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11/07/2014

Le communautarisme et l'ethnique ont subjugué l'Etat

Dans Le Monde daté d'aujourd'hui, débat (en Avignon) sur "les nouvelles fractures communautaires" :

 


Surtitre : « Attention à ne pas abandonner l'identité, comme autrefois la nation, au Front national...» Le journaliste Nicolas Truong souligne que pour l'un des débatteurs – l'ethnologue Jean-Louis Amselle –, « les identitaires de droite (incarnés par le succès du FN) et les identitaires de gauche (représentés par les associations postcoloniales) sont l'envers et l'endroit d'un même travers, celui qui consiste à assigner l'autre à résidence identitaire. A fabriquer non du commun, mais du communautaire... » « Dérive qu'il faut arrêter dans une France divisée », conclut Truong. On pourrait lui objecter plusieurs choses : 1. les succès récents du FN s'expliquent moins par un sentiment populaire de perte de « l'identité » que par la carence civique et économique de l'Etat ; 2. la fixation sur l'identité est le fait de groupuscules, plus que celui du FN relooké ; 3. identité ethnique et identité nationale sont de natures différentes : jusqu'à la décomposition récente de l'Etat, la conscience nationale française n'était pas ethniciste. [1]

On pourrait également dire à Nicolas Truong qu'il faut, en effet, « arrêter » la « dérive » de l'ethnicisation... Mais que, pour cela, il faudrait ressusciter la conscience nationale française : la France comme unité de destin et comme solidarité civique. Or l'idée d'unité de destin s'opposerait au nouveau dogme officiel, qui réduit l'Etat au rôle de facilitateur des « diversités » : c'est-à-dire (entre autres) de l'ethnicisation. Et l'idée de solidarité civique s'opposerait à l'hyper-individualisme, produit de la société de marché qui a tout remplacé depuis le putsch ultralibéral des années 1990.

Cela dit, notons certaines réflexions intéressantes des deux intervenants, l'ethnologue Amselle et la « militante antiraciste » Rokhaya Diallo, à propos des répercussions ethniques de la Coupe du monde en France.

> Rokhaya Diallo : « Depuis 1998, on essaie d'investir l'équipe nationale de toutes les questions identitaires qui traversent la France. (...) Lorsque l'on est originaire d'un pays pauvre comme le Sénégal ou l'Algérie [2], le football est une occasion de vibrer pour le pays dont est originaire une partie de sa famille. Rien de plus. Je suis sûre que les citoyens qui brandissaient des drapeaux algériens lors des succès de leur équipe auraient été les mêmes qui auraient brandi des drapeaux français si la France l'avait emporté face à l'Allemagne. Les identités sont multiples et complexes. N'investissons pas le football de trop de symboles. Quand un joueur ne chante pas la Marseillaise dans un stade, je ne lui en veux pas car il ne me représente pas, je n'ai jamais voté pour lui. En revanche, lorsqu'un président dit ''casse-toi, pauvre con'', cela me heurte, car il est le représentant de l'Etat français. »

Mme Diallo met ainsi le doigt sur des réalités. Faisons-lui observer (comme hier à Pierre-Olivier Arduin) qu'elle néglige dans son analyse le facteur économique, pourtant décisif jusque dans le domaine des moeurs personnelles. M. Sarkozy dégradait la posture de chef d'Etat parce que, dans la société de marché, l'idée de « chef d'Etat » n'existe plus ; c'est le « venez comme vous êtes » et le « suis toutes tes émotions ». Inversement, on investit le sport (big business) de symboles qui le magnifient à outrance, car le marketing récupère et recycle ridiculement ce que le politique a laissé tomber. C'est ainsi que le capitalisme tardif dissout les cultures et les civilisations.

> Jean-Louis Amselle : « Le football est un révélateur des tensions sociales et politiques qui affectent un pays. Le football est un exemple de l'ethnicisation de la France et de la transmutation des problèmes sociaux en problèmes ethniques. (…) Mais l'angle social me paraît plus pertinent. Il faut bien voir que les footballeurs, avant d'être des milliardaires, ont souvent été des prolétaires, quelle que soit leur origine. (…) Cette appréhension des problèmes en termes ethniques et identitaires masque des choses fondamentales, comme l'appartenance des différents acteurs à des classes sociales. Attention à le pas jouer l'identité contre l'égalité... »

Observation utile ! À laquelle on peut ajouter ce que M. Amselle constatait quelques lignes plus haut à propos du phénomène Belghoul (il pourrait y ajouter les immigrés votant Le Pen) : « On a aujourd'hui des musulmans réactionnaires. Il n'y a plus forcément d'équivalence entre le fait d'être une minorité et le fait d'être de gauche. (…) On peut le déplorer mais, en même temps, on peut voir le côté positif en estimant que les minorités se sont intégrées dans le jeu politique français... » Ce qui nous ramène à la question centrale : la recherche désespérée, de la part des citoyens les moins riches, d'une règle du jeu nationale garantie par un Etat souverain ; règle du jeu zappée par les partis servant la société de marché (PS et UMP), mais brandie par la seule Marine Le Pen, ce qui explique le vote des pauvres en sa faveur. [3]

Ce débat était organisé par Le Monde en Avignon. Le 13 juillet, le débat suivant confrontera Régis Debray et Peter Sloterdijk et s'intitulera : Déclin de l'Occident ? Souhaitons que l'économique soit dans le collimateur.

__________ 

[1] La décomposition ethniciste de l'Etat a tout de même un précédent : les lois de 1940, 1941 et 1942 faisant des Français juifs des suspects et des citoyens de seconde zone. À cela on répondra que Vichy n'était pas la République.

[2] Le peuple algérien est pauvre. Il le serait moins s'il se débarrassait de l'oligarchie FLN, qui détourne et confisque (depuis plusieurs dizaines d'années) les ressources de ce pays.

[3] ça ne suffit pas à faire du FN (même relooké) une alternance plausible ! Il s'en faut de beaucoup.

 

 

11:10 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique

Commentaires

BIZARRE

> bizarre accord d'Amselle et de la droite libérale pour ne pas parler du rôle de la société de marché dans le sabordage de la République ! Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets des causes qu'ils chérissent...
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Écrit par : Amos / | 11/07/2014

"LA RÉPUBLIQUE" ET "LA FRANCE"

> Le § 2 de votre commentaire retient mon attention. Voici les réflexions qu'il m'inspire.
1) il me paraît regrettable que les orateurs du PS - y compris le Président - disent plus souvent : 'la République' que 'la France' ; à ce sujet, je me souviens d'avoir lu que, le 24 août 1944, à l'Hôtel de Ville, De Geulle répondit à Georges Bidault qui lui suggérait de proclamer la République : 'La République n'a jamais cessé d'exister !' ; mais De Gaulle disait toujours ; 'la Frsnce'.
2) On peut penser que la suppression du service militaire - devenu inutile, je le comprends - a privé la France d'un puissant facteur d'intégration, faisant manger les mêmes repas et coucher dans les mêmes dortoirs les fils de pauvres des banlieues et ceux des millionnaires de Neuilly... Mais je me trompe sans doute.
JCA


[ PP à JCA - L'axiome de la classe politique et de l'Education nationale est que, la France étant "née en 1789", "France" et "République" sont deux synonymes : ce qui fait de "la France" un concept idéologique et non une réalité historique complexe. C'est scientifiquement faux, puisqu'il était question de "la France" (en tant qu'entité transcendant les différentes classes sociales du royaume) au moins depuis les textes politiques du premier tiers du XVe siècle... Mais c'est une facilité autoritaire qui permet de récuser tout débat sur ce sujet. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Jean-Claude Alleaume / | 11/07/2014

RÉPUBLIQUE

> Il était question de la république bien avant la Révolution de 1789, y compris dans la bouche des rois. Personnellement, je préfère le mot « république », lequel a un contenu politique plus riche que « France ».
______

Écrit par : Blaise / | 14/07/2014

@ BLAISE

> J'aime bien aussi le mot de "République", à condition qu'on lui donne son sens étymologique de "Respublica", la "chose publique", en ce sens, rien d'étonnant que des rois aient pu le prononcer ou l'écrire.
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Écrit par : Aurélien Million / | 14/07/2014

@ JCA, la R(r?)épublique et la France

> Sur le service militaire envoyant tout le monde dans la même cantine et le même dortoir, il me semble que vous vous trompez.
Le savoir faire pour utiliser les diverses formules de contournement, sans compter les passe-droit éventuels, avaient depuis assez longtemps mis à mal ce mélange.
______

Écrit par : olivier brasseur / | 16/07/2014

COMMUNAUTARISMES

> Illustration des communautarismes: les bagarres particulièrement violentes entre pro-palestiniens et Ligue de Défense Juive.

Pour revenir au foutebol, un prêtre copte nous a dit que toute l'Egypte avait prié pour que l'Algérie soit éliminée, tant l'équipe que ses suppo(r)t(er)s y avaient laissé un sale souvenir!
Toute? peut-être une petite exagération?
______

Écrit par : Pierre Huet / | 16/07/2014

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