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30/03/2016

"Radical" : un adjectif médiatique qui ne veut plus rien dire

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Glosant sur cette une, les médias la qualifient de... "radicale" :


 

 

 

"La une radicale de 'Charlie Hebdo' avec Stromae fait polémique", titre le gratuit 20 minutes : 

« Charlie Hebdo toucherait-il le fond ? » s’interroge même le quotidien belge La Dernière Heure. De nombreux autres médias belges ont également fait part ce mercredi matin de leur indignation. Selon l’éditeur Didier Pasamonik, directeur de collection et historien de la BD interrogé par Le Figaro, cette couverture nuit surtout à l’image du chanteur belge. « En tout cas, le premier affecté par cette une, ce sera sûrement Stromae, dont le père a disparu lors du génocide des Tutsis au Rwanda, explique l’éditeur, précisant, au sujet du dessinateur Riss : plus rien ne l’effraie maintenant qu’il a connu la mort. Riss n’a jamais été tendre. Mais là, il faut bien reconnaître qu’il a radicalisé son humour. Sans doute doit-il se dire qu’il n’y a plus de demi-mesure possible… »

 

 

Que le rédacteur de ce commentaire me pardonne, mais ce qu'il écrit n'a aucun sens. "Radicaliser" veut dire aller à la racine, tirer toutes les conséquences, prendre des décisions complètes et drastiques. En quoi cette une commerciale de Charlie Hebdo est-elle "radicale" ? En quoi dit-elle "qu'il n'y a plus de demi-mesures possibles" ? "Mesures", "demi-mesures" : quel est ce charabia ? Cette une ne veut que vendre en choquant ; son auteur n'a que faire des familles des victimes de Bruxelles, ni du propre père de Stromae qui mourut découpé à la machette au Rwanda... Le dessinateur Riss est à l'image non seulement de Charlie Hebdo, mais de la plupart des humoristes audiovisuels : leur fonds de commerce est l'insulte au malheur, stade suprême de la posture libérale-libertaire. M. Guillon ricanait aux dépens d'un malade. M. Sourisseau (alias Riss) ricane aux dépens d'un cadavre. On n'ira pas plus bas. Ici ''radicalité'' veut dire surenchère, entre marchands de néant.

Mais le même mot de ''radicalisation'' sert aussi aux médias pour qualifier l'engrenage qui mène au djihadisme. Et là, ce mot a un sens ! Le djihadisme peut être dit ''radical'' dans la mesure où il se présente comme radicalité de l'islam : la religion du Prophète revenant à ses racines. Par rapport aux musulmans non-djihadistes, le musulman qui l'est devenu se voit comme un radical : un musulman plus authentique. Laissons aux islamologues le soin de faire le tri. Constatons simplement que, dans ce domaine précis, parler de ''radicalisation'' signifie quelque chose.

Cette signification se perd lorsque les médias parlent de ''radicalisation'' à propos du jeune Kevin, ou Jonathan, ou Lenny, né d'une famille de souche à Godewaersvelde ou Cuxac-Cabardès, et converti au e-djihad sans passer par la case mosquée. Peut-on dire que ce garçon se soit ''radicalisé'', alors qu'au départ il n'était pas musulman ? Oui, diront certains sociologues (ceux qui mettent l'accent sur des facteurs criminogènes propres à la société occidentale actuelle)... Mais nos médias ne vont pas chercher si loin : ils disent ''radicalisation'' à propos de Kevin comme de Karim, parce que c'est le mot à la mode, sans voir qu'à ce degré de généralité un mot ne veut plus rien dire.

Les tueurs de Bruxelles ont mis des gens en morceaux pour faire peur. M. Riss a dessiné les morceaux pour faire rire. Dans les deux cas nos médias usent du même mot :''radicalisation''. La scène est dans l'Union européenne, c'est-à-dire nulle part.

 

 

charlie-hebdo

18:03 Publié dans Médias | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : charlie-hebdo

Commentaires

JARGON

> Sur le mésusage des termes, rien de bien nouveau : les médias d'information accaparent des termes et les redéfinissent selon leurs habitudes jargonneuses de salles de rédaction, avant de nous les resservir sur les ondes ou dans les colonnes, jusqu'à la nausée. Philippe Vandel les avait déjà épinglés il y a plus de vingt ans dans un chapitre de son "Dico français/français". Aujourd'hui comme hier, nous nous coltinons le même lot de barbarismes ("nominer"), de globicismes ("sniper", "opportunité"... "radical" !), de préciosités ridicules ("à quelques encablures"... de cet immeuble en plein centre ville) et j'en passe. Avec la destruction de toute instruction publique digne de ce nom, y aura-t-il encore un Vandel futur pour seulement s'en apercevoir ? Le (e-)bouquin qu'il écrirait trouvera-t-il encore un lectorat ?
Pour l'instant, nous voyons bien que "l'humour" de Riss n'est pas radical. Il est outrancier, outrageux, irresponsable, imbécile... En somme, tout à fait "Charlie".
______

Écrit par : Albert Christophe / | 30/03/2016

PRÉCIOSITÉS

> Le terme de « préciosités » employé par Albert dans son commentaire est intéressant. Les journalistes de « Charlie-Hebdo » et leurs détracteurs ou thuriféraires se montrent la plupart du temps incapables de donner un cadre simplement moral et de bon sens à leur pensée. Sans doute parce qu’ils sont sidérés, submergés, bouffés jusqu’au trognon par leurs émotions. Lesquelles doivent avoir libre cours, n’est-ce pas, au nom de la liberté d’expression. Après tout, en 2016, le libre esprit, fût-il (futile) bobo, est nécessairement un esprit supérieur. Et mérite que soit recueilli avec ferveur le moindre de ses tweets, la plus modeste ou scandaleuse de ses bulles…
Nos médias se vautrent donc dans la préciosité.
Comme toujours, l’exemple leur vient d’en haut. Je pense en particulier au chef de l’Etat. Et par exemple à cette magnifique « préciosité » de sa part, qui m’est tombée sous les yeux il y a quelques jours, tirée d’un livre paru en 2002 (« Ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas », de Jean-Yves Boulic). François Hollande y déclare : « Dieu a été et reste encore une facilité ».
Définitivement au-dessus du lot. Précieux entre les précieux.
______

Écrit par : Denis / | 31/03/2016

BOURGEOISISMES

> "Charlie Hebdo" toucherait-il le fond ? Il semble que vous répondiez de manière fort pertinente à la question : oui, s'il s'agit d'un fond de commerce.
Quant à la posture libérale-libertaire à son stade suprême, elle ressemble curieusement à celle du "Bourgeois" tel que le voit Léon Bloy : ricaner du malheur et vendre ces ricanements, voilà qui est "faire d'une pierre deux coups". Même si, à la relecture récente de l'"Exégèse des Lieux Communs", je n'ai pas trouvé "radical" (contrairement à "faire d'une pierre deux coups").
En vous souhaitant de joyeuses Pâques.

Sven Laval


[ PP à SL - A vous de même ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : Sven Laval / | 31/03/2016

VIDES ET VAINS

> Encore une fois les "mots vides et vains qui troublent l'âme" comme le disait déjà Épicure
Voire l'ancienne mais toujours pertinente étude d' André-Jean Volker "La philosophie comme thérapie de l'âme" Éditions Universitaires de Fribourg/Cerf, 1993.
______

Écrit par : Albert E. / | 31/03/2016

LEUR POINT COMMUN

> Point commun entre deux "radicalisations" si un lien est possible entre deux pathologies de la modernité dans une différence de degré (et combien !) et non de nature ? La culture de mort ! Soft dans le cas de la dérision mais participant quand même d'une même exaltation des noirceurs humaines dans une négation de la "common decency" (perception du bien et du mal selon Michea).
______

Écrit par : isabelle / | 31/03/2016

Les commentaires sont fermés.