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09/10/2012

Crise écologique en Terre Sainte : un entretien avec Mgr Marc Stenger

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...évêque de Troyes, président de Pax Christi France (in Les Nouvelles de L'Ordre du Saint Sépulcre, octobre 2012, dossier Foi et modernité) :




 

Vous avez piloté et préfacé le dernier livre de la Conférence des évêques de France : 'Enjeux et défis écologiques pour l'avenir' (Cerf 2012). De sérieux problèmes d'environnement se posent actuellement en Terre Sainte. Entre le face à face israélo-palestinien et l'exploitation agro-industrielle et domestique de l'eau, quels sont les enjeux de cette crise ?

Les riverains du Jourdain sont devant une crise environnementale : le fleuve de la Bible est gravement pollué et risque de s'assécher. Il se meurt. Il y a cinquante ans, le débit du Jourdain dans la mer Morte atteignait 1,3 milliard de m3 d'eau ; aujourd'hui il est tombé à 20 ou 30 millions de m3 : une baisse de 98 %. Or l'eau, c'est la vie des populations. D'où la responsabilité des individus mais surtout celle des Etats... La Jordanie est impliquée, et bien entendu Israël ! Tous les projets d'urbanisme dans la vallée du Jourdain (230 kilomètres) sont sous contrôle israélien. Selon le rapport de Human Rights Watch, les 9000 colons israéliens de cette vallée consomment un quart du total de l'eau consommée par les 2,5 millions de Palestiniens de Cisjordanie... Si un pays s'administre dans la seule perspective d'augmenter sa production agro-industrielle, si l'eau n'est plus qu'un accessoire au service de cela – sans égard envers les autres dimensions de la vie en société (ni envers les données hydrographiques et géologiques), il y a des pollutions énormes et on met un fleuve à sec. Sans oublier qu'un assèchement du Jourdain condamnerait aussi la mer Morte...

Il faudrait que les gouvernants israéliens (et jordaniens) mettent sur pied une action régionale, avec les investissements financiers et les autodisciplines nécessaires : collecter les eaux de pluie, économiser l'eau domestique, recycler les eaux usées, nettoyer les sources polluées, renoncer à certaines cultures trop coûteuses en irrigation. Et créer une commission du bassin du Jourdain...

Pour cela il faudrait rompre avec l'irresponsabilité absolue qui semble avoir été la règle jusqu'à présent : une irresponsabilité qui joue au détriment des populations les plus fragiles. Le problème du Jourdain est un cas typique de la responsabilité des Etats dans le traitement de l'environnement. Il en existe d'autres, qui concernent également l'eau... Voyez par exemple ce qui se passe au Pérou : une mobilisation des paysans contre un projet de mines d'or gigantesque, qui menace les trois bassins de la région de Cajamarca. Les paysans accusent le gouvernement d'être du côté de l'industrie minière. Finalement c'est à l'Eglise catholique que les deux camps demandent un arbitrage ! L'Eglise est reconnue comme un pouvoir éthique de protection de la vie – et comme le seul arbitre puisque les forces séculières n'y arrivent pas... En effet, aucun consensus n'est possible si on se limite à l'économique et au politique.
On voit ainsi que l'environnement est un enjeu non seulement matériel, mais moral : donc un terrain d'évangélisation. La surexploitation de la nature, en raison d'un mode de développement axé sur la seule croissance, provoque des ravages qui mettent en cause l'avenir de notre monde. Notre rapport à la nature peut aller jusqu'à une vision absurde et suicidaire de la vie qui nous est confiée, en même temps qu'il prend son parti des injustices... Il faut donc trouver les moyens de travailler à ce qu'une vie bonne soit possible, pour les générations à venir, mais aussi pour nos contemporains. Si Pax Christi a placé l'environnement parmi ses thèmes, c'est que ce problème-là (comme tous les autres) ne peut trouver de solution sans l'éthique. L'échec de la conférence de Rio au printemps dernier en est la confirmation : sans intention, il n'y a pas de résultats ! C'est là que l'Eglise a un message à faire entendre. Ce qui compte, c'est que les hommes sachent ce qu'ils veulent, ce qu'ils désirent, ce qu'ils souhaitent. Il faut savoir ce que nous entendons par une "vie bonne"... Or la question écologique nous conduit à revisiter notre conception du "bien vivre", à titre personnel et au titre de la communauté humaine.

Alors : l'écologie, un chemin d'évangélisation ?

Comme tout ce qui est réel ! Il ne serait pas chrétien de se réfugier hors du réel. Taire la réalité par peur ne mènerait à rien... Mais s'il faut dire la réalité, c'est pour agir, pour aider à sortir de l'épreuve : en mobilisant les ressources intellectuelles et technologiques, mais d'abord en situant l'homme, en évaluant ses potentialités et les assises concrètes qu'il donne à sa vie. Evangéliser, c'est annoncer la Bonne Nouvelle du Christ mais pas seulement par des discours. La fidélité à l'Evangile a des conséquences pratiques. Jésus ne guérit pas pour guérir, mais pour signifier en actes que Dieu vient à la rencontre des hommes. Evangéliser en actes, c'est donner aux hommes ce qu'une simple analyse technique n'est pas capable de donner : une image concrète de l'espérance.

Pour tirer parti de l'information scientifique et technique, pour la transformer en décisions, en changements, dans le monde et dans la société, il faut une motivation éthique : et pour cela il faut avoir conscience de ce qu'est l'homme et de son rôle par rapport à la nature... Des perspectives stimulantes, constructrices d'avenir, voilà le discours de l'Eglise sur l'environnement. Il dit ce qu'est l'homme, ce qui lui est promis dans le projet créateur de Dieu, sous l'éclairage de la parole divine et de la tradition de l'Eglise. La vocation humaine selon la Bible se comprend comme une réponse ajustée à la grâce surabondante de Dieu, sous le signe de la gratuité et de l'amour partagé...

À l'inverse, réduire la relation de l'humain à ses fonctions de producteur-consommateur est mutilant, voire aliénant.

Cette époque est donc un défi à relever : un moment de discernement, de décision, une épreuve de vérité. Que voulons-nous faire de notre planète, de notre espèce, de notre société, de notre vie ? Voilà la "crise du sens" dont on parle tant aujourd'hui.

Pour se situer, l'homme occidental doit donc sortir de cette "crise du sens" ?

La crise environnementale est un révélateur particulier de la du sens, qui est générale. Cette crise affecte la perception que l'homme a de lui-même depuis qu'il se croit omnipotent, doté de tout pouvoir sur le monde, et que l'idéologie du Progrès illimité le rend sourd aux avertissements, refusant de mesurer les problèmes, ou se croyant capable de les résoudre indéfiniment tout en prolongeant leurs causes...

Or ce vertige se heurte à la réalité de la crise environnementale. Elle révèle une crise de la relation entre les êtres humains : depuis la préhistoire on avait répondu aux menaces naturelles par les solidarités humaines, mais le système économique actuel casse les communautés – et pas seulement chez les Indiens d'Amazonie... La crise révèle aussi une perte de la connaissance humaine de la nature, qui caractérisait les sociétés d'autrefois. Voyez le malaise profond du monde agricole : on a dit au paysan "nourrissez la planète", et cette ambition s'est accompagnée du déploiement de moyens de forçage de la nature... qui contribuent à détruire la planète. Ce qui est devenu premier n'est plus la nature, mais les moyens du productivisme. La nature n'est plus partenaire mais instrument... C'était prendre un risque inconsidéré, on s'en rend compte aujourd'hui ; mais en accuser l'agriculteur serait injuste puisque la crise du sens est générale. Dans le monde où nous sommes, ce qui se joue n'est pas seulement l'avenir de la planète et de l'espèce humaine, mais le sens même de l'existence, le sens de ce progrès technologique dont nous pouvons tout faire, le sens du développement économique ; et le devenir de ce qui par définition échappe au marché : le divin en l'homme créé à l'image de Dieu.

Le livre des évêques sur l'écologie donne à celle-ci deux piliers : la proximité et l'universel. Ce sont des valeurs catholiques...

Prenez les récits de la Création et des débuts de l'humanité dans la Bible (Genèse 1 à 4) : leur trame est la proximité. Dans le projet du Créateur, l'homme ne « surplombe » pas le reste de la Création dont Dieu l'institue responsable : arrivé le dernier, il est dedans, il en fait partie ! Ecoutez ce que Dieu dit dans ces récits : il situe l'homme par rapport à la terre dans un rapport de proximité, non d'extériorité, ni encore moins d'hostilité. L'homme biblique n'est pas étranger à la nature. Il n'est pas en conflit avec elle, sauf s'il verse le sang de son frère humain : auquel cas le sol se révolte contre Caïn (Genèse 4, 10-12 : "quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa force")... Contrairement à ce qui est affirmé couramment depuis les années 1970, la Bible ne justifie aucunement un saccage de la nature. C'est l'inverse : la Bible bien lue est la matrice d'une écologie bien réfléchie.
Et c'est la matrice du discours développé par l'Eglise : proximité et universel ! l'inverse d'un repli de l'homme devant un monde "hostile"... L'homme chrétien est invité à s'ouvrir à tout ce qui l'environne : la nature et les autres humains. Cette nature qui nous est donnée n'est pas donnée à "notre" groupe, mais à tous les hommes ; elle les rassemble, elle est le "contenant" de la communauté humaine. D'où la nécessité de gérer les ressources mondiales autrement qu'elles ne le sont aujourd'hui : c'est un devoir sans cesse rappelé par l'Eglise, malgré les réticences et les tentation de recroquevillement.

Quelles leçons en tirer pour la foi chrétienne, dont une certaine postmodernité européenne semble ne pas vouloir ?

La foi en Dieu Trinité vient interroger nos manières de nous comprendre nous-mêmes et de comprendre notre relation au Seigneur. Celle-ci est parfois imaginée de manière simplement duale : "Dieu" et "l'homme" étant situés comme face à face. Or une telle représentation oublie que, selon le mystère de la Trinité, Dieu est fondamentalement relation d'amour... La représentation duale laisse aussi de côté le cosmos, le monde, la création en son ensemble, dans laquelle s'inscrit pourtant la relation entre Dieu et l'homme. Le monde existait avant l'apparition de l'homme : c'est ce que dit la révélation biblique autant que la recherche scientifique. Et selon une perspective chrétienne, le monde est le lieu où s'opèrent la relation avec Dieu et la relation entre les hommes. La foi en Dieu Trinité interdit à l'homme de se considérer comme isolé au milieu de l'univers, que celui-ci soit visible ou invisible.
Certains écologistes disent que l'homme est en lui-même "une menace pour la nature", comme s'il était étranger à celle-ci ? Ils font erreur : c'est eux, non la Bible, qui mettent ainsi une coupure grave entre homme et nature ! Ils pensent que notre point de vue "majore abusivement l'homme" ? Mais si l'homme n'était pas ce qu'en dit la Genèse, sa présence historique n'aurait plus aucun sens : elle ne s'expliquerait plus.

Et les écologistes "anthropophobes" sont réfutés par des écologistes plus radicaux, qui soulignent que sans l'homme il n'y a pas d'écologie...

C'est un débat d'aujourd'hui. Par ailleurs, du point de vue chrétien, puisque nous devons agir ici et maintenant pour le Royaume, nous avons le devoir évangélisateur de partager les soucis de nos contemporains. Evangéliser n'est pas ressortir un vieux discours pour le plaquer sur la société actuelle : il ne peut y avoir d'Evangile qui ne serait pas au coeur des réalités humaines, telles qu'elles nous sont données. Un chrétien se préoccupant (par exemple) d'écologie, fait saisir ce que le Christ nous dit – dans ce domaine aussi – des réalités d'aujourd'hui. Il montre comment Dieu nous donne des signes et des appels dans ces réalités... La Bible offre un chemin de sens et de vie qui permet d'orienter les choix quotidiens, de mettre en question les attitudes actuelles, de former des projets innovants, de travailler avec les autres à mettre en oeuvre de nouveaux modes de vie.

Là est le fond de la question aux yeux du chrétien : reconnaître que l'homme a un rôle important à jouer, et faire les choix nécessaires pour avoir une vie bonne – digne du projet de Dieu. C'est ce que Benoît XVI veut dire dans Caritas in Veritate (§ 48), quand il parle de "développement humain intégral".

 
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Commentaires

LA POLITIQUE DE COLONISATION

> Oui, mais hic est que le cas du Jourdain n'est que secondairement écologique, la crise écologique étant conséquence de l'appropriation des terre par les colonies de peuplement. C'est l'effet d'une rivalité de deux peuples pour la même terre. Ce genre de chose finit généralement mal pour un des deux: voir les Amérindiens.
L'eau est en Palestine un outil geopolitique: le fameux mur de sécurité enlève au Palestiniens....les collines les plus arrosées.
L'eau sert à nettoyer mais son absence peut servir au nettoyage ethnique.
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/10/2012

À DIFFUSER

> Excellent ! Un langage clair et net : productivisme, techno-scientisme et croissance (progrès) illimitée clairement remis en cause.
A diffuser largement, à distribuer dans les paroisses !
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Écrit par : PMalo / | 09/10/2012

> Remarquable! A diffuser absolument.
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Écrit par : FX / | 10/10/2012

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