Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/01/2016

Ces médias ne peuvent pas comprendre le drame paysan

quimper1.jpg

Mes impressions, retour de Lorient :


 

Vendredi soir, j'étais à Lorient pour un débat sur l'écologie intégrale. Les barrages de tracteurs venaient d'être « levés provisoirement ».

De ce siège des villes bretonnes par les troupes de choc de la FNSEA, les médias parisiens parlent peu. Les médias de l'Ouest en parlent, évidemment : mais ils s'abstiennent (comme leurs homologues parisiens) de parler de l'ambiguité cachée sous la violence du syndicat agro-industriel – et de se pencher sur les causes structurelles du désastre agricole français...

Témoin l'éditorial de François-Régis Hutin, à la une du numéro d'Ouest-France acheté samedi matin.

Cet article s'intitule : Solidaires des agriculteurs. Que contient la solidarité d'Ouest-France ? D'abord de la compassion à juste titre : il faudrait être « sans coeur », écrit M. Hutin, pour ne pas « s'émouvoir » devant « la profonde détresse que manifestent les agriculteurs »... On ne peut que lui donner raison ; aujourd'hui une « interrogation existentielle » (comme il dit) ronge  ceux que nos médias n'appellent plus « les paysans ».

Cependant, pourquoi ne dit-on plus « paysans » mais « agriculteurs » ? Pourquoi ne dit-on pas que le mot « agriculteur » renvoie désormais à une « agro-industrie » sans frontières, indexée sur le marché spéculatif global des matières premières ? Pourquoi ne dit-on pas que ce système détruit nos campagnes sur tous les plans : économique, écologique et humain ?

Depuis ses origines, Ouest-France est lié aux milieux qui pilotèrent – en 1950-1960 – la mutation de la paysannerie française vers l'agro-industrie mondialisée. Ces milieux ne voyaient pas que : 1. les territoires français n'étaient pas faits pour devenir un « espace agro-industriel » à l'américaine ; 2. au jeu de l'agro-industrie de masse, les « agriculteurs » de l'Hexagone seraient nécessairement surclassés par le dumping de la concurrence mondiale ! La voie choisie en 1950-1960 n'était pas la bonne, expliquent aujourd'hui des animateurs de CMR (Chrétiens dans le monde rural) et les militants de la Confédération paysanne...  Comme le dit Geneviève Savigny, militante de la Confédération et de Via campesina :

<< La surproduction est le résultat de la libéralisation et de la mise en concurrence avec le monde entier, avec, à l'arrivée, un nivellement des prix vers le bas. L'agro-industrie milite pour la logique productiviste qui ne favorise que les conglomérats... La croyance aveugle en un grand marché mondial ne fait que laminer les petits éleveurs et les petits paysans, en les poussant au désespoir... >> *

...Mais il y a cinquante ans (souvenons-nous des conflits du remembrement dans l'Ouest), les lanceurs d'alerte étaient écrasés sous le mépris des démocrates-chrétiens et des syndicalistes venus de la JAC, futurs patrons de la FNSEA !

Ajoutons à cela que ces mêmes milieux, issus de la démocratie chrétienne, furent et restent partisans inconditionnels de la « construction européenne » version Maastricht, sans voir que c'est l'un des rouages de la mondialisation financière dont fait partie l'agro-industrie.

Ces points rappelés, reprenons la lecture de l'éditorial d'Ouest-France.

Il regrette que les agriculteurs ne reçoivent « aucune réponse de nulle part » : regret déconcertant puisque l'absence de réponse vient de la connivence euro/agro-industrielle des élites, qu'elles soient politiques ou médiatiques !

L'éditorial demande : « Où est la solidarité de la nation vis-à-vis de ceux qui la nourrissent ? Les consommateurs ne pensent qu'au prix, espérant payer le moins possible et avoir davantage... » On a envie de lui rappeler que :

1. depuis le putsch ultralibéral des années 1990 et notamment le traité de Maastricht,  le mot « nation » est tenu pour obsolète  (voire damnable) par nos élites économiques et leurs médias qui ont ainsi fait cadeau de ce mot à l'extrême droite ** ;

2. remplacer le citoyen par le consommateur est l'un des effets de la mondialisation libérale, donc de l'UE ; et les milieux issus de la démocratie chrétienne n'y objectaient rien jusqu'à présent.

L'éditorial résume ainsi le problème agricole français : « Les agriculteurs ne demandent pas l'aumône, mais simplement une rémunération de leur travail au juste prix » ; leurs « métiers indispensables » devraient être « honorés comme il convient »... C'est exact. Mais en pratique, les notions de « métiers indispensables », de « rémunération du travail » ou de « juste prix » sont étrangères au système agro-industriel axé sur les marchés financiers. D'où l'« aumône » européenne aux agriculteurs :  qualifiée de « subvention » par Ouest-France, elle tentait de compenser (un peu) les déséquilibres induits par la mondialisation. Cet expédient tend à disparaître sous l'effet de la panne économique européenne - puisque l'UE libre-échangiste est en train de perdre... la bataille du libre-échange.

M. Hutin s'afflige de « l'incapacité des gouvernants et des organisations professionnelles à proposer des solutions d'envergure ». Mais à quelles solutions pense-t-il, puisque les gouvernants (et la FNSEA, partenaire monopolistique des gouvernants et des médias) adhèrent à 100 % au système qui entraîne la ruine de l'agriculture française ?

« Chacun doit s'interroger », ajoute l'éditorial. Ses suggestions ne vont pas bien loin :

► il invite les producteurs à ne plus « agir en ordre dispersé » et à « se rassembler » : mais autour de qui ? de la FNSEA ?

► plutôt que de distribuer des subventions « maigres et insuffisantes », le gouvernement devrait (dit Ouest-France) faire plus. Oui : mais quoi, puisque le système économique dominant est au-dessus de tout soupçon selon Ouest-France et La Croix  ?

Ouest-France invite aussi l'UE à « s'interroger » (« malgré les autres urgences à laquelle elle est confrontée ») et à trouver « une stratégie d'ensemble et d'avenir »... Mais cette « stratégie », l'UE l'a depuis le début : c'est la transformation du continent en espace ouvert aux quatre vents du libre-échangisme. Cette stratégie va s'aggraver de façon exponentielle avec le traité transatlantique, voulu à tout prix par Bruxelles, qui consacrera le triomphe des multinationales sur les gouvernements ! On ne sache pas que nos grands médias (Ouest-France inclus) aient informé leurs lecteurs de ce piège.

► D'autant que l'éditorial conclut sur l'idée du président régional de la Bretagne, Jean-Yves Le Drian... Celui-ci parle de « plan stratégique adossé aux fonds européens » : formule dénuée de signification, puisque l'UE n'est que le relais de la concurrence mondiale ! D'où l'inconsistance du souhait de François-Régis Hutin : « une véritable stratégie d'avenir, indispensable pour préciser les perspectives et rendre confiance aux travailleurs de cette profession menacée... » Souhait inconsistant parce que le système global se fout éperdument des « travailleurs » ; il n'a d'autre souci que les indicateurs instantanés de rentabilité financière, système qui traite l'homme en superflu.

► Le pape François sait tout cela. Il le dit. Sa lucidité irrite les dirigeants des deux journaux issus de la démocratie chrétienne hexagonale... Mais c'est lui que nous écoutons, en attendant de voir tomber en morceaux ce que le pape Benoît XVI appelait « certaines coquilles vides du catholicisme français ».

 

_______________

**  Cf mon livre La révolution  du pape François, pp. 113 à 117 (éd. Artège).

** Il faudra enquêter sur ce phénomène, au risque d'irriter encore le P. Greiner.

 

 

 

bigoudenes-500-8eeed-e1451909491400.jpg

Colères bretonnes (avant la main-mise de la FNSEA).

 

Commentaires

PITCH MY CHURCH etc

> Pour se faire entendre aujourd’hui, il paraît que la seule solution, c’est une start-up et des applis qui vont avec. « What else ?», comme ils disent dans nos écoles de commerce… Tout le reste – l’ancien système de production et commercialisation – serait à envoyer à la casse, remplacé par l’oligarchie (la démocratie ?) du smartphone.
L’Eglise elle-même y succombe (comme on l’a vu cette semaine, KTO étant partenaire de l’opération commerciale « Pitch my church » destinée aux jeunes consommateurs de sacrements).
Je ne blague pas… Pour les agriculteurs, ne faut-il pas en passer par là, une « ubérisation » du marché ?
Or donc, ce serait tout simple : l’appli ne rentrerait pas les foins mais elle pourrait rétablir le consommateur dans sa dignité citoyenne en créant la solidarité qui fait aujourd’hui défaut tant chez les multinationales de l’agro-alimentaire qu’au sein des institutions étatiques !
Ainsi d’une appli « J’aide l’agriculteur bio de ma région », où le citoyen « consomacteur » s’engagerait par exemple à payer la marchandise du paysan à un prix juste et équitable après transformation et/ou conditionnement dans des filières écologiques agréées par ladite « Jeune pousse » (start-up) gestionnaire du projet… ?
La start-up, les gars, on vous dit, y’a plus que ça de vrai !
Au reste, pour dépasser le problème des agriculteurs et constater dans quelles impasses les spéculateurs nous conduisent, il y a un bon article à lire, sur le site de « Témoignage chrétien » : « Krach ou pas krach ? « de Mireille Martini ( http://temoignagechretien.fr/articles/actualite/krach-ou-pas-krach ), dont voici la conclusion :
« Est-il besoin de rappeler que le maintien d’une sphère financière pléthorique se fait au détriment de l’économie réelle, de la cohésion sociale, du maintien des valeurs fondamentales de nos démocraties ? Que l’évitement du krach se fait au profit d’une descente lente mais sûre vers la déflation ? Que le niveau de vie de la grande majorité baisse au profit d’une oligarchie qui profite de moins en moins sereinement de son argent ? Que, parmi les investissements qui font cruellement défaut à l’économie réelle, il y a ceux de la transition énergétique, et que les hommes et femmes qui s’enrichissent à la faveur des bulles spéculatives respirent le même air que ceux qu’elles jettent au chômage ? ».
______

Écrit par : Denis / | 31/01/2016

EXCEPTION ET DÉSASTRES

> Une heureuse exception, qui révèle au passage un autre désastre, celui du canard:
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2016/01/29/31003-20160129ARTFIG00107-perico-legasse-ce-n-est-pas-l-agriculture-qu-on-assassine-c-est-la-france-qu-on-poignarde.php
______

Écrit par : Pierre Huet / | 31/01/2016

SEMENCES

> La machine infernale, ce rouleau compresseur, ne s'arrête plus aux paysans. Vu dans 'Valeurs actuelles', signalé par André Bercoff : "Un projet de loi proposé par la Commission européenne, souhaite que la pousse, la reproduction ou la vente de semences de végétaux qui n'ont pas été testés ou approuvés par l'Agence européenne des variétés végétales tombent sous le coup de la loi. Sous le prétexte de combattre la contamination et les OGM, on va surveiller et punir les propriétaires de jardins qui ont encore l'audace de faire pousser leurs fleurs, leurs légumes et leurs fruits en toute liberté."

Isabelle


[ PP à I. - Le surprenant est qu'une information aussi peu libérale soit parue dans 'Valeurs actuelles' ! Si même le journal de M. de Kerdrel se met à critiquer l'emprise de l'agro-industrie, où va-t-on ? Les temps sont proches, c'est la fin du monde... dong, dong... ]

réponse au commentaire

Écrit par : isabelle / | 31/01/2016

CHRISTOPHE GRANGER

> Constats et arguments strictement parallèles aux vôtres concernant la destruction mondiale de l'université (i.e. destruction de toutes les universités du monde par la logique néolibérale mondiale décidée tout à fait volontairement depuis les années 1980-1990) : Christophe Granger, "La destruction de l'université française" à La Fabrique. Dénonciation de l'aveuglement d'une partie du monde éducatif et universitaire(enseignants, chercheurs et parents - car les politiques, eux, ne sont pas dupes) sur les remèdes qu'il faudrait appliquer (des universités toujours plus grosses, toujours plus de "partenariats" avec des entreprises, toujours plus de liberté dans son cursus pour l'étudiant qui n'est plus un disciple mais un "acteur rationnel économique, entrepreneur de sa propre existence", et naturellement toujours plus de nouvelles technologies pour permettre à deux amphis de 600 étudiants de suivre un même cours!).
A lire par tout enseignant (du secondaire comme du supérieur, car l'heure vient, et c'est maintenant, où Najat applique le programme néolibéral pour l'université au collège et au lycée), par tout étudiant et par tout parent. Si vous souhaitez une fiche de lecture...
http://lafabrique.atheles.org/livres/ladestructiondeluniversitefrancaise/

Maud


[ PP à Maud - Je publierais volontiers la fiche de lecture ! Envoyez-la moi dès que possible. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Maud / | 01/02/2016

ENFUMAGE F.N.S.E.A.

> Selon la Confédération paysanne, la FNSEA en est à chercher à masquer ses objectifs réels et l'échec économique de l'agriculture productiviste:
http://www.huffingtonpost.fr/stephane-brelivet/crise-de-lelevage--les-5-mensonges-de-la-fnsea_b_8076796.html

PH


[ PP à PH - La FNSEA peut compter sur des "chiens de garde" libéraux dans les médias. Témoin Brice Couturier ce matin à France-Culture (7h30 à 8h30), acharné à défendre le "modèle agro-industriel allemand" contre trois excellents experts agronomes opposés au productivisme (leur point de vue était celui de notre note ci-dessus)... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre Huet / | 01/02/2016

ISABELLE AUTISSIER

> Heureusement Isabelle Autissier sauve l'honneur de la presse bretonne dans 'Le Télégramme' du 30/01 :

" Débats
Un pas en avant bientôt gravé dans le marbre
30 janvier 2016 / Isabelle Autissier /

" Qui ne se souvient, chez les marins et les Bretons, du naufrage de l'Erika et du procès qui s'en suivit où l'entreprise Total apparaissait en première ligne quant à sa responsabilité. La loi sur la biodiversité, qui est en ce moment en discussion, peut permettre une avancée majeure : la reconnaissance du préjudice écologique. Il ne s'agit plus de réparer les dégâts causés aux personnes et aux biens, ce qui reste par ailleurs essentiel, mais à la nature en tant que telle et d'inscrire ce droit dans le code civil.
C'est une avancée majeure, pour ne pas dire un changement de pensée. La mortalité des oiseaux ou du plancton, la limpidité des eaux, la qualité des sédiments, les atteintes aux écosystèmes sont ainsi reconnues comme affectant le bien commun, non seulement de l'humanité, mais de la planète et de la vie pour elles-mêmes. Le principe étant une réparation en nature, sinon financière.
J'entends ceux qui vont dire que l'on va ainsi renchérir les coûts et que, de toute façon, l'évaluation de ce genre de dommages est impossible. Elle n'est pas simple, peut-être, quoique de mieux en mieux appréhendée. En tout cas, elle va inciter à une meilleure responsabilité environnementale tous les acteurs, à commencer par les entreprises... "
______

Écrit par : TB / | 01/02/2016

EN LAISSE

> Information peu libérale dans 'Valeurs actuelles'. On voit fleurir dans les journaux des petits poumons d'aération. Il s'agit, me semble-t-il, d'adoucir le politiquement correct si étouffant mais si nécessaire par quelques petites flammèches de vérité, histoire de nous détendre un peu avant de nous replonger dans l'habituelle propagande toute défiance endormie à nouveau.
Ainsi dans 'V.A.' : Bercoff, ou les articles des dernières pages sous le titre "L'incorrect", "le plus Obs" ou bien dans 'le Figaro' : "le figarovox". Bien tenus en laisse, bien cadrés, les contestataires ne devraient pas trop réussir à secouer l'hébétude des Français.
______

Écrit par : isabelle / | 01/02/2016

TROIS IDÉES

> Il est clair que ce modèle ne bénéficie ni à la Terre, ni aux Hommes. Mais comment renverser la situation et créer des modèles durables d'agriculture?
Je voudrais proposer ici 3 idées, pour vos commentaires!
1) S'appuyer sur des communautés de paysans. C'était les sens des coopératives d'antan avant qu'elles ne soient gagnées par cette course au gigantisme et à la profitabilité / productivité. Des non paysans peuvent aussi rejoindre ces communautés locales, pour des valorisations locales. (ex: un moulin local pour transformer les céréales du canton).
2) Utiliser la technologie. Comme le mentionne un commentaire précédent de Denis, les nouvelles technologies peuvent être un bon outil. Permettre à chaque paysan de sortir du "chacun pour soi" pour faire gagner la communauté, en partageant des infos, des produits, etc... Et permettre aux "citadins" de reconnecter avec les paysans virtuellement avant que ce soit physiquement!
3) Penser non pas en terme de prix mais de qualité. Je pense que les paysans ont encore dans le coeur cette envie de donner les meilleurs produits. En donnant ce qu'ils ont de meilleur, (et non pas selon les standards que leur impose l'industrie), les paysans pourront fixer les prix, et enfin gagner leur vie.
A vos commentaires,

Charles
______

Écrit par : Charles / | 01/02/2016

@ Charles

> La question qui me préoccupe, c’est de savoir si l’ubérisation de l’économie, de façon générale, peut aller de pair avec un mouvement social et citoyen responsable, capable de faire bouger l’Etat et de sortir de l’impasse actuelle.
Je ne suis pas un perdreau de l’année et j’ai tendance à penser que toute cette jeunesse ne rêvant que de start-up et d’applis gagnantes n’est guère épargnée par les tentations spéculatives auxquelles ont cédé depuis belle lurette leurs aînés et parents.
Reste que s’il est un domaine où la citoyenneté responsable peut aller de pair avec une « nouvelle économie », c’est peut-être celui de l’agriculture via la constitution de communautés locales et régionales privilégiant les circuits courts et les filières respectueuses de l’environnement.
Il doit bien y avoir chez les diplômés de l’agro voire même des écoles de commerce quelques cœurs vaillants non effarouchés par nos campagnes et nos villages de France. Qu’ils montrent le bout de leur nez !
______

Écrit par : Denis / | 02/02/2016

Les commentaires sont fermés.