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02/04/2015

Le discours des "valeurs de la République"

...n'est pas critiqué que par "les réacs" (comme dit le microcosme) :


 

...la gauche-de-gauche le rejette aussi. Par exemple Saïd Bouamama, Investig'action (2/04) : « “Crise du civisme, disent certains chroniqueurs, carence de transmission des valeurs de la République”, répondent en écho des ministres, nécessité urgente d’une reprise en main citoyenne de la jeunesse, concluent-ils en chœur. La France serait-elle devenue une “démocratie de l’abstention? »  Extraits : 

<< ...Gramsci soulignait en son temps que la domination reposait sur deux piliers. Le premier est celui de la force qui agit dans la « société politique » (avec ses institutions : l’armée, la police, la justice). Le second est le consentement qui agit dans la « société civile » (avec ses institutions que sont l’école, les médias et tous les autres appareils idéologiques d’Etat au sens d’Althusser). C’est ce second pilier qui est aujourd’hui en crise. Par la révolte ou par le séparatisme social, une partie importante de notre société tend à échapper aux processus de légitimation de l’ordre social. Le besoin de produire de nouveaux processus d’intériorisation de la domination est grandissant pour la classe dominante. Les « valeurs de la République », la « laïcité », « l’instruction civique et morale », etc., sont autant de tentatives visant à retrouver un consentement minimum des dominés.


Du  "Je suis Charlie"  aux  "valeurs de la République"

Si le « je suis Charlie » s’est conjoncturellement traduit par un « esprit du 11 janvier » qu’il s’agissait de préserver, l’outil de cette opération de sauvegarde est désormais trouvé : la défense et l’inculcation des « valeurs de la République » par les appareils idéologiques d’Etat et en premier lieu l’école. Les enseignants se voient ainsi ajouter une série de missions par la réunion interministérielle du 6 mars 2015. Le document intitulé Egalité et citoyenneté : la République en actes (9) présente une série de mesures qui visent à transformer explicitement les enseignants en outils d’une nouvelle offensive idéologique.

Le document programme commence par un regard lucide sur la réalité : « Pour une majorité de nos concitoyens, la République est devenue souvent une illusion. Etre comme assigné à son lieu de résidence ; se sentir bloqué, entravé dans ses projets ; être condamné à la précarité des petits boulots ; voir l’échec scolaire de son enfant sans pouvoir l’aider ; se dire que son propre destin est joué d’avance : voilà ce que vivent des habitants, dans des quartiers, en périphérie des grandes villes, mais aussi dans les territoires ruraux ou dans les Outre-mer » (10).

Ce premier constat permet de saisir la dernière différence entre le gouvernement Sarkozy et le gouvernement Hollande. Le premier nie la réalité. Le second la reconnaît mais sans en citer les causes. Ainsi Valls reconnaissait lors de ses vœux à la presse, le 20 janvier 2015, l’existence d’un « apartheid territorial, social, ethnique » sans en analyser les causes.

Ce premier constat sans causes est immédiatement complété par un second, ledit « malaise démocratique : l’abstention toujours croissante, la crise de confiance entre les Français et leurs institutions, entre les Français et leurs élus. Il y a plus largement une crise de la représentation, qui touche tous les corps intermédiaires » (11).

Ces deux constats s’ajoutent, dit le document, c’est-à-dire qu’ils sont présentés comme n’ayant aucun lien entre eux. Ne pouvant pas agir sur le premier constat du fait de ses choix économique libéraux, le gouvernement Valls-Hollande mandate les enseignants pour agir sur le second.

Il est ainsi demandé aux enseignants pêle-mêle de « mettre la laïcité et la transmission des valeurs républicaines au cœur de la mobilisation de l’école », de « développer la citoyenneté et la culture de l’engagement » et de « renforcer le sentiment d’appartenance à la République ». Pour ce faire, ils auront à dispenser un « nouvel enseignement moral et civique dans toutes les classes de l’école élémentaire à la classe de terminale »...

Terminons en citant le « rôle et la place » de l’école que formalise le document : « L’École doit être, et sera en première ligne, avec fermeté, discernement et pédagogie, pour répondre au défi républicain, parce que c’est son identité et sa mission profonde  » (13).

Le reste du document est tout autant questionnant mais dépasse la seule sphère de l’école : « réaffirmer la laïcité comme une valeur fondamentale de la fonction publique », « faire connaître la laïcité dans le monde de l’entreprise », etc.

Ces quelques citations suffisent à illustrer la volonté de faire de l’école une machine d’inculcation idéologique active de l’idéologie dominante comme au temps béni de la troisième république coloniale et guerrière. Il s’agit également de faire des enseignants des outils d’une hypocrisie appelant à la fois les nouvelles générations à croire aux « valeurs de la République » et à « avoir envie de devenir milliardaires (14) » selon le mot d’Emmanuel Macron.

L’inflation des discours sur les « valeurs de la République » allant de Marine Le Pen à Hollande, le consensus encore plus large sur la laïcité en danger qu’il faudrait défendre, la quasi-unanimité pour soutenir les nouvelles guerres coloniales, etc., révèlent l’illusion de combattre les effets sans s’attaquer aux causes. Il s’agit d’hypocrisie généralisée qui comme le soulignait Césaire est d’autant plus odieuse qu’elle ne trompe plus :

« Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déférée à la barre de la « raison » comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins chance de tromper. » (15)

Si les enseignants ne sont pas en mesure de refuser cette injonction à l’endoctrinement idéologique, ils deviendront des otages instrumentalisés d’une classe dominante tentant par tous les moyens hypocrites de ressouder une hégémonie culturelle défaillante. Comme le souligne un groupe d’enseignants dans Médiapart : « les élèves n’ont pas besoin comme on l’entend un peu partout d’un surcroît d’éducation civique ou cours de « fait religieux » qui ne seront qu’un inutile pansement supplémentaire sur un cadre et des programmes scolaires déjà largement inadaptés (16). » L’enjeu est de taille, compte-tenu d’une méfiance réelle déjà existante entre les classes populaires et l’institution scolaire (liée à la sélection, aux inégalités scolaires, aux orientations perçues comme discriminantes, etc.) qui s’est encore renforcée ces dernières années avec les multiples « affaires du foulard ».

 

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9) http://www.gouvernement.fr/la-solut..., consulté le 31 mars à 16 h.

10) Ibid, p. 5.

11) Ibid, p. 5.

12) Ibid, p. 11.

13) Ibid, p.12.

14) Interview au journal  Les Echos  du 7 janvier 2015.

15) Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence Africaine, Paris, 1950.

16) Ce n’est pas des élèves dont nous avons peur, http://blogs.mediapart.fr/edition/l..., consulté le 31 mars à 16 h 30.

 

 

10:00 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique

Commentaires

FEUE LA RÉPUBLIQUE

> Valeurs de quelle république? Et qu'en dit l'épiscopat français ?
La République française n'existe plus en tant qu'Etat. Et d'ailleurs, l'épiscopat français en a pris acte et s'en accommode: cf le discours d'ouverture de la session de l'assemblée plénière, entre les deux tours des départementales, par Mgr Pontier (§ L'Europe et notre pays).
C'est habituel dans le milieu dirigeant de L'Eglise de France: toute critique de la construction européenne et de la mondialisation dont elle n'est qu'un sas de passage est dénoncée comme repli, peur etc.
http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/391958-discours-douverture-de-lassemblee-pleniere-de-printemps-par-mgr-pontier/
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Écrit par : Pierre Huet / | 02/04/2015

ET ÇA MARCHAIT

> Ce qui me gêne le plus dans tous ces bla-bla et ces dérives, c'est l absence de logique. On veut mettre "tous les enfants à égalité", leur donner "les mêmes chances professionnelles", mais on ne leur donne pas les outils pour y parvenir.
Si j'ai bien compris l'école de Jules Ferry, laïque, elle donnait justement, elle, ces fameux outils, appelés pompeusement de nos jours "fondamentaux": lire, écrire, compter, s'exprimer, obéir d'abord pour mieux commander ensuite, avec ce qui était appelé" éducation civique". le mot est évocateur.
C'était en fait le "vivre ensemble civil". Et ça marchait!!
la gauche a tout détruit et tente un come-back prétentieux dans l'idée et le discours, qui a perdu de vue les valeurs simples mais efficaces. D'où le formidable échec de notre système scolaire et la disparition de nos universités des classements internationaux. Et personne ne fait la relation !!
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Écrit par : Ehrlacher / | 11/04/2015

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