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23/05/2006

Da Vinci Code : une vieille lune ?

Je ne résiste pas au plaisir de citer un remarquable papier, lu dans Le Monde d'hier...


 

 

<<  Savez-vous ce qu'est le "Mapah" ? Avez-vous entendu parler de Quintus Aucler ? lu La Sorcière de Michelet ? Le Juif errant d'Eugène Sue ? Le Temple d'Isis de Gérard de Nerval ? Non ? Dan Brown non plus, probablement. Il ignore donc que ces auteurs sont les vrais inspirateurs de son histoire. Comme nombre de ses lecteurs, il semble croire que les révélations du Da Vinci Code s'appuient sur des papyrus vieux de deux mille ans. Les "décodeurs" du Code s'y sont laissé prendre eux-mêmes, qui scrutent les Evangiles apocryphes pour y trouver la trace du mariage de Jésus, ou qui spéculent sur les indices du culte de la Déesse recueillis sur des tessons d'argile néolithiques. Vieux réflexe rationaliste, sans doute, qui oublie que l'imaginaire social a ses lois et sa vie propres, et que celles-ci ont peu à voir avec ce qu'on apprend dans les revues savantes.

 

Car évidemment, s'agissant d'un roman ou d'un film, la question à poser n'est pas celle de la vérité, mais celle de la vraisemblance : celle-ci doit être suffisante pour emporter l'adhésion du lecteur ou du spectateur. Le Da Vinci Code permet ainsi de cerner les contours du vraisemblable contemporain en matière de croyance. Or ces contours sont ceux d'une sensibilité esthético-religieuse qui s'est formée au XIXe siècle, au confluent des Lumières et du spiritualisme. Nous vivons encore de cette "foi humanitaire" que l'historien de la littérature Paul Bénichou appelait fort justement "l'hérésie romantique".


Tout se joue entre l'horreur que doit inspirer le moine blême qui se fouette jusqu'au sang, et l'ambiance extatique de la scène finale du Da Vinci Code, quand le professeur américain, emblème du progrès, tombe à genoux en reconnaissant, dans les pyramides de verre du Louvre, le symbole de la Grande Déesse. Non à la religion du mâle (qui fait mal), oui au culte féminin (qui fait du bien).


C'est la formule même de l'hérésie romantique. Le XIXe siècle nous a inspiré l'idée que la vraie religion ne peut être que celle des origines. De façon surprenante, ces origines doivent en outre révéler une vie religieuse parfaitement conforme à nos propres aspirations : au fond, un christianisme sans Eglise, et sans péché originel. Ce désir s'exprime symboliquement dans l'idée que la religion de l'avenir ne peut être que celle de la femme. Exempte de la faute d'Eve, la femme, à l'origine, dut être prêtre. C'est l'idée que Michelet, par exemple, sollicite des Evangiles apocryphes : le premier christianisme, dit-il dans La Bible de l'humanité, est celui de "la Sophia visible, (du) pontificat de la femme".


Il y a plus originel, d'ailleurs, que le christianisme primitif. Le XIXe siècle s'est manifestement senti plus à l'aise en ressuscitant un paganisme selon son coeur. Michelet lui-même, néopaïen comme il avait été néochrétien, voit dans la sorcière la véritable "prêtresse de la nature", persécutée par l'Eglise, parce qu'elle était femme, et qu'elle avait la science. "Ils reviendront ces dieux que tu pleures toujours/Le temps va ramener l'ordre des anciens jours/La terre a tressailli d'un souffle prophétique..." Comme un écho à ces vers de Gérard de Nerval, dans l'extase finale du Da Vinci Code, une voix de femme semble monter de la terre, chantant une sagesse ancienne. On n'est pas censé croire que le docte professeur Langdon entend juste passer le dernier métro.


Paul Bénichou remarquait déjà que la réhabilitation de la femme se confond avec celle de la chair. Le même mouvement conduit Dan Brown à faire l'éloge de la sexualité sacrée. "Ce n'est pas du sexe, c'est de la spiritualité", commente le héros à propos d'un accouplement rituel. L'accès au divin par la sexualité réalise en effet l'aspiration à une religion sans médiation, c'est-à-dire sans prêtre. C'est peut-être ce programme qui explique que le catholicisme, par excellence religion de la médiation, soit constamment le repoussoir de la nouvelle sensibilité. La hantise du complot clérical, incarné par les terribles jésuites du Juif errant, resurgit ainsi dans l'Opus Dei du Code. Même l'archétype anglo-saxon du moine espagnol, dans la tradition du Moine de Matthew Lewis, se survit durablement sous les traits de Silas.


 

Mais pour être vraiment un culte du "féminin céleste", comme dit joliment Gérard de Nerval, la foi nouvelle doit franchir encore un pas : la féminisation du divin, ou plutôt sa mutation hermaphrodite. "Ô vénérable mère Grande Déesse, mère ineffable, épouse du Grand Dieu", psalmodie Quintus Aucler, l'un des maîtres de Nerval en illuminisme. Le XIXe siècle a intensément rêvé d'un couple divin originel. En soutenant que le nom de Jéhovah réunit un principe masculin et un principe féminin, Dan Brown évoque irrésistiblement l'enseignement du Mapah. Le Mapah, qui s'appelait en réalité Ganneau, avait adopté ce pseudonyme pour réunir maman et papa dans son titre sacerdotal. Il prêcha, sous le nom d'Evadah, le culte d'une divinité bisexuée dont l'avènement n'aurait été que trop longtemps retardé par la croyance en un Dieu paternel. Le Christ et son épouse préfigurent à ses yeux l'humanité androgyne de demain. C'était en 1838. Le Mapah l'a rêvé, Sony-Columbia l'a fait.

 

Vincent AUBIN

agrégé de philosophie >>


[ Commentaire : cette brillante analyse de philosophe recoupe le chapitre 3 de mon enquête sur l'Opus Dei ("L'oeuf du dragon"), qui étudie la "légende noire" de l'Opus en la comparant  aux grandes théories du complot, notamment dans la littérature.      P.P.]

Commentaires

> Je suis 'déçu en bien' comme disent les Belges, de l'article. D'une part par son contenu, et d'autre part par sa publication dans ce quotidien. J'aime beaucoup l'expression 'foi humanitaire'. Pour ma part, la persécution de l'Eglise, me conforte toujours davantage dans ma foi et dans la certitude que la vérité y réside.

Écrit par : Maximilien FRICHE | 23/05/2006

> Cette analyse n'est pas sans rappeler l'excellent livre d'Eric Zemmour "le premier sexe". Cela nous prouve bien que DVC n'est que le reflet de notre société contemporaine.

Merci pour votre article.

CV

Écrit par : Charles Vaugirard | 23/05/2006

> Bonjour,
Je suis extremement heureux de l'existence de ce site. En tant que catholique je me sens constamment agressé. Haine contre l'Opus. Haine contre Benoît XVI. Haine contre l'Evangile, et Dieu. Contre la vie. Epoque brutale, digne heritage du nazisme. Pour contrer tout cela M. Plunkett est salutaire, pour moi, simple catholique. Pareil pour René Girard. Il est interessant de noter qu'avec l'arrivé de notre Saint Père la haine du dragon s'est intensifiée.

Écrit par : Michael | 24/05/2006

> Un mauvais livre a créé l’illusion d’une initiation à un savoir ésotérique, celui d'Edouard Schuré, l'origine chamanique du Père Noël, le druidisme, les religions préhistoriques, Baal, les mages chaldéens, le néo-paganisme, le panthéisme, la franc-maçonnerie, la kabbale, l'astrologie... J’en oublie.

En quoi cela menace-t-il l’Eglise catholique ? En rien.

D'une part, ces références - bien peu rationnelles - ne permettent pas de fonder une critique sérieuse du catholicisme. Elles permettent seulement d'entretenir une confusion générale dans l'esprit des gens - crédules ou ignorants - par un amalgame de références qui n'ont rien à voir avec la religion. La seule question intéressante porte sur les motivations véritables de tous ceux qui entretiennent cette propagande. La nature de cette persévérance est-elle bien différente que celle des étudiants qui sèment des virus sur internet ?

D'autre part, la foi est - à mon avis - une évidence. La " foi du charbonnier " est la meilleure expression qui soit pour illustrer sa dimension exclusivement spirituelle. L'erreur du rationalisme vient de cette volonté persistante à aborder la foi comme un objet d’études fini, observable, un animal de laboratoire qu'on dissèquerait, qu'on soupèserait... Tant dans la méthode que sur le fond, la critique rationaliste est inopérante car elle aborde la foi sur un terrain qui n’est pas le sien par des moyens qui ne sont pas appropriés. La critique rationaliste de la religion me semble quand même être le comble du sophisme quand elle se réfère à un roman.

Enfin la critique rationaliste s'égare et se fourvoie parce qu’elle se limite dans le fond à l'accumulation seule de références et d'hypothèses préhistoriques ou protohistoriques. Une liste n’a jamais fait un raisonnement, sinon n’importe quel consommateur pourrait être se proclamer philosophe, rationaliste.

En quoi donc ce débat autour de ce livre concerne-t-il alors les catholiques, sinon pour leur faire de la peine alors qu’il n’y a aucune agressivité de la part de l’Eglise ? En quoi d’ailleurs cela donne-t-il matière à un débat ? L’offense ou l’insulte n’inspirent jamais des discussions très fructueuses.

Ce qui est le plus triste dans cette histoire n'est pas qu'on se moque de l'Eglise – il n’y a rien de bien nouveau (rappelons nous " Amen " de Costa Gavras, tiré lui aussi d’une fiction, qui réussissait le prodige à nous rendre finalement le SS sympathique et à mettre en cause l’Eglise ! ) -mais que des gens puissent s'en réjouir, ou pire, croire à des fables. Cela témoigne de la faiblesse du sens critique de nos contemporains. L’influence supposée prêtée à ce livre, comme le soulèvement des banlieues et l’insurrection permanente de la rue, stigmatise donc bien plus l'échec du rationalisme – qui gouverne la France depuis 200 ans – que le spiritualisme.

Les rationalistes sont d’ailleurs très oublieux du caractère déiste de la République française (tentative d’instaurer le culte de l’être suprême, Marianne) dans laquelle le mot Nation est venu remplacer celui de Dieu ; que cette substitution a accouché d’oppositions entre les peuples pour se finir dans les bains de sang planétaires du siècle passé. L’idolâtrie, l’obscurantisme et la négation de l’Homme ne sont pas forcément là où les censeurs s’accordent à vouloir les dénoncer.

L’Eglise a toujours lutté contre la dérive à laquelle il apparaît évident aujourd’hui que l’Homme a été abandonné.

Il ne relève pas du seul fait de l’Eglise que les gens ne lisent plus et préfèrent s’abandonner aux sirènes de la démagogie – ou de la facilité - plutôt que chercher à comprendre. Le référendum du 29 mai 2005 est une illustration de cette tendance à laquelle d’ailleurs ont contribué activement ceux qui accusent l’Eglise.

Le catholique doit témoigner du grand bien que cela fait d’avoir la foi pour dire à ceux qui ne le sont pas qu'ils passent à côté de quelque chose d'important ; surtout à notre époque, où on entretient beaucoup d’illusions qui contraignent bien plus qu’elles ne libèrent. C’est exactement le discours contraire à celui que tend de nous imposer l’actualité cinématographique.

Sinon je concède que la France est devenu un pays particulièrement pénible à tous ceux qui souhaitent vivre tranquillement leur foi et qu’on s’y sent agressé en permanence. C’est une tendance qui touche même les amis et la famille, qui, habitués à ce discours, n’en mesurent même plus l’intensité ni la gravité, jusqu’à en nier la réalité quand on l’évoque, au point de devoir leur rappeler le refus de la France à voir figurer la référence à l’héritage chrétien dans la constitution européenne ou le psychodrame né de la mise en berne des drapeaux à la mort de Jean-Paul II. C’est une des raisons qui fait que je me sens bien mieux à Rome où d’autres français s’installent – eux - pour vivre leur foi en paix.

C’est toute l'ambiguïté française. Monsieur Alain Bauer dénonce l’ultramontanisme alors que ses choix de pensée sont ceux qui l’entretiennent et le développent. Mais l’ultramontanisme semble plus s’affirmer, a contrario de la définition qu’on en donne, par l’exil de la base que dans le discours du sommet. Le chrétien est un pèlerin, tous les chemins mènent à Rome…


[De PP à Q - D'accord pour beaucoup de choses, sauf la question de la raison. C'est parce que la foi chrétienne embrasse et couronne la raison humaine que le christianisme antique s'est imposé comme religion "universelle" à l'époque : cf les deux encycliques majeures, "Fides et ratio" et "Splendor Veritatis". Cf aussi tout ce que Ratzinger a dit sur ce sujet. Ne laissons pas croire que nous sommes du côté de l'irrationnel ! C'est tout le contraire...]

Écrit par : Qwyzyx | 24/05/2006

> Je n'opposais pas la foi au rationalisme dans le sens où la religion serait irrationnelle, mais dans le sens classsique de l'opposition spiritualisme / rationalisme. Le Pape a effectivement exposé récemment la dimension rationaliste de la foi. Il me semblait cependant qu'il s'agissait plus d'une référence - ou d'un rappel - à la raison - dans le sens de la conscience - que d'une proximité avec la systématisation ou la modélisation qui est la caractéristique à laquelle se réduit le rationalisme traditionnel et qui sert de fondement à la critique de la foi.
Le pape nous rappelle d'une certaine manière ce que disait Rabelais que "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". L'âme nous renvoie à la Raison, la raison divine.

Écrit par : Qwyzyx | 25/05/2006

> "L'Opus Dei face à l'Inquisition Hollywoodienne!"
Titre de "la Voie du Midi", à Toulouse.
Il est à constater que ces attaques contre l'Eglise, aussi courantes dans les milieux intellectuels parisiens, arrivent au moment où l'Eglise catholique se reveille, et retourne à ce qu'elle a d'extraordinaire: la vie de saints. Concernant l'essentiel, Benoît XVI est sur la même ligne de son predecesseur. Dans d'autres temps il fallait un seul pape pour terrasser Attila. Maintenant la Providence nous en fait grâce de deux!

Écrit par : Michael | 02/06/2006

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