Le vertige du transhumanisme

 

...laisse désarmés les philosophes officiels

(mais pas les chrétiens) :  

 

François-Xavier Huard nous écrit :

<< J'ai lu le week end dernier le dernier numéro de Philosophie Magazine, qui porte sur le transhumanisme et les promesses folles des nouvelles technologies. Le dossier n'est pas inintéressant, même si le rédacteur en chef, qui mène l'enquête, incarne parfaitement le "sage" démuni qui fait semblant de réfléchir et de vouloir opposer sa raison et sa liberté de jugement au monde qu'il observe, alors qu'il est absolument désarmé, intellectuellement et moralement, pour faire face à ce qu'il observe. Alexandre Lacroix fait en réalité grandement pitié : ses remarques trahissent son désarroi, reconnaissant qu'il ne sait pas avec quoi combattre un phénomène dont il partage les fondements philosophiques. Cela en dit long sur la fragilité de nos sociétés.

Mais je bondis lorsque, dans l'article de tête, Alexandre Lacroix écrit que le transhumanisme est LE projet porté objectivement par la plupart des grandes multinationales high tech de la Silicon Valley. Tous les magnats locaux revendiquent leur contribution, laquelle se chiffre en dizaines voire en centaines de millions de dollars.

Autrement dit, à chaque fois que je donne un euro à Amazon, Google, PayPal ou Apple, je finance directement la recherche trans-humaniste. C'est Philosophie Magazine, le journal mainstream des philosophes bon teint, qui le dit, pas moi.

A noter: un dialogue, trop court (nombre de signes oblige...) entre le milliardaire fondateur de PayPal et l'excellent Pierre Manent, notre meilleur philosophe des idées politiques (dont j'achève le dernier ouvrage Les métamorphoses de la cité) : parfaite incarnation de l'esprit classique, Manent oppose son expérience , sa grande culture et ses interrogations effarées aux rêves prométhéens du Californien. >>

 

Merci à François-Xavier Huard de nous avoir signalé cette enquête ! Il est instructif de découvrir ce soir l'enquête de Lacroix après avoir entendu ce matin Clémentine Autain : le philosophe est aussi désemparé que la « rebelle »  devant le transhumanisme.

 Qu'est-ce que le transhumanisme ? Le rêve d'abolir la condition humaine (vieillissement et mort, identités sexuées, structures sociales stables, etc) grâce aux biotechnologies. Donnant déjà les moyens de bricoler des choses inédites comme la GPA (en attendant mieux), l'apparition du business des biotechnologies a produit un séisme sociétal. L'alliance de la technoscience commerciale et de lobbies comme le LGBT a produit, par un effet de levier sans précédent, les « nouvelles moeurs », bientôt validées par les lois puisque la dérégulation est au pouvoir... et que la classe politique est, elle aussi, intimement liée à la machinerie financière dont fait partie l'industrie biotech. L'ultralibéralisme est une superstructure de cette machinerie, comme l'idéologie libérale du XIXe siècle fut une superstructure du premier capitalisme industriel.

Le No limits, slogan de notre époque (en vertu duquel s'effectuent les « avancées sociétales »), n'est rien d'autre que le produit d'un capitalisme consumériste qui ne peut fonctionner qu'en ouvrant sans cesse de nouveaux marchés, c'est-à-dire en repoussant toutes les limites : y compris désormais celles de la condition humaine.

On comprend pourquoi les philosophes officiels, mais aussi la gauche et la droite, sont dans l'incapacité de penser la situation ! Refusant d'admettre que tout cela était contenu d'avance dans le nouvel esprit du capitalisme*, ils ne voient pas que ce qui se passe aujourd'hui n'est pas l'avènement du progrès – mais le développement d'un modèle économique devenu totalitaire. En 1988, le Californien Max More (Principles of Extropy) donnait au transhumanisme la mission de « nous guider vers une condition posthumaine ». Il ajoutait que cette utopie née « des diverses sciences et techniques » (en fait : de l'extension du marché à ces domaines) incarnait « le respect de la raison et de la science »... et « l'attachement au progrès » dont l'apothéose, selon l'informaticien Raymond Kurzweil, consiste en un « changement de la nature même de l'homme ». C'est l'annexion des mythes modernes  par l'industrie ; on comprend pourquoi les philosophes officiels ne savent quoi répondre – ou applaudissent à tout rompre.

Ne résistent que les vrais non-conformistes, parmi lesquels les chrétiens. C'est la revue Etudes qui écrit (juin 2011) : « La technolâtrie est le symptôme de cette fatigue d’être soi, diagnostiquée par les sociologues depuis Alvin Toffler dans les sociétés hyper-technologisées. Plus nous nous sentirons impuissants et déprimés, plus nous serons tentés de nous tourner vers les machines. »

Impuissance et dépression : est-ce pour cela qu'un grand nombre de nos contemporains adhèrent à l'utopie technoïde, comme semblent le montrer les sondages de la semaine dernière sur la GPA ?

 

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* Titre du classique de Boltanski et Chiapello (Gallimard 1999).