25/03/2016
Aujourd'hui comme il y a deux mille ans : "Voici votre roi..."
« Ils répondirent : ''nous n'avons pas d'autre roi que l'empereur...'' »
Nous prononçons encore cette phrase qui crucifie Jésus :
L'histoire juive et romaine – An 33 de notre ère (photo : monnaies de Pilate). Voulant aligner la Judée-Samarie sur le culte impérial, ciment de l'empire, Pilate est en conflit politique avec les grands prêtres de Jérusalem depuis son arrivée en l'an 26*. Plusieurs émeutes anti-romaines ont déjà éclaté à Jérusalem et à Césarée : le préfet s'en est mal tiré, et ses balourdises finiront par provoquer son renvoi à Rome – obtenu par les Judéens en février 37. Mais dans l'affaire Jésus il semble être moins maladroit... Cette fois il est servi par les faits : les grands prêtres tiennent à l'exécution du Nazaréen**, et ne peuvent l'obtenir qu'à travers une sentence romaine. Pilate est donc maître du jeu. En échange de sa sentence, il va amener les grands prêtres à reconnaître officiellement la souveraineté de César ! Cette reconnaissance leur semblait religieusement impossible, dans la mesure où chaque César est fonctionnellement « divin » (en tant que descendant d'Auguste) : admettre ça était incompatible avec le monothéisme du Temple, ciment de la société juive. D'où la posture ambiguë des grands prêtres : ils collaboraient avec l'occupant mais refusaient l'acte idolâtre qu'était l'allégeance publique explicite... L'affaire Jésus donne à Pilate le moyen de les y forcer. Ils ont besoin du préfet pour faire mourir Jésus ? Pilate feint de le leur refuser. La foule s'en irrite. Elle s'échauffe. Elle risque d'échapper au contrôle des grands prêtres : mais si l'émeute éclate, c'est eux que Rome en tiendra responsables. Les voilà dans une situation dangereuse, dont ils ne peuvent sortir qu'en prononçant la formule que Pilate attend d'eux. Il leur tend la perche : « Vais-je crucifier votre roi ? ». Ils répondent : « Nous n'avons pas d'autre roi que César. » C'est fait. Les voilà « mouillés » au yeux de leur propre peuple. Pilate a gagné son bras-de-fer politique ! Il n'a plus qu'à remplir sa partie du contrat : « Alors il leur livra Jésus pour qu'il soit crucifié »... La suite des récits évangéliques montre que Jésus n'est pas crucifié par les juifs, privés de ce droit, mais par une escouade sous les ordres d'un « centurion » (dit saint Luc) ; les historiens préciseront que ces troupes coloniales étaient composées de soldats syriens.
Aujourd'hui – Revenons sur la phrase « nous n'avons pas d'autre roi que César ». On peut la transposer en notre temps. L'empire aujourd'hui est celui du système financier. Nous n'avons « pas d'autre roi » que lui, puisqu'il est plus fort que les Etats et qu'il prétend formater les âmes. Son culte est une idéologie, dénoncée par quelques rebelles mais servie (obliquement) par un haut clergé d'intellectuels de salon qui n'ont pas eu besoin qu'on leur force la main pour faire allégeance. Sont-ils les seuls à servir ce César doré ? Non. Nous sommes tous – plus ou moins - complices. Tout se passe comme si nous disions « nous n'avons pas d'autre roi que César » : nous mettons « une confiance grossière et naïve dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant » (Evangelii Gaudium)... Nous faisons ainsi allégeance à un système près de crucifier l'humanité : ce système « tue », c'est « l'économie de l'exclusion et de la disparité sociale » (ibid.). Or « tout ce que vous ferez aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait. »
Conclusion - Relisons le discours du pape François sur le rôle des laïcs (17/10/2015) : « L'annonce de l'Evangile n'est pas réservée à quelques ''professionnels de la mission'', mais devrait être le désir profond de tous les fidèles laïcs appelés, en vertu de leur baptême, non seulement à l'animation chrétienne des réalités temporelles, mais aussi aux oeuvres d'évangélisation explicite, d'annonce et de sanctification... » Deux mille ans après la manoeuvre politico-religieuse survenue à Jérusalem, prenons conscience que le récit évangélique nous rend présent le procès de Jésus. Il nous appelle à nous demander de quel côté – si nous l'avions vécu – nous auraient porté certains de nos réflexes !
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* Bizarrement obstiné à saper le modus vivendi entre l'autorité romaine et le Temple de Jérusalem, Pilate a engagé et perdu plusieurs épreuves de force avec les grands prêtres et les foules. Il a voulu ériger dans Jérusalem des effigies du culte impérial ; financer un aqueduc avec le trésor du Temple (pourtant korban : réservé au culte) ; introduire à Jérusalem (dans la résidence préfectorale, ancien palais d'Hérode) des emblèmes du culte impérial... Chaque fois l'initiative a déchaîné des fureurs.
** Pour la raison indiquée par les chefs judéens (inquiets depuis la résurrection de Lazare), cf Jean 11, 45-50 : "Les grands prêtres et les pharisiens réunirent donc le Conseil suprême ; ils disaient : 'Qu'allons-nous faire ? Cet homme accomplit un grand nombre de signes. Si nous le laissons faire, tout le monde va croire en lui, et les Romains viendront détruire notre lieu saint et notre nation. Alors, l'un d'entre eux, Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit : 'Vous n'y comprenez rien ; vous ne voyez pas quel est votre intérêt : il vaut mieux qu'un seul homme meure pour le peuple, et que l'ensemble de la nation ne périsse pas.' " C'est au nom de leur système de société que ces hommes décident de supprimer Jésus. La leçon vaut pour aujourd'hui.
Ecce Homo, par Jérôme Bosch (vers 1470)
16:44 Publié dans Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : catholiques
Commentaires
JAMAIS
> Que jamais nous ne mettions le Sauveur au service d'un empereur, quel qu'il soit et sous quelque prétexte "identitaire" que ce soit.
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Écrit par : JM Canivet / | 25/03/2016
TENTATION
> Merci à Nicolas de nous rappeler ce début des rois juifs, qui m'incite à 2 réflexions.
Premièrement, tout système qui hérite de lui-même peut-il être bon ? Notre soi-disant démocratie en fait partie, quel homme peut être élu sans appartenir à un parti politique, sans l'argent de puissants ?
Deuxièmement, on y voit déjà la très grande libéralité de Dieu qui laisse son peuple prendre un mauvais choix, malgré le (très clair) message d'avertissement envoyé. Mais n'est-ce pas notre tentation de tout à chacun : devant être dans le monde, vient le désir de ne pas trop se singulariser et d'être finalement du monde ?
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Écrit par : franz / | 28/03/2016
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