10/02/2014
Comment se déclarer "anti-système" aujourd'hui, mais... sans embarquer sur la Nef des fous ?
Narrenschiff (la Nef des fous), 1549.
Intéressante analyse d'une sociologue :
http://www.slate.fr/story/83113/anti-systeme-definition : cet article d'analyse publié par Slate intéresse par son réalisme. Il faut en effet désinfecter le concept de "système", devenu "mot-valise" (dit la sociologue) lesté de n'importe quels contenus.
Qui parle de « système » ? Trois sortes de gens, donnant à ce mot trente-six sens différents : 1. des analystes (p. ex. Michéa), lucides mais écoutés seulement dans des cercles intellectuels, et qui donnent au mot "système" un sens anti-libéral ; 2. des microgroupuscules, starisés par les médias en raison de leur extrémisme somnambulique, et qui disent "à bas le système" en rêvant à 1934 ; 3. des foules, spontanées et considérables, mais dont le ras-le-bol est si général qu'il exprime des réflexes contradictoires... D'où l'ineptie du slogan "coagulons les colères" : des chômeurs "coagulés" avec leurs licencieurs (qui les remplacent par de malheureux sous-payables importés des Carpathes), ce serait la Nef des fous en bonnets rouges.
La vogue actuelle du mot "système" n'a donc rien de révolutionnaire. Ni même de politique, au sens fort du terme...
La sociologue y voit plutôt le signe d'une attitude psychologique : celle de citoyens dépressifs qui s'en prennent à un "système" comme ils auraient maudit le Ciel au Moyen Âge. Leur réflexe n'est pas une offensive sociale ; c'est un repli désespéré.
Ces citoyens doutent, non seulement de l'avenir collectif, mais désormais aussi de leur avenir individuel. Ils se replient sur eux-mêmes : 75 % des sondés déclarent aujourd'hui se méfier "des autres", ce qui ne va vraiment pas dans le sens d'une coagulation. "Ce positionnement anti-système peut toucher toutes les catégories sociales par des biais divers: évasion fiscale, délocalisations d’entreprises, travail au noir, économies marginales, contournement des règles, et notamment celles qui lient à la solidarité nationale. Il signe l’affaiblissement des valeurs civiques dans un contexte où beaucoup de monde se sent floué par le système actuel et où chacun s’accuse mutuellement des maux de la société", observe la sociologue. Aussi colériques soient-ils, ces citoyens restent dans le monde mental hyper-individualiste imposé par vingt ans de néolibéralisme.
Tant qu'ils n'en sortiront pas, tant qu'un nouveau phénomène collectif ne leur offrira pas un désir inédit de solidarité (et une voie concrète de solidarité), les "colères" aveugles s'enliseront dans l'abstentionnisme civique par scepticisme envers tous les partis ; avec des embardées de violences inutiles, au profit de manipulateurs genre FDSEA ou de prédateurs genre Dieudonné. Mais c'est aussi avec "l’auto-organisation, les solidarités de proximité et, ne l’oublions pas, l’autodérision, qu’ils soignent leur âme et surnagent dans ce monde sans pitié", conclut la sociologue. La dérision est un réflexe inquiétant : c'est La Nef des fous, texte du plus noir XVe siècle, quand une société surnageante se dépeint comme allant au naufrage. Mais "l'auto-organisation" et "les solidarités de proximité" sont un signe encourageant. Là est le début de la voie. Ça suppose de comprendre ce qu'est le seul véritable système oppresseur : l'idole Argent, dénoncée par le pape François. J'en parlerai par exemple mercredi soir, aux AFC de Chalon-sur-Saône, et le 18 mars dans une paroisse parisienne.
12:14 Publié dans Idées, La crise, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : système, société
Commentaires
ASTÉRIX
> A leur manière, "Les aventures d'Astérix le Gaulois" sont aussi un excellent vademecum des solidarités de proximité, dans un monde en plein chambardement et globalisé.
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Écrit par : christophe b / | 10/02/2014
LE RAPPORT CEVIPOF
> Je suis tout à fait d'accord avec cette idée de "mot-valise" jamais vraiment défini, sur l'incohérence politique de la "coagulation des colères" qui réunirait dans un même élan de solidarité tous les "anti-système". Voilà qui ne mène pas bien loin, l'expérience en a été faite récemment.
En revanche, je me méfie de l'explication psycho-sociologique un peu systématique qui accréditerait presque l'idée d'une pathologie du peuple. J'y vois un réflexe de défense des élites qui, refusant de se remettre en cause et surtout de lâcher quoi que ce soit de leurs positions, accusent le peuple d'être malade.
Si je me réfère au dernier rapport Cevipof, si effrayant pour les élites que le Cese l'a partiellement censuré, j'y lis une défiance massive vis-à-vis des partis, des hommes politiques, des médias et globalement des institutions qui abritent les élites. Et je dirais que cette défiance n'est ni une pathologie, ni un repli sur soi, ni une poussée individualiste, mais qu'elle tout simplement une clairvoyance populaire.
De là à ce que le peuple pousse la clairvoyance jusqu'à comprendre qu'à la racine et au sommet d'une telle pathologie des élites, il y a la pathologie de l'argent, la dictature de l'argent, il n'y a qu'un pas à franchir. Pas forcément le plus aisé tant il est vrai que les symptômes sont toujours plus faciles à identifier que les causes.
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 10/02/2014
GRANDEUR
> Tout-à-fait d'accord avec vous Guillaume. Le peuple est aussi ce qu'on attend de lui. Que quelques uns croient en lui et se battent avec lui, et ils seront les premiers dépassés dans leurs espérances, tant il y a de grandeur qui s'ignore chez nos concitoyens.
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Écrit par : Anne Josnin / | 10/02/2014
L'ARGENT
> Guillaume, je partage vos réflexions.
Et quant au rôle de l'argent... Jusque tout récemment, je n'avais pas compris la parole de Jésus "nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et l'Argent". Je n'y voyais qu'un avertissement : l'argent risque de nous détourner de Dieu. Maintenant je comprends que selon nos actions, nous servons soit Dieu, soit l'Argent. Il n'y a pas de positionnement neutre.
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Écrit par : Barbara / | 11/02/2014
@ Guillaume de Prémare
> Oui, les mots-valises sont envahissants. Je pense en particulier à deux autres:
- "valeur" : employé au sens de vertu, but de vie, choix esthétique,
- "fragilité" : qui va de la faiblesse au péché délibéré, dont il est si pratique de ne pas parler.
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Écrit par : Pierre Huet / | 11/02/2014
SUISSE
> A rapprocher de ce sujet: le référendum suisse. Evidemment les uns récupèrent cette votation, les autres, plus nombreux, la diabolisent. S'agit-il d'un rejet raciste de personnes concrètes? probablement pas: les cantons qui on voté "oui" sont les plus ruraux qui veulent sauvegarder leur société de villages et petites villes. Le "Non", c'était surtout la Suisse des affaires.
PH
[ PP à PH - Et le bastion du 'oui' est le canton italophone qui veut réduire le nombre d'immigrants d'Italie du Nord.
Suisses italophones d'un côté, Italiens du nord de l'autre : le "racisme" n'a pas sa place dans cette affaire. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Pierre Huet / | 11/02/2014
à ANNE et GUILLAUME
> Attention, je n'ai évidemment pas voulu dire que "le peuple" était ceci ou cela ! J'ai simplement appuyé le diagnostic de la sociologue sur la vraie nature des mouvements de "colère" constatés dans les rues depuis quelques mois. Rien de plus.
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Écrit par : PP / | 11/02/2014
à PP
> Oui, j'avais bien compris. Mon propos n'était pas de t'attribuer de telles intentions mais de rebondir sur un aspect de l'analyse de la sociologue (l'approche psycho-sociologique) pour mettre en garde plus largement contre une tendance actuelle de l'anti-populisme qui consiste à attribuer au peuple des pathologies.
Aucun malentendu donc.
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 11/02/2014
@ PP, GdP, Anne, Barbara, P. Huet, Christophe b et tous ceux qui croient que le peuple de France n'a pas encore dit son dernier mot….
> Quand je regarde autour de moi (et pas que dans la cathosphère, loin, très loin s'en faut), je vois des gens qui désespèrent, qui se demandent où la déliquescence - qui relève le plus souvent du non-dit- du Politique va les mener.
Mais des gens qui en veulent, qui se donnent à fond dans leur travail, qui veulent bien faire les choses dans des conditions pas évidentes.
Des cadres de la fonction publique qui sont obligés de bosser jusqu'à 20-21 h très régulièrement, en raison des réductions d'effectifs drastiques que connaît le secteur public, j'en connais beaucoup… Alors qu'ils savent (enfin je l'espère) que, pour faire court, l'alpha et l'oméga de l'action publique actuelle, c'est l'adaptation de l'ensemble de la société à l'ordre marchand (les thématiques "conduite du changement" et "pilotage de la performance" sont à ce titre très porteuses...).
Il faudrait peu de choses, à mon sens, pour que le peuple se réveille. Pour le meilleur ou pour le pire ("furia francese" n'est pas un vain mot).
Mais, pour la première fois depuis des mois (voire des années ? ) je me dis que le pire n'est pas certain, que tout cela ne se terminera pas nécessairement dans un bain de sang :
http://www.libertepolitique.com/Actualite/Decryptage/Et-si-le-piege-de-l-immigration-se-retournait
http://www.henrihude.fr
Qui sait ? Peut-être dira-t-on, un jour, que c'est à cette occasion que les populations musulmanes sont entrées dans l'Histoire de France, dans le Roman national. Par la grande porte. Plus qu'en se faisant trouer la paillasse dans les tranchées de la Grande Guerre ou qu'en débarquant en Provence. Ce sont elles qui ont emporté la décision, qui ont fait reculer le gouvernement, en rappelant à la France sa vocation profonde : la défense de l'Universel, envers et contre tout.
Certains diront que cette "reculade " de FH est inquiétante…un peu comme si ce dernier, implicitement, avait désigné les musulmans comme les futurs maîtres du pays.
Mais je crois qu'il faut espérer et…évangéliser.
Quoiqu'il en soit, cette "union sacrée" de 2014 est riche de promesses. Paradoxale, inattendue…comme l'écrit H. Hude, elle rend la démarche de contestation adoptée par l'extrême-droite "vieillotte". En plus, elle n'entre pas dans le "logiciel" des milieux dirigeants ; cette idée d'une défense des valeurs fondatrices de la société au-delà des appartenances religieuses, c'est plutôt traditionnellement FM non ?
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Écrit par : Feld / | 11/02/2014
INCENDIE ?
> je me permets comme antidote de répondre à la question posée par ce remarquable article :
http://www.mediapart.fr/journal/france/140214/juifs-homos-noirs-roms-musulmans-l-extension-du-domaine-de-la-haine
La spirale, qui n'est autre qu'une technique de gouvernement, y est magistralement décrite.
Pour nous tous, cela vaut leçon; contribuer à attiser le feu, de quelque façon que ce soit, ôte tout recours le jour où l'incendie gagne.
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Écrit par : Haglund / | 15/02/2014
@ Haglund
> Et puis, à quoi bon attiser la haine là où elle prospère déjà si naturellement ...
http://www.lemouv.fr/diffusion-twitter-le-feminisme-et-la-dictature-des-indignes
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Écrit par : luc2 / | 15/02/2014
@ luc2 :
> que voulez vous dire ? Je ne vois pas le rapport.
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Écrit par : Haglund / | 15/02/2014
@ Haglund
> Ben, c'était le but du papier de Mediapart, non? Dénoncer toutes les haines.
J'essayais modestement de contribuer.
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Écrit par : luc2 / | 16/02/2014
@Haglund
> haine ? Je crois que la meilleure façon de provoquer un rejet ou la colère (sans nécessairement aller jusqu'à la haine) est de décréter que des choses marginales sont centrales, ou que des choses a-normales le sont ...
Ceci étant, il y a aussi des spécialistes de la recherche de chocs pour pouvoir ensuite s'autoproclamer discriminés, martyrisés ...
Un extrémiste "se distingue" par le fait qu'il ne cherche jamais le consensus ou le débat, mais l'affrontement [physique autrefois, verbal dans nos société plus "civilisées" , ou par "buzz" maintenant] !
[toute ressemblance avec certains de nos gouvernants serait purement fortuite.]
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Écrit par : franz / | 16/02/2014
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