01/04/2015
Radio France, sa grève-fleuve et son jeune PDG de luxe
Un symptôme d'époque...
Quatorze jours d'une grève sans précédent à Radio France ! Toutes considérations de contenus* mises à part, deux réflexions :
1. PDG de luxe qui n'a rien fait en un an, sinon mépriser les salariés, Mathieu Gallet est une allégorie de la surdité et de la mièvrerie des managers postmodernes. En quel honneur a-t-il été nommé PDG de Radio France par le CSA ? Dénué d'expérience radio, mais jeune et tendance, M. Gallet fut désigné – par un CSA unanime – comme le gagnant d'une sorte de « concours de beauté », constate Le Monde (27/03). Il a été « choisi notamment pour sa jeunesse et son image », écrit le quotidien ! D'autres journaux ironisent sur « l'élan amoureux » qui se serait emparé du CSA, dont les membres parlent de « l'incroyable beauté » de M. Gallet... S'y ajoute le fait que les idées économiques et sociales du jeune monsieur sont celles de M. Manuel Valls : rien d'étonnant donc à la décision du CSA, prise peu avant l'arrivée de Valls à Matignon.
Avant de présider Radio France, M. Gallet présidait l'Institut national de l'audiovisuel**. Il y soigna surtout sa communication personnelle, affirme Le Canard enchaîné : un million d'euros dépensés en frais de conseil en image, 125 000 euros pour rénover ses bureaux ? M. Gallet dément. Il dit qu'il poursuivra le Canard en justice. Mais cette nouvelle affaire tombe au moment où le personnel de Radio France s'indigne « des dépenses du jeune PDG, ici, pour rénover son bureau et engager un conseiller en image... » Même Mme Pellerin, que l'arrogance ne choque pas, prend désormais ses distances d'avec M. Gallet.
2. Si les salariés sont en grève contre M. Gallet, c'est qu'il a entrepris de leur marcher sur le ventre pour retailler Radio France aux mesures libérales. Soit, en gros : aggraver ce qu'il y a de pire (depuis les années 2000) dans les contenus du service public, et supprimer ce qui le différenciait - encore un peu - des radios commerciales.
On ne peut qu'approuver l'ire de Philippe Meyer (Le Monde, 27/03) : « Où, ailleurs que sur nos antennes, aurait pu trouver place Pierre Desproges, où pourrait-on entendre aujourd’hui les feuilletons de France Culture, les comparaisons en aveugle de 'La Tribune des critiques de disques', tant de programmes de reportage, tant d’entretiens préparés, tant de portraits fouillés ? » C'est vrai. Comme il est vrai que tout, depuis dix ans, pousse le service public à renoncer à cette vocation et à s'aligner sur la foire au bas-de-gamme (assimilé aux parts de marché).
Meyer ajoute : « Maintenir et orienter cette spécificité en période d’austérité demande plus que jamais une vision, une volonté et le sens du risque. Ce sont cette vision, cette volonté, ce sens du risque qui ont été si fortement attendus et dont le défaut, pour l’essentiel, explique la grève... » Pourquoi ce défaut de vision, de volonté et de sens du risque ? Parce que ces trois vertus ne font pas partie du management de la société de marché.
Meyer a raison quand il écrit : «A ceux qui doutent de la nécessité d’un service public, il faut rappeler que, tout au long de son histoire, Radio France a justifié son existence en inventant des émissions et en révélant des talents...** » Le service public échappait à l'uniformité, sort commun des radios commerciales. Cela prit fin le jour où sa propre tutelle le pressa de ressembler à ces radios commerciales. C'était le moment où les partis politiques décidaient de ressembler à des marques, et les politiciens à des animateurs télé.
Meyer tempête : « Radio France ne peut pas se payer de cette fausse monnaie, ni se complaire dans cette autosatisfaction ampoulée, ni se replier dans une crainte frileuse. Son mérite a toujours été de proposer à ses publics – je tiens au pluriel – des émissions dont ils ne savaient pas encore avoir envie. C’est ce qui a toujours donné une saveur particulière à son succès. Nous sommes une radio d’offre, avec les risques que cela comporte, pas une radio de marketing, même si le savoir-faire de ceux qui étudient les audiences peut nous aider à placer au mieux nos propositions dans la grille des programmes. Au lieu de cela, les rares facilités budgétaires actuelles sont attribuées à une entité dite « multimédia » dont la mission semble être de soulager la présidence de toute responsabilité éditoriale en la gavant de sondages dont les réponses sont induites par les questions, tout en professant que l’avenir de la radio est dans la vidéo ! »
« Le premier défi de tous est de demeurer un service public dans un monde où l’on fait bon marché de l’intérêt général, dans un domaine, celui de l’audiovisuel, où la spécificité des programmes proposés par les sociétés nationales n’a fait qu’aller en s’érodant, et dans un secteur d’activité, celui de la culture, d’autant plus difficile à faire vivre qu’il est devenu une auberge espagnole en même temps qu’une variable d’ajustement budgétaire », souligne l'excellent Meyer. Faisons-lui remarquer que cette érosion vient de la perte de spécificité du service public, et que cette perte porte la marque du... libéralisme. Celui-ci exige la privatisation de toutes choses, « l'intérêt général » n'étant, comme chacun sait, que la somme des intérêts particuliers !
M. Gallet à Radio-France, c'est une illustration supplémentaire de l'esprit du temps. Ce temps va-t-il durer longtemps ?
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* Doxa libérale-libertaire, "humoristes"-flics, désinformation US en politique internationale...
** Où il avait été nommé en 2010 avec l'appui de Frédéric Mitterrand.
*** "En matière d’affaires publiques, nos antennes généralistes se perdent dans la multiplication d’émissions de plateau bavardes, dont les invités sont en général vus et entendus dans tous les médias, alors que notre force est de pouvoir produire des émissions de reportages et d’enquêtes approfondis, susceptibles d’informer intelligemment nos auditeurs sur le monde dans lequel ils vivent, de les aider à le connaître et à le comprendre ", constate Meyer.
16:20 Publié dans Economie- financegestion, Idées, Médias | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : médias
Commentaires
JE N'UTILISERAI PLUS CE TERME
[ De PP à tous - Je reçois de Jean-Marie P. ce message, et je m'engage à ne plus employer
le terme "autisme" :
Je me permets de vous adresser juste une petite demande à propos de cet article.
Depuis quelques années, c'est devenu une figure quasi obligée que de qualifier d'autisme la surdité des politiques et leur mépris des critiques.
Dans mes souvenirs, cela remonte à des déclarations de Ayrault du temps où il était dans l'opposition.
Père d'une fille autiste, je suis choqué à chaque fois. Imagine-ton qualifier de trisomique un adversaire politique ?
J'ignore si d'autres parents ressentent cela.
Alors, par pitié, pas vous. Sans blague, j'aime trop votre site ; je m'y rends au moins deux fois par jour.
Merci pour votre compréhension ; j'espère que ni ma demande ni mon ton ne vous auront blessé. ce n'était pas mon intention.
à bientôt au plaisir de vous lire !
J-M P. "
[ PP à J-M P : je comprends, et je vous prie de m'excuser. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Jean-Marie / | 01/04/2015
MOEURS
> Entre Gallet et les présidents de grande firme qui reçoivent des millions d'euros de bienvenue avant d'avoir rien fait...
Tout cela n'a aucun rapport avec des résultats économiques.
Et des vieux messieurs vont nous dire que sans ça ce serait le goulag ?
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Écrit par : André Biguet / | 01/04/2015
DISCUSSION
> J'espère moi aussi que ni ma demande ni mon ton ne seront blessants,
mais je suis surpris qu'on puisse vouloir remplacer un nom de maladie par celui d'une autre, car la surdité en est également une.
Des textes fondateurs de l'humanité recourent aux métaphores de l'aveuglement, de la surdité (pas seulement ces pages de Tintin et du professeur Tournesol dont je serais désolé que quiconque soit offensé, car il me semble qu'on peut en rire de bon coeur) : il est clair que si ces textes visaient à blesser des personnes ayant une maladie, ils seraient déplorables.
Mais justement, ils visent une réalité qu'on ne peut atteindre autrement par une image qui "parle", indépendante des cas de maladie eux-mêmes.
Pour prendre un autre exemple, nous n'avons pas, ma femme et moi, le bonheur d'avoir d'enfants, mais je pense que les métaphores de la stérilité de tant de "matriarches" (culminant avec la stérilité paradoxale qu'est la virginité) bibliques sont extraordinairement parlantes, plus parlantes que n'importe quel argument.
Il me paraît ainsi humainement impossible, et pas même souhaitable, de ne pas recourir à des métaphores qui peuvent apparaître "stigmatisantes" à des sensibilités très aiguisées.
Il va de soi que si Jean-Marie et moi discutions, nous éviterions sans doute lui de me dire que ma discussion est stérile et moi qu'il est... sourd !
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Écrit par : Jean / | 01/04/2015
SUS AUX BOUFFONS LIBÉRAUX
> Auditeur continuel de la "tribune des critiques de disques" depuis l'age de 13 ans (mon premier émoi musical avec les intégrales des cantates de Bach), je frémis avec M Meyer.
Quoi de moins marketing, de moins commercial que cette émission !
Des extraits à l'aveugle de la même oeuvre avec des interpêtes différents dans des enregistrements parfois introuvables. A l'antenne, des amoureux de la musique qui s'affrontent, s'engueulent, se retrouvent, s'extasient, exagèrent. Et l'auditeur a les mêmes réactions. Et tout celà pour un choix de la meilleure interpétation (parfois discutable !) pour un disque paru il y a 20 ans.
Rien à vendre, rien à promouvoir.
A des années lumières du monde de ce jeune blancbec prétentieux digne fruit des grandes écoles de commerce.
Je pourrais citer également deux ou trois émissions de France culture.
Les salariés de radio france ont raison, il faut virer ce fossoyeur de l'intelligence. J'ai vu une fois interviewé cet histrion politique et il m'est venu une citation dénichée par hasard :"La veulerie des hommes de ce temps fut si grande que parfois la substitution du nouveau personnel à l’ancien prenait des allures bouffonnes".
Salariés de Radio France, sus aux bouffons libéraux.
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Écrit par : gdecock / | 01/04/2015
LE NIVEAU BAISSAIT
> Le côté "jeune technocrate présentant bien" de M. Gallet me le fait parfois confondre avec M. Macron. Est-ce ma vue qui baisse ?
Plus sérieusement, on peut quand même constater une baisse du niveau de la "tranche matinale" de France-Culture, qui tend à ressembler de plus en plus à ses équivalents sur les radios périphériques. On est loin, par exemple, du temps d'un Jean Lebrun ou même d'un Pierre Assouline. Entendre le producteur passer la pommade à son directeur tous les trimestres en parlant de chiffres d'audience n'en est qu'un exemple, parmi les plus crispants. Et, à la décharge de M. Gallet, cela avait commencé avant son arrivée.
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Écrit par : sven laval / | 01/04/2015
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