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08/11/2014

Erri De Luca connaît la Bible mieux que certains croyants

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Ce blog a parlé plusieurs fois d'Erri De Luca, 64 ans, écrivain napolitain polyglotte, bibliste* hébraïsant (neuf essais ou traductions) et combattant écologiste **...  Libération de ce matin – en pages Idées – le présente ainsi :


 

<< Comme les moines, chaque matin, l'écrivain italien (et napolitain) Erri De Luca, ancien militant d'extrême gauche et non-croyant, commence sa journée en lisant la Bible. Un à un, il déchiffre les mots de l'ancien hébreu, les rumine et les travaille, les fait vibrer et les traduit. Le romancier et traducteur a pris cette habitude de vie lorsqu'il était ouvrier dans le bâtiment. ''Cela m'aidait à faire quelque chose pour moi avant de perdre ma journée, de la vendre'', raconte-t-il. […] Erri De Luca vient de terminer la traduction du Livre d'Esther. Toujours engagé politiquement, il combat le tracé de la ligne TGV Lyon-Turin et il est poursuivi par la justice italienne pour certaines déclarations**...  >>

La double page consacrée par Libération à De Luca tourne autour des questions bibliques, et notamment des problèmes (ardus) de traduction de l'hébreu : problèmes linguistiques dont la plupart des chrétiens – surtout les fondamentalistes – n'ont aucune notion, mais dont la connaissance permet de dissiper des malentendus tenaces. Par exemple sur Gn 1,28 où le Créateur confie la création à l'une des créatures – l'homme – en employant un verbe qui allait être maladroitement traduit par « dominez », mais qui implique, en hébreu, la notion de responsabilité : exactement le contraire d'un permis de saccager le monde. Dans Noyau d'olive (Gallimard 2004), De Luca expliquait que la polysémie de l'hébreu s'est perdue dans nos traductions. Il revient ici sur ce problème :

<< L'ancien hébreu compte environ 5000 mots. Nous, nous en avons des centaines de milliers à notre disposition. Que font les traducteurs ? Ils prennent un mot hébreu et ils le traduisent comme ils veulent, en choisissant parmi les nombreux synonymes... Par exemple, dans la Genèse, vous lisez que la femme accouchera dans la douleur. Ce n'est pas le terme juste. Le mot hébreu etsev traduit par ''douleur'' veut dire littéralement ''effort, fatigue''. La divinité ne profère pas de reproches. Elle fait seulement un constat : celui que la femme n'aura plus, lorsqu'elle accouche, la spontanéité et l'agilité des autres espèces animales... >>

Choisir le mot ''douleur'' alors qu'ailleurs etsev est traduit par ''effort'' ou ''fatigue'', c'était inventer une sorte de « condamnation de la divinité contre la femme », souligne De Luca. Question insidieuse du journaliste : « Est-ce une invention de la Bible chrétienne ? » (on voit le sous-entendu façon Arte : les chrétiens bêtes et méchants ont tout déformé, etc). Mais De Luca répond : « Non, c'est la traduction grecque » : c'est-à-dire la Septante, Bible traduite par les rabbins d'Alexandrie 270 ans avant l'ère chrétienne. Et le Napolitain conclut : « L'erreur a été répétée dans toutes les Bibles du monde. C'est juste un abus ! Voilà ce que découvre immédiatement quelqu'un qui traduit le texte à partir de l'ancien hébreu. »

Libération demande à De Luca : « En France, la gauche est souvent associée à une posture antireligieuse. Ce n'est pas votre cas ? » Réponse : « Je connais les textes fondateurs de la religion ; c'est pour cela que je regarde différemment le monde religieux, d'une manière qui n'est pas sous les feux de l'actualité. » Ajoutons que l'époque est antireligieuse par méconnaissance, que les convulsions de l'actualité (2013 en France) ont encore envenimé les choses, et que nombre de catholiques – connaissant la Bible à peine moins mal que leurs « adversaires » – donnent une fausse image de la religion, en la réduisant aux réflexes d'un milieu social. Vieille tentation ! Dès l'an 384 de notre ère, au sein du milieu chrétien de Rome, le futur saint Jérôme (polyglotte et hébraïsant) tonnait contre la fraction immobiliste qu'il appelait « le parti des imbéciles » : « présomptueux incapables », « ânes à deux pattes », « moitiés d'hommes qui se mettent à me critiquer avec passion », etc. Propres à son époque, ces outrances verbales n'empêchèrent pas la canonisation de Jérôme comme Père de l'Eglise.

Je laisse la parole à Erri De Luca répondant au journaliste :

<< J'ajoute mon commentaire aux innombrables commentaires de l'Ecriture Sainte. Ce texte parle continuellement aux contemporains. Toutes les générations l'ont lu et y ont ajouté quelque chose... >>

  

 

__________

* Entre autres, ma note du 14/04/2014 : 

<< Napolitain, 64 ans, poète et romancier (Montedidio,Femina 2002), Erri De Luca est un personnage singulier : dénué de foi surnaturelle, il est fasciné par la Bible au point d'avoir appris l'hébreu, et lui a consacré des essais : Ora prima (1997), Nocciolo d'oliva (2002), Sottosopra (2007), Penultime notizie circa Ieshu/Gesù (2009), Le sante dello scandale (2011) ; et des traductions : Kohèlet (1996), Il libro di Rut (1999), Vita di Sansone dal libro Giudio/Shoftim (2002), Vita di Noé/Nòa (2004)... Dans Nocciolo d'oliva, De Luca souligne le vrai sens du livre de la Genèse : tout autre chose qu'un permis de saccager la terre, selon le contresens commis depuis Lynn White en 1967 et qui vient de l'ignorance. En effet, explique l'hébraïsant, la polysémie de l'hébreu se perd dans les traductions « quand un seul verbe est disloqué en divers synonymes traduit avec des sens différents » : « Les verbes du travail et de la garde de la terre, avad et shamar, sont les mêmes, terriblement les mêmes, que celui du service dû à Dieu. Pour cette écriture ancienne, travailler la terre et la servir sont le même mot, le même empressement dû au service du sacré. Les voici : laavod et haadama, « servir le sol » (Bereshit/Genèse 2,5) et laavod et Yod Elohenu, « servir Yod/Dieu notre Elohim » (Shmot/ Exode 10,26). La terre est dans la sollicitude de Dieu. Les règles du repos sabbatique, un jour par semaine, un an tous les sept ans, marquent une insistance à la protéger d'une exploitation forcenée. Elles expliquent que la terre n'appartient pas à l'espèce de l'Adam, locataire et non propriétaire du sol... »

D'où l'ineptie de l'Occident quand il attribue à la Bible le saccage de la planète, pour s'en indigner bêtement ou s'en justifier stupidement. D'où aussi l'ignorance de catholiques écolophobes accusant les écologistes chrétiens – dont les trois derniers papes ! – d'hérésie panthéiste... « Il est écrit à propos de Dieu : ''Aimer Yod votre Elohim et le servir dans tout votre coeur et tout votre souffle'' (Devarim/Deutéronome 11,13)», souligne De Luca : or cet « enthousiasme amoureux » lié au service de Dieu, n'est pas exigé « pour le travail-service de la terre ». Ne pas confondre. Mais ne pas séparer... L'Occident – dont trop de chrétiens – ignore tout ça. Il s'est « installé bien loin de cette écriture » : choix « efficace pour le chiffre d'affaires », mais nuisible à la planète, donc à l'homme... Le remède ? « Si l'on cherche à savoir où nous nous sommes détachés du sentiment sacré d'habitants d'un sol, il faut remonter aux deux verbes hébreux et sentir le coup sec par lequel nous avons séparé le ciel de la terre. Lire l'Ecriture Sainte, la lire doucement, entendre son propre souffle dire avad et shamar et, l'espace d'un moment, recoudre en soi-même l'abîme de distance... »

 

 **  [Suite de ma note du 14/04/2014]

<< Pourquoi parler ce matin de la Genèse et d'Erri De Luca ? Parce que l'écrivain est poursuivi pour son appel à saboter le chantier du TGV Lyon-Turin : entreprise titanesque (25 milliards d'euros, un tunnel Savoie-Piémont de 57 km) qui soulève la colère des riverains du Val de Suse et des défenseurs de l'environnement. C'est le groupe LTF (Lyon-Turin ferroviaire, aujourd'hui partie civile) qui a déclenché l'action pénale. Dans Le Monde du 12 avril [1], De Luca déclare :

« Ces travaux sont essentiellement destinés à drainer des fonds publics vers les entreprises qui s’en mettent plein les poches, alors qu’il existe déjà une ligne traditionnelle, utilisée à moins de 20 % de ses capacités. L’Italie est pleine de chantiers abandonnés, des ponts, des routes, des hôpitaux… Il y en a des centaines. D’une certaine façon, ces chantiers-là se sont auto-sabotés. C’est un modèle de développement... »

« Depuis 2008, le chantier du TGV est militarisé et les habitants doivent présenterleurs cartes d'identité pour aller travaillerdans leurs vignes. Le gouvernement a levé une arméecontre la populationlocale, qui est entrée en résistance voilà des années... ÀTurin, une équipe de magistrats ne s’occupe que de cela. Ils se comportent comme les chiens de garde de la LTF. » 

« Les policiers de la Digos, le département en charge des affaires de terrorisme, se sont présentés chez moi le 24 janvier avec un avis de mise en examen pour ''incitation à la violence''... Le motif : deux phrases reproduites le 1er septembre 2013 dans la version italienne du Huffington Post. Je disais : "Le TGV doit êtresaboté", et ensuite que ces actes de sabotage ''sont nécessaires pour faire comprendre  que le TGV est un chantier inutile et nocif ''

« Les lois ne sont que de passage. Elles changent. La démocratie, c’est aussi la possibilité de changerles choses. Or, ce sont les minorités qui font bougerles choses, les lois, les politiques. C’est comme dans le domaine scientifique : quand Copernic a écrit De Revolutionibus Orbium Coelestium, il était tout seul. » >>

 

[1] à lire in extenso : http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/04/10/erri-de-luca-le-devoir-moral-de-desobeissance-existe_4399462_3260.html

 

  En français, Erri De Luca et la Bible : Première heure (Rivages 2000), Noyau d'olive (Gallimard 2004), Les saintes du scandale (Mercure de France 2013).

 

 

Commentaires

MESCHONNIC

> Curieux hasard ! je suis en train de relire "Critique du rythme. Anthropologie historique du langage" de Henri Meschonnic. Ce juif "laïc" a beaucoup fait, par ses travaux sur le rythme, la poétique et la traduction pour nous faire entrer dans l'intelligence des textes bibliques.
Il nous a aussi laissé de magnifiques traductions de la Bible, accompagnées de leur introduction, et de notes qui nous font pénétrer dans l'atelier du traducteur. Avec lui nous comprenons à quel point l'organisation rythmique, consonantique et vocalique, les différents marqueurs linguistiques, sont déterminants pour comprendre la signification des textes inspirés.
Meschonnic traduit le verset 3, 16 :
« Vers la femme il a dit // grande grande je ferai / ta douleur et ta grossesse // dans le labeur / tu enfanteras des fils /// Et vers ton homme / ton désir // et lui / aura l’empire sur toi » ("Au commencement. Traduction de la Genèse", DDB, 2002, p. 36)
Meschonnic utilise des blancs afin de restituer, comme il l’écrit, « une rythmique de groupe dans une langue à accent de mot » ("Critique du rythme", Verdier, 1982, p. 473).
En passant, je réagis au propos de Erri de Lucca. Certes, l’hébreu 'etsev' « veut dire littéralement ''effort, fatigue''. » Mais un mot ne prend tout son sens que lorsqu’il est mis en contexte. Un traducteur ne peut se contenter de faire du mot à mot ; il doit être sensible à la syntaxe, au phrasé. Par ailleurs, le « travail » de la femme qui accouche, son « labeur », s’accompagne inévitablement de douleur.
A part ça, Erri de Luca a tout-à-fait raison : les versets 3, 14-19 ne sont pas prescriptifs, ils se contentent de décrire la condition nouvelle de l’humanité et des créatures après le péché des origines. Le second récit de la Genèse est un mythe étiologique.
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Écrit par : Blaise / | 09/11/2014

LE P. BOULAD

> Le père Henri Boulad est une figure connue parmi ceux des activistes anti-musulmans qui se parent de leur foi chrétienne. Sa réaction était donc prévisible. Pour des gens comme lui, l’Etat Islamique est forcément l’expression la plus authentique de l’Islam, et les musulmans pacifiques des menteurs.
Dans le même esprit, le père Edouard-Marie Gallez, un autre idéologue de cette mouvance, a établi une généalogie des totalitarismes, qui plongerait ses racines jusque dans l’islam primitif, qu’il appelle « judéo-nazaréisme ».

Tous deux sont des opposants au dialogue islamo-chrétien, tous deux sont prêtres. Et de la part de prêtres, on s’attendrait à un peu plus de discipline, sinon de charité. Parce que des prêtres ne peuvent passer leur temps à contredire leur évêque, à soutenir que le pape ne « connaît » pas le « vrai » Islam ou à se plaindre que dans la déclaration "Nostra Aetate" le paragraphe sur la religion musulmane aurait été « baclé ».
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Écrit par : Blaise / | 09/11/2014

Juste deux remarques.

> Toute traduction est une interprétation. Choisir un mot plutôt qu'un autre, douleur plutôt qu'effort par exemple, n'est donc pas une erreur (je serais très surpris que les rabbins ayant traduit la Septante n'ait pas été au courant de ces polysémies, au moins autant qu'Erri de Luca), c'est justement un choix. Une interprétation. Criticable, mais pas erronée (ce serait erroné si c'était une erreur de traduction, càd si le mot ne pouvait pas signifier cela). Dans le cas de l'accouchement chez les humains cette "erreur" me semble quand même tout sauf absurde (sans péridurale, douleur me paraît d'ailleurs beaucoup plus juste qu'effort).

C'est une tendance assez répandue chez certains exégètes ou traducteurs de croire que leur traduction-interprétation réinvente le fil à couper le beurre et de considérer que les traductions antérieures sont erronées ou défaillantes alors qu'ils ne font que choisir à leur tour en occultant tout autant les autres possibilités de traduction qu'ils n'ont pas retenues (J'avais eu la même impression désagréable en lisant Marie Balmary).

Par ailleurs, même si le texte hébreux est donc beaucoup plus subtil et ouvert que ce qu'on peut en traduire, historiquement, ce qui compte, c'est la manière dont il a été compris, interprété et utilisé. Donc, même si l'hébreu ne dit pas "dominez", si c'est ainsi que le texte a été rendu en latin puis dans les autres langues (en particulier dans les traductions anglaises protestantes), ce qu'il faudrait vérifier, le résultat est le même puisque ce sont ces traductions qui ont été opératoire pour la compréhension du monde et l'action de l'homme en son sein.

Ceci dit, revenir à la langue originale pour essayer d'en déployer toutes les interprétations possibles que les traductions occultent nécessairement (tout en en ajoutant d'autres puisque chaque langue a ses polysémies et chaque mot un champ sémantique propre à sa langue) est un travail passionnant et indispensable. De savoir que les mêmes verbes désignent le travail de la terre et le service de Dieu, par exemple, ouvre tout de même des horizons inédits et cela nous rend plus intelligents et plus nuancés :-) !
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Écrit par : Paul / | 09/11/2014

MÉTIERS

> Erri de Luca souligne, et c’est très intéressant, que le verbe « abad », qui désigne le travail de la terre dans le 2e récit de la Genèse, – la responsabilité de l’adam par rapport au sol –, veut dire, littéralement, « servir ». D’ailleurs, le substantif « abodah », service, esclavage, travail, signifie également « culte » en hébreu – tout dépend du contexte dans lequel il est utilisé. Quant au substantif « ébéd », il renvoie indistinctement au serviteur, à l’esclave. Bref, la langue hébraïque utilisait les mêmes mots pour parler d’activités et de conditions de vie très diversifiées : le service, l’esclavage, le culte.

Les anciens Hébreux disposaient d’un autre mot, « ‘amal », entendu comme peine, effort, souffrance (en vue d’un gain, d’un salaire). Il s’agit là du « travail » pris dans un sens étroit – c’est le « labor » des latins. Mais la spécificité des mots « abad », « ébéd » et « abodah », c’est qu’ils mettent l’accent sur le lien de dépendance de l’homme vis-à-vis de différentes instances : Dieu, le sol, des maîtres humains, des rois, des patrons… On pourrait ajouter : l’argent, le diable, etc. et nous souvenir que l’homme ne peut servir deux maîtres, Dieu et l’argent.

On pourrait formuler les choses ainsi : dis-moi qui ou quoi tu sers, je te dirais quel genre d’homme tu es. Une fripouille, un prolétaire, un saint… Il y a les liens qui libèrent, ceux qui aliènent et ceux qui corrompent. Les multinationales qui s’adonnent à l’évasion fiscale, par exemple, plutôt que de se mettre au service de la collectivité, ont préféré se soumettre à Mammon.

En français, pour traduire « abodah », nous avons les doublets « métier », « ministère », qui sont issus du latin « ministerium », fonction de serviteur, service, fonction. Ce n’est peut-être pas un hasard si le mot en vogue aujourd’hui, c’est celui d’« emploi », plus proche par sa signification de « ‘amal » et de « labor ». L’« emploi », issu du verbe « employer » qui a d’abord eu le sens de « placer », « faire usage de », renvoie clairement au salariat. Le travailleur échange sa force de travail, qui pourra être « employée » par l’entrepreneur, contre un salaire. Ce terme d’« emploi », moralement neutre et purement utilitaire, ne permet pas de s’interroger sur la finalité de l’activité exercée, ou s’il ne peut y avoir oppression des travailleurs, fût-ce dans un cadre légal. La prostitution, par exemple, dans les pays où elle a été légalisée, est un « emploi » comme un autre, et qui contribue – comme n’importe quelle autre activité – à la croissance du PIB.

L’oubli des métiers semble être caractéristique de notre époque. Il n’est question que d’ « emploi », de « chômage », d’effondrement ou de relance de la « croissance ». Pourtant, les éboueurs ont souvent un sentiment très fort de leur utilité sociale, les médecins peuvent être portés par une authentique vocation… Par delà les disparités salariales et statutaires, une profession ne peut être vide de sens, se réduire à n’être qu’un « emploi ». Ou alors cela risque de mal se terminer.
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Écrit par : Blaise / | 09/11/2014

> Bien entendu, les juifs qui ont produit la Septante, eux qui étaient certainement plus imprégné d'hébreu et de culture juive que De Luca, ont nécessairement mal traduit, et n'ont rien compris à leur texte sacré.
Lorsque De Luca traduit Etsev "littéralement" par "effort, fatigue", est-ce vraiment pertinent alors qu'il souligne lui-même la polysémie des mots hébreux ? Pourquoi LE sens qu'il attribue serait-il plus valide que celui que les juifs de l'antiquité lui ont attribué ? Serait-il plus savant ? Ou plus intelligent peut-être ?
Je me permets de souligner autre chose : c'est un enseignement biblique irréfutable que le péché conduit à la souffrance et à la mort. Cette affirmation est constante dans la Bible : l'humanité souffre et meurt à cause du péché, et d'abord celui de nos premiers parents. Serait-ce alors surprenant que la femme accouche dans la douleur à cause du péché ? Non, c'est même logique.
Et je me permets de souligner que même en traduisant Etsev par douleur, cela ne veut pas dire que Dieu est l'origine de la douleur, mais bien qu'il énonce une simple conséquence : la femme a péché, elle est donc séparée de Dieu et accouchera dans la douleur. Ca vaut aussi pour l'homme.
Bref, je me méfie des biblistes qui prétendent avoir mieux compris ce qui aurait échappé à tous. Particulièrement des non croyants. Pourquoi ? Parce que la Bible est faite pour être lue, et comprise, avec un regard de foi. Un non croyant passera toujours à côté de sa logique et de son enseignement.
Et je souligne que l'Église n'a pas eu besoin de De Luca pour défendre l'idée que la domination de l'homme sur la nature (ce qui est un fait indiscutable également : l'homme a le pouvoir de dominer la nature - c'est une évidence - et il faut bien qu'il ait reçu ce pouvoir de Dieu, de qui sinon ?) n'implique pas son exploitation et sa destruction, mais implique bien la responsabilité. Ainsi Dieu domine sa création puisqu'Il est le maître du temps et de l'histoire, Il n'en devient pas un tyran destructeur pour autant.
Cordialement,
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Écrit par : Xavier / | 10/11/2014

CERTAINS

> en tout cas EDL connaît la Bible "mieux que certains croyants" comme dit le titre. Mieux que ceux qui ne l'ont jamais lue et encore moins étudiée, mais seulement écoutée avec distraction au cours de la messe du dimanche tout en pensant que "c'était d'une autre époque" et qu'il faut "ne pas faire dire n'importe quoi à la Bible", argument des bien-pensants dès que l'Ecriture prescrit le contraire de ce qu'ils font tous les jours. Ils oublient que Jésus est venu "non pour abolir mais pour accomplir".
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Écrit par : Amos / | 10/11/2014

MARCION

> à Amos - Ceux dont vous parlez on en voit assez souvent, ils se croient modernes mais ne savent pas qu'ils sont marcioniens ! Une hérésie réfutée dès le IIIe siècle par Tertullien. Ça ne nous rajeunit pas.
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Écrit par : fulbert / | 10/11/2014

> Tertullien était lui aussi un hérétique.
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Écrit par : Blaise / | 10/11/2014

DANGERS

> A la suite du 1er commentaire avec un lien très intéressant mais hors-sujet, vous avez laissé passer une réaction de Blaise qui semble aveugle face aux dangers de l'islam(isme), dénoncés fort justement par Henri Boulad, d'autres prêtres orientaux ou des ex-musulmans comme Joseph Fadelle.
Des érudits tels que Edouard-Marie Gallez quant à eux démontent les allégations de l'islam sur ses origines et sur le coran.
Des sites bien documentés expliquent tout cela ; un seul exemple : http://legrandsecretdelislam.com/
Dénoncer les impostures de l'islam n'est pas être contre les musulmans qui en sont eux-mêmes victimes tant qu'ils n'en sont pas complices.
Une piste de réflexion : l'islam, qui s'étend dangereusement en Europe avec la complicité naïve ou cynique des politiques européens, ne pourrait il pas devenir la "force obscure" régressive, anti-moderniste et anti-libertaire, qui s'opposerait par sa violence brute aux folles dérives transhumanistes, techno-mercantilo-libérales-libertaires (PMA, GPA, avortement, euthanasie ...) que vous dénoncez si bien ?
en d'autres termes, les folies prométhéennes et babeliennes actuelles ne seraient-elles pas contrecarrées par l'islam s'il s'imposait ?
Mais en même temps il empêcherait toute liberté de croire et de penser ...
Je ne crois pas que vous publierez ce commentaire mais je voulais partager cette réflexion en souhaitant qu'elle vous intéresse.
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Écrit par : Anton / | 10/11/2014

PLUS FIABLE ?

> Ne peut-on pas considérer l'Ancien Testament de la Septante, et même de la Vulgate comme plus "fiables" que la Bible hébraïque?
L'écriture de l'hébreu (comme l'arabe, curieusement) a été vocalisée seulement au 7ème s par des sages, les "massorètes". Auparavant, le texte servait d'aide-mémoire inséparable d'une tradition orale, dont les Septantes étaient plus proches chronologiquement que les "massorètes" éventuellement influencés par la controverse avec le courant chrétien.
La traduction grecque réduit la polysémie, en obligeant à des choix qui ne peuvent être indépendants des préoccupations des traducteurs.
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Écrit par : Pierre Huet / | 10/11/2014

Tertullien hérétique?

> Eh bien non, il était sûrement schismatique: il a fondé sa propre Eglise. Mais toutefois, sa doctrine demeurait fidèle à l'enseignement catholique. Il a notamment été le premier grand théologien latin (sur la Trinité notamment).
Pour vous aider: http://www.patristique.org/-Lire-les-Peres-.html

On peut être schismatique ou hérétique et avoir des idées justes et bonnes issues de l'Esprit Saint. A l'Eglise ensuite de discerner....
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Écrit par : elgringos777 / | 11/11/2014

ISLAM ET ISLAMISME

> Pas de confusion, voulez-vous ?
De l’islamisme à l’islam, vous opérez un glissement très contestable !
Henri Boulad, Joseph Fadelle et Edouard-Marie Gallez ne s’en prennent pas spécifiquement aux dangers de l’islamisme, mais à l’islam en tant que tel. L’« essence » de l’islam, pourrait-on dire. En prétendant unifier les deux réalités en un seul mot : « islam(isme) », vous vous enfermez dans le pur et simple déni de la réalité. Alors que l’islamisme lui-même ne forme pas un bloc !
Pour rappel, Joseph Fadelle est un Irakien ; et l’Irak est déchiré depuis des années par les exactions militaires, l’arbitraire étatique et la guerre civile. Nous n’avons pas à nous approprier les ressentiments, les haines et les désirs d’extermination que peut charrier le Moyen Orient, fût-il véhiculé par des chrétiens. Il y a même eu un évêque de cette région, que je crois minoritaire, bien heureusement, qui appelait les Occidentaux à ne pas s’encombrer des droits de l’homme, pour s’occuper de « ses » musulmans – véritables ennemis de l’intérieur d’après lui.
Logique. La guerre civile est une montée aux extrêmes.
Mais nous qui avons la chance de vivre en paix, nous n’avons pas à nous laisser happer par l’engrenage de la haine, et à venir projeter des conflits lointains sur notre société, à criminaliser nos propres concitoyens.
Edouard-Marie Gallez est un érudit, dites vous ? c’est bien le problème ! il n’est qu’un érudit. Et certainement pas un historien. Sa thèse, très hypothétique il faut l’avouer, est construite à partir d’éléments disparates qui peuvent être valables, – du moins tant qu’il s’intéresse à Qumrân, au maître de Justice et aux Esséniens. Beaucoup moins, lorsqu’il recycle la théorie de l’« invention » tardive de la Mecque, laquelle n’est plus soutenue par aucun historien sérieux. Mais c’est la théorie, plus que la connaissance historique, qui lui permet en fin de compte de sauter le pas et d’affirmer la continuité entre une secte « judéo-nazaréenne » et l’islam – ou ce qui deviendra l’islam.
Pourquoi ne lisez-vous pas des historiens compétents plutôt que de simples amateurs, des « érudits », comme vous dites ? n’est-ce pas parce que ces gens-là ne s’interdisent aucune extrapolation ? et que l’imagination, non contrainte par la méthode historique, peut se déchaîner à son gré ?

Les musulmans, d’après vous, seraient « eux-mêmes victimes [des impostures de l’islam] tant qu’ils ne sont pas complices ». Expression passablement alambiquée ! Où passe donc la frontière ?
Si les musulmans adhèrent en toute bonne foi à la profession de foi islamique, alors ils en sont les « complices ». Plus que cela ; puisqu’ils la vivent, en actualisent la tradition, la mettent en débat et la transmettent.
L’islam, ce n’est pas une doctrine établie une fois pour toutes à un moment déterminé de l’histoire et échappant à toute discussion : c’est des hommes et des femmes concrets qui interprètent leurs vies, leur destin, le sens de ce monde et leur rapport à autrui en fonction d’une révélation, de textes reçus et de toute une mémoire accumulée. Ce qui fait que vous ne pouvez prétendre nouer un dialogue avec un musulman tout en prétendant que l’islam est intrinsèquement violent, qu’il ne comporte que des erreurs, et que chaque musulman est virtuellement suspect de vouloir instaurer une théocratie en Europe.
A moins, peut-être, d’échanger avec un islamiste.

Je me contenterai de citer la déclaration Nostra Aetate, qui « regarde avec estime » les musulmans, en raison des vérités qu’ils professent ; et son exhortation à la réconciliation, à la « compréhension mutuelle » et à la collaboration entre chrétiens et musulmans, autour de valeurs communes :
« L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne.
« Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. »
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Écrit par : Blaise / | 11/11/2014

à Pierre Huet

> Non, je ne crois pas. Même si le conflit avec les chrétiens a pu influer, notamment dans l'établissement des livres canoniques, le travail des Massorètes était pour l'essentiel un travail de transcription d'une tradition orale qui leur était bien antérieurs.
A ce titre, on ne peut même pas dire que la Bible massorétique soit "postérieure" à la Septante. Nous avons plutôt affaire, André Paul l'a souligné dans ses ouvrages, à différentes traditions textuelles issues de l'oralité juive. L'avantage de la Bible massorétique, c'est qu'elle ne nous a pas été transmise par le filtre d'une traduction comme c'est le cas pour la Septante.
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Écrit par : Blaise / | 11/11/2014

@ elgringos77

> Tertullien a été l'un des principaux pères latins, un hérétique et un schismatique. Il n'a pas fondé sa propre Eglise, mais il a rejoint celle des montanistes. Ainsi, dans sa lettre "Etsi tibi" à Vitrice de Rouen, le 15 février 404, le pape Innocent Ier déclarait :
« [Il est bon de veiller] à ce que ceux qui viennent des novatiens ou des montanistes soient reçus seulement par l'imposition des mains; car bien que l'ayant été par des hérétiques, ils ont cependant été baptisés au nom du Christ. »
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Écrit par : Blaise / | 11/11/2014

Tertullien 2

> Je maintiens ma position qui vient de Philippe Henne o.p, patrologue.
Il a écrit notamment, "Tertullien l'africain".
En brève analyse de sa partie historique sur le fait qu'il est bien schismatique mais non hérétique:
"Poursuivant son cheminement d'intrasigeance, vers 212, il rejoint les montanistes qui se sont séparés de l'Eglise. Pourtant, il ne deviendra pas hérétique car sur la partie dogmatique, il reste « orthodoxe » (Trinité, divinité et humanité du Christ). Il sera cité sur la partie dogmatique par Cyprien, évêque de Carthage qui l'appelait maître.
Finalement, il se sépare du montanisme en fondant sa propre église (tertullianistes). Il en restait au temps d'Augustin qui s'étaient intégrés dans la grande Eglise en donnant leurs basiliques."
Il est à retenir qu'il faut se méfier de "classer" de manière abrupte...
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Écrit par : elgringos777 / | 11/11/2014

@ Blaise

> Vocaliser une écriture auparavant consonantique n'est-il pas un filtre autant qu'une traduction?
A noter que ce débat existe aussi à propos du Coran.
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Écrit par : Pierre Huet / | 12/11/2014

@ Pierre Huet

> Eh non! les massorètes n'ont pas inventé la vocalisation; ils ont procédé à sa notation, à un moment où l'oralité était encore vivante mais risquait de se perdre.
Le traducteur procède tout à l'inverse: il efface, du moins en partie, les spécificités syntaxiques, rythmiques et prosodiques, et recherche tant bien que mal des équivalents sémantiques : bref, il propose un substitut qu'il souhaite le plus ressemblant possible, qui est aussi une interprétation.
Ce qu'a fait Jérôme pour traduire la version massorétique de la Bible et le Nouveau Testament, c'est de s'efforcer à rendre les structures langagières de l'original en leur trouvant des équivalents formels dans la langue latine; il ne s'est pas contenté du « sens ».
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Écrit par : Blaise / | 13/11/2014

@ Pierre Huet

> Henri Meschonnic parle de la Bible massorétique :

« Le point de départ, pour la lecture et la traduction, est un paradoxe et un scandale. C'est que le seul texte vocalisé-rythmisé complet de la Bible est du Xe siècle de notre ère. Le manuscrit dit de Léningrad. Il a entre 2 300 et 1 300 ans de décalage, selon les textes, par rapport à leur origine.
« C'est ce qu'on appelle le texte "massorétique", mis au point par les "massorètes", le mot signifie "transmetteurs", de massora, "transmission". Transmission du savoir philologique sur les textes, et qui consiste dans la mise au point, après plusieurs siècles de débats, d'un système de notation, par des signes diacritiques, pour les voyelles que ne notait pas l'alphabet hébreu, purement consonantique. La langue avait des voyelles. L'écriture n'en avait pas. Ne pas confondre. Et nul je crois n'aurait l'absurdité d'imaginer que les massorètes ont inventé les voyelles : ils ont seulement inventé un moyen de les noter. Dans la dispersion – diaspora – où tout allait se perdre.
« Il en est de même pour l'organisation rythmique – pausale, sémantique, mélodique – du verset, unité de rythme, la preuve étant qu'à la fin de chaque texte les massorètes notaient le nombre total de ses versets. Tout cela, entre le VIe et le IXe siècle de notre ère.
« Mais le conflit entre christianisme et judaïsme a eu cet aspect théologico-philologique qui a consisté et consiste encore, même à travers des dénégations récentes, à refuser cette rythmisation, et en gros l’opinion reçue est que tout cela est tardif – ce qui est indiscutable – donc dénué d’authenticité, de pertinence et d’autorité. » ("Au commencement. Traduction de la Genèse", DDB, 2002, p. 12-13.)

Comme le souligne Meschonnic, les savants massorètes n’ont pas seulement transcrit les voyelles dans le texte biblique ; ils ont également introduits les ta’amim, qui sont les accents rythmiques disjonctifs et conjonctifs.
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Écrit par : Blaise / | 14/11/2014

ACCENTS

> Dans la Bible, on compte dix-huit accents disjonctifs et neuf conjonctifs, qui permettent de restituer l’oralité de la parole inspirée.
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Écrit par : Blaise / | 14/11/2014

@ Blaise

> Merci pour ces précisions.
Mais bien sûr, quand je parlais de vocalisation, c'était de celle de l'écriture.
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Écrit par : Pierre Huet / | 14/11/2014

@ Pierre Huet

> l'Ecriture consonantique-vocalique-rythmique-chantée des massorètes transcrit sur le papier les signes des mains qui accompagnaient la lecture-récitation de la parole inspirée. Les anciens Juifs baignaient dans une culture de l'oralité.
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Écrit par : Blaise / | 14/11/2014

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