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19/08/2006

"Libé" et les chrétiens de l'Inde

medium_53_1_.jpgRemarquable reportage sur les chrétiens persécutés en Inde...

Photo : jeunes catholiques indiens


Le calvaire des chrétiens
face aux nationalistes hindous :
article de Pierre Prakash (Libération, 19 août)

 

 

<<  La scène se déroule le 25 juin à Bothitli, un village perdu dans les rizières du Chhattisgarh, au centre de l'Inde. Comme tous les dimanches, les rares familles chrétiennes des environs se sont réunies chez Shyama bai Sahu qui, faute d'église, organise chez elle les séances de prière. Soudain, un tracteur débarque devant la maison, avec à son bord quelques dizaines de fondamentalistes hindous. Agitateurs professionnels, ceux-ci rassemblent bientôt plusieurs centaines de personnes autour de la petite ferme, la fouillent de fond en comble et traînent tous ses occupants sur la place du village. «Ils nous ont fait monter sur une estrade, battus, insultés et forcés à nous prosterner devant une déité hindoue», témoigne Suresh Kumar, 20 ans. Enceinte de sept mois, sa belle-soeur, Godavari, n'a pas été épargnée. «Ils me frappaient et me donnaient des coups de pied dans le ventre en disant qu'ils allaient tuer mon bébé», raconte-t-elle, les larmes aux yeux. Lorsque les victimes sont allées au commissariat, les policiers ont refusé d'enregistrer la plainte. Logique, puisque ces violences ont été commises sous le regard approbateur du député local et de plusieurs leaders du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), le parti nationaliste hindou qui dirige l'Etat du Chhattisgarh.

 

«Intolérance religieuse». Intimidations des fidèles, églises vandalisées, agressions physiques sur des pasteurs : la minorité chrétienne a fait l'objet d'une vingtaine d'attaques dans la région ces derniers mois, sans que personne n'ait jamais été arrêté. La situation est encore pire dans l'Etat voisin du Madhya Pradesh, lui aussi aux mains du BJP. Mi-mai, la Commission nationale pour les minorités dénonçait ainsi «l'échec total de l'administration à protéger les droits humains et religieux de la minorité chrétienne» dans ces deux Etats. Même le pape Benoît XVI évoquait récemment des «signes inquiétants d'intolérance religieuse». Comme pour mieux souligner ses propos, les extrémistes du Madhya Pradesh avaient immédiatement manifesté en brûlant son effigie.

 

La nébuleuse fondamentaliste hindoue, dont le BJP est l'émanation politique, accuse en effet les chrétiens de faire du prosélytisme. «Ces gens profitent de l'ignorance des basses castes et des populations tribales pour les convertir», affirme ainsi Ramesh Modi, président local du Vishwa Hindu Parishad (VHP, Conseil mondial hindou), l'une des organisations les plus radicales. Un discours qui tient plus de l'intolérance que de la réalité, puisque la proportion de chrétiens a au contraire diminué ces dernières décennies. Sans compter que, deux millénaires après les premières conversions, les chrétiens ne représentent toujours que 2,3 % de la population indienne.

 

Le mois dernier, le Chhattisgarh a néanmoins voté une loi «anticonversion», rejoignant ainsi cinq autres Etats de l'Union, tous dirigés par le BJP ou ses alliés, ayant déjà promulgué cette législation. Officiellement, celle-ci ne sanctionne que les «conversions forcées» et «frauduleuses», à savoir celles qui seraient obtenues en échange de cadeaux ou d'argent. Des pratiques qui, selon la communauté chrétienne, n'existent pas. «Cette loi est une aberration : personne, dans ce pays, n'a jamais été converti au christianisme par la force, affirme Joseph Augustin, l'archevêque du Chhattisgarh. Il s'agit juste d'un geste politique destiné à satisfaire l'électorat le plus radical des nationalistes hindous.» […]

 

Conversions. A cette réalité purement politique s'ajoute une dimension sociale : les nouveaux convertis sont en très grande majorité des intouchables et des tribaux, à savoir les couches sociales qui, dans l'hindouisme, font l'objet d'une discrimination institutionnalisée. Or la nébuleuse extrémiste hindoue est dirigée par les hautes castes, qui n'ont évidemment aucune envie que l'on bouscule le système... Et la nouvelle loi leur offre une arme de choix pour lutter contre la propagation du christianisme puisqu'elle oblige les candidats à la conversion, ainsi que les prêtres chargés de la cérémonie, à demander l'accord des autorités un mois à l'avance. «Une fois qu'ils auront les noms et les adresses, les loubards fondamentalistes iront intimider les candidats pour les forcer à renoncer à leur décision», s'inquiète ainsi Arun Pannalal, du Forum chrétien du Chhattisgarh. Sans compter la possibilité de leur arracher des aveux bidons afin de pouvoir ensuite incarcérer les prêtres, qui risquent jusqu'à trois ans de prison en cas d'accusation de conversions «malhonnêtes». 

 

Mais si la loi ouvre la porte à tous les abus, les accusations de prosélytisme chrétien ne sont pas pour autant totalement infondées. Dans les campagnes, des évangélistes, souvent financés par des organisations occidentales, parcourent en effet les villages dans ce but en prêchant la bonne parole. «C'est mon droit, puisque la Constitution indienne autorise de propager sa religion, et mon devoir, puisque tout chrétien se doit de répandre le royaume de Dieu», défend Ashvel David, qui se décrit comme un «pasteur évangéliste free lance». Reste que les méthodes sont parfois douteuses. Comme celle, très répandue, qui consiste à expliquer aux villageois que c'est Jésus qui les a guéris de telle ou telle maladie.

 

Classes défavorisées.  «Les petits mouvements évangélistes ne sont pas toujours très honnêtes, résume le militant des droits de l'homme Subash Mahapatra. Mais pour ce qui est des Eglises établies, l'Etat ne peut s'en prendre qu'à lui-même car les conversions sont la conséquence directe de la médiocrité des services publics.» Grâce à l'efficacité de leurs écoles et de leurs hôpitaux, les Eglises s'attirent en effet la confiance des classes sociales les plus défavorisées, notamment dans les zones les plus reculées…>>

 

 

Cet excellent reportage (que Libération nous pardonnera de citer aussi abondamment) confirme deux éléments, déjà constatés depuis quelques années :
1.  le prétexte de la persécution est l'action d'évangélistes US financés par Washington, qui pratiquent des méthodes de "conversion" scandaleuses : baptêmes de petits enfants en cachette des parents, etc. Comme par hasard, les représailles hindouistes ne s'exercent pas contre les Américains mais contre les prêtres catholiques indiens, totalement innocents en la matière.
2.  Le nationalisme hindou extrémiste (qui plaît à des idéologues néoconservateurs occidentaux) s'attaque à l'universalisme catholique, au nom de "l'identité" indienne. Il y a là de quoi réfléchir.
P.P.

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