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02/09/2016

'Le désastre de l'école numérique' : à lire d'urgence

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"Pendant que certains cadres de la Silicon Valley inscrivent leurs enfants dans des écoles sans écrans, la France s’est lancée, sous prétexte de 'modernité', dans une numérisation de l’école à marche forcée – de la maternelle au lycée. Un ordinateur ou une tablette par enfant : la panacée ? Parlons plutôt de désastre"... C'est le livre-enquête de Philippe Bihouix et Karine Mauvilly. Analyse ici :


 

 

  L'école numérique, c'est "un ensemble d'équipements et de pratiques qui sont en train de fondre sur l'école" : salles informatiques, espaces numériques de travail, portails "éducatifs", tableaux blancs interactifs, chariots de tablettes tactiles distribuées aux élèves, logiciels d'appel / cahier de texte / saisie de notes, "cartables électroniques" remplaçant les manuels, usage accepté des téléphones mobiles en classe...

Extraits de l'introduction :

<<  L'école numérique est un désastre car elle est née sous une mauvaise étoile, celle du besoin compulsif de nos gouvernements d'innover à tout prix, sans recul ni réflexion préalable sur les conséquences de leurs décisions, sans expérimentation digne de ce  nom. Mauvaise étoile de la fascination collective pour la technique et la nouveauté, de la terreur de ne pas "être dans le coup" face à un "monde qui bouge". Naïveté aussi, face aux boniments des équipementiers et des éditeurs de logiciels, repris sans discernement dans d'épais rapports officiels... >>

<< La fuite en avant numérique est d'abord le signe de l'échec de décennies de réformes du système scolaire. La technique promet aujourd'hui de panser toutes les plaies du système scolaire et même social : incivilité, inégalité, violence, lassitude, désintérêt, décrochage..., permettant aux familles de se reposer d'autant plus sur l'école qu'elles-mêmes n'assument plus complètement leur rôle éducatif... >>

<<  [L'école numérique], c'est l'émergence de risques psycho-sociaux totalement ignorés, ou éludés, par les institutions (chapitre 4). C'est, sous prétexte de réduire une nouvelle "fracture numérique", l'utilisation dispendieuse des fonds publics, au détriment de l'emploi et de l'équilibre commercial du pays (chapitre 5). C'est la future mainmise des multinationales de l'internet et de l'informatique sur nos enfants, avec, en gestation, la destruction de l'école républicaine et de la relation entre enseignants et élèves... Ce sont, à terme, les fondements mêmes du vivre-ensemble qui sont remis en question (chapitre 6). >>

<< Nous appelons à un véritable débat sur la numérisation de l'école et de l'enfance, dans une société qui prétend protéger les enfants. Equiper chaque élève d'une tablette ou d'un ordinateur portable apparaît comme un nouveau graal de l'institution scolaire, un graal consistant à doubler chaque être humain d'une machine... Ce projet est totalement fou, d'un point de vue pédagogique, écologique, sanitaire, sociétal. Loin de former les citoyens de demain, il fait en réalité perdre toute autonomie véritable à l'être humain... >>

 

►  Il faut lire Bihouix-Mauvilly après avoir lu Dave Eggers (voir ici les 4 notes sur Le Cercle) : en effet, l'annexion de l'école à l'industrie du numérique consomme la résorption de tout dans "l'information". Et confondre l'information (sur tablette) avec la formation (magistrale), c'est introduire dans l'école le processus à l'oeuvre dans tous les domaines - notamment la politique et la culture - dans l'intérêt du business privé...

► D'autre part, l'annexion de l'activité scolaire à l'industrie numérique ne résoudra pas le problème crucial : celui de l'efficacité pédagogique dans l'apprentissage des savoirs. Confondre la formation des élèves avec leur "information", c'est laisser en friche leur esprit : plus besoin d'apprendre quoi que ce soit puisque tout ne sera plus qu'infos, et que les infos sont dans la tablette... (Ce désastre ne frappera que les écoliers de milieu modeste, tandis que les enfants de familles aisées iront dans des établissements privés).

Le livre de Bihouix et Mauvilly irrite tous les partis.  Solidaires dans le naufrage pédagogique français depuis 1975 (réforme Haby sous Giscard-Chirac), la gauche et la droite sont solidaires dans le désastre numérique. La droite récuse tout spécialement l'argumentaire Bihouix-Mauvilly : plus ultralibérale que jamais, elle a dans ses priorités toutes les fuites en avant, au nom du culte la "croissance" et du rejet du "funeste principe de précaution". La droite de 2017 va pousser au paroxysme le formatage technolâtre entrepris sous les règnes successifs de MM. Sarkozy et Hollande. Le retour de cette droite n'amènera donc aucune "rupture", mais l'aggravation de ce qui se fait déjà ! Beaucoup de citoyens restent partiellement lucides, au sujet de tel ou tel domaine menacé : l'école, le sociétal... Est-ce trop leur demander que de bien vouloir achever d'ouvrir les yeux, et comprendre ce que toutes ces menaces ont en commun ? Il n'y a pas que le burkini dans la vie. [*]

 

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[*]  Incidente à ce propos :  la technolâtrie abolit tout attrait civilisationnel. Elle interdit la transmission des raisons de se sentir français (par exemple). Elle interdit donc l'intégration des enfants issus de l'immigration de masse. 

 

Commentaires

PIRE

> Je crains que le désastre soit encore bien pire que la confusion information/formation.
http://edunathon.org/index.php/dernieres-nouvelles/
http://www.nextinpact.com/news/100933-le-ministere-l-education-assigne-en-justice-pour-son-partenariat-avec-microsoft.htm
http://www.nextinpact.com/news/97570-des-associations-denoncent-partenariat-indigne-entre-microsoft-et-l-education-nationale.htm
Et sans parler de toutes les problématiques liées à la gestion des données personnelles (et de leur hébergement) des élèves et des professeurs.
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Écrit par : Pierre / | 02/09/2016

UBUESQUE

> ...et moi de repenser à ce moment ubuesque, lors de l'une des journées perdues l'an dernier (officiellement : "journée de formation numérique"), à mes collègues de musique agitant de concert leurs smartphones pour tester la dernière appli faisant du son en fonction des mouvements de l'utilisateurs...
Perso, si j'ai besoin, je sors un bâton de pluie pour le mettre dans les mains des gamins, même si utiliser un instrument en cours est désormais quasi interdit* en 5e/4e/3e puisqu'il faut se contenter de "travailler la voix et le geste".
Au royaume d'Ubu, je ne me sens aucune raison d'obéir.
J'ai cependant prévenu mes collègues au passage : s'ils commencent à faire utiliser des téléphones portables par les élèves pour obéir aux consignes de l'institution, qu'ils se préparent aux conséquences judiciaires le jour où ils auront un problème et où l'institution niera ces consignes pour rendre l'enseignant seul responsable.

[ * Sauf pour les élèves "déjà porteurs de compétences instrumentales" : bref, ceux qui peuvent se payer des cours d'instrument]
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Écrit par : Ren' / | 02/09/2016

> Merci de cette référence. Une trahison des élites dans toute sa splendeur.
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Écrit par : Ludovic / | 02/09/2016

À TOUS LES PROFS LECTEURS DE CE BLOG :
RÉSISTONS À L'INVASION NUMÉRIQUE !

> Et ils veulent nous imposer, à terme, la correction généralisée des examens et concours sur écran !
Voir ces wikipages de propagande, rédigées visiblement par la société Neoptec, qui a de gros intérêts dans cette affaire :
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mat%C3%A9rialisation_des_examens
https://fr.wikipedia.org/wiki/Neoptec

@ tous les profs lecteurs de PP : lançons une pétition (en ligne, horrible paradoxe) contre cette dématérialisation, voire contre la numérisation de notre métier ! La contagion est déjà trop avancée...

PS : dans un n° récent de 'La Décroissance', que je ne retrouve pas, il y avait un appel de profs anti-numériques... Je voulais les contacter ; si quelqu'un retrouve dans quel n°, merci !

Alex


[ PP à Alex :
C'est "l'appel de Beauchastel" lancé au printemps 2016 par PMO, et que notre blog a publié à ce moment-là.
'L'Obs' en a parlé tardivement fin août :
http://rue89.nouvelobs.com/2016/08/29/contre-linvasion-numerique-a-lecole-enseignants-resistance-264989 ]

réponse au commentaire

Écrit par : Alex / | 04/09/2016

BERNANOS ET LE NUMÉRIQUE

> Merci PP ; j'ai retrouvé : c'est dans le numéro de juin 2016, p. 5.
Par ailleurs, R. Redeker sort aussi un livre, 'L'école fantôme'. Présentation de l'éditeur :
"La destruction de l'École peut se dire en quelques mots : notre École est devenue une École-méduse, une École gélatineuse, aux professeurs et instituteurs changés en animateurs socio-culturels et gentils organisateurs du vivre-ensemble, bref en urgentistes du libéralisme. Quel est le sens de ce désastre ?
Il est un lieu commun de dire que la crise de l'École indexe une crise de la société. Mais il faut prendre au sérieux le propos de Péguy, qui se montre plus profond que les travaux des sociologues et les réflexions des journalistes, en la comprenant comme une crise de vie. C'est moins la société qui est en crise, que la vie. Nous traversons une crise de la vie humaine, une crise de l'homme. Non de la vie sociale, non de la vie biologique, qui à leur façon passent par une crise aussi, mais de la vie en tant que vie humaine. Autrement dit : c'est l'homme, dans l'humanité de sa vie, qui est en question dans la triple crise épinglée par ce livre, crise de l'enseignement, crise de l'École, crise de l'éducation. C'est parce qu'on ne sait plus ce qu'est un homme, ce qu'est la vie humaine, ni non plus ce qu'est la mort humaine, qu'on ne sait plus ce qu'est l'École, ce qu'est l'éducation".

Je suis en train de lire, sur ce thème, des textes de Jacques Lusseyran (mort en 1971) qui, à l'époque où régnaient Michel Foucault et consorts, dénonçait déjà cette invasion des objets, des chiffres, des machines, et la destruction méthodique de toute vie intérieure par cette 'modernité' anti-humaine (selon le fameux mot de Bernanos sur la civilisation moderne dans le chapitre 6 de 'La France contre les robots').
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Écrit par : Alex / | 05/09/2016

LES E.N.T.

> Sans compter le flicage totalitaire via les ENT. En effet, la nouvelle loi oblige les enseignants à renseigner de façon très exhaustive le cahier de texte numérique dans les ENT ("environnement numérique de travail").
Il s'agit, pour ceux ne connaissent pas, d'un site internet présent dans chaque établissement et comportant de nombreuses rubriques allant des notes à la messagerie en passant par le cahier de texte ou la banque de donnée pédagogique).
Cet ENT était, quand il a été installé, géré par une société privée mais sous contrôle d'une commission élue dans chaque établissement. On se connecte gràce à un identifiant et un code personnalisé et créé par le responsable TICE de l'établissement.
Au début, il était clair que personne d'étranger à l'établissement ne pouvait avoir accès à l'ENT dudit établissement. les inspecteurs recevait un code valable une semaine pour faire leur inspection.
Or, j'ai appris l'an dernier que certains chefs d'établissement avaient donné des codes aux inspecteurs ou à des responsables du rectorat sans avis de la commission et sans autorisation.
D'ailleurs, la dite commission ne s'est pas réunie depuis des lustres...
Bref, bienvenu dans big brother.
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Écrit par : VF / | 05/09/2016

SMARTPHONE : UN ACHAT OBLIGATOIRE

> Autre site de propagande des 'contenus numériques' à l'école (car, comme dit le slogan sur toutes les pages de ces sites, "L'Ecole change avec le numérique"... et changer, c'est forcément bien) :
http://ecolenumerique.education.gouv.fr/brne/
Dans mon lycée, on teste cette année une "classe numérique" en Seconde : plus de livres, des tablettes, des clefs USB, que sais-je... Hélas il y a des collègues motivés pour cela.
Anecdote signifiante : un collègue de Lettres classiques en collège se rend naguère à une 'formation' TICE par des inspecteurs (IPR) ; ceux-ci demandent aux participants de sortir leurs smartphones, de télécharger telle 'appli' "pédagogique" ; le collègue répond qu'il n'a même pas de portable du tout ; le ton monte ; il finit par se faire traiter de "criminel" car il refuse de vivre et d'enseigner avec son temps.
Nous sommes des déviants dans la société qui vient, et qui même est déjà là.

Alex


[ PP à Alex - Obliger le citoyen à acheter des biens matériels marchands est contraire aux principes élémentaires de la République. Du moins : à ses principes de naguère... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Alex / | 05/09/2016

LE PLAN

> Le plan concernant le tout numérique au collège, d'ici quelques années, est là :
http://ecolenumerique.education.gouv.fr/
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Écrit par : Alex / | 05/09/2016

VÉNALITÉ

> " Obliger le citoyen à acheter des biens matériels marchands est contraire aux principes élémentaires de la République. Du moins : à ses principes de naguère... "
Et que dire de mon ancien inspecteur pédagogique qui était représentant d'une marque de tableau blanc interactif et qui nous poussait à utiliser le numérique et à demander des équipements? Je vous laisse imaginer le résultat quand on critiquait le tout numérique...
Conflit d'intérêts dites-vous? Ou un système intrinsèquement corrompu et vénal?
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Écrit par : VF / | 06/09/2016

Cher Alex,

> Sans vouloir te déprimer encore plus, 'Christus' (revue que j'aime beaucoup) avait sorti un numéro de propagande sur la "conversion numérique" (sic) il y a un an...
Foucault est responsable de bien des choses, mais sur les machines et le numérique, bof : c'est plutôt Deleuze le coupable. Cf. la terrible revue 'Multitudes' qui en est directement inspirée.
Nous (enseignants, intellos, amoureux d'abstractions mathématiques ou des humanités) sommes les vaincus de l'histoire. Même l'école "libre" file le train du numérique. Et le hors contrat prospère - pour ceux qui en ont les moyens.
______

Écrit par : Maud / | 06/09/2016

@ Maud

> j'avais repéré ce n° de 'Christus'... Je mentionnais Foucault pour l'anti-humanisme, la fin de "l'Homme", tout ça... De fait, l'informatique naît dans ces mêmes années où l'homme cesse d'intéresser : d'où aussi la fin des humanités. Aujourd'hui, ils nous pondent des "humanités numériques" (oxymore !) dans les facs, non ?
______

Écrit par : Alex / | 07/09/2016

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