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25/08/2014

Yves Congar : 'Pour une Eglise servante et pauvre'

 christianisme

Synthèse du livre, par Serge Lellouche

(Fraternité des chrétiens indignés) :


 

 

Yves Congar

Pour une Église

servante et pauvre

(Cerf, 2014 – première édition 1963)

 

 

***

Religieux dominicain et théologien majeur du siècle dernier, Yves Congar (1904-1995) a principalement orienté ses travaux vers l'ecclésiologie et l'oecuménisme. Pour une part importante, ceux-ci furent guidés par la grande intuition qui l'habite dès 1928, l'appelant à oeuvrer pour l'unité de tous les chrétiens. Son engagement fervent pour l'oecuménisme à partir des années trente, puis après-guerre en faveur d'une grande réforme de l'Église lui vaudront la franche inimitié de la curie romaine, qui le privera d'enseignement jusqu'à une quasi mise sous haute surveillance dans un couvent dominicain de Strasbourg. Pourtant, souterrainement, son œuvre a grandement contribué à ouvrir les voies du concile Vatican II, au cœur duquel, et dans un tout autre contexte d'Église, il jouera un rôle immense. Il est officiellement réhabilité en 1963, défend dans les années 80 la théologie de la libération en lui apportant des nuances, et est créé cardinal par Jean-Paul II en 1994, quelques mois avant sa mort.La synthèse de ce livre crucial, dont elle ne fait qu'esquisser les grands traits, est une invitation à se plonger dans sa lecture. Il vient d'être réédité au Cerf. Pour se le procurer :

http://www.editionsducerf.fr/html/fiche/fichelivre.asp?n_liv_cerf=9952

***

 

 

Dès sa parution en 1963, quelques mois seulement après l'ouverture du concile, ce livre-manifeste fit l'effet d'une bombe sous les toits de la basilique Saint-Pierre, autant par son titre aux effets un tantinet provocateurs que pour sa vision prophétique d'une Église servante plutôt que dominatrice, pauvre plutôt que cérémonieuse, revêtue du Christ plutôt que des apparats de l'empereur.

Il allait largement nourrir les débats théologiques, ecclésiologiques et politiques de toute cette génération conciliaire, portée par l'Esprit-Saint dans un grand élan de réforme et de renouveau dans l'Évangile, en même temps que de renoncement aux distinctions honorifiques et autres signes extérieurs de richesse.

A sa lecture, on s'étonnera d'autant moins que cinquante ans plus tard, son retentissement n'ait en rien faibli et qu'il soit devenu une référence et une des principales sources d'inspiration programmatique guidant le pontificat du pape François.

A la lumière du Nouveau Testament, tout le propos du livre vise en effet à comprendre le sens de la hiérarchie et de l'autorité d'Église essentiellement comme service, vécu dans la seule humilité du Christ, et à mettre en perspective historique les processus de dégradation de cet idéal évangélique, notamment sous l'influence des réformes menées par Léon IX (1049-1054) et surtout Grégoire VII (1073-1081).

 

Le moment où s'ouvre pour Jésus le temps de sa Passion est aussi celui où il transmet le ministère évangélique à ses apôtres, à qui il va alors délivrer un message très clair, et pour le moins déroutant, quant à la nature de l'autorité qu'il est sur le point de leur confier. A la question de savoir à qui revenait la première place, alors très discutée dans le judaïsme, Jésus les enseigne, en actes et en paroles, en mettant devant eux un petit enfant et en disant : «Qui se fera petit comme ce petit enfant, voilà le plus grand dans le Royaume des Cieux» (Mt 18, 4).

De même annonce-t-il à ses apôtres que sa gloire, ça n'est pas d'une réputation qu'il la tient - mais qu'il la reçoit, par sa Passion, dans l'obéissance au Père, ce qu'Yves Congar exprime en ces termes : «Le Père a tout remis en sa main : "Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis" (Jn 13, 13). Jésus a, à l'égard du monde et des hommes, une autorité totale, mais c'est une autorité, 1. entièrement ordonnée à leur salut, et par la voie du plus grand abaissement ; 2. entièrement reçue du Père, dépendante de lui.»

Répondant aux sollicitations de Jacques et de Jean au moment de la montée à Jérusalem, Jésus prononce alors ces paroles décisives : «Vous savez que ceux qu'on regarde comme les chefs des nations leur commandent en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous se fera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous se fera l'esclave de tous. Aussi bien, le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude [Mc 10, 42-45 ; Mt 20, 25-28].»

Le renversement de valeur entre l'ordre de l'Évangile et celui des sociétés terrestres est complet et radical : le premier n'est plus le puissant se faisant souverainement servir, mais tout au contraire, et dans le sillage de Jésus, celui qui s'abaisse et se fait serviteur comme un esclave - à commencer par les disciples de Jésus : «Parce que leur vie est toute en l'appartenance du Christ, toute de lui et toute à lui, les disciples ne montent qu'en s'abaissant, en suivant le Christ dans la voie de descente, de don et de perte de soi, dont saint Paul a tracé la trajectoire victorieuse de Dieu à la mort de la croix et du tombeau à la gloire.» Autrement dit, en Matthieu 23.12, «celui qui s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera exalté.»

Ainsi, contre l'esprit possessif qui détruit, est tracée la voie de l'humble service d'amour : celle «qui mène à "Dieu tout en tous", c'est à dire à une humanité de communion, à une situation où l'on ne détruit pas les autres pour entretenir sa propre vie, mais où la vie rayonne, à partir de Dieu, sur tous.» Le lavement des pieds (Jn 13.12-17) est l'exemple le plus abouti donné par Jésus à ses apôtres, les appelant à agir comme Lui a agi envers eux, et à se faire, à sa suite, les serviteurs les uns des autres.

Dieu s'est manifesté à nous en cette qualité de doulos (esclave), et par effet de cascade de mission, les apôtres et toute l'Église sont voués à le suivre et à l'imiter : «Tout ministre de l'Évangile, tout chrétien, est un 'doulos'». Ainsi Pierre exhorte les anciens à ne pas faire les seigneurs et les maîtres, et Paul se fait l'esclave de tous les hommes jusqu'au sacrifice et au don de sa vie.

Mais, poursuivant plus loin sa réflexion sur le sens de l'autorité émanant du Nouveau Testament, Yves Congar souligne qu'on ne peut s'en tenir à «la nécessité d'exercer l'autorité dans un esprit de désintéressement personnel et de service», dans la mesure où c'est la nature même de cette autorité que Jésus a radicalement transformée : «La nouveauté tient en ceci : on est passé des signes, annonces ou préparations, aux réalités. Ou plutôt, on a fait un pas décisif dans le sens du passage aux réalités. Car la réalité pure est eschatologique : elle répondra à la situation où toutes domination et puissance seront réduites, où les extériorités dont nous souffrons seront dépassées, où l'intériorité parfaite sera instaurée à partir de la condition finale, "Dieu tout en tous".»

Le temple, le lieu de la présence de Dieu est la communauté des fidèles elle-même, désignée par le mot ecclesia, dont l'unique source est Jésus-Christ, «la Tête de laquelle le corps tire toute sa vie et tout son accroissement», et au sein duquel corps, «chacun est constitué moyen de vivre et de grandir pour tous les autres.» Ceci fera dire à saint Paul que, dans le Corps du Christ, chacun est le serviteur de tous, anticipation du «Dieu tout en tous».

Ainsi, dans cette perspective, Yves Congar nous donne de mieux percevoir le sens chrétien de la fonction hiérarchique comme service : «Elle se situe dans le cadre des grandes données que nous venons d'évoquer : Un seul est Seigneur ; il distribue ses dons aux personnes pour l'utilité de tous et la construction du Corps-temple : ainsi chacun, comme disciple de Jésus-Christ, est constitué débiteur ou serviteur de tous. Les fonctions hiérarchiques organisent ce service.» Comme le dit saint Paul, les ministères institués organisent, suscitent et entraînent la diaconie des saints. L'autorité ecclésiastique n'est donc justifiée qu'en vue de sa contribution à l'édification de cet ordre général, et ne peut donc nullement se définir comme une propriété, un droit ou un titre honorifique : «Prêcher l'Évangile n'est pas pour moi un titre de gloire ; c'est une nécessité qui m'incombe... Si j'avais l'initiative de cette tâche, j'aurais droit, certes à une récompense ; si je ne l'ai pas, c'est une charge qui m'est confiée. Quelle est donc ma récompense ? C'est, dans ma prédication, d'offrir gratuitement l'Évangile [1 Co 9, 16-18]».

On mesure l'écart, abyssal, entre cette autorité dont la nature même est d'être service, et une autorité juridique ou politique mondaine. Yves Congar le souligne longuement plus loin, l'Église sera hélas souvent tentée, à travers son histoire, de réduire cet écart et de se calquer sur le « modèle » de l'autorité séculière : le plus souvent d'ailleurs en confrontation avec elle.

Dans le cadre d'une autorité évangélique, le rapport de subordination est entièrement transformé : «Le supérieur a vraiment une situation d'autorité, mais dans une communauté fraternelle de service» ; ce qui suppose impérativement que cette autorité soit aussi profondément que possible vécue dans toute l'exigence de la conversion en Christ : «ce n'est qu'au-delà d'une telle conversion que le rapport d'autorité peut exister et être vécu chrétiennement».

 

On est saisi à la fois d'émerveillement et de vertige devant l'ampleur des horizons que dégagent les vues du grand théologien dominicain. Sa perspective centrée sur la source évangélique de l'autorité, subordonnant entièrement celle-ci au principe du service fraternel en vue du bien commun, de la communauté des chrétiens et du Corps mystique, est non seulement et en premier lieu porteuse d'un sens ecclésiologique éminemment subversif, mais par extension aussi et du fait même de la mission évangélisatrice de l'Église vers le monde et l'humanité entière, d'un sens politique non moins révolutionnaire, tant sur le plan de l'action que de la pensée. Envisager le vivre ensemble, la démocratie, le mode de fonctionnement des communautés, organisations et collectivités humaines, la nature de l'autorité gouvernementale ou étatique, à cette aune chrétienne du chef fait humble serviteur et de l'inlassable échange fraternel dans le don de soi, constituerait sans doute un bouleversement indépassable de la théologie et de la philosophie politique.

 

Mais revenons à nos moutons, du moins à notre condition de brebis égarées... Yves Congar s'attache ensuite à comprendre comment l'Église, à travers les aléas de son inscription historique, a incarné cette autorité évangélique, et surtout les ressorts par lesquels elle en a, parfois jusqu'à la caricature, trahi l'idéal.

Dans l'Église des martyrs (des apôtres à la paix constantinienne), l'affirmation de l'autorité demeure étroitement articulée au sens mystique du salut et de la grâce. C'est prégnant dans les textes de saint Ignace d'Antioche et de saint Cyprien. De même, dans les textes liturgiques, la dimension communautaire reste très forte : «L'ecclesia, c'est l'assemblée de frères réalisée par un acte du Seigneur et par sa présence au milieu d'eux. La liturgie ancienne ne connaît pas de "je" séparé du "nous" communautaire. Le célébrant, c'est à dire le président de l'assemblée et le chef de la communauté, y parle au nom de tous, étant uni à tous.» Les chefs de l'Église ancienne affirment d'autant plus leur autorité qu'ils la vivent dans une continuelle ouverture à l'Esprit de Dieu et en lien étroit avec la communauté des chrétiens.

À partir de la paix constantinienne, le clergé va certes bénéficier de nombreux privilèges, et les évêques vont pour partie être associés à l'administration séculière : notamment en matière de justice et de défense. Le danger de perversion de l'autorité évangélique est bien sûr immédiatement perceptible. Pour autant, même si déjà les prémisses d'une dérive se font sentir, Y.Congar insiste plus ici sur la continuité que sur la rupture. Les grands évêques de ces siècles, tels saint Ambroise, saint Augustin ou Grégoire le Grand, s'inscrivent pleinement dans une autorité d'essence transcendante, vécue dans l'humilité et l'esprit de service, et toute orientée vers la communauté. Du reste, «c'est des conciles et des papes du IVe et du Ve siècle que datent les formules fameuses : "Celui qui doit être mis à la tête de tous, doit être choisi par tous", "qu'on impose aucun évêque contre la volonté du peuple"». Les sermons d'Augustin témoignent de sa volonté constante de rendre compte à son peuple de sa ligne de conduite ecclésiale, tâchant toujours et dans la clarté, d'obtenir son consentement profond.

S'il y a un tournant décisif dans les doctrines ecclésiologiques en général et dans la notion d'autorité en particulier, c'est au XIe siècle, dans le prolongement de la vigoureuse réforme grégorienne, qu'Yves Congar le situe. Simultanément (et dira-t-on paradoxalement), cette réforme visait à la fois à purifier l'Église et à affermir son autorité propre et ses droits souverains, concentrés dans la personne du pape, face à l'autorité des rois et des royaumes. «L'Église n'est pas une servante mais une maîtresse», proclame Grégoire VII dans le contexte de la lutte du pape contre l'empereur Henri IV.

Il fallait donc imposer une solide assise juridique en ce sens : «Pour toutes ces raisons, la réforme du XIe siècle détermina un puissant mouvement d'études canoniques». Si cet essor du juridisme fut si puissant, c'est qu'il fut porté par une mystique et une théologie politique élaborées par des personnalités, du reste désintéressées, telles que les saints Anselme de Canterbury ou Thomas Becket : «Il s'agissait pour chacun d'eux, de la Justice absolue, c'est à dire d'une théonomie se traduisant dans un droit d'Église, et même plus précisément un droit pontifical.»

La mystique moderne de l'Église aboutit donc à l'autorité suprême du pape, à son droit souverain de juger les puissances séculières, et sous la permanence d'un même vocable, au changement de contenu de l'expression «vicaire du Christ». Des passages de l'Écriture sont savamment réinterprétés en vue d'être traduits en termes de droit et de justifier en cette optique la domination pontificale, tels Jérémie 1.10 : «Je t'établis sur les nations et sur les royaumes pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter»... Ou 1Co 2. 15 : «L'homme spirituel juge de tout et ne relève lui-même du jugement de personne»... Ou encore 1P 2.9 : «Vous êtes un sacerdoce royal.» 

Ce juridisme triomphant formalise l'autorité d'Église et la dissocie tragiquement de l'imploration de la grâce de Dieu dont elle procède pourtant. Yves Congar montre la gravité du mouvement à l'oeuvre dans ses conséquences pour l'Église comme communauté : «Le juridisme est le trait d'une ecclésiologie étrangère à l'anthropologie spirituelle, et où le mot ecclesia désigne moins l'ensemble des chrétiens que le système, l'appareil, ou le sujet transpersonnel de droit dont le clergé ou, comme on dit aujourd'hui, la Hiérarchie, mais finalement le pape et la Curie pontificale, sont les représentants. C'est un fait que "Église" désigne parfois, chez les théoriciens du pouvoir ecclésiastique ou de l'autorité papale, les clercs, les prêtres, le pape ; un usage du mot qui était totalement étranger aux Pères et à la liturgie. C'est un fait que, dans un très grand nombre de textes modernes, le mot "Église" désigne le gouvernement sacerdotal, voire simplement l'instance romaine de ce gouvernement, et se trouve distingué des fidèles, des hommes, et situé en dehors d'eux, au-dessus d'eux.»

Fustigeant la trahison en cours, le déploiement de force et de fastes, saint Bernard n'hésitera pas à écrire son indignation au pape Eugène III : «Tu te laisses accabler par les jugements à rendre en toutes sortes de causes extérieures et séculières ; je n'entends chez toi que jugements et "lois" ; tout cela, et les prétentions de prestige ou de richesse, vient de Constantin, non de Pierre...»

En vain. La dérive ne fait que s'accentuer aux XIVe et XVe siècles, et bousculée par la Réforme, l'Église se crispe d'autant plus, dès le concile de Trente, en concentrant davantage encore l'autorité papale, via une véritable mystique de l'autorité présupposant «l'idée d'une parfaite adéquation mise entre la volonté de Dieu et la forme institutionnelle de l'autorité». En même temps que se dégradent la réalité spirituelle vivante et la pastorale, toute la vie chrétienne ne se réfère presque exclusivement plus qu'au pape : «ce qu'il faut penser est donné dans les encycliques ; la liturgie est réglée par des documents romains (...) Les saints qu'on vénère sont ceux que Rome canonise ; les congrégations religieuses sollicitent leur statut à Rome (…) Rome surveille les publications, livres et revues, catéchismes même, et, éventuellement les fait cesser.»

 

Si la vie profonde de l'Église, dans toute la diversité de ses composantes et par l'indéfectible fidélité du Christ, n'a par ailleurs jamais cessé de réanimer le souffle de l'esprit évangélique, l'Église extérieure, la plus directement visible aux yeux des hommes, se fige alors dans son allure seigneuriale, s'empoussière de ses pompes, honneurs, privilèges, insignes et titres : «Peut-on bénéficier ordinairement de privilèges sans arriver à penser qu'ils sont dus, vivre dans un certain luxe extérieur sans contracter certaines habitudes, être honoré, adulé, traité en des formes solennelles et prestigieuses, sans se mettre moralement sur un piédestal ?»

Sans accabler celui-ci de tous les maux, il n'empêche que depuis Constantin, l'Église est au milieu de l'Empire dont elle a fini par intégrer et emprunter par mimétisme une grande part du vocabulaire et du décorum, jusqu'aux chaussures pontificales qui étaient les insignes des hauts fonctionnaires.

L'emprunt des insignes du pouvoir terrestre fut sur-accentué, on en a vu le contexte, sous le pontificat de Grégoire VII, s'arrogeant l'exclusivité du droit d'user des insignes impériaux ou la possibilité de porter dans les processions l'insigne qu'on appelle la tiare et autres insignes impériaux comme le manteau rouge et les chaussures rouges. Sous Boniface VIII (1294-1303), fut introduite la tiare à trois couronnes, dont la forme traduisait l'idée de monarchie pontificale.

Près de sept siècles plus tard et quelques décennies avant le signe François donné à l'Église, un certain Jean XXIII demandait si le moment n'était pas venu de «secouer la poussière impériale qui s'est déposée, depuis Constantin, sur le trône de saint Pierre» ; ce même Jean XXIII qui, contre toute attente, aura l'audace de nommer comme expert au concile le banni Congar, dont il fut imprégné de l'oeuvre.

Dans le même élan réformateur que le «pape bon», Yves Congar, en guise de conclusion de son livre et en humble prophète du renouveau, implore et annonce pour les hommes et l'Église de notre temps, une nouvelle irruption du feu évangélique sous la couche inerte de nos dorures et réputations mondaines, partout déjà craquelante : «Les phares que la main de Dieu a allumés au seuil du siècle atomique s'appellent Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld, les Petits Frères et Petites Sœurs, leur analogue de Taizé... Notre siècle de non-religion est aussi un siècle d'étonnant renouveau d'évangélisme. Il veut la vérité, l'authenticité, la simplicité de l'Évangile, et, dans ces conditions, il en accueille assez généreusement les exigences. Nous ne l'éblouirons plus avec du rouge et du doré, des blasons et des titres en « issime ». Nous sommes, par lui, acculés à vivre et à présenter la vérité de ce que nous professons croire et aimer de tout notre cœur (…) C'est de cela que les hommes ont besoin, c'est cela qu'ils attendent. Qu'on dresse, en effet, l'inventaire de leurs requêtes les plus valables au sujet de l'Église, on peut les résumer ainsi : que l'Église soit moins du monde et plus au monde ; qu'elle ne soit que l'Église de Jésus-Christ, la conscience évangélique des hommes, mais qu'elle le soit ! »

 

 SL-FCI

 

  

Commentaires

ROMAINS 13

> Alors que faire du fameux chapitre Romains 13 que beaucoup de pouvoirs ont utilisé dans le passé "pour s'avantager de l'autorité divine" ? il fait bien partie des sources néo-testamentaires, mais on le dirait en contradiction avec les Evangiles.

AM


[ PP à AM :

- Romains 13 parle des autorités civiles, censées faire appliquer le bien commun temporel.
Il recommande de payer ses impôts et de respecter les magistrats, ce qui n'est pas le contraire de l'Evangile : "Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu" ; Τὰ Καίσαρος ἀπόδοτε Καίσαρι καὶ τὰ τοῦ θεοῦ τῷ θεῷ. (Marc, XII, 13-17; Matthieu, XXII,21; Luc, XX, 25 ).
- Mais Ro 13.5 souligne que s'il faut obéir aux autorités civiles c'est "par motif de conscience" : d'où la possibilité de l'objection de conscience, voire plus, si ces autorités trahissent le bien commun et se font instrument du mal. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Aurélien Million / | 25/08/2014

AIDER CÉSAR

> Non seulement obéir à un acte de bon gouvernement, mais l'encourager, le conseiller.
Ce n'est pas une vertu passive qui nous est demandée.
"à César ce qui et à César", ce n'est pas "allez renvoie-lui son fric et qu'il nous foute la paix".
Mais donne à César les moyens qui lui reviennent (de droit !) pour qu'il puisse faire le bien ici bas, pour que la volonté de Dieu soit humainement faite sur la terre comme elle l'est au Ciel.
"Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu" : Il y a un parallèle entre César et Dieu mais César est sur la ligne parallèle du bas.
Alors payer l'impôt devient une charité comme l'est plus généralement la politique "le champ le plus vaste de la charité"
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Écrit par : E Levavasseur / | 25/08/2014

CHANGEMENTS

> Très intéressant. Merci.
Quelles conséquences concrètes attendre sur la papauté ?
Est-ce que la liturgie doit être touchée ?

Ludovic


[ PP à L. - Remettons-nous en sereinement à l'Eglise, inspirée par l'Esprit Saint ! 'Nova et vetera'... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Ludovic / | 25/08/2014

VATICAN II ET NOUS

> Salut en Christ,
En lisant cet article et surtout la fin où il est question d'un saint, un "certain Jean XXIII", je ne puis m'empêcher de considérer ce fort courant conservateur qui revient à la charge dans l'Eglise depuis quelques décennies déjà et qui tente de réinterpréter le concile Vatican II à sa façon, en l'anéantissant quelque part d'une manière subtile.
Nous vivons une époque particulière qui recèle un danger certain. Entre la démission des vieux soixante-huitards devenus bobos, qui ont perdu la foi ou presque, et les jeunes identitaires enragés qui renforcent les rangs des conservateurs, voire des réactionnaires, lorsqu'ils ont la foi - on peut d'ailleurs légitimement se demander s'il s'agit de la foi en Jésus, le vrai,celui des Evangiles ou s'il s'agit d'un Christ fagoté au service de leurs causes douteuses -
il doit bien encore être possible au chrétien tourné vers l'accomplissement évoqué par Yves Congar, de s'exprimer et d'agir dans l'esprit du Maître !

Pierronne la Bretonne


[ PP à P. la B. - Oh comme je suis d'accord avec vous sur tous les points ! Et comme cette modernité d'analyse m'enchante, de la part d'une camarade de Jehanne la Pucelle ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierronne la Bretonne / | 25/08/2014

> Merci Serge !
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Écrit par : Feld / | 26/08/2014

ICÔNE

> Merci infiniment petit frère Serge, pour ce beau travail, qui vient une fois de plus mettre une lumière sur mon chemin personnel aussi!
Cette icône de l'Eglise humble servante, que peint pour nous Yves Congar, en disciple de Saint Luc contemplant Marie, est je crois appelée à s'incarner dans toutes nos communautés ecclésiales.
Je pense par exemple aux légionnaires du Christ, dont le nom lui-même rappelle l'Empire romain et son esprit de domination, mais je pense aussi à nos familles chrétiennes, Eglises domestiques, parfois plus imprégnées du droit napoléonien que du souffle évangélique, et à la théologie du mariage, à décliner aussi sous ce mode du service amoureux.
Mais peut-être le Père Congar en parle-t-il dans ses écrits ?
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Écrit par : Anne Josnin / | 26/08/2014

LUMINEUX

> Merci Serge Lellouche ! Lumineux.
Comme le dit Anne Josnin, cela s'applique aussi aux familles, et aux structures qui les font (dys)fonctionner comme petites Eglises domestiques.
On peut et on doit aussi parler du monde de l'entreprise, où les cathos passent encore bien plus de temps qu'en famille.
Ce livre illustre aussi la démarche concrète de ceux qui sont engagés comme "serviteurs" dans l'économie sociale et solidaire, et plus largement, la petite minorité de ceux qui voient dans l'entreprise, conformément à la doctrine sociale de l'Eglise, d'abord "une communauté d'hommes et de femmes".
Si tous les cathos engagés faisaient pareil - en tant qu'épargnants, investisseurs ou entrepreneurs -, au lieu de suivre la pente naturelle de leur cupidité et détruire le bien commun à tour de bras, nul doute que le paysage spirituel, familial, social et économique de la France en serait radicalement changé.
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Écrit par : jwarren / | 26/08/2014

MATTHIEU 23

> Je me permets de poster ici l'Evangile de ce jour, lumineux et pertinent, par rapport à cette discussion:

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 23,23-26.
" Jésus disait : " Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qu'il y a de plus grave dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu'il fallait pratiquer sans négliger le reste.
Guides aveugles ! Vous enlevez le moucheron avec un filtre, et vous avalez le chameau !
Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous purifiez l'extérieur de la coupe et de l'assiette, mais l'intérieur est rempli de cupidité et d'intempérance !
Pharisien aveugle, purifie d'abord l'intérieur de la coupe afin que l'extérieur aussi devienne pur. "

Écrit par : jwarren / | 26/08/2014

ROMAINS 13

@ M. de Plunkett et @ M. Levavasseur,

> Merci pour vos réponses. Romains 13 semblait donner raison à certains médiévistes à ne voir dans le christianisme rien d'autre qu'un instrument de pouvoir.Ils appuient, justement, leur argumentaire sur la lecture que des autorités tyranniques ont faite de ce passage, pour justifier leur arbitraire, lecture peut-être biaisée, mais lecture qui a été faite.
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Écrit par : Aurélien Million / | 26/08/2014

PAROISSIEN

> Cinquante ans après, regard et interrogations d'un paroissien ordinaire, pas philosophe, pas théologien, sur l'air des temps.

Les relations entre les fidèles d'une paroisse, et entre ceux-ci et leurs prêtres sont-elles plus chaleureuse, amicales, directes? Dans les "grosses" paroisses de ville oui, à la campagne, non, car on se connaissait mieux dans un village que dans un secteur de 30 clochers. Incontestablement, les relations sont moins formelles, moins guindées. Quelle est la part des réformes, quelle est la part de la baisse des effectifs?

La centralisation a-t-elle disparu? Pas tant que cela, mais les noeuds de centralisation ont changé. "revanche des évêques sur les curés" selon le mot d'un théologien écclésiologue ami nullement conservateur: transfert du temporel, comptes bancaires compris, aux associations diocésaines, amovibilité des curés. Le professionalisme de le gestion du temporel est surement une bonne chose. La faiblesse des curés face à des réseaux de paroissiens qui ne s'entendant pas toujours leur rend parfois le vie difficile et cela, ce n'est pas bon du tout!

Mais quelle est la liberté des évêques eux-mêmes? De nos jours, on a un peu envie de décrire la vie de l'Eglise avec un vocabulaire d'entreprise à succursales ou filiales multiples: les évêchés, avec leurs services fort utiles mais contraignants pourraient être qualifié de "back offices". Quant à la structure de la CEF, ou la nécessité d'employer un langage commun à tous les évêques qui sont (heureusement!) fort différents produit des textes illisible tant ils sont tièdasses, conformistes et mal écrits. Et la structure de l'av. de Breteuil pourrait être appelée, dans le même jargon entrepreneurial "Church Management & Services Co". Les nécessaires rencontres qui en résultent produisent des évêques, non pas d'aéroport, mais de TGV.

Quant à l'autoritarisme, cela va mieux maintenant, mais les premières décennies d'après-concile ont vu, d'impératifs "fait ce que voudras", "il est interdit d'interdire" et "pas de liberté pour les ennemis de la liberté" dévaster la liturgie par la seule interdiction de ce qui était obligatoire peu avant et l'irruption de la sous-culture commerciale qui s'est engouffrée en ce domaine comme en d'autres en l'absence d'obstacles, et ravager le catéchisme par le pédagogisme.
Sur l'historique, entre Constantin et la réforme grégorienne, si évêques et abbayes sont devenus des puissances féodales, c'est en partie parce qu'il il y a eu la tragique succession de périodes d'anarchie dans lesquelles ces institutions ont représenté les seules autorités stables, Mais cela pouvait-il être évité sans abandonner le peuple à son malheur? Cela peut fort bien se produire en Afrique dans les prochaines décennies.

"Là ou il y a de l'homme, il y a de l'hommerie". Oui, nous devons toujours regarder vers le haut et nous purifier du goût du pouvoir. Gardons nous d'être trop sévères pour nos prédéceseurs. Eugène III, cistercien, a soutenu son ami Saint Bernard . L'évêque d'Assise a soutenu saint François contre son père, on pourrait multiplier les exemples. Les réquisitoires historiques créent les climats révolutionnaires. Nous avons vu ce que cela donnait dans les années 70 !
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Écrit par : Pierre Huet / | 27/08/2014

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