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27/10/2006

Elie Barnavi et l'exposition de Bruxelles : que penser du "retour des religions" ?

medium_PC135587ELIEBarnavi-web_1_.jpgAujourd'hui même, à Bruxelles, s'ouvre la grande exposition Dieux, modes d'emploi dont l’historien Elie Barnavi (photo) est l’un des organisateurs. Extraits de son interview dans Le Soir :


Elie Barnavi  -  L'Occident, qui s'est détourné de la religion, a cru, selon l'expression de Marcel Gauchet, qu'il était « sorti de religion », et il s'aperçoit aujourd'hui que cela n'est pas vraiment le cas. La religion, en effet, est revenue en force, et ce retour n'est pas sans s'accompagner de tensions et de violences. Comme ce phénomène n'est pas près de disparaître, il faut, pensons-nous, le montrer et essayer de faire comprendre aux gens de quoi il retourne et les amener à réfléchir. Héritier d'un bon demi-millénaire de rationalisme et de deux siècles de déchristianisation, le citoyen européen manque de repères, manque d'outils pour penser le religieux. Notre exposition ne va bien sûr pas offrir toutes les clefs de compréhension, mais c'est un bon début pour commencer à réfléchir.

 

Le Soir - Comment expliquer qu'il y a une vingtaine d'années, la laïcisation de la société occidentale semblait inéluctable alors qu'aujourd'hui, comme vous l'avez bien dit, le religieux est à nouveau partout ? Que s'est-il passé ?

Trois faits majeurs. D'abord, les mouvements de migration de masse qui ont eu comme conséquence qu'aujourd'hui, toutes les religions sont partout. Ensuite, la globalisation, autrement dit : la transmission instantanée des images et des messages religieux. Enfin, l'effondrement des blocs, ordonnés autour des grandes idéologies, des « religions laïques » du XIXe et du XXe siècle, qui a créé un vide dans lequel la religion s'est engouffrée. Si vous mettez ces trois facteurs ensemble, vous avez un début d'explication de ce retour massif du religieux en Occident. Dans le tiers-monde africain et arabo-musulman, il faut ajouter un troisième facteur. Là-bas, on a essayé toutes les recettes importées de l'Occident, et aucune n'a fonctionné. Prenez l'Egypte, par exemple. Depuis Bonaparte, les Egyptiens ont tâté du libéralisme, du nationalisme panarabe, du socialisme, bref, de tous les « ismes » que la modernité a mis à leur disposition. Pour des raisons diverses, ils ont tous échoué. D'où la tentation d'un « retour » à l'islam. Le slogan des Frères musulmans est : « L'islam est la solution ». Dans des sociétés rongées par la misère, par la démographie galopante, par le chômage de masse, et gouvernées par des Etats faillis et corrompus, incapables de répondre aux besoins fondamentaux des populations, la religion est devenue un substitut très puissant.

 […]  On a précisément le sentiment que ce retour du religieux est parti d'une (re)montée en puissance de l'islam...

Il est vrai que c'est l'islam qui a donné le ton. D'autant plus qu'en islam, cela se double d'une dimension politique, qui existe ailleurs, mais qui n'est pas aussi massive. En Occident, l'islam est devenu la deuxième religion en nombre d'adeptes et souvent la première en termes de pratique. Mais il ne faudrait pas que cette montée en puissance de l'islam cache d'autres phénomènes, de même nature, ailleurs. Aux Etats-Unis par exemple, qui est tout de même un pays qui vient de dépasser le cap des trois cents millions d'habitants, ce n'est pas l'islam qui est en question, mais plutôt les différents protestantismes plus ou moins millénaristes. En Amérique latine, en Afrique, où les Eglises de l'Eveil recrutent des millions de fidèles, c'est également le fondamentalisme protestant sous ses différentes formes qui a le vent en poupe. Voyez également la résurgence de l'hindouisme radical en Inde...

 

De plus en plus, les religions ne se contentent pas de trouver de nouveaux adeptes, elles entendent être reconnues dans leurs particularités dans la cité...

Vous avez raison. C'est une conséquence de la présence massive de communautés religieuses qui veulent s'affirmer et de la faiblesse morale et intellectuelle de ceux qui devraient mieux défendre leurs propres valeurs. La pénible impression qui se dégage, c'est que les sociétés démocratiques, pluralistes, ouvertes ne croient plus tellement à leurs propres valeurs et cèdent, au nom d'une idéologie du « politiquement correct », à des groupes de pression. On foule aux pieds ses propres principes pour ne pas avoir l'air d'empiéter sur ceux des autres. Les défenses morales des sociétés occidentales se sont énormément affaiblies face à des pôles durs, armés d'une vérité absolue. Face aux religions révélées, nous n'avons plus de « religion civique » à opposer.

(1) http://www.expo-dieux.be

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PREMIER COMMENTAIRE

 

>  Ce remarquable entretien mérite un débat. J’ouvre ce blog à toutes les questions que soulève Barnavi ! Dans l’immédiat, deux réflexions :

 

1.  Deux courants spirituels ne sont pas mentionnés par Barnavi parmi les phénomènes actuels de « retour des religions » : le catholicisme et le judaïsme. Qu’est-ce à dire ? Qu’ils ont raté le train ?  Ou qu’ils sont d’une autre nature que l’islamisme (et son jumeau, le fondamentalisme bushien) ?

 

2.  Barnavi met le doigt (au dernier paragraphe) sur le NIHILISME des sociétés qu’il nomme « démocratiques », et que Zinoviev appelait « postdémocratiques ».  On peut se demander : a) d’où vient ce VIDE, qui est spécifiquement occidental et plus précisément EUROPEEN aujourd’hui  ;  b)  ce que le dogme de la « LAICITE », brandi par les pouvoirs publics français pour masquer ce vide, peut peser face au besoin de SENS qui jette l’individu dans la recherche spirituelle…

 

A vous la parole.

 

 

 

Commentaires

> La cause du vide actuel n'est pas compliquée à localiser : c'est le système crétinisant de la société consumériste, qui supprime tout ce qui ne peut pas devenir marchandise. La première chose à disparaître ce sont les "grands récits" fondateurs de sens individuel et collectif.

Écrit par : zap | 27/10/2006

> Bonne question : quoi de commun entre la Rome des papes et Washington de Bush ou Dallas des évangélistes ? Rien, quoiqu'en dise Frédéric Lenoir !

Écrit par : milo | 27/10/2006

LUMIERES : L'AMERE VICTOIRE

> Curieusement, c'est à l'heure ou la philosophie des Lumières a atteint ses buts de guerre en Occident, que l'on touche du doigt son immense fragilité et son vrai visage: une forme sans précédent de nihilisme que personne n'ose dénoncer ouvertement. C'est à dire sans provocation mais aussi sans peur, et cela reste pour moi un mystère . . . A moins que cela ne manifeste qu’un comportement grégaire . . . Dans une société intellectuelle qui revendique la fin de tout tabou, cela ne manque pas de sel !

Personne, dans la sphère publique, n'ose tirer les conséquences de cette vague de non sens.

Est-ce si difficile que cela, que d'oser chercher la vérité sur l'homme, et de mener cette reflexion jusqu'à son terme ?

L'idéologie des lumières est consacrée en Occident par une victoire bien amère. A force de renier à toute force le sentiment religieux de chaque être humain, d'imposer à une opinion "qui n'est pas encore prête" des principes qui conduisent à l'autodestruction de la société, notamment, mais pas seulement du fait de la natalité,
Le religieux arrive de là où on ne l'attendait pas, et par un effet boomerang va peut être bientôt nous faire regretter le message que Jean-Paul II ou Benoit XVI n'ont cessé de proclamer: le mariage nécessaire entre Foi et Raison.

Finalement, L'Eglise Catholique Romaine, cible privilégiée des Lumières y compris quand elle ose reconnaître ses erreurs, y compris quand elle s'ouvre au dialogue en ne reniant rien à sa Foi, à travers le deuxième concile du Vatican, est une des rares confessions à reconnaître le rôle essentiel de la Raison, dans la vie de l'homme.

A force de caricaturer ses opinions, ce qui est une forme insidieuse de censure, c'est la société entière qui est desservie, et celà aujourd'hui n'est plus du domaine de l'opinion mais plutôt de celui des faits.

Pour le reste, peu importe nos opinions, le temps joue toujours en faveur de la vérité. . .

Tout le reste n'est plus que littérature !

Que l'immense amour de Dieu vous éclaire tous !

Écrit par : Pedro | 27/10/2006

SITUATION DU CATHOLICISME MONDIAL

> Je me pose souvent la question : y a-t-il des régions du monde où le catholicisme gagne du terrain, ou sommes-nous en perte de vitesse partout? Nous voyons souvent des preuves du progrès quantitatif de l'islam et du protestantisme, mais qu'en est-il du catholicisme?

Écrit par : Bernard Couture | 27/10/2006

> Pour le protestantisme et les ONG américaines, des diplomates du tiers monde m'ont confié qu'il s'agit souvent d'agents d'influence (américains), voire d'espionnage. Je vous le dis comme je l'ai entendu.
L'Islam ne me semble pas spécialement progresser. Ne serait-ce pas un effet des médias ? Les caméras nous le montrent plus souvent. L'actualité du Moyen Orient très médiatisée fait qu'on le voit plus.

Écrit par : Qwyzyx | 28/10/2006

Il me semble que l'agence Zenit avait annoncé il y a quelques semaines une très forte augmentation des vocations catholiques en Océanie et en Asie. Quant à l'Islam, il y a souvent une progression due à des conversion forcées ou par soucis d'integration dans des sociétés où être Chrétien (ou animiste) est synonyme de statut inférieur et d'inégalités voire de persécution. Du moins c'est un ami en poste en Afrique de l'ouest qui me décrivait cela. Il me parlait aussi des sectes protestante évangéliques américaine arrivant avec des moyens financiers énormes et souvent, toujours selon cet ami, liés à des intérets économiques (pétrôle etc.)

Écrit par : vf | 28/10/2006

@Bernard Couture

Y a t'il des régions du monde où le catholicisme progresse?
La réponse est oui.
Pas en Europe, nous l'avons tous compris.
Mais en Afrique, par exemple. Je n'ai pas vérifié mes chiffres, mais j'ai entendu dire qu'au début du 20 èime siècle, il y avait 3 millions de catholiques en Afrique et qu'il serait de l'ordre de 300 millions maintenant.
J'ai un frère, prêtre au Bénin depuis deux ans, à Natitingou plus exactement, dans les hauts plateaux au Nord du Bénin, donc beaucoup moins colonisé que les régions côtières. Il a vu en arrivant un prêtre qui était là depuis une cinquantaine d'années et qui avait été le premier à évangéliser nombre de villages de cette région. Pour nos consciences souvent trompées par l'ambiance médiatique, l'évêque du lieu a dit à mon frère : mais vous ne pouvez pas savoir le bien pour nous et la liberté que nous procure le christianisme (si vous voulez devenir animiste, il reste encore des places, on peut s'inscrire en Afrique, il y a en a qui s'en vont(de l'animisme, pas de l'Afrique).
Alors, les pessimistes habituels donneront des tas de bonnes raisons pour douter de ses conversions : je vous laisse les imaginer, c'est facile. Mais je ne sais pas si, en France, nous sommes bien placés pour donner des leçons.
Donc, oui, le catholicisme fait encore recette.
On pourrait aussi parler de L'Amérique du Sud et vous trouverez aussitôt les pessimistes pour dire : oui, mais, (c'est toujours le même début de phrase), Oui mais, il y a les évangélistes. Ne vous rappellez-vous pas que lorsque Jean-Paul II est devenu Pape, tout le monde regardait avec horreur la théologie de la Libération : qui en parle maintenant? Merci Jean-Paul II.
C'est surtout, dans notre Europe consumériste, comme l'explique Patrice de Plunkett, que le chritianisme ne fait plus rectte.
Alors, je vois venir certains : pas de problèmes, il n'y a qu'à demander aux prêtres d'Afrque de venir en France. Un bémol tout de même, il y a plus de catholiques par prêtre en Afrique qu'en France. Alors demandons aux Brésiliens....

Écrit par : o. le Pivain | 28/10/2006

> Pourquoi faire venir des prêtres ?

Pourquoi ne pas aller plutôt vers eux ?

Écrit par : Qwyzyx | 28/10/2006

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