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14/10/2015

"L’écologie passe par la transformation de soi", explique une philosophe française :

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Remarquable article* d'écologie intégrale par Corinne Pelluchon, professeur de philosophie à l'université de Franche-Comté :


 

 

 

(Extraits - Les mises en gras sont de notre blog)  

<< La protection de la biosphère et de la biodiversité, le souci pour les générations futures et pour les conditions de vie des animaux et l’aide aux pays pauvres s’imposent comme de nouvelles finalités du politique qui s’ajoutent aux devoirs classiques de l’Etat, à la sécurité ou à la conciliation des libertés individuelles et à la réduction des inégalités. Toutefois, si l’on veut que ce programme ambitieux soit autre chose qu’un vœu pieux, il est indispensable que chacun se transforme. [...] Sans un profond remaniement de l’image que nous avons de nous-mêmes, il ne peut y avoir de transition vers un autre modèle de développement où l’économie, mise au service des hommes, n’est plus l’ennemie de la nature et des autres vivants. 

Cessons d’employer les mots de «morale» et de «valeurs». Car la transformation dont il est question ne concerne pas les croyances individuelles ni le domaine des mœurs. Il s’agit de se placer à un niveau plus universel, qui est celui de l’anthropologie : c’est-à-dire de la conception de l’homme dans son rapport à lui et à l’autre que lui. 

Sommes-nous coupés des autres, définis principalement par une liberté conçue comme arrachement à la nature et comme projet ou projection de soi ? Les liens sociaux se réduisent-ils à des rapports de concurrence et de domination ?

Ou bien la notion d’individu n’est-elle qu’une fiction théorique utile que l’on a eu tort de considérer comme une peinture exacte de l’humaine condition ? […] A mesure que ce concept opératoire a été pris pour la réalité, nous avons gommé une vérité liée à la matérialité de notre existence : nous sommes des êtres relationnels et la nature, loin d’être un simple décor de l’histoire ou un tremplin pour notre liberté, en est la condition. 

Quand nous réfléchissons au fait que nous sommes nés, qu’il y a le trouble de plusieurs vies derrière la nôtre, et que nous décrivons l’acte de manger en rendant visibles tous ces convives invisibles qui transmettent les traditions culinaires, produisent la nourriture ou subissent les conséquences de nos choix alimentaires, nous voyons bien que nous ne sommes jamais seuls. L’individu est une abstraction. Notre existence est débordée par celle des autres, passés, présents, futurs, humains et non-humains.  

[…] Une pensée étrangère au dualisme entre nature et culture, esprit et corps, raison et émotion s’invente. […] Par mes choix de consommation et la manière dont j’habite la Terre, je dis quelle place j’accorde aux autres êtres. 

Que s’est-il donc passé pour que nous acceptions le règne sans partage du profit qui explique que le travail soit organisé indépendamment du type de biens ou de services et au mépris de la valeur des êtres, humains et non humains, impliqués? Pourquoi l’économisme a-t-il triomphé dans les démocraties qui avaient conquis les droits de l’homme et affirmé la souveraineté d’un sujet qui est aujourd’hui tellement rivé à lui-même, tellement convaincu de n’être qu’une force de production et de consommation, que son rapport au monde comme création est brisé ? 

Le judéo-christianisme n’est pas à l’origine de la crise environnementale. Dans la Bible […], l’être humain est le jardinier ou l’intendant de Dieu. La posture despotique de l’homme dominant la nature et les autres vivants auxquels il ne reconnaît qu’une valeur instrumentale est relativement récente. Elle apparaît surtout avec la révolution industrielle qui est solidaire d’une philosophie enjoignant chacun à rechercher son bien-être dans un contexte où les ressources semblent infinies.  

[…] Aujourd’hui, nous vivons une crise écologique, économique et sociale qui est aussi une crise de la subjectivité. Elle nous confronte aux conséquences terrifiantes d’un modèle de développement reposant sur des prémisses erronées.  

L’heure n’est plus au déni ; notre tâche est de substituer à une anthropologie qui n’a pas offert de contrepoids suffisamment solide à l’économisme une autre philosophie du sujet. Dans une conception relationnelle du sujet, les êtres humains et les entreprises sont situés dans un écosystème. Leur prospérité ne peut être identifiée au profit, c’est-à-dire au seul bénéfice que des particuliers retirent d’une activité.  

Toutefois, on ne pourra pas changer de modèle économique si l’on omet d’analyser les raisons de son succès. Car [ce modèle productiviste],en s’appuyant sur des affects comme la vanité, le désir de posséder des biens rares que les autres n’ont pas les moyens d’acheter,encourage la production d’objets toujours plus sophistiqués et gourmands en énergie. Il crée grâce au marketing des besoins artificiels qui comblent provisoirement notre vide intérieur. Il renforce ainsi la division entre les individus et l’addiction à la consommation qui l’ont rendu possible. Dans une telle logique, les biens privés sont préférés aux biens publics, le gaspillage n’est pas une faute et chacun ne vit que pour soi, divisé et sous le regard constant des autres qu’il envie.

Au contraire, il suffit d’être attentif aux initiatives locales visant, par exemple, à promouvoir une agriculture et un élevage respectueux des vivants pour voir qu’elles s’accompagnent chez ceux qui les conduisent du sentiment de vivre mieux avec et par les autres, et du retour de la confiance. Le souci de soi est inséparable du souci des autres et de l’amour de la nature. L’accomplissement de soi n’est ni égoïsme ni mysticisme, mais eudémonisme : c’est-à-dire que le bonheur passe essentiellement par la certitude de mener une vie bonne, conforme à ce que l’on peut faire de mieux ici et maintenant. Aussi la joie demeure-t-elle, même quand les conditions extérieures compromettent la satisfaction... >> 

Dernier ouvrage paru : Les Nourritures. Philosophie du corps politique, Le Seuil, 2015.

 

_______________ 

(*) Libération, 13/10.

 

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Commentaires

CONVERGENCE

> Le livre que je publie (Artège, 5 novembre : 'Face à l'idole Argent, la révolution du pape François') est axé sur les convergences, de plus en plus nombreuses, entre les nouveaux courants de pensée et la parole catholique vivante. celle du pape et des évêques unis au pape. L'article de cette philosophe universitaire en est un exemple !
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Écrit par : PP / | 14/10/2015

DANS 'LIBÉRATION'

> Constatons qu'il paraît dans 'Libération' et non dans 'Le Figaro'.
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Écrit par : a. ancelin / | 14/10/2015

PÉPITES

> Merci d’éplucher les pages de 'Libé' pour les allergiques, il y a parfois de belles pépites !
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Écrit par : Pascal Girard / | 14/10/2015

PAPOPHOBES

> et pendant ce temps des sites de droite "papistes" continuent à ricaner devant toute écologie. Ils font des bras d'honneur au pape en criant vive le pape. On appelle ça comment ? des enfoirés, je crois.
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Écrit par : Quiniou / | 14/10/2015

@ P de P.

> Vive "la parole catholique vivante"! Mais ne la limitons pas à celle "du pape et des évêques unis au pape". Il y a tous les intellectuels catholiques se revendiquant de leur simple baptême (et vous en êtes un, cher P de P, Deo gratias!). Nous sommes catholiques, pas cléricaux. Fidèles et attentifs au pape, mais non papimanes ni papolâtres.

JMS


[ PP à JMS - D'accord, bien sûr (quoi qu'un journaliste ne soit pas vraiment un "intellectuel"). Si j'ai mis l'accent sur le Magistère, c'était en réaction aux propos du style "le pape se met le doigt dans l'œil" (version Français climatosceptiques) ou "l'autorité du pape se limite à la foi et à la morale" (version télévision catho américaine EWTN)... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Jean-Marie Salamito / | 15/10/2015

@ Nicolas

> Vous relevez des points très intéressants, merci. Mais pour la notion d'"individu", je me réfère à Emmanuel Mounier dont le "personnalisme" s'oppose à l'"individualisme" du libéralisme capitaliste. J'ai donc compris "individu" dans ce texte comme la monade dont a parlé François au sujet de la société néolibérale actuelle, et non comme l'homme créature de Dieu douée de conscience et de libre-arbitre.
Ai-je tort de voir dans ce texte la conception de l'homme et de la société que j'ai tant appréciée chez Mounier et Simone Weil ?
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Écrit par : Guadet / | 16/10/2015

QUESTIONS

> Il y aurait deux questions à poser à ceux pour qui "l'autorité du pape se limite à la foi et à la morale" :
- Quelles limites fixent-ils au domaine de "la morale" ? (Ici, la réponse risque d'être prévisible.)
- Sur quels critères croient-ils pouvoir fonder ces limites ?
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Écrit par : sven laval / | 16/10/2015

PP à Delannoy

> Envoyez-moi la proposition par ce même canal. Elle ne sera évidemment pas publiée.
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Écrit par : PP à Delannoy / | 21/10/2015

PAROISSE

> bon, alors je vais faire comme Delannoy :
quid de l'invitation à parler de Laudato Si à ma paroisse ?

EL

[ PP à EL - Quand vous voulez ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : E Levavasseur / | 21/10/2015

> eh non, je ne la trouve pas. Qui était l'émetteur ?
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Écrit par : PP à E Levavasseur / | 22/10/2015

à EL

> Ces deux mails ne m'éteient pas parvenus. Je vous donne une réponse lundi.
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Écrit par : PP à EL / | 23/10/2015

TOUT Y EST

Un petit lien dont vous saurez faire bon usage :
http://img.over-blog-kiwi.com/0/82/53/64/20150929/ob_508953_12079702-505446762964688-4550787627375.jpg
Stupidité, pusillanimité, américanisation, tout y est sans oublier dans la dernière case, la drogue comme moyen d'augmenter la croissance.
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Écrit par : E Levavasseur / | 23/10/2015

Les commentaires sont fermés.