27/02/2012
Capitalisme financier : l'exemple de l'usine de Saint-Junien
Un fonds de pension ferme une usine française - bénéficiaire - et licencie ses salariés. Ceux-ci occupent l'usine, soutenus par les élus locaux :
« Américains assassins d'emplois », « non aux licenciements boursiers » : sur les murs de l'usine Albany-Cofpa (dans la zone industrielle de Saint-Junien en Haute-Vienne), ces banderoles accrochées par les salariés annoncent qu'ils occupent le site « pour protéger l'outil de travail et le stock ».
Spécialisée dans la fabrication de toiles techniques pour la fabrication de mouchoirs en papier, lingettes et couches-culottes, cette usine avait été rachetée par la firme américaine Albany, elle-même aux mains d'un fonds de pension.
Celui-ci vient de décider que l'usine de Saint-Junien n'était pas encore assez rentable pour l'actionnaire, alors qu'elle est bénéficiaire (21 millions d'euros de chiffre d'affaires et 4 millions de bénéfice en 2011).
« La direction d'Albany » (comprendre : le fonds de pension) a donc décidé la fermeture : d'où licenciement des 134 salariés. Sur ordre du fonds de pension, les exécutants d'Albany ont verrouillé les machines et quitté le site de Saint-Junien.
Les salariés se relaient jour et nuit pour protester contre la fermeture.
Le syndicat de communes haut-viennois rappelle qu'il avait dépensé un million et demi d'euros en 2004 au profit d'Albany pour aménager la voirie du site de Saint-Junien : « Au-delà du drame humain que va déclencher cette logique insupportable à propos d'une entreprise qui, par ailleurs dégage d'importants bénéfices », souligne-t-il, « piller ainsi un territoire et l'argent public n'est pas acceptable. »
Cette affaire est la énième illustration du fonctionnement du capitalisme financier : un système prédateur qui détruit le tissu économique et humain.
Elle balaie le discours théorique des libéraux, reposant sur les vertus de la dérégulation (on en voit le résultat) et sur la fable de « l'investissement ».
Elle met en cause l'attitude de patrons français – nombreux exemples à la clé – qui se sont débarrassés de leurs entreprises au profit de la finance, parfois pour échapper à des difficultés réelles, parfois aussi par confort personnel ou esquive d'héritiers. C'est à ceux-là pourtant que s'adressait l'Eglise catholique demandant aux dirigeants d'introduire dans leurs calculs le paramètre – non marchand – du bien commun et de la générosité ; ou alors les mots n'ont pas de sens. (Mais la crise en cours va changer bien des choses, comme le rappelait le cardinal Scola hier : voir notre note sur sa conférence de Carême à Paris).
Tombant en pleine campagne présidentielle, l'affaire de Saint-Junien met au pied du mur les candidats à l'Elysée. Hollande, le libéral londonien, va devoir nous expliquer les vertus sociales du libéralisme ; Sarkozy II, nous dire comment il ferait mieux que Sarkozy I ; etc.
ps / On pourrait (par ailleurs) s'interroger sur l'utilité fondamentale des produits à jeter : mouchoirs en papier, lingettes, couches non lavables et autres articles du consumérisme Mais c'est un autre aspect du problème, qui n'intervient à aucun degré dans les réflexes des fonds de pension. Et les bouleversements économiques à venir le résoudront à leur manière.
ps 2 / "Américains, assassins d'emploi" : la colère des salariés français se trompe de cible. Ce qui tue l'économie réelle, ce n'est pas le peuple américain : c'est le capitalisme financier. Qui ne manque pas de thuriféraires en France...
09:49 Publié dans En 2012, La crise, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : saint-junien, copfa, albany, capitalisme financier, crise
Commentaires
SOUVENEZ-VOUS
> le fonds de pension actionnaire de cette société ferme l'usine et licencie parce que le coût de cette opération est marginal par rapport au bénéfice qu'il escompte de cette fermeture. Ce coût d'arrêt d'activité devient marginal en France parce que l'Etat a progressivement abandonné toute prérogatives en termes d'emploi .
- Suppression de l'autorisation administrative de licenciement
- un taux d'indemnités en cas de licenciement économique dérisoire .
Mais en d'autres temps les représentants de l'Etat nous avaient expliqué que faciliter les licenciements contribuait à fluidifier le marché du travail et donc favorisait la création d'emploi. Souvenez vous , il fallait "débloquer le marché du travail , sortir des archaismes qui figent la société française", etc etc .
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Écrit par : R.Beaux / | 27/02/2012
A R. Beaux :
> Le pire, dans tout cela, c'est que beaucoup de tenants (ou ex-) de l'ultra-libéralisme sont des hauts fonctionnaires, au surplus souvent membres des grands corps de l'Etat (IGF, Conseil d'Etat, Cour des comptes). Ainsi, tel ancien patron du FMI, ou telle membre de l'équipe de campagne d'un des candidats à la prochaine élection présidentielle. Ce sont ceux qui risquent le moins personnellement qui sont le plus "en pointe" en matière de précarisation de la société...
Et quand ces personnes se disent chrétiennes, cela me BROIE le coeur.
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Écrit par : Feld / | 27/02/2012
LE VRAI FLEAU
> Cette note met le doigt sur un vrai fléau, plus grave en France qu'en Allemagne ou Italie etc:
la mauvaise transmission des entreprises familiales qui sont justement celles qui emploient beaucoup de personnel. Oui, il y a de vraies difficultés, mais beaucoup de légèreté et de vanité:
un fils d'industriel préfèrera trop souvent, après avoir fait une école de commerce, aller faire du marketing dans un société connue qui diffuse des spots à la télé, que de fabriquer des tournevis dans une vallée de montagne.
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Écrit par : Pierre Huet / | 27/02/2012
L'ACTION DURE SE JUSTIFIE
> 4 millions de bénéfices pour un CA de 21 millions, c’est un ratio monumental dans l’industrie ! Personne n’est assez fou pour faire disparaître une telle activité. Si j’ai bien compris, l’activité va être transférée sur le site de Sélestat, qui connaît, quant à lui, le chômage partiel. Il est probable que l’actionnaire mise sur des économies d’échelles. Pourtant, quand on voit le ratio de rentabilité déjà très élevé, on peut imaginer que la marge de progression est faible. Les salariés ont décidé d’occuper l’usine et de bloquer tout transfert de l’outil de travail et des stocks. L’actionnaire se rendra peut-être vite compte que cette opération risque de lui coûter bien plus que ce qu’elle devait lui rapporter. Quand les salariés sont ainsi traités comme un simple variable d’ajustement, au même titre qu’une machine-outil ou des matières premières, je pense qu’une action dure se justifie.
GP
[ De PP à GP - Vous êtes du même avis que le cardinal Ratzinger dans "Liberté chrétienne et libération". ]
réponse au commentaire
Écrit par : Guillaume de Prémare / | 27/02/2012
QUI A PERMIS TOUT CELA ?
> "Celui-ci vient de décider que l'usine de Saint-Junien n'était pas encore assez rentable pour l'actionnaire, alors qu'elle est bénéficiaire (21 millions d'euros de chiffre d'affaires et 4 millions de bénéfice en 2011). "
Quand vous suivez un cours de finance on vous parle des méthodes dites de "rendements excédentaires". En gros vous disposez d'un capital et vous le placez dans une entreprise si cela rapporte plus que de le placer sur le marché. Sur le marché veut dire : dans d'autres entreprises qui rapportent plus que la dite première entreprise, c'est à dire là où il y a des rendements excédentaires (soit au bas mot 15% comme l'espèrent les financiers ; comme le disait je ne sais plus qui, si l'économie croît de 3% par an d'où viennent les 15%...?). A ce train là... on peut tout imaginer. (exemple: http://www.orientationfinance.com/accueil/detail.asp?IdC=238&IdD=20154 )
Appliqué au présent cas cela veut dire que les actionnaires ont trouvé plus rentable ailleurs. Ce qui compte c'est la rentabilité MAXIMALE que l'on peut obtenir d'un capital (imaginez ce que cela donne avec les colossales masses financières accumulées par les fonds de pensions américains ou anglais qui pratiquent ainsi, ou les Hedge Funds).
C'est parfaitement fidèle au principe du libéralisme, qu'on appelle l'efficience des marchés. En théorie, car en pratique... c'est une autre histoire, comme on peut le constater; mais si vous le constatez, les libéraux vous diront que ce n'est pas un problème d'économie. Comme le dit si justement Joseph Stiglitz (qui critique les libéraux), ils vous diront que si les chômeurs ont des problèmes de dépression ou de suicide, cela concerne... les psychologues (et non point les économistes libéraux). Donc les Grecs qui se suicident ont un problème de psychologie; le marasme qui touche leur pays n'y est pour rien. Même si le nombre de suicides s'est envolé en Grèce depuis 2010.
Ce qui fait froid dans le dos, c'est quand vous lisez par exemple des articles où l'on fait parler Gérard Larcher, ancien président du Sénat qui vous parle des fonds Blackstone et autres et qui s'émeut que rachetant des cliniques à tour de bras il ne finisse par les revendre faisant chuter dratisquement les prix... des cliniques... (http://www.recit.net/?Manoeuvres-autour-de-l)
Je vous l'ai dit, on peut tout imaginer.
Mais la question essentielle: qui a permis tout cela?
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Écrit par : Nicolas Dangoisse / | 27/02/2012
POUR EN FINIR AVEC MILTON FRIEDMAN
> Une intervention intéressante, celle de Jean-Philippe Robbé le 5 décembre 2011 aux Bernardins. Le sujet de son intervention était « Pour en finir avec Milton Friedman – Misère de la théorie de l’agence ».
Pour écouter son intervention :
http://www.collegedesbernardins.fr/podcast/audio/2011-12-05_COLL_EHS/2011-12-05_COLL_EHS_3_JP_Robe.mp3
Voici le fichier PowerPoint :
http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/3/79/49/48/Presentation-Friedman---041211---B.pdf
Contre Friedman, Robbé – qui est juriste – rappelle que « Les actionnaires ne sont propriétaires que des actions et ne peuvent pas être propriétaires de l’entreprise. »
Et voici son blog:
http://www.globalization-blog.info/
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 28/02/2012
LA MÊME ERREUR
> Et pendant ce temps-là les Chinois, qui ont compris que la création de valeur ne passait pas par la finance mais l'industrie, rigolent.
Je ne suis pas économiste mais j'ai l'impression que les financiers actuels reproduisent la même erreur que les mercantilistes espagnols, qui confondaient richesse et possession de métal précieux. Qu'en pensez-vous ?
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Écrit par : Clément Cassiens / | 28/02/2012
@ Feld
Vous écriviez:
> "Le pire, dans tout cela, c'est que beaucoup de tenants (ou ex-) de l'ultra-libéralisme sont des hauts fonctionnaires, au surplus souvent membres des grands corps de l'Etat (IGF, Conseil d'Etat, Cour des comptes). Ainsi, tel ancien patron du FMI, ou telle membre de l'équipe de campagne d'un des candidats à la prochaine élection présidentielle. Ce sont ceux qui risquent le moins personnellement qui sont le plus "en pointe" en matière de précarisation de la société...
Et quand ces personnes se disent chrétiennes, cela me BROIE le coeur."
Oui, Feld, il est des formes de corruption plus subtiles - mais tellement plus dévastatrices - que les pots de vin et autres dessous de table, quand les conflits d'intérêt et relations incestueuses avec les sociétés cotées, et singulièrement la finance deviennent la norme dans la haute fonction publique.
Comment s'étonner que beaucoup d'énarques, inspecteurs des finances, etc. etc. ânonnent en choeur les refrains du MEDEF et des économistes "experts" qui peuplent rédactions et plateaux de TV, quand on sait que le pantouflage dans le privé devient la norme pour beaucoup d'entre eux, au terme de leur "mission" (d'intérêt général?)au sein de la fonction publique. Ils sont rémunérés à un niveau très généreux en tant que fonctionnaires, mais le jackpot pour eux, c'est de passer d'un cabinet ministériel à celui d'un avocat d'affaires ayant pignon sur rue, ou encore aller "conseiller" ceux-là même qu'ils étaient supposés "contrôler" dans une vie antérieure...
Le rêve de beaucoup d'entre eux - dont les dents rayent le parquet depuis leur prépa - (mais pas tous! Rendons justice à l'intégrité de certains) c'est finalement d'être cooptés au sein de l'oligarchie financière, qui nous gouverne à son seul profit. Pas étonnant qu'ils en adoptent le langage, espérant pouvoir un jour en adopter les codes et les usages...
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Écrit par : J. Warren / | 29/02/2012
@ Nicolas Dangoisse
> "Mais la question essentielle: qui a permis tout cela?" Question centrale, que vous soulevez. Sans doute une vision vision du monde très américaine, mais qui a été relayée en Europe et en particulier en France par tout un courant chrétien, avec des noms comme Schumann ou Delors en politique et en arrière plan financier et commercial des Camdessus et des Lamy.
Il y a une sacrée pente à remonter.
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Écrit par : Pierre Huet / | 01/03/2012
@ Pierre Huet
> C'est un anachronisme et un contre-sens historique de mettre Schumann (je suppose que vous parlez de Robert, et non de Maurice) et Delors 'dans le même sac'.
Delors est effectivement responsable - en tant que ministre d'un gouvernement de la République - avec Lamy, Mitterrand et d'autres, du tournant radical néo-libéral pris en 1983 par le gouvernement 'socialiste' de l'époque, bien avant qu'il poursuive son "oeuvre" au niveau européen. Une fois de plus cela montre la porosité entre les Etats et l'UE, et le fait que ce qui fut mis en oeuvre plus tard au niveau européen sous l'influence et à la demande explicite des Etats-membres, le fut d'abord à leur niveau.
Si vous commettez, cher Pierre, l'anachronisme de jeter Schumann et Delors dans le même sac, c'est une fois de plus en raison de votre fixation nationaliste, laquelle génère une interprétation ex-post de toute la construction européenne, et de son concept même, la réduisant à un "machin" néo-libéral dès ses premiers balbutiements. C'est un petit peu réducteur, et difficilement défendable d'un point de vue historique, ou simplement intellectuel.
A ce compte là, les Capétiens sont des junkies, appendices de l'hyper-classe financiarisée du XXIe siècle, puisque ils devaient "nécessairement" porter en germe les ectoplasmes-gadgets qui leur ont succédé quelques siècles plus tard, même s'ils ne le savaient pas encore, et également l'administration française du XXe s. finissant et du XXe s. qui est devenue un instrument de redistribution inversée au profit de l'hyper-classe... :-)
Amicalement
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Écrit par : J. Warren / | 02/03/2012
CHEZ LES FUMISTES
> Et hop, un nouveau produit de l'artisanat romain:
" "Concilium" critique le pape: il est du côté des capitalistes. C'est Johan Verstraeten, de l'Université Catholique de Louvain, qui soutient cette thèse dans la célèbre revue de théologie. Depuis Rome, le professeur Stefano Ceccanti renverse l'accusation: les véritables conservateurs, ce sont les étatistes, qui raisonnent comme Lefebvre. "
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350187?fr=y
Jov
[ De PP à J. - C'est une fumisterie à la limite de l'incroyable; je vais en parler très vite ici. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Jov / | 02/03/2012
@ J Warren
Cher ami.
"Fixation nationaliste" bigre! De nos jours, c'est d'un crime capital que vous m'accusez; ça sent le fagot! Alors je vide mon sac en espérant ne choquer personne.
Nationaliste? j'aime tellement les expressions de notre civilisation qu'ont réalisées nos voisins et nous-mêmes que je ne veux pas les voir dissoutes dans le coca-cola européiste.
Sur le fond:
1) Le libéralisme était dans l'ADN de la Communauté Economique Européenne dès le traité de Rome de 1957 qui visait d'emblée à la libre circulation de biens, comme le chêne est dans l'ADN du gland.
2) On peut encore librement parler de Robert Schuman: il n'est pas canonisé, ce n'est donc pas un blasphème, alors rappelons que, comme d'autres pères de l'Europe, il a été soutenu (y compris financièrement) par les services américains via des écrans comme la Fondation Rockefeller. Il devait donc être libéral dès cette époque, après avoir été gaulliste en 44 et pétainiste en 40.
3) Il est vrai que la hiérarchie catholiques s'est fortement "mouillée" en faveur de la construction européenne. Paradoxe! Ayant abjuré les condamnations des papes du 19eme siècle, elle ne nous parle plus que de démocratie mais soutient un processus strictement anti-démocratique comme l'a montré le recyclage du projet constitutionnel rejeté, en traité de Lisbonne.
4) Ce soutient explique peut-être que les catholiques qui, certes prennent conscience des limites du système actuel regardent ailleurs dès qu'il s'agit d'en comprendre les mécanismes de pouvoir.
5) Accuser les banques, Monsanto, etc etc, soit mais sans comprendre pourquoi ils ont le champ libre condamne à une indignation platonique et un antilibéralisme radical en paroles mais virtuel en fait.
Amicalement
Pierre Huet
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Écrit par : Pierre Huet / | 02/03/2012
USINES PARISOT
> Autre exemple: dans la famille de Laurence Parisot, on est ne fait pas dans le repli et le protectionnisme:
http://youpress.fr/2012/02/usines-parisot-a-la-casse-ouvriere/
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Écrit par : Pierre Huet / | 15/03/2012
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