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28/10/2015

Les pondérés

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Réflexion sur le mot "pondération"

invoqué ces jours-ci contre le pape François : 


 

Un mot circule dans des milieux catholiques français : ils invoquent la « pondération ». Comme l'indique toujours le contexte, ce qui leur paraît peu « pondéré » c'est de suivre le pape François. En quoi ne serait-on pas « pondéré » en suivant ce pape ? Ils ne le disent pas clairement, parce que la chose est difficile à avouer de la part de catholiques officiels. Il faut donc décrypter.

Ce qui leur paraît manquer de « pondération », c'est l'enthousiasme – voire le simple assentiment – envers les orientations pastorales et les analyses socio-économiques de ce pape.

Sur les orientations pastorales, leur nervosité est présomptueuse. Au nom de quoi s'autorisent-ils à soupçonner le pape ? Quelle est leur formation théologique ? Qu'ont-ils fait jusqu'ici pour la nouvelle évangélisation  ? A combien de non-chrétiens ont-ils donné envie de venir à eux pour leur demander « les raisons de leur espérance » (1ère lettre de Pierre) ? Que savent-ils de l'image qu'ils donnent du catholicisme ?

Mais c'est sur les questions économiques que ça coince vraiment. C'est surtout dans ce domaine qu'ils voudraient un pape plus « pondéré ». L'analyse du capitalisme 2015 par François les révulse pour deux raisons

le fait qu'elle soit immédiatement compréhensible des foules : plus que celles de Benoît XVI et de Jean-Paul II – qui pourtant parlaient déjà dans ce sens, mais que les gens n'entendaient pas (sur ce sujet) et que l'on pouvait donc zapper ;

le fait que les analyses de François s'appuient sur la vraie vie de millions d'habitants de l'hémisphère Sud : ceux qui nous considèrent (habitants du Nord) comme « historiquement responsables » du chaos spéculatif global et du saccage environnemental – comme ils s'apprêtent à nous le dire lors de la COP 21.**

C'est cela qui paraît peu pondéré aux dignes messieurs. Ils ont un problème avec la cohérence évangélique  ; ils étaient habitués depuis le XIXe siècle à ne confier à la religion que la vertu des épouses, et à accuser le catholique cohérent  de manquer de pondération.

 

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*  mais sous une forme qui échappait souvent au grand public.

** bien que M. Hollande soit allé en Bolivie conjurer Evo Morales de ne pas casser les vitres.

 

 

Commentaires

EXEMPLE BURLESQUE

> Voici un texte fransiscosceptique à la limite du burlesque. On y apprend que "des convictions rationnelles", opposées à la réalité des changements climatiques, peuvent se fonder sur la sensation de chaleur en été et de froid en hiver, que le pape François (c'est sous-entendu) pactise avec des " "élucubrations "écologiques" qui se parent frauduleusement du prestige de la science et encouragent à la haine de l'homme, à la haine du progrès technique et du progrès intellectuel, à l'avortement, à la contraception, à la limitation des naissances, à la prolifération des animaux nuisibles, à la culpabilisation perverse de l'homme etc. Rien que ça !
On y apprend aussi que le pape utilise une traduction "frelatée" de la Bible, qui le conduit au "mépris" de l'Homme, que ce méchant clergé rallié à ce méchant pape, en osant parler de réchauffement climatique etc, abuse de son prestige, ne respecte pas la liberté de la conscience, et, pire, "augmente les angoisses du peuple".
Sans oublier que le texte sous-entend que le pape est malthusien, sur un mode presque comique (une photo du bassin d'Arcachon, sous-titrée "la plage déserte, l'océan et le ciel, où est la surpopulation ?" !) Dieu du ciel, prépare-t-il une génocide ?!
Mais Monsieur est trop bon, si le pape Français est arbitraire, il ne faut pas pour autant rejeter tous ses textes. En effet, "il conserve ses droits de pape", tant qu'il parle de mariage ou de gouvernement de l'Eglise. C'est peut-être cela l'attitude pondérée selon l'auteur ?

http://denismerlin.blogspot.fr/2015/09/je-nai-pas-la-foi-dans-les-medias-cest.html

Le texte donne aussi un lien vers un autre blog présentant des commentaires sur le magistère, à la limite de la névrose ou même de la psychose.

AM


[ PP à AM - L'état psychique de ces gens est en effet alarmant. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Aurélien Million / | 28/10/2015

OCCIDENTAUX

> Oui, en ce domaine comme sur les "questions sociétales", les pondérés - qui, grâce aux sports consommateurs d'espace et d'appareils divers sont moins pondéreux qu'au temps de Daumier - sont focalisés sur le monde occidental, c'est à dire atlantique, ce qui n'est pas très catholique par définition.
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Écrit par : Pierre Huet / | 28/10/2015

LIBÉRALISME

> A ce sujet, excellent dossier de 'La Nef' d'octobre sur le libéralisme, où vous intervenez cher PP. Tous les articles ne sont pas de même qualité, mais c'est terriblement instructif. Comme celui de M. janva, qui nous brosse le tableau d'une société idéale... qu'il appelle libéralisme, et nous demande ensuite d'approuver. Ou encore celui qui appelle à distinguer le "bon" du "mauvais" libéralisme (comme pour la blague du chasseur ?). Tout ceci est bien beau, mais c'est (dans le meilleur des cas) pure utopie qui ne tient absolument pas compte du réel, et conduit à approuver, en fait, le libéralisme réel et destructeur.
Pour le libéralisme, comme autrefois pour le communisme, il ne s'agit pas de savoir si l'idée fonctionne en théorie ("si ça ne marche pas, c'est qu'on n'est pas encore allé assez loin dans l'application du communisme / libéralisme"), mais si en pratique elle produit de bons fruits. Mon mari disait hier : "comment une bonne théorie pourrait-elle autant dysfonctionner dès qu'on se met à l'appliquer, forcément partiellement au début ?"

Pema


[ PP à Pema
- Je vous approuve entièrement tous les deux... d'autant que votre idée est aussi dans mon livre du 5 novembre ! Nous convergeons, ce qui n'est pas surprenant.
- Avec toutes mes amitiés. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pema / | 28/10/2015

PP à "Claude"

> au lieu de me harceler d'insultes (symptomatiques de ce dont je parle dans cette note), pourquoi ne pas cesser de me lire ? quel besoin en éprouvez-vous donc ?
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Écrit par : PP à Claude / | 29/10/2015

LA TRINITÉ MANQUE DE PONDÉRATION

> Mais, cher Patrice de Plunkett, ces gens que vous critiquez ont parfaitement raison! Le pape François n'est d'ailleurs pas le seul à manquer de "pondération". Remontant aux origines, on peut constater dans l'enseignement et le comportement de Jésus de Nazareth un grave déficit de "pondération".
Il est même possible de discerner dans le dessein et l'action salvifiques de la Sainte Trinité des lacunes de ce genre. Car enfin, que Dieu le Fils, en plein accord avec Dieu le Père et Dieu le Saint-Esprit, s'abaisse à naître d'un femme, à vivre comme un homme parmi les hommes et à mourir cloué sur une croix, ce n'est tout de même pas ce qu'on peut appeler de la "pondération"!
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Écrit par : Jean-Marie Salamito / | 29/10/2015

JEAN-YVES NAUDET

> A propos de bon et mauvais libéralisme, JY Naudet persiste dans 'Liberté Politique', déclarant "...nous sommes bien loin d'une économie de marché authentique, ne serait-ce que quand les dépenses publiques dépassent 50% du PIB !"
mais comme vous dites PdP le seul libéralisme dont on puisse parler est celui que subit le monde actuellement...Celui de Rana Plaza un exemple parmi tant d'autre...
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Écrit par : Tangui / | 31/10/2015

> correctif, JY Naudet s'exprimait dans 'Les Echos', repris ensuite par 'Liberté Politique'.
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Écrit par : Tangui / | 31/10/2015

EGLISE ET LIBÉRALISME

> Catéchisme de l'Eglise Catholique. (http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_P87.HTM ) Et oui: "III. La doctrine sociale de l’Église
2419 " La révélation chrétienne conduit à une intelligence plus pénétrante des lois de la vie sociale " (GS 23, § 1). L’Église reçoit de l’Evangile la pleine révélation de la vérité de l’homme. Quand elle accomplit sa mission d’annoncer l’Evangile, elle atteste à l’homme, au nom du Christ, sa dignité propre et sa vocation à la communion des personnes ; elle lui enseigne les exigences de la justice et de la paix, conformes à la sagesse divine.
2420 L’Église porte un jugement moral, en matière économique et sociale, " quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent " (GS 76, § 5). Dans l’ordre de la moralité elle relève d’une mission distincte de celle des autorités politiques : l’Église se soucie des aspects temporels du bien commun en raison de leur ordination au souverain Bien, notre fin ultime. Elle s’efforce d’inspirer les attitudes justes dans le rapport aux biens terrestres et dans les relations socio-économiques.
2421 La doctrine sociale de l’Église s’est développée au dix-neuvième siècle lors de la rencontre de l’Evangile avec la société industrielle moderne, ses nouvelles structures pour la production de biens de consommation, sa nouvelle conception de la société, de l’Etat et de l’autorité, ses nouvelles formes de travail et de propriété. Le développement de la doctrine de l’Église, en matière économique et sociale, atteste la valeur permanente de l’enseignement de l’Église, en même temps que le sens véritable de sa Tradition toujours vivante et active (cf. CA 3).
2422 L’enseignement social de l’Église comporte un corps de doctrine qui s’articule à mesure que l’Église interprète les événements au cours de l’histoire, à la lumière de l’ensemble de la parole révélée par le Christ Jésus avec l’assistance de l’Esprit Saint (cf. SRS 1 ; 41). Cet enseignement devient d’autant plus acceptable pour les hommes de bonne volonté qu’il inspire davantage la conduite des fidèles.
2423 La doctrine sociale de l’Église propose des principes de réflexion ; elle dégage des critères de jugement ; elle donne des orientations pour l’action :
Tout système suivant lequel les rapports sociaux seraient entièrement déterminés par les facteurs économiques est contraire à la nature de la personne humaine et de ses actes (cf. CA 24).
2424 Une théorie qui fait du profit la règle exclusive et la fin ultime de l’activité économique est moralement inacceptable. L’appétit désordonné de l’argent ne manque pas de produire ses effets pervers. Il est une des causes des nombreux conflits qui perturbent l’ordre social (cf. GS 63, § 3 ; LE 7 ; CA 35).
Un système qui " sacrifie les droits fondamentaux des personnes et des groupes à l’organisation collective de la production " est contraire à la dignité de l’homme (GS 65). Toute pratique qui réduit les personnes à n’être que de purs moyens en vue du profit, asservit l’homme, conduit à l’idolâtrie de l’argent et contribue à répandre l’athéisme. " Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammon " (Mt 6, 24 ; Lc 16, 13).
2425 L’Église a rejeté les idéologies totalitaires et athées associées, dans les temps modernes, au " communisme " ou au " socialisme ". Par ailleurs, elle a récusé dans la pratique du " capitalisme " l’individualisme et le primat absolu de la loi du marché sur le travail humain (cf. CA 10 ; 13 ; 44). La régulation de l’économie par la seule planification centralisée pervertit à la base les liens sociaux ; sa régulation par la seule loi du marché manque à la justice sociale " car il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché " (CA 34). Il faut préconiser une régulation raisonnable du marché et des initiatives économiques, selon une juste hiérarchie des valeurs et en vue du bien commun."
J’aime tous les numéros, mais aujourd’hui j’apprécie tout particulièrement le dernier (2425), je ne sais pas pourquoi. Et je suis d’accord (ou du moins fait tout mon possible pour être d’accord) avec ce qu’il y a dans le CEC.

Ce qui m'a toujours étonné dans les articles de Jacques Bichot, Jean-Yves Naudet…etc, c’est la pauvreté des références chrétiennes. Si l’on prend par exemple l’article de Jacques Bichot du mois de novembre sur le site de la Nef, on trouve : la Bible, Hayek, Monesquieu, Portalis et Charles Gave (http://www.lanef.net/t_article/bons-et-mauvais-liberalismes-jacques-bichot-26132.asp?page=0 ) Dans celui de Jean-Yves Naudet, il y a Hayek. C’est léger. Prenons un exemple : Montesquieu ; comme catholique, on fait mieux : http://www.trusatiles.org/article-un-franc-ma-on-nomme-montesquieu-101303909.html
Voilà, c’est toujours comme cela avec les libéraux.
Quant à trouver des références catholiques dans leurs écrits cela arrive parfois. Mais ce n’est pas toujours très heureux. Il s’agit par exemple de Suarez, de Molina…etc de l’école de Salamanque. Alain de Benoist le remarque, toujours dans 'la Nef' : « Sans remonter trop loin, rappelons que l’individualisme est l’héritier du nominalisme, qui pose en principe qu’il n’existe aucun être au-delà de l’être singulier (c’est également de la Scolastique espagnole que dérive la théorie subjective de la valeur). L'individualisme est la philosophie qui considère l'individu comme la seule réalité et le prend comme principe de toute évaluation. Le libéralisme pose l’individu et sa liberté supposée « naturelle » comme les seules instances normatives de la vie en société, ce qui revient à dire qu’il fait de l’individu la seule et unique source des valeurs et des finalités qu’il se choisit. »
Il faut dire ce qu’il en est concrètement. Lorsqu’on lit des ouvrages comme « l’être et l’essence » de Gilson, on trouve un chapitre intitulé « Descartes, disciple de Suarez » , et le chapitre suivant est intitulé : « le dégout de la métaphysique ». On y apprend la filiation entre Descartes, Malebranche, Fénelon, Spinoza, Leibniz, Wolff et… Kant. En clair, c’est quand même pas le top… c’est bien le moins que l’on puisse dire. Et avec les libéraux, c’est toujours comme ça. De mémoire, on trouve exactement le même son de cloche quant à la filiation de Suarez, chez Leo Elders, l’un des spécialistes mondiaux de Saint Thomas d’Aquin (la métaphysique de Saint Thomas dans un perspective historique). L’explication est simple : le catholicisme n’a rien à voir, ni rien à faire avec le libéralisme et n’a jamais rien à voir ni à faire avec le libéralisme pour si ce n’est pour le condamner.
Pauvreté de la réflexion aussi sur les « ismes » de Jacques Bichot. Ces « ismes » ne sont pas tombés du ciel. Ils ont été inventés. Lire : « le mythe de la violence religieuse » de William Cavanaugh. Il fut un temps où il n’existait aucun « isme », pas même de « catholicisme », ne de « protestantisme », de « bouddhisme » (et c’est pas si vieux -1840 de mémoire, tout au plus, pour le Bouddhisme)… Avec les libéraux, c’est toujours comme ça. On n’est pas étonné qu’il en soit réduit à aller chercher Charles Gave…no comment.
Enfin Hayek. Là c’est le summum. Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise 201 (en accord avec le CEC) : « Le Magistère Social rappelle au respect des formes classiques de la justice : la justice commutative, la justice distributive et la justice légale. La justice sociale y a acquis un relief toujours plus important ; elle représente un véritable développement de la justice générale, régulatrice des rapports sociaux sur la base des critères de l’observance de la loi. La justice sociale est une exigence liée à la question sociale(…). » Dans son opus magnum, « Droit, Législation et Liberté » qui, si j’ai bon souvenir, lui a valu, le Prix Nobel, Hayek réalise en son tome 2, une critique de la justice sociale: pour lui c'est un terme qui n'a aucun sens. Que peut avoir à faire un catholique fidèle au Magistère qui « rappelle au respect des formes classiques de la justice » dont la « justice sociale [est ] un développement » avec la pensée de Hayek ? Pour moi, la réponse est simple : rien, pour quiconque raisonne un peu, et ne tort pas le sens des mots.
On lit ce qui suit, ici : http://www.revue-projet.com/articles/2008-2-critique-de-la-justice-sociale-selon-hayek/
« Car Hayek a un projet de société très précis, qu’il appelle « démarchie » ou « démocratie restreinte ». Il s’agit d’une architecture institutionnelle empêchant toute politique de redistribution et réduisant les libertés syndicales et politiques durement acquises par les luttes sociales. Un tel projet ne s’impose pas de lui-même. Dans un entretien accordé au journal chilien El Mercurio en avril 1981, pendant la dictature Pinochet, il expliquait « qu’une dictature peut être nécessaire pour une période transitoire ». Il précisait même dans un autre entretien : « Je préfère sacrifier la démocratie temporairement – je le répète, temporairement – que la liberté [...] Une dictature qui s’impose elle-même des limites peut mener une politique plus libérale qu’une assemblée démocratique sans limites » (19 avril 1981). »
Qu’en pensent les catholiques qui suivent Hayek ? Hayek à géométrie variable, là aussi ?
Sur le libéralisme, on apprend des choses intéressantes dans l’article de Jacques Bichot :
« Il ne se définit pas par un domaine d’application spécifique, par exemple l’économie, comme si les mœurs ou la justice sociale relevaient d’une approche entièrement différente. En économie, comme en politique, comme dans le domaine des normes juridiques ou de l’éducation et de la morale, le libéral accorde au respect et à la promotion de la liberté comme concept, et des libertés, notamment individuelles, comme réalités concrètes, une importance grande mais non pas exclusive. » Il n’a pas de domaine spécifique. La justice sociale (tiens on s’écarte de Hayek, c’est du Hayek à géométrie variable), la politique, la morale… peuvent en relever. La morale. Voyons voir ce que cela donne. Il me souvient d’un article d’un économiste qui expliquait les relations au sein du couple sous l’angle économique… parce qu’on y a intérêt… on se sépare pour le même genre de raisons… super. (« intérêts », intérêts financiers, il s’entend.) C’est ce que l’on donne à lire aux étudiants. « Pas de domaine d’application spécifique » : on pourrait faire une théologie libérale, une métaphysique libérale, une physique libérale, des mathématiques libérales… Ben oui, pourquoi pas ?
Si j’ai bien lu l’Evangile d’aujourd’hui, on y apprend pas que les « libres sont heureux », mais bien « ceux qui ont faim et soif de la justice » le sont, et on y trouve même une deuxième mention de la justice : sont heureux « ceux qui sont persécutés pour la justice ». Les libres… pas vus. Luc n’en fait pas non plus mention.
François a eu des mots très durs à l'égard de l'économie de marché, auxquels les libéraux ont répondu par l'ironie. Ils auraient mieux fait de démontrer en quoi le capitalisme aide les peuples à sortir de la misère.
Il semblerait que le pape-bashing soit devenu un sport à la mode. Dans une société libérale, la liberté d'opinion est primordiale et chacun peut critiquer l'opinion des autres. Encore faut-il respecter les personnes et donc les croyances et chercher à convaincre en argumentant plus qu'en ironisant.
Dans le catholicisme, il existe des principes doctrinaux, qui s'imposent au croyant, et un domaine prudentiel, dans lequel un pape peut donner son opinion, mais qui relève plus de l'action propre des laïcs. Sur ces questions, chaque pape a sa personnalité et on comprendra qu'un Jean-Paul II, face au totalitarisme communiste, soit plus en phase avec le libre marché qu'un François, qui n'a connu que le capitalisme de connivence.
Lire aussi : Le pape doit se convertir à l’économie de marché
"François critique l'argent, considéré comme une idole. Mais le Christ et l'Eglise ont considéré l'argent comme un bon serviteur et un mauvais maitre, et l'Evangile montre des exemples du bon usage de l'argent, de l'obole de la veuve à la parabole du bon Samaritain en passant par celle des talents. Critiquer l'idolâtrie de l'argent rappelle simplement que « l'homme ne vit pas seulement de pain » et donc les dimensions affectives, culturelles, spirituelles de la vie.
L'argent est indispensable, mais il n'est pas l'horizon indépassable de l'humanité et l'idolâtrie n'est jamais bonne, y compris celle des posters de Che Guevara. Un non croyant peut partager l'idée de Jean-Paul II selon laquelle l'histoire des hommes n'est pas celle de la lutte des classes, mais du « besoin d'aimer et d'être aimé ».
Des règles morales
Un pape se situe dans une tradition et admet les doctrines, ici sociales, de ses prédécesseurs. Un nouveau pape ne vient pas abolir les principes posés par les précédents, en l'occurrence ici la dignité de la personne, la solidarité, la subsidiarité, la société civile (rôle des associations, des entreprises,...), la propriété responsable, toutes choses qui conduisent naturellement vers l'économie de marché.
La subsidiarité notamment écarte tout collectivisme et implique une économie de libertés. Et Jean-Paul II a une fois pour toutes affirmé que « le marché libre est l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins ».
Il est vrai que François a des formules chocs ou critiques qui ont pu heurter les partisans du libre marché; mais elles ont un sens. Par exemple dénoncer la « dictature d'une économie sans visage » rappelle que la liberté est indissociable de la responsabilité et que cette responsabilité est toujours celle des personnes, et qu'elle doit donc avoir un visage.
Plus généralement, il rappelle qu'il n'y a pas de marché sans règles morales, à commencer par l'honnêteté, comme le soulignait Hayek; le marché repose sur la confiance dans le contrat signé, ce qui nécessite des règles morales à commencer par la loyauté dans les contrats. C'est d'abord ce rappel de l'éthique qu'il faut lire chez François, à travers ses formules chocs.
Démontrer plutôt que dénigrer
Par ailleurs, quand il critique le marché sans règles, il rappelle que le marché nécessite des institutions, un Etat de droit, à commencer par des droits de propriété exclusifs et transférables clairement définis. Ainsi, les libéraux joueraient un rôle plus positif en expliquant aux Catholiques- et aux autres - qu'en matière d'environnement, face aux questions des ressources rares, minérales, végétales, animales, la solution est de définir des droits de propriété, permettant une bonne gestion, et que c'est autrement plus efficace qu'une réglementation étatique.
Plutôt qu'ironiser, il vaut mieux argumenter, et ne pas se tromper de cible. Prendre l'exemple des mollahs afghans pour reprocher au pape de critiquer le microcrédit n'est pas pertinent, alors qu'il soutient explicitement toutes les initiatives dans ce domaine.
Les propos de François doivent donc être replacés dans la perspective d'ensemble de la doctrine sociale de l'Eglise. Les libéraux gagneraient à la connaitre et ils verraient qu'elle n'est pas contraire à l'économie de marché, même si son rôle essentiel est ici d'ordre éthique.
Mais les libéraux, au lieu d'ironiser ou de surfer négativement sur quelques formules chocs du pape, joueraient un rôle plus efficace en démontrant au pape comme aux autres combien le libre marché a contribué à sortir des peuples entiers de la misère, bien mieux que toutes les aides publiques.
Oui, le pape a des mots très durs sur la réalité économique, qu'il attribue en partie au libre marché; à nous de montrer par des exemples précis que nous sommes bien loin d'une économie de marché authentique, ne serait-ce que quand les dépenses publiques dépassent 50% du PIB !
Les Français sont bien placés pour montrer, exemple à l'appui, que c'est la dérive étatique et non le marché qui provoque l'exclusion et creuse l'écart social ! Mais quand l'Eglise donne comme mot d'ordre « créez et partagez », elle rappelle l'essentiel : mieux vaut accroitre la taille du gâteau pour pouvoir ensuite volontairement soutenir ceux qui sont dans le besoin.
Si l'on veut convertir totalement les gens, y compris les papes, à l'économie de libre marché, il vaut mieux passer son temps à démontrer l'efficacité et la justice du marché, plutôt que de dénigrer ceux qui rappellent les devoirs de justice et de charité. La doctrine sociale de l'Eglise repose certes sur la foi, mais aussi sur la raison; il faut donc utiliser également la raison pour expliquer pourquoi et comment l'économie de marché est conforme aux droits et à la dignité des hommes, et d'abord à leur liberté responsable."
C'est de Jean-Yves Naudet, président de l'association des économistes catholiques, professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-142106-liberaux-repondez-au-pape-francois-en-argumentant-1168250.php?pYUmcDX7LyTw5hRY.99
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Écrit par : ND / | 01/11/2015

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