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02/04/2006

CPE / La colère des jeunes est une angoisse

Quel avenir leur réserve notre société ?


 

 

Comme d’habitude en France, la crise du CPE est transformée par les médias en crise politicienne (« que dit François Hollande ? que dit Ségolène Royal ? que dit Nicolas Sarkozy ? », etc).  En réalité, cette crise est d’abord (et principalement) une explosion d’angoisse des futurs jeunes diplômés chômeurs. 

Je ne nie pas les gesticulations du PS  - ni la présence des groupes d’ultra-gauche dans les manifestations, ni les interviews télé du vieil Alain Krivine à propos de problèmes  propres aux 18-25 ans... Mais ce n’est pas l’essentiel. Il n’y aurait pas de grandes manifestations si les étudiants n’y participaient pas en masse. Et s’ils y participent, ce n’est pas par nostalgie du trotskisme d’avant-hier !  C’est par angoisse pour demain. Ils ont peur de l’avenir.  Ou plutôt : de l’ABSENCE DE L’AVENIR dans les préoccupations de notre société soi-disant progressiste.


Comment les jeunes seraient-ils optimistes (*) ? Cette génération est enfermée dans un « pessimisme de fond », constate Pierre Giacometti (Ipsos) dans une interview : « 5 % seulement des jeunes Français disent avoir confiance dans l’avenir » !


 « On voit comment vivent ceux de trente ans, et on sent que notre vie pourra être encore pire », explique une lycéenne. Il faut huit à onze ans en moyenne pour que les jeunes Français trouvent un job stable. Avant de décrocher ce job (admet le PDG d’une agence de communication dans Le Monde Economie), les jeunes diplômés sont « cassés » par des années de « stages-galères ». Ces stages, pour les entreprises, sont une formule d’emploi encore moins coûteuse que l’intérim : en 2005, elles employaient 800 000 stagiaires, dont peut-être 120 000 à des postes de plein temps. On voit maintenant des stages de six mois ou d’un an, et des jeunes « bac + 5 » rémunérés à 30 % au dessous du smic pour éviter les charges sociales...

 

Quant aux emplois stables que les trentenaires ont finalement décrochés, leur niveau déprime d'avance les étudiants.  En 2005, de   36 %  à  45 % des « bac + 3 et plus » avaient un emploi inférieur à ce que leur diplôme aurait mérité. (Ce chiffre n’était que de 22 % en 1981). Sept ans après leur fin d’études, un tiers des diplômés de 1998 étaient encore en situation de déclassement, souligne le Céreq (Centre d’études et de recherches sur l’emploi et les qualifications) !  C’est l’échec massif du système universitaire français. "Si l’université ne débouche pas sur l’emploi, à quoi riment les études supérieures ?", demandent les jeunes, que tous nos gouvernement successifs enfournent dans cette voie de garage depuis vingt-cinq ans.

 

On entend dire, dans les dîners libéraux, que la jeunesse française est « trop dépressive ».

- Notre taux de chômage est le pire d’Europe » rétorquent les jeunes Français. Par ailleurs, un coup d’œil dans cette Europe "moins déprimée que la France" nous montre... que la jeunesse étrangère rame aussi.


Une enquête du quotidien El Pais en octobre 2005 décrit la déprime des jeunes Espagnols. Le journaliste Antonio Jiménez Barca leur donne un nom : la generacion de los mil euros, ou plus brièvement les  mileuristas, ou « mille-euristes » – parce que ces jeunes diplômés n’arrivent pas à gagner plus que mille euros bruts par mois, malgré une vie happée par l’exercice (frénétique) d’un job précaire. Ce nom de « mille-euristes » a été trouvé par une fille de 27 ans qui s’appelle Carolina Alguacil et qui travaille dans une agence de pub à Barcelone. Le mille-euriste, dit-elle, est un jeune diplômé qui possède « des langues étrangères, des masters, des doctorats, des stages de formation » (‘‘idiomas, posgrados, masters y cursillos’’), et qui ne gagne pas plus de mille euros. « Il dépense plus du tiers de son salaire en loyer, parce qu’il aime la ville. Il ne met pas d’argent de côté, il n’est pas propriétaire, il n’a pas de voiture, pas d’enfants, il vit au jour le jour… » Carolina habite avec trois colocataires ; aucune ne gagne assez pour louer seule un appartement, et la flambée des loyers n’arrange rien. Je vis ainsi, explique-t-elle. Mon frère ingénieur vit ainsi. Tous nos copains vivent ainsi.


Leur existence n’est pas à la hauteur des études qu’ils ont faites. El Pais a rencontré un diplômé d’architecture de 29 ans parlant trois langues, mais qui gagne moins de mille euros pour un travail sans contrat dans un cabinet d’architectes. Un autre explique qu’avec son master d’informatique appliquée à la biologie, il n’a trouvé qu’un petit boulot de répondeur dans un centre d’appel (« et je n’étais pas le seul universitaire : c’était plein de gens hyper-diplômés »). Selon une enquête de l’Union européenne, 60 % des jeunes diplômés espagnols n’ont pas l’emploi correspondant à leur qualification ; en 2004, 52 % des trentenaires avaient un contrat temporaire ;  ils étaient   62 % en 1995.


En Italie l’an dernier, plus de 60 % des 26-39 ans n’avaient connu que des jobs précaires (les trois quarts d’entre eux à moins de mille euros) ; contrairement aux promesses officielles, ces jobs ne débouchaient pas sur des CDI. C’est ce que révélait une enquête de Maurizio Ricci dans La Repubblica en juin 2005.


A Paris, dans Le Nouvel Observateur, le politologue français Louis Chauvel expliquait en 2005 que dans tous les pays d’Europe, la pauvreté au XXIe siècle allait devenir  « celle des jeunes diplômés ».


Résultat : dans l'esprit des jeunes, l’avenir est informe et la société aussi. « On est en train de nous jeter à la poubelle », estime le jeune architecte smicard. Une fille de 37 ans qui n’a connu que des jobs précaires, dit à El Pais qu’elle ne veut pas d’enfants : « Avec les journées de travail qu’on fait, on ne pourrait même pas s’occuper d’un chien. » (La natalité espagnole s’est effondrée : son taux de 1,1 est aujourd'hui le plus bas du monde). Carolina dit : « Le pire est que je ne sais pas ce que je vais devenir. Une famille comme celle de mes parents, ce n’est plus l’objectif. Alors c’est quoi, l’objectif ? » 


 

Les jeunes Français ne sont donc pas seuls à avoir peur de l’avenir, et cette peur n’est pas seulement économique. Selon Giacometti, cette génération se sent « incomprise » : elle trouve que notre société « ne lui donne aucun cap, aucun avenir ».  Cela sur le plan économique, bien entendu. Mais sur tous les autres plans aussi. La jeunesse a l’impression que notre société (qui déteste le passé) est indifférente à l’avenir. Que reste-t-il comme horizon ?  Donc : que propose-t-on aux jeunes ?

C’est la question que posait Benoît XVI à la République française, peu avant Noël.  La société est en panne sociale parce qu'elle est en panne de valeurs de solidarité capables de faire contrepoids à la logique du profit. Le nouveau monde économique « n'a plus besoin des gens » : en tout cas c'est ce dont les gens ont l'impression...  Et ça ne marchera pas longtemps dans ces conditions.

                                                                                        P.P.


 

 

 

"On n'est pas des jeunes jetables" : un nouveau mai 68 est-il à l'horizon ?

 

 

 

(*) Hormis les élèves des business schools, qui vous regardent avec perplexité quand vous leur dites qu'il y a des problèmes aujourd'hui. ("Moi je suis optimiste parce que je suis un jeune", m'avait dit un de ces garçons au cours d'un débat télévisé en octobre 2005. Il doit se sentir un peu isolé en mars 2006).

13:25 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (4)

Commentaires

> Bien d'accord avec vous, la crise actuelle est une crise d'angoisse de la jeunesse. L'avenir lui fait peur. Elle n'a plus de véritables repères pour envisager l'avenir et depuis trop longtemps on lui a mis de la poudre aux yeux.

Je connais bien cette situation car j'ai 27 ans, un bac+5 en poche et je suis au chômage depuis 9 mois. Depuis le collège on nous a poussé à faire des études longues. Les filières professionnelles étant pour les "nuls" et les filières courtes pour les moins "motivés". C'est ainsi que nous avons été formaté et les conseillers d'orientation n'ont rien fait pour nous en dissuader... Il n'ont pas fait grand chose d'ailleurs.

Ceci est sans doute une des plus grande escroquerie de notre histoire contemporaine car, à la fin des longues études, les jeunes ne trouvent pas la place au soleil qu'on leur a tant promis. Ils ont des stages non-rémunérés et interminables (j'en ai connu trois), et de longues périodes de chômage (6 mois, un CDD, puis 9 mois).

Avec une telle désinformation il y a de quoi être inquiet. Certains commentateurs ont appelé notre génération, la génération "Low cost" car on ne coûte pas très cher aux entreprises. C'est vrai, beaucoup de mes amis sont au chômage, en stage, ou en emploi au salaire beaucoup plus bas que ce l'on devrait donner à un bac+5.

Cette poursuite dans les études est devenue une poursuite vaine où la "lose" nous attend au bout du chemin. C'est pathétique, mais c'est ainsi.

Écrit par : Charles Vaugirard | 02/04/2006

> Vous donnez toujours comme référence BAC+3, +4, +5 +12 mais ça ne veut rien dire:
5 années de fac, on sait faire quoi? dites-moi?
Un CAP ou BEP dans n'importe quel métier du bâtiment permet de s'installer et d'avoir une vie "utile" aux autres. Bac+5 peut-être mais si on ne sait même pas planter un clou ou faire une vidange... Le problème n'est pas le nbre d'années d'étude mais ce que on sait faire ou peut faire.
Le nombre d'année d'étude n'est pas corrélé avec des capacités d'entreprise, de courage, de service et même d'intelligence! J'ai même l'intime conviction du contraire...

Bravo pour votre blog

Écrit par : Laurent | 12/04/2006

> Cessons d'élever au pinacle la prétendue valeur des diplômes à bac +5. Un étudiant qui apprend consciencieusement ses cours y arrive sans problème. Le système est organisé de façon à ce qu'il soit assez facile d'obtenir la moyenne aux examens, en raison notamment du contrôle continu. On a donc de plus en plus de diplômés et comme il y en a beaucoup il est bien sûr difficile pour eux de trouver un travail correspondant à celui qui était attribué il y a 20 ou 25 ans (car le problème ne date pas d'aujourd'hui) à des diplômé de l'enseignement supérieur.

Écrit par : Pierre Colrat | 13/04/2006

> La colere est une angoisse ou juste ou révolte.

Écrit par : Nat | 15/04/2006

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