05/06/2006
L'Opus Dei, Da Vinci Code... et le "matérialisme mercantile"
Réponse à Philippe Grasset et au New York Times...
Sur le site du remarquable bulletin de géopolitique De Defensa.org, je lis ces réflexions de son auteur, Philippe Grasset, à propos du mégabizness Da Vinci Code et d'un article paru dans le New York Times :
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<< Rarement mieux que dans cet article de Paul Fortunato on a exprimé la satisfaction de l’Opus Dei après le succès phénoménal du film Da Vinci Code et l’avalanche paradoxale de critiques (laïques bien plus par le nombre que d’origine religieuse) qui l’a accompagné. Cette critique touche rétrospectivement le contenu du livre et met complètement en cause le contenu essentiel des deux œuvres (le film et le livre), c’est-à-dire l’attaque à très gros sabots contre l’Opus Dei. Paul Fortunato est professeur d’anglais à l’Université de Houston-Downtown, au Texas, et membre de l’Opus Dei. Ainsi exprime-t-il clairement cette satisfaction dans un article dans le New York Times (et l’International Herald Tribune) : « As a member of Opus Dei, I would like to thank Dan Brown and Ron Howard for “The Da Vinci Code.” Why am I not outraged like so many other devout Roman Catholics? Because I think we could not have wished for a better result: Critics attack the film (and, retrospectively, the book) as boring and annoying and cartoonish; and because everyone is seeing it anyway, many people who would otherwise have no interest in Opus Dei are curious, allowing us to explain what we are really about. » For the record, I do wear a spiked metal band on my leg for a couple of hours a day, just like the movie's murderous Opus Dei numerary, Silas (that's always the first question). But I do not wear a robe, except at graduation ceremonies. I'm an English professor at a state university and am finishing a book titled ‘Modernist Aesthetics and Consumer Culture in the Writings of Oscar Wilde.’ So much for stereotypes. »
Répétons à cette occasion [...] qu’il n’y a pas de meilleur exemple, avec cette opération Da Vinci Code, des effets pervers et auto-destructeurs du système marchand. La rapidité de la démonstration, l’universalité du cadre d’action, l’énormité des effets, tout y est. L’opération Da Vinci Code avait deux objectifs : l’objectif universel de faire beaucoup d’argent ; l’objectif très parcellaire, chez l’un ou l’autre (notamment l’auteur initial) de populariser le discrédit dont souffre l’Opus Dei. Le premier objectif a été atteint au-delà de toute espérance. Le second objectif, qui est plutôt idéologique (mais grossièrement, vu le niveau des acteurs), et qui devrait donc être le plus important à long terme même s’il ne l’est pas en dividendes, a été totalement raté, au-delà de toutes les craintes possibles puisqu’il aboutit à son contraire “au-delà de toute espérance”. Cas typique de la société marchande : les excès formidables de son avidité mercantile tuent dans l’œuf toute velléité de construction idéologique convaincante.
On comprendra que le cas n’est pas ici de savoir ce que vaut précisément l’Opus Dei. [...] Il est d’observer une fois de plus, en action, le nihilisme si extrême de ce système qu’il est incapable d’éviter la mise en question radicale, par ses propres actes, de la soi-disant cohérence idéologique qu’il propose. >>P.G.
---------------------------------------------------D'accord avec Philippe Grasset, quant au "système marchand" et à ses effets "pervers et autodestructeurs". L'unique ressort de ce système est de faire de l'argent en exploitant les fantasmes de masse. Ce qui ne mène nulle part... Ou plutôt : ce qui mène le système à l'absurdité nihiliste, dans l'engrenage de ce que P. G. appelle le "virtualisme". En effet, un univers construit sur la dénégation du réel (et sur l'apothéose du fantasme) va à sa propre ruine ; or le "matérialisme mercantile de l'Occident" - comme disait Jean-Paul II - prétend être, aujourd'hui, l'univers à lui seul. Donc c'est l'univers entier qui est, actuellement, enfermé dans le nihilisme par le système marchand. L'affaire DVC est une occasion supplémentaire de constater cela, et de bien comprendre que le XXe siècle est fini et qu'au XXIe il va falloir ne pas se tromper d'adversaire.
Mais pour la même raison, je ne suis pas d'accord avec P. G. lorsqu'il dit que "ce n'est pas le cas ici de savoir ce que vaut précisément l'Opus Dei". Au contraire : montrer que l'Opus Dei réel n'a rien à voir avec l'Opus Dei de Brown&Howard, c'est montrer au public que l'opération DVC brasse du vent ; c'est une nouvelle occasion de montrer que le système marchand répand le délire, et qu'il enferme les foules dans un DisneyWorld infernal. La vérité vous libérera, dit l'évangile. La réalité aussi - plus prosaïquement.
P.P.
08:45 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
[De : Pellas]
> Certes, le Da Vinci Code est un tissu de mensonges bien tricoté mais il y a pis à deux pas de chez nous. Un auteur français, connu parait-il, écrit sous pseudo un ouvrage ridicule et honteux qui se nomme "Comment draguer la catholique sur les chemins de Compostelle" et qui désacralise ce que nous avons de plus intime pour le plaisir de quelques bons mots de mauvais goût. Comment peut-on interdire un tel ouvrage dont les effets se font déjà sentir sur le pélerinage. Marie Claire.
[De P.P. à M. C. - Le livre en question est une caleçonnade. Mais la caleçonnade profanatrice est un très vieux classique de la littérature française : voyez le roman de "Jehan de Saintré et la Dame des Belles Cousines", écrit par Antoine de la Sale vers 1456 : l'abbé est un paillard atroce et son monastère une maison de rendez-vous. Par ailleurs, le Moyen Age a toujours considéré les pèlerinages comme des grand'routes à dangers multiples, et les pèlerins comme pouvant être des voyous déguisés ! Dans son "Livre pour l'enseignement de ses filles" (1371), le chevalier angevin Geoffroy de La Tour Landry raconte à ces demoiselles, afin de les mettre en garde, une histoire de pèlerins forniquant dans l'église de pèlerinage...
Or ni La Sale, ni La Tour Landry n'ont eu d'ennuis de la part de l'Eglise, qui pourtant (à l'époque) ne rigolait pas avec les désacralisateurs !
Certes les intentions du pseudo-Liebig ne sont ni littéraires ni pédagogiques, mais commerciales. Ce n'est pas une raison pour s'alarmer. D'abord, il n'existe aucune voie judiciaire contre un roman. Ensuite, s'alarmer, se considérer comme attaqué, ce sont des attitudes qui n'évangélisent pas... Je trouve (moi aussi) pénible que des franchouillards se donnent des airs de libre-penseurs en s'en prenant aux catho sans défense ; mais, bon, nous avons mieux à faire que de nous gendarmer.
ps/ Ceux qui ont le plus fait pour désacraliser le sens du Chemin, c'est Paulo Coelho et la bande des ésotérico-marchands de soupe.]
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Écrit par : pellas | 05/06/2006
[ de : Trapes ]
> Je n'ai pas de commentaire spécial. Je veux vous poser une question. Connaitriez-vous en France un spécialiste de SAVONAROLE ? Merci beaucoup et bravo pour votre blog.
[De P.P. à T. - Non, si ce n'est Pierre Antonietti, auteur de "Savonarole, le prophète désarmé" (Perrin 1991).]
Écrit par : TRAPES | 08/06/2006
> Simplement je voulais vous féliciter pour votre nouveau livre sur l'Opus Dei et aussi vous remercier de l'exactitude avec laquelle vous avez traité le sujet. Bravo !
Écrit par : Agnès | 13/06/2006
> quel bel ouvrage de journalisme que votre enquête sur l'Opus Dei! On sent vraiment une recherche approfondie. Merci également pour cette remise en perspective historique sur la période du franquisme. Manifestement votre ouvrage appelle les chrétiens à la plus grande prudence en politique: oui pour imprégner durablement les valeurs de la société mais non pour brandir le fanion de l'Eglise à toutes les sauces en niant sa propre liberté (et responsabilité) personnelle.
Écrit par : julien | 25/06/2006
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