Esclavage salarié, sous-traitance, grandes sociétés "françaises" : une proposition qui va dans le bon sens

Le rapporteur de cette proposition de loi est le député socialiste (et chrétien) de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier : 

Adoptée en commission hier, la proposition de loi de Dominique Potier [1] veut obliger les sociétés-mères à un « devoir de vigilance » sur leurs filiales et sous-traitants. Il s'agit d'empêcher la réédition – très à craindre – de drames comme l'effondrement de l'immeuble de Dacca au Bangladesh le 24 avril 2003 : 1135 morts et 2000 blessés, parmi le personnel d'ateliers de confection travaillant pour des marques occidentales. Les entreprises sous-traitantes présentes dans l'immeuble travaillaient pour Auchan, Carrefour et Camaïeu (France), Benetton (Italie), Mango (Espagne) ou The Children's Place (USA). La catastrophe fut déterminée par la négligence des sous-traitants envers le bâtiment, où étaient entassés plusieurs milliers de travailleurs esclaves.

Esclaves est le mot... En Malaisie, par exemple, les immigrés (népalais, bangladais ou vietnamiens) qui fabriquent les téléphones mobiles sont traités de façon concentrationnaire. L'exploitation des esclaves salariés s'opère dans l'opacité d'un labyrinthe d'agences de recrutement, qui apparaissent et disparaissent selon les circonstances, fournissant aux exploiteurs des esclaves dont personne n'est juridiquement responsable en cas de problème.

Or ces sous-traitants agissent pour le compte de grandes sociétés occidentales, qui ne peuvent ignorer la situation sur place... puisque c'est elle qui explique le très bas coût de la main d'oeuvre.

Question de la presse [2] : « La mondialisation pousse au moins-disant social ? » Réponse de Beate Andres, de l'Organisation internationale du travail : « Evidemment. Les liens entre les chaînes de sous-traitance le montrent bien, et les entreprises donneuses d'ordres s'abritent trop facilement derrière cela. »

Ces entreprises sont de grandes marques. La proposition de loi Potier vise donc les firmes employant plus de 5000 salariés en France ou plus de 10 000 dans le monde, filiales comprises.

Comment les débusquer et les contraindre à prendre leurs responsabilités ? En les astreignant (explique Potier) à établir un « plan de vigilance », une « cartographie des risques dans chaque pays », et des « mesures raisonnables » pour imposer aux sous-traitants d'éviter les dommages corporels, les dommages aux droits humains et les dommages écologiques.

Des sanctions civiles seront prévues en cas de faute : mais les plaignants devront prouver le lien entre le dommage et la faute, ce qui restreindra beaucoup le champ d'application de la loi. Et aucune sanction pénale ne vient compléter le dispositif.

La proposition de loi Potier est donc critiquée par les ONG humanitaires : elles la jugent « faible ».

A l'inverse, les organisations patronales la jugent « excessive », « idéologique », « nuisible  à la croissance »... Cette loi « pose le risque [3] de distorsion de concurrence au détriment des productions françaises », affirme l'Association des entreprises privées. Sans préciser : a) que l'on peut difficilement appeler « françaises » des entreprises délocalisées par en bas, fiscaloparadisiaques par en haut ; b) que l'argument de la concurrence fonctionne ici comme un pousse-au-crime.

Les organisations patronales, suitées de Bercy, ont mené une action de lobbying pour que la loi Potier ne voie pas le jour. Nul ne sait si Valls et Macron laisseront passer cette loi, ni quel sera son contenu par rapport au texte initial.

Honneur [4] néanmoins au chrétien Potier, pour avoir suscité ce texte et ouvert le combat.

On nous dit que la France « ne peut rien toute seule contre ce problème global » ? Alors l'Europe en bloc pourrait quelque chose. Le ferait-elle ? Peut-être : à condition que l'exemple soit donné par l'un de ses membres. La France, par exemple.

 

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[1] 50 ans, agriculteur et cofondateur du GAEC bio du Sillon, animateur du club personnaliste Esprit civique, il s'est abstenu lors du vote de la loi Taubira de mai 2013 en arguant de sa foi chrétienne. En 2012, avec 55% des voix, il a battu Nadine Morano (qui partait favorite dans la 5e de Meurthe-et-Moselle).

[2] Libération, 12/03.

[3] « pose le risque » : sabir commercial. En français on dirait : « crée le risque », ou « pose le problème ».

[4] Et honte à d'autres, plus soucieux des pages financières que des injonctions du pape François.