frère Jérôme | 11/11/2006

Les commentaires sont fermés.