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03/01/2013

Le livre du P. Venard - 2/3 : judaïsme et christianisme

 Pour se libérer des quiproquos :

christianisme,catholicisme,terre sainte




 

christianisme,catholicisme,terre sainteL'un des amis-contradicteurs juifs du dominicain israélien Marcel-Jacques Dubois [1] était l'un des grands intellectuels d'Israël : Yeshayahu Leibowitz, 1903-1994 (photo) [2]. Un personnage hors du commun, lui aussi. Scientifique et philosophe, sioniste mais à sa manière, il accusait de corruption le système politique israélien et condamnait la présence de Tsahal dans les Territoires ("l'occupation détruit la moralité du conquérant"). Leibowitz tirait sa politique de sa conception religieuse très "orthodoxe": admirateur de Maïmonide [3], il professait l'observance rigoureuse des préceptes de la Loi par désintéressement absolu : à ses yeux, servir Dieu de façon émotionnelle et pour obtenir Ses bienfaits relevait de l'idolâtrie. D'où son aversion envers l'idéologie nationale-religieuse et l'ethnicisme. D'où aussi son aversion polie mais radicale envers le christianisme, ainsi décrite par le P. Venard dans Terre de Dieu et des hommes (éd. Artège) :

« Le tabou du Christ reste présent dans le monde intellectuel juif. La position d'un aussi grand esprit que Yeshayahu Leibowitz est stupéfiante : dans la figure de Jésus – dont il met l'existence historique en doute – il voit avant tout une machine de guerre de l'hellénisme contre la tradition juive. Après lui, un professeur de l'université de Tel Aviv a passé quarante ans de recherches pour finalement conclure... qu'on ne sait pas si Jésus a existé. Au cours de sessions d'études inter-religieuses, j'ai parfois senti une pointe de paternalisme chez mes interlocuteurs juifs lorsqu'il était question des dogmes chrétiens. Ces derniers leur apparaissent souvent comme d'irrationnelles croyances liées à la dimension ''féminine'' et extatique du christianisme en quête d' ''expérience'' religieuse – le judaïsme avec sa Loi étant compris comme la religion des mâles... »

Mais "aujourd'hui le contexte a changé", indique le P. Venard. Des savants juifs [4] "se réapproprient le Nouveau Testament comme une part de leur mémoire nationale, longtemps occultée dans la diaspora". Au fil des publications et des rencontres de travail juifs-catholiques, "peu à peu les différences dans la conception de Dieu, de la Révélation, de la Loi, peuvent être précisées... Dans ce nouvel espace de liberté, les intellectuels juifs étudient l'élaboration de la foi en Jésus au cours des premiers siècles, sans réduire trop vite la christologie orthodoxe au placage de catégories grecques sur une littérature juive, ni à des jeux de pouvoir entre les grands des Eglises ou de l'Empire".

Sans la judéité de Jésus, on ne peut rien comprendre aux origines du christianisme : mouvement spirituel juif, exprimé par des juifs dans le langage des Ecritures juives, autour des témoins juifs d'un événement (la résurrection de Jésus) survenu dans la capitale des juifs !

Encore faut-il garder au centre de tout – en pleine lumière – cet événement de la Résurrection, creuset de la foi chrétienne. Ce que ne peuvent évidemment admettre, en 2013, nos interlocuteurs juifs... D'où une ambiguïté soulignée par le P. Venard : "l'ancien 'supersessionnisme' chrétien, cette posture théologique qui consistait à déclarer totalement obsolète l'Ancienne Alliance après Jésus, semble remplacé par son symétrique juif. Nous avions réduit le judaïsme à n'être qu'une étape dans l'histoire du salut, organe-témoin de l'ancienne dispensation de la faveur divine, devenue caduque une fois la grâce advenue dans le Christ ; voici Jésus réduit aux proportions d'un rabbi d'exception, et la doctrine chrétienne à des spéculations […] venues a posteriori de la perte de sa culture juive première par l'Eglise, mais ayant ainsi permis à la lumière de la Tora de se répandre dans le monde entier."

Logique (et même novatrice) de la part d'intellectuels juifs, cette vision est absurde de la part d'intellectuels chrétiens : or on l'a vue apparaître, au tournant des années 2000, chez un petit nombre d'entre eux. On a même vu certains commentateurs catholiques des Ecritures prétendre interdire, parmi tous les niveaux légitimes de lecture des Prophètes, la lecture préchristologique : lecture pourtant nécessaire, attestée depuis la primitive Eglise judéo-chrétienne... et par Jésus lui-même : "Esprits sans intelligence, coeurs lents à croire ce qu'ont déclaré les prophètes ! Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait." (Luc 24, 25-27).

Si des érudits se sont cru permis de blackbouler saint Luc, le livre du P. Venard – plus érudit qu'eux – remet les choses à leur place :

« Aujourd'hui on a une conscience plus vive de la diversité du judaïsme ancien, grâce aux manuscrits de la mer Morte en particulier. Un auteur comme Daniel Boyarin n'hésite pas […] traquer l'influence réciproque des judaïsmes rabbinique et ''catholique'', osons cette expression, jusque vers l'époque de Constantin. La prétendue opposition entre ''pensée sémitique'' et ''pensée grecque'' utilisée autrefois pour analyser nos textes et reconstituer l'histoire du christianisme primitif, ressemble de plus en plus à une illusion rétrospective. Bien des passages que l'on croyait devoir "purifier" des influences gréco-romaines pour retrouver le vrai Jésus sont en réalité plausibles dans la bouche d'un juif du Ier siècle. Plusieurs textes où l'on détectait de l'antijudaïsme relèvent de la polémique intrajudaïque, très âpre à cette époque. L'interdépendance des approches juives et chrétiennes est aujourd'hui frappante. Nos amis de l'Université hébraïque de Jérusalem ont publié un beau livre dans une de nos collections, sur la réception juive du Sermon sur la montagne. L'Ecole biblique et l'Université hébraïque ont un séminaire conjoint sur les textes du Nouveau Testament comme "littérature juive de l'époque du Second Temple". […] De plus en plus, Jésus apparaît comme celui qui nous unit autant que comme celui qui nous divise. Et le lieu principal du dialogue judéo-chrétien est aujourd'hui l'étude en commun. »

Sommé par le monde d'être capable "de donner les raisons de son espérance" [5], le chrétien de 2013 n'y parvient que s'il a su (si on l'a aidé à) "se décentrer de la culture moderne pour entrer dans la culture juive du temps de Jésus", indique le P. Venard. Ce sera l'objet de la troisième note.

 

 

Demain, note 3/3 :

 Terre Sainte, source de la théologie catholique

 

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[1] cf. note d'hier.

[2] Entre autres ouvrages : Judaïsme, peuple juif et État d'Israël, 1979, Lattès 1985 ; Devant Dieu, cinq livres de foi, Cerf 2004 ; La foi de Maïmonide, Cerf,1992 ; Israël et Judaïsme Desclée de Brouwer1993 ; Peuple, Terre, État, Plon 1995. Dans ce dernier livre, il écrit :« Le peuple juif, qui est-il aujourd'hui? Je ne sais pas répondre empiriquement à cette question, et il n'existe ni personne, ni instance autorisée, capable de la poser et d'y répondre sur une base normative. Ce n'est pas à la création synthétique, produite par l'appareil d'État à partir des personnes qui vivent dans son cadre ("le peuple israélien"), que la question est posée, mais à ce qui prolonge cette donnée historique : le peuple juif.»

[3] HaRav Moshé ben Maïmon ("Rambam"), rabbin du XIIe siècle, commentateur de la Mishna, médecin, philosophe (aristotélicien), surnommé par les juifs "le second Moïse" et par saint Thomas d'Aquin "l'Aigle de la Synagogue". Principaux ouvrages : le Guide des Egarés et le Traité des Huit Chapitres, introduction philosophique au Traité des Pères. Ce "scolastique juif" influença la scolastique chrétienne (Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Duns Scot). "Toute son œuvre vise à réconcilier la philosophie aristotélicienne et la science avec les enseignements de la tradition juive" : en parallèle avec l'oeuvre du thomisme chez les intellectuels chrétiens médiévaux.

[4] Après Joseph Klausner, David Flusser, David Stran, Guy Stroumsa, ou le rabbin new-yorkais Jacob Neusner dont le livre Un rabbin parle avec Jésus (Cerf 2008) - recommandé par Benoît XVI pour sa netteté - devrait être lu par chaque chrétien soucieux de s'informer.

5] Cette phrase de la première lettre de Pierre déplaît aux irrationnels. Mais on ne doit pas confondre obscurantisme et humilité.


 

Commentaires

LE RABBIN ET LE CARDINAL

> Un regard sur Jésus particulièrement émouvant :
"Son apparition dans le monde eut un effet bouleversant. On ne peut l'expliquer que par une personnalité d'une force et d'une puissance prodigieuses. Cet homme avait une profonde et écrasante conscience de Dieu. Tout ce que l'âme humaine possède de force spirituelle était, en Jésus, porté à un degré d'intensité inconnu chez tout autre."
Il s'agit du rabbin Gilles Bernheim' dans son livre dialogue 'Le rabbin et le cardinal (Stock 2008) p. 107.
Et une approche étonnante dans ses 94 lettres commentaire du Cantique des cantiques, celle du père Louis-Marie Baudouin (1765-1835), prêtre de Luçon insermenté et exilé en Espagne pendant la Révolution, en route pour la béatification. " La reconnaissance de Jésus par les juifs sera une rencontre entre juifs, la reconnaissance de Joseph par ses frères, ou les épousailles de Jacob et de Rachel. Et les gentils qui seront « comme les compagnes de ce beau mariage », rescapés de l’apostasie générale des nations (...) seront passés par une expérience d’humilité qui les aura guéris de toute superbe par rapport aux juifs. Ce sera l’application de la métaphore paulinienne de l’olivier : « Ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine qui te porte.»

http://www.zenit.org/article-32913?l=french
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Écrit par : Isabelle / | 03/01/2013

GNOSTIQUES

> Un apport décisif de la recherche concerne le gnosticisme : longtemps considéré comme issu du monde grec et postérieur au christianisme, les historiens en sont venus à le considérer comme juif à l’origine et antérieur au christianisme. L’exploitation des rouleaux de Nag Hammadi et de Qumrân a permis une meilleure connaissance de celui-ci.
Un ouvrage d’André Paul préfacé par Mgr Joseph Doré, "Qumrân et les esséniens : l’éclatement d’un dogme" (Paris, Cerf, 2008) aborde la question, entre autres choses :
" […] Une connaissance concertée des études menées depuis un bon demi-siècle sur l’un et l’autre corpus [les manuscrits de Nag Hammadi et ceux de Qumrân] révèle l’importance des deux conjugués pour l’approche de la gnose antique. On perçoit que les écrits dits de Qumrân attestent eux-mêmes une authentique filière gnostique. L’existence d’un gnosticisme judaïque préchrétien était déjà bien admise. On la repérait surtout dans la littérature judéo-grecque ou dans les œuvres d’apocalypse. Désormais, le fait est à même d’être confirmé, précisé et éclairé grâce à certains des textes venus des grottes, annonceurs de la communauté idéale ou témoins de la veine littéraire dit sapientielle. […] " (p. 126)
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Écrit par : Blaise | 03/01/2013

ESAIE 53

> La césure entre judaïsme et christianisme trouve une de ses racines, dans l’interprétation d’Esaïe 53, selon que le serviteur souffrant est soi l’incarnation annoncée - dans Daniel avec la fameuse prophétie des 70 semaines qui situe son apparition dans l’histoire - du Verbe, soit le peuple Juif selon notamment Rachi.
Réalité concrète de la connaissance sur la personne de Jésus comme cela est exposé dans Luc (à noter que le Père de Jean-Baptiste est de la lignée d’Aaron et officie au temple, un des parents de Marie est forcément lui aussi de cette lignée prestigieuse puisque Elisabeth est sa cousine, les autorités officielles religieuses de l’époque, ne détrompent pas Hérode sur la naissance annoncée du roi, etc. etc.). L’apparition du Messie était attendue, l’époque décrite dans Daniel étant tout simplement – tout simplement - à son terme. L’Eglise de l’époque – le sanhédrin – savait de quoi il retournait, malgré le doute et l’hostilité de certains, l’incompréhension est venue de la fin tragique de Jésus, ils attendaient un libérateur politique et non un crucifié. Et depuis c’est l’incompréhension, la jalousie réciproque, la persécution des Juifs par les Chrétiens lorsque ceux-ci ont commencé à avoir le pouvoir à compter du quatrième siècle, Jean-Paul II a été très clair là-dessus. Cf notamment les ouvrages « l’alliance », « la promesse », du Cardinal Lustiger. La suite, dans le prochain numéro des exploits de la providence…
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Écrit par : illingen / | 03/01/2013

MARGUERAT

> La façon dont certains auteurs chrétiens s'y prennent pour replacer le Christ dans son milieu juif peut laisser parfois dubitatif. Tel Daniel Marguerat pour qui ce n'est pas la messianité ou la divinité de Jésus qui expliquerait la décision prise par le Sanhédrin de le livrer aux autorités romaines, mais sa remise en cause des règles de pureté séparant les juifs des nations. La personne du Christ n'aurait donc pas été l'objet de conflits entre juifs.
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Écrit par : Blaise / | 03/01/2013

@ Blaise

> Oui, sans oublier ceux qui vous expliquent que les lions n'ont jamais existé et que le chrétiens n'ont jamais été persécutés par les Romains.
Argument : les Romains ne connaissaient pas le contenu de la foi chrétienne donc il ne s'agit pas de persécutions religieuses.
C'est ce qu'on appelle une pirouette.
Pour Jésus c'est très clair :
- Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire, si tu es le Christ, le Fils de Dieu.
- Tu l'as dit ; en outre, je vous le dis, désormais vous verrez le fils de l'homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel.
Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, en disant :
- Il a blasphémé ! qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Voici, vous avez maintenant entendu le blasphème. Que vous en semble ?
- Il mérite la mort !
St Matthieu chap 26 versets 57 à 66.
Je suggère donc à Daniel Marguerat de prendre connaissance des Evangiles ; pour un bibliste, ça peut être utile ....
Et qu'on ne vienne pas dire que citer l'évangile est impropre en la matière car "orienté". Pour l'évangéliste et plus largement le croyant, que Jésus ait été condamné pour telle ou telle raison de son prêche est sans importance :
- Jésus est venu s'offrir en sacrifice pour sauver tous ceux qui le désirent (sa mort n'est pas un incident de parcours, ça devait arriver)
- La mauvaiseté, le péché des hommes l'a envoyé à la mort (des juifs et des romains de l'époque ont été les acteurs d'un crime commis par toute l'humanité et tous nous n'avons qu'a demander pardon pour être pardonnés), par conséquent, que ce soit sous prétexte de se dire le messie ou un autre prétexte, ils voulaient le tuer pour ne pas avoir à reconnaître qu'ils devaient se convertir, voyons plutôt :
"le grand prêtre et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoignage contre Jésus, pour le faire mourir et ils n'en trouvaient pas, bien que plusieurs faux témoins se soient présentés."
C'est clair, non ?
(" Mais plus tard deux faux témoins s'étant présentés, dirent : Celui-ci a dit : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours. Et le grand prêtre s'étant levé, lui dit : Ne réponds-tu rien ? Qu'est-ce que ceux-ci déposent contre toi ? Mais Jésus gardait le silence." et c'est ensuite qu'il pose la fameuse question "es-tu le messie ?")
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Écrit par : zorglub / | 04/01/2013

THEODOSE

> "la persécution des Juifs par les chrétiens lorsque ceux-ci ont commencé à avoir le pouvoir à compter du quatrième siècle, "
par Théodose plus que par "les chrétiens"
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Écrit par : zorglub / | 04/01/2013

LA BIBLE EST UNE

> Finalement la construction de la Bible chrétienne entre ancien testament et nouveau testament et le choix de ce titre de nouveau testament peut biaiser la compréhension de l'alliance chrétienne, en tant qu'elle est bien reliée, greffée sur l'olivier-Israël.
En effet à tout bien considérer dans l'ancien testament il n'y a pas UNE seule ancienne alliance puis une nouvelle mais une succession d'alliances répétées entre Dieu et son peuple prenant des formes variées : Adam, Noé, Abraham, Jacob ...finalement la formulation liturgique "Alliance Nouvelle et Éternelle" restitue bien justement plus justement cette continuité et l'aboutissement qu'elle constitue.
L'Alliance Nouvelle et éternelle scellée par le Sang de l'Agneau clos ainsi un processus démarré dans l'histoire d'un petit peuple obscur qui avait tout pour disparaître, un peu comme le mystère de l'homme, cet être fragile sans carapace et dépendant de ses parents jusqu'à un âge avancé et qui pourtant "domine" la création. "ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort" 1 Co 1-27
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Écrit par : Damien Vigourt / | 08/01/2013

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