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12/03/2014

Avant le voyage du pape : impressions de Terre Sainte

...par Pierre Huet, qui revient d'un pèlerinage paroissial :

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Je m’y rendais en appréhendant que cette rencontre avec la vie terrestre du Christ soit occultée par la modernisation du pays. Il est vrai que l’urbanisation et l’équipement en autoroutes et LGV sont  galopants : hors du Néguev, la densité de population est quasi-urbaine, double de celle des Bouches-du-Rhône... Les villages évangéliques de Bethléem et Nazareth sont submergés par des aires urbaines de respectivement 60 000 et 210 000 ha. La Jérusalem moderne est immense, mais moins agressive qu’on pourrait le craindre, grâce à une réglementation remontant au mandat anglais, qui oblige à l’emploi de la si belle pierre calcaire de Judée pour les façades ; grâce aussi aux trouées que constituent les nombreux ravins. Mais on peut voir en d’autres endroits l’urbanisme sinistre des années 1960-70, ou l’ostentation m’as-tu-vu du XXIe siècle. Faut-il avouer que le pire que nous ayons vu comme modernité est l’église catholique construite au dessus de la maison de Simon-Pierre à Capharnaüm, soucoupe volante à laquelle sont greffés des pieds de plate-forme pétrolière ?

Sur la vie moderne, encore, contraste entre la discrétion de la publicité en Israël et son ostentation dans les territoires palestiniens...

Pourtant, nous avons pu échapper à tout cela grâce à l’amitié et la bonne humeur régnant dans notre groupe paroissial, auquel sa taille raisonnable donnait accès à de petits sanctuaires : ce qui apportait beaucoup au recueillement de nos messes quotidiennes. Grâce aussi au guide, un Israélien juif (nullement religieux et pourtant remarquable, y compris par sa connaissance du Nouveau Testament) ; à l’efficacité du chauffeur du car, un Israélien arabe chrétien ; et à l’accompagnement spirituel de nos deux prêtres. Nous avons ainsi vécu des moments forts : messes au bord du lac à Capharnaüm, dans une grotte du Champ des Bergers à Bethléem, au Dominus Flevit du Mont des Oliviers…Au Saint-Sépulcre, il a fallu du temps pour surmonter l’impression produite par le mauvais état (l’entretien étant paralysé par le « statu quo »), le partage minutieux de l’espace matérialisé par des murs visuellement désastreux, et, dans chaque zone, le partage du temps, attribué aux différentes confessions par le « statu quo » toujours. Nos prêtres ont pu concélébrer dans la chapelle des franciscains isolée du brouhaha.

Tous, nous avons découvert et admiré les œuvres d’Antonio Barluzzi, architecte de la Custodie de Terre Sainte, auteur de plusieurs sanctuaires de la première moitié du XXe siècle. Pastiches des styles d’antan, dira-t-on : mais si réussis, sans la démesure habituelle du genre, et tellement en accord avec l’esprit de chaque lieu !

Notre guide nous a, bien entendu, présenté les sujets d’actualité de façon fort désamorcée. La baisse du niveau de la Mer Morte ? Absolument naturelle, même s’il nous montra plus tard et non sans fierté la station de pompage du lac de Tibériade destinée à l’irrigation du Néguev. La sédentarisation des Bédouins du Néguev ? Purement spontanée, voyons... Il n’empêche que ce pèlerinage fut aussi une leçon de sociologie religieuse et de géopolitique nous apportant bien des surprises, comme d’apprendre la présence de nombreux chrétiens d’origine soviétique estampillés juifs, car ayant un seul de ses grands-parents juif, ou ayant corrompu qui il fallait ; officiellement 23 000, réellement beaucoup plus. Dans la discrétion, à la tombée de la nuit, avant la fermeture, des femmes portant un fichu blanc, souvent blondes et roucoulant une langue slave, viennent vénérer la Pierre de la Déposition….Chrétiens sans prêtres de leur langue.

Nous avions été éclairés sur ce sujet par une tonique conférence que Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine, nous a accordée et qui s’ouvrait par : « Si quelqu’un dit avoir compris ce pays, c’est qu’on lui a mal expliqué ». Ce qui ne l’empêche pas d’être inquiète devant la radicalisation des deux camps et ses possibles conséquences internationales... Evolution constatée aussi par les bénédictins d’Abu-Gosh (peut être l’ancien Emmaüs), qui reçoivent pour deux ou trois jours des conscrits envoyés par le service culturel de l’armée dans le cadre de leur initiation à la connaissance des autres religions. Certains refusent de mettre les pieds dans l’église, ce qui ne se voyait pas il y a quinze ans. Mais la communauté des Béatitudes de l’autre Emmaüs allégué, engagée dans ce même programme, ne rencontre pas cette difficulté.

Dans cet étrange état juif où, sauf le dôme de la nouvelle synagogue de Jérusalem, les seuls signaux religieux visibles et audibles  sont des minarets et des clochers, la présence des forces de sécurité est extrêmement discrète en regard de la situation : excepté le dispositif de surveillance du lieu saint de la discorde, l’Esplanade et son Mur de soutènement hérodien. Nous étions sur l’esplanade près de la mosquée Al Aksa et du Dôme de la Roche le lundi matin, quelques heures avant les incidents. Mais déjà, le passage d’un rabbin député avait provoqué un émoi bruyant parmi les groupes de musulmanes écoutant des enseignements.

Ce qui n’est pas discret, c’est le mur : pas celui du Temple mais le nouveau Mur de la Honte, balafre des collines de Judée, et son corollaire, les réservoirs d’eau surplombant les maisons de Bethléem pour faire face aux longues coupures. Le Mur, qui ne suit pas la frontière, a mis les collines, leurs vergers, leurs pluies et les vannes de distribution en zone israélienne. Pourtant, une belle initiative de paix et réparation signalée par Marie-Armelle Beaulieu : celle de rabbins récoltant les olives et les faisant parvenir à leurs propriétaires palestiniens, évitant que des terres ne soient déclarées vacantes.

A la suite de toutes ces visites, il est impossible de ne pas méditer sur la violence de l’histoire dans ce pays pourtant si beau. Ainsi Dieu a-t-il choisi de se révéler et s’incarner en cette Terre. Au catéchisme, on nous enseignait que c’était pour que l’unité de l’Empire romain facilite la diffusion de l’Evangile : le fameux « pour Lui marchaient les légions » de Bossuet... Oui, il y a sûrement de cela, mais pas seulement : force est de constater que l’Evangile a été proclamé au point de choc des grands empires pendant des millénaires, que le peuple d’Israël et sa Terre ont été l’objet de luttes de pouvoir internes féroces.

Depuis, « les siens » qui « ne l’ont pas reçu », juifs puis musulmans, se disputent une même Terre comme concentrée en un même Lieu Saint. Le rejet du vrai Messie a livré Jérusalem aux faux, entraînant des désastres de 70 et 135. Et demain ?

Quant à ceux qui l’ont reçu, ils y cohabitent et s’y chamaillent sans cesse. Comme des frères.

                                                                                        

                                                                                                       Pierre Huet

 

  

 

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