23/07/2013
Face à François : au Brésil comme ailleurs, le masque cool de l'ultralibéralisme
Ne pas confondre Anonymous et jeunes Brésiliens en colère :
Le peuple brésilien accueille le pape avec joie, et les porte-parole des mouvements de jeunes ont dit nettement qu'ils comptaient sur lui dans leur lutte pour la justice sociale et l'honnêteté.
Mais les jeunes en colère ne sont pas seuls sur le terrain. Il y a aussi les très discutables Anonymous, dont l'idéologie ultralibérale illustre les divergences entre les courants contestataires aujourd'hui... Loin de combattre au nom de la nature humaine, les Anonymous s'en prennent aux « lenteurs » de la société actuelle qui ne nie pas encore assez – à leurs yeux – les données de cette nature humaine.
Les jeunes en colère accueillent François avec sympathie. Les Anonymous proclament qu'ils vont manifester contre lui. Proches des libertariens nord-américains, ils sont décrits par l'enquête de Cédric Biagini dans La Décroissance d'avril 2012 (Anonymous, le nouveau visage du capitalisme). Extraits :
<< Ils incarnent un ''nouveau militantisme'' détaché de tout véritable engagement [...] Okhin, ''cyber-punk'', nous le confirme : ''On est une génération de joueurs, de gamers, qui sautons de niveau en niveau, comme dans un jeu vidéo...'' >>
<< Ils ne constituent en rien une contre-culture. Bien au contraire, ils baignent dans l'industrie du divertissement... Pur produit des industries culturelles dominantes, ils ont organisé ce qui est considéré comme ''la plus grande attaque DDoS de l'histoire d'Internet'' (wouaaah!) lorsque le site Megaupload a été fermé le 19 janvier 2012 par la justice américaine pour avoir violé les lois sur le copyright. Cette plateforme de téléchargement permettait à des dizaines de milliers de consommateurs de pouvoir disposer gratuitement et instantanément de tous les morcaux de musique, séries, films... qu'ils désiraient (4% du trafic internet mondial!). Un immense supermarché de la culture de masse où l'on remplit son disque dur plutôt que son caddie [...] Le paradis de l'hyperconsumérisme ! Que l'on puisse empêcher l'accès à tout ce bonheur a paru insupportable. La fermeture de Megaupload a suscité une indignation qui montre l'emprise de la culture de masse sur les esprits. Visionner le nouvel épisode de Grey's Anatomy est devenu plus compliqué. Il faut fouiner sur le web, attente insupportable qui sera un jour considérée comme un crime contre l'humanité... Toute limitation de ce que la technique permet – dans le cas présent, échanger et mettre à disposition des fichiers de morceaux de musique, de films... – est considéré comme liberticide. Toute idée de limite est devenue impensable. >>
<< Mais ce qui surprend le plus, dans l'affaire Megaupload, est le soutien apporté par les Anonymous à un site qui a permis l'enrichissement de quelques escrocs. Selon le FBI, son activité aurait généré plus de 175 millions de dollars de profits via les abonnements et la publicité... Pour les hacktivistes, il y aurait donc le mauvais et le bon capitaliste. Le premier représente la vieille économie, fondée sur la propriété et régie par le droit, alors que le second incarne l'avenir et le capitalisme de l'accès, une économie libéralisée au maximum et débarrassée de nombreux intermédiaires... L'argent ne se fait plus avec les contenus en tant que tels mais avec ce que l'on paie pour y avoir accès [...] et avec l'achat de prothèses technologiques toujours plus nombreuses et obsolètes à peine commercialisées. La nouvelle bourgeoisie numérique a compris qu'elle devait détruire tout ce qui pouvait freiner sa marche en avant. Tout, pourtant, dans ce monde qualifié d'archaïque par les hacktivistes, va dans leur sens : institutions [...], multinationales, start-up, école, monde du livre, industrie du divertissement... investissent dans le numérique, dématérialisent, fluidifient les échanges et réduisent leur champ d'intervention à faciliter l'accès des prothèses technologiques à un maximum d'informations et de données. Mais ça ne va pas encore assez vite pour eux. >>
<< Ces hacktivistes, hyper-adaptés aux mutations techno-économiques (de nombreux Anonymous travaillent d'ailleurs dans les nouvelles technologies), représentent l'arête tranchante des nouveaux business models. Ils accompagnent l'avènement du nouvel âge du capitalisme dont les maîtres ne craignent rien. >>
Voilà ! Vous en savez un peu plus sur ceux qui, à Rio, refusent de partager l'allégresse des autres devant la visite de François.
17:59 Publié dans Idées, Société | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : brésil, pape françois, anonymous
Commentaires
MERCI
> Merci de ces précisions !
______
Écrit par : Edson / | 23/07/2013
> Mais que représentent-ils face aux deux millions de jeunes attendus autour du pape?
______
Écrit par : grzyb / | 23/07/2013
NAMELESS
> A propos d’Anonymous… le bébé de William et Kate, futur roi d’Angleterre, n’a toujours pas de prénom… Il est lui aussi, littéralement, un « anonymous » ! M’enfin, à c’t’heure, son prénom devrait être connu du monde entier ! Choisir le prénom d’un nouveau-né, c’est donc si difficile ?
Loin de moi l’idée de considérer la famille royale britannique, William et Kate en tête, comme des benêts. Mais qu’ils nous expliquent alors pourquoi il leur faut tant de temps pour se décider sur le prénom du royal enfant (mystérieuse tradition des souverains britanniques : le « suspense » dura un mois dans le cas du prince Charles). Cet enfant est déjà muni de ses date et heure de naissance et sans doute d’un très distingué numéro de sécu (du genre 001KOE, lequel ravira la « bourgeoisie numérique ») – alors quoi, where is the problem ?
Car il y a forcément une raison à cette hésitation, une raison dont on se demande si elle ne serait pas inavouable… – vu le peu d’empressement de la famille à la donner, et la timidité des médias à la demander !
Hypothèse gratuite d’un Français forcément jaloux : cette raison aurait-elle à voir avec la dictature de la machine et de la technologie qui marque la nation britannique, le fonctionnement de son économie financiarisée aussi bien que la réussite substantielle de ses champions olympiques et cyclistes (« substantielle » en raison des substances absorbées) ? Bref, j’imagine (avec la mauvaise foi qu’on me connaît) le sort actuellement fait au bébé royal : ADN décortiqué pour évaluer les impotences potentielles, test de QI spécial nouveau-né, analyses astrologiques pointues… histoire de faire un portrait robot du nouveau-né !
Quoi qu’il en soit, je bénis ce Royal Anonymous et lui souhaite une longue et heureuse vie au service de son peuple – pardon : à la tête de ses sujets !
______
Écrit par : Denis / | 23/07/2013
WEE WEE
> à Denis - De toute façon ce n'est que l'arrière rejeton du wee wee german lairdie.
______
Écrit par : bonnie boat / | 23/07/2013
> A toast : the king over the water !
______
Écrit par : Montrose / | 23/07/2013
> and another to Flora McDonald.
______
Écrit par : Prestonpans / | 23/07/2013
LES ANONYMOUS
> Bien utile mise au point. Il me semble qu'en France au moins, ils passent de mode, on s'y réfère moins.
______
Écrit par : Pierre Huet / | 23/07/2013
NUANCE ?
> J'avais cru lire que les Anonymous ne manifestaient pas contre le pape mais uniquement contre les dépenses faites à cette occasions par le gouvernement. Bon certes les 2 sont liés, mais la nuance n'est pas possible ? Comme tout mouvement "d'opposition", ils se doivent d'agir pour exister, en agissant le chiffon rouge du coût pécunié du voyage du pape, ils trouvent là un bonne occasion.
Certes les JMJ on un coût, mais qu'est-il en regard des forces positives qu'elles font lever ?
Accepter de les regarder sous cet angle sans en rappeler les autres c'est se placer dans le raisonnement de l'adversaire, et donc entrer dans la défaite. Attention à ne pas nous laisser enfermer.
(Qt au "royal anonymus", pour moi cela reste dans la page faits divers, je n'en saisis pas le rapport)
______
Écrit par : franz / | 24/07/2013
TROP BIEN
> Merci pour cette mise au point en effet. Je n'ai jamais compris qu'on porte au pinacle comme héroïques défenseurs de la liberté des personnes qui se mobilisent à peu près exclusivement pour défendre le droit à consommer du divertissement sans limite, et assimilent la liberté à celle de télécharger sa dose de drogue-plaisir...
Ou plutôt, je ne le comprenais que trop bien...
Nuançons toutefois quelque peu - leur combat contre la constitution de fichiers de données relatives à nos vies privées constitue, à tout le moins, une convergence d'intérêts. Même si on se demande de plus en plus si les Anonymous ne rejettent ces fichiers que parce qu'ils permettent de traquer les adeptes du téléchargement massif de produits de loisir.
______
Écrit par : Phylloscopus / | 24/07/2013
PARADOXE
> Un « paradoxe » malheureux : Au Brésil, depuis la fin des années 2000, l'intensification des échanges commerciaux avec la Chine et la croissance de l'économie se sont accompagnés d'un recentrage sur le secteur des matières première et d'une désindustrialisation précoce.
______
Écrit par : Blaise / | 26/07/2013
L'EXEMPLE ARGENTIN ?
> Comme le remarquait Pierre Salama dans son étude de 2012 sur la « désindustrialisation précoce » du Brésil (« Chine-Brésil : industrialisation et "désindustrialisation précoce" » (p. 4), FMSH-WP-2012-06, mars 2012 http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/68/48/34/PDF/WP-2012-06_Salama.pdf), « La croissance économique n’est pas synonyme d’industrialisation croissante. » Et force est de constater qu'au Brésil, à l'inverse de la Chine, « qui mêle des activités d’assemblage et des percées dans la remontée des filières de production », la voie suivie « semble délaisser les activités de moyenne et haute technologie au bénéfice de celles à basse intensité technologique, sauf dans quelques secteurs. » (p. 7)
Pour Salama, le Brésil pourrait enrayer le processus de désindustrialisation dans lequel il s’est engouffré en s’inspirant de l’exemple argentin. En effet, « Si les forces du marché sont laissées libres de fixer les prix et d’orienter les investissements, la probabilité qu’un processus de «désindustrialisation précoce» ait lieu est élevée. Si l’Etat intervient sur plusieurs variables (taux de change, taux d’intérêt, politique de subventions ciblées, développement accéléré des infrastructures compte-tenu des retards accumulés, enfin mesures protectionnistes temporaires et ciblées) alors les conditions de reprise de l’industrialisation sont réunies. » (p. 22)
Mais la croissance elle-même fait désormais défaut avec la réduction des importations chinoises : « A l'exception de quelques rares secteurs, l'industrie brésilienne est de moins en moins compétitive. Cependant, la contrainte externe a peu joué jusqu'à récemment, grâce à la vente des matières premières. Ce n'est plus le cas aujourd'hui avec le ralentissement de l'activité en Chine. » (« Brésil : entre mythes et réalité », ‘Alternatives Economiques’, n° 326 - juillet 2013 http://www.alternatives-economiques.fr/page.php?controller=article&action=htmlimpression&id_article=64431&id_parution=1225). Les brésiliens vont avoir du mal à sortir de ce pétrin.
______
Écrit par : Blaise / | 26/07/2013
Les commentaires sont fermés.