Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/03/2006

Le pape, l'islam.. et nous

Que veut dire le Vatican quand il demande "la réciprocité" de la liberté religieuse ? A méditer,  à l'Elysée...


 

 

L’affaire des caricatures a survolté des foules, dans les rues des villes du monde islamique.  La prudence et le calme des imams de France tendait à nous rassurer, mais les propos homicides de manifestants en Angleterre contredisaient cette impression. Pour ne rien dire de l’imam taliban du Pakistan, qui promettait un million de dollars (ou des kilos d’or) « à celui qui tuera l’un des dessinateurs danois »... Sans parler non plus de l’assassinat d’un prêtre catholique, à Trabzon en Turquie, par un jeune homme qui a pénétré dans l’église l’arme au poing en criant Allah o akbar.  Ni de l’assassinat d’un autre prêtre par des musulmans africains, au Nigeria. Ni des émeutes (encore au Nigeria) qui ont jeté les musulmans contre les catholiques en faisant 80 morts. Ni des attaques de sanctuaires catholiques aux Philippines…


Comment les chefs de l’Eglise catholique allaient-ils réagir ?  lls étaient guettés par les médias européens, eux-mêmes déconcertés par la violence de la situation. Après avoir dit – pendant des années – que  « l’islam d’Europe » n’aurait rien à voir avec l’islamisme d’Orient, certains commentateurs se mettaient à en douter – depuis que les islamistes de là-bas appelaient les islamiques d’ici à tuer des journalistes.


Les réactions du Vatican ont surpris par leur fermeté. Le 20 février, Benoît XVI, recevant le nouvel ambassadeur du Maroc, a déclaré : « L’intolérance et la violence ne peuvent jamais se justifier comme des réponses aux offenses ». Le pape a appelé au respect des convictions et de la religion d’autrui, « afin que, de manière réciproque, soit assuré pour chacun l’exercice de la religion librement choisie ». C’était un avertissement : non à Rabat, mais aux Etats musulmans où le christianisme est proscrit ou persécuté. Benoît XVI considérait que les caricatures danoises étaient des offenses (alors qu’il ne faut offenser personne) ; il laissait surtout entendre que les pays qui interdisent la religion d’autrui ne sont pas en position de donner des leçons de respect.
Quarante-huit heures plus tard, dans La Stampa, Mgr Velasio de Paolis (qui fait partie de l’équipe Ratzinger) complétait le message : « Le problème est que l’islam est fermé au point de ne pas admettre la réciprocité. En terre d’islam, dès que l’Eglise se présente dans son authenticité, elle est accusée de prosélytisme. »
Plus net encore, et faisant allusion aux meurtres de prêtres, le cardinal secrétaire d’Etat Angelo Sodano indiquait : « Si nous disons aux nôtres qu’il n’y a pas de liberté d’offenser, nous devons dire aux autres qu’il n’y a pas de liberté de nous détruire. »


Ce tir groupé du Vatican a impressionné les journalistes. Ils ont tenté de l’expliquer par une inflexion géopolitique de la pensée du Saint-Siège.


Mais la piste la plus indiquée serait de comparer, sur la plan religieux, les réflexes du pape et ceux du monde islamique.


Le christianisme est une religion du risque. Sa prière fondatrice, le Notre Père, dit à Dieu : « Pardonnez-nous nos offenses », mais elle ajoute : « …comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Il s’agit de « l’offense » au sens le plus fort : l’atteinte à notre dignité intime. Pardonner à qui vous agresse aussi mortellement, c’est le risque que les chrétiens sont censés prendre !  Telle est la singularité de leur foi.


D’autres religions suivent une voie différente. Au lieu de dire à l’individu qu’il doit pardonner (ce qui est un risque), elles veulent assurer la sécurité et l’homogénéité de la Cité des croyants. Elles fabriquent du compact. Ainsi tout ce qui « offense » les valeurs de la Cité, devient une menace pour son existence même, et appelle une riposte foudroyante. C’est l’attitude de l’islamisme politique. (Certains affirment que c’est celle de l’islam lui-même, de la religion coranique en soi ; mais le débat est ouvert à ce sujet).


En ce sens l’islamisme est plus « humain » que le christianisme : ce dernier demande à ses fidèles de pratiquer un pardon qui dépasse leurs moyens, et dont Dieu seul peut leur donner la force… Les chrétiens y parviennent-ils ? C’est selon. Cela dépend des époques, et des tendances. Vers 1970, il y avait des chrétiens euphoriques qui croyaient à la fusion universelle : ce qui devait nous épargner la peine d’avoir à pardonner, puisqu’il n’y aurait plus de heurts (donc d’offenses). Depuis 2001, au contraire, on a vu apparaître des chrétiens pessimistes qui croient à la fatalité d’un « choc des civilisations »  (où le pardon n’aurait pas sa place) : ils raisonnent comme les islamistes, mais à l’envers.


Le Vatican, ni euphorique ni pessimiste, fait en sorte de concilier fermeté (ne pas se laisser faire par la violence islamique) et ouverture : pardonner les offenses. Et amener, si possible, les autres au pardon.


Les médias français ne comprennent pas facilement cette attitude de l’Eglise catholique. Leur idée fixe est de croire que toutes les religions sont virtuellement dangereuses, qu’elles sont toutes de même nature, et qu’il faut se méfier de toutes – notamment du christianisme. Le Parlement européen aussi montre, depuis cinq ou six ans, une tendance à confondre les religions – et à se méfier spécialement du catholicisme. Pourtant, l’Europe n’aurait-elle pas intérêt à s’inspirer du Vatican ? Là il ne s’agirait pas de pardonner des offenses (l’U.E. ne se sent jamais offensée), mais de la difficile conciliation entre identité et ouverture. L’Eglise veut à la fois « être soi-même » et « respecter l’autre », écrivait le prélat dans La Stampa. L’Europe en construction, pour sa part, professe le « respect de l’autre » (surtout en matière d’OPA indiennes), mais elle montre une répugnance bizarre à « être elle-même », et l’idée d’avoir une âme et une identité lui paraît à fuir. D’où le malaise de l’opinion vis-à-vis de Bruxelles et de Strasbourg... Si le remède à la panne d’Europe pouvait être trouvé en imitant le pape, ce serait le plus étrange effet collatéral de la crise des caricatures de Mahomet.

P.P.

 

 

 

18:55 Publié dans Religions | Lien permanent | Commentaires (5)

Commentaires

> Merci pour cette analyse lumineuse. L'Eglise ni euphorique ni pessimiste ... ça me rappelle une belle formule de Bernanos : "un chrétien ne peut être ni optimiste ni pessimiste. Les optimistes sont des imbéciles heureux et les pessimistes des imbéciles malheureux".
Il reste que dans l'imbroglio de contradictions provoquées par cette affaire la seule voix cohérente sera celle de l'Eglise.

Écrit par : Frédéric RIPOLL | 07/03/2006

> merci pour cette très bonne mise en perspective.

Écrit par : Renaud | 07/03/2006

> Bravo pour votre livre "Benoît XVI et le plan de Dieu". Notre équipe de rédaction a décidé de faire une petite nouvelle là-dessus sur notre blog "Citations choisies de Benoît XVI" (http://citations-benoit-xvi.hautetfort.com) et de placer un lien vers votre blog dans la rubrique "Liens amis" de nos deux blogs : celui de Benoît XVI et aussi sur "Citations choisies de Jean-Paul II" (http://citations-jean-paul-ii.hautetfort.com). Bien à vous.

[de PP à citBXVI : merci et bravo à vous !]

Écrit par : citBXVI | 15/03/2006

> Il y a tout de même une évolution favorable puisqu'une commune proche de Bourges vient de "censurer" une fresque présentant des fidèles en train de boire du vin à foison en lieu et place de la Communion pendant que le prêtre "lorgne" dans le décolleté d'une femme. Et certaines autorités locales républicaines bien pensantes s'offusquent d'une telle réaction. Saluons plutôt l'action du maire et sa courageuse attitude.

Écrit par : Matthieu Toussaint | 17/03/2006

> Abdul Rahman, un Afghan converti au christianisme, risque la peine de mort s'il refuse de retourner dans le giron de l'islam. Emprisonné depuis deux semaines à Kaboul après la dénonciation de ses proches, il attend son jugement (source : Le Temps, 21/03/06). Nous devons nous mobiliser pour le sauver.

Marc le Dorh
Maître de conférences à Sciences-Po

Écrit par : LE DORH | 21/03/2006

Les commentaires sont fermés.